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de ses fonctions, pourrait-elle rendre le prévenu coupable? Supposez encore qu'un vol soit commis la nuit sur une grande route, et que la personne volée soit un fonctionnaire public; comment cette qualité pourrait-elle être considérée comme une circonstance aggravante du vol? Lorsque l'agent n'a pas le fonctionnaire en vue, lorsqu'il ne s'est adressé qu'au simple particulier, comment pourrait-on lui opposer, pour aggraver la peine, une qualité qu'il n'a pas connue ou qu'il n'a pas voulu blesser?

« Si la violence employée contre un fonctionnaire public, disait M. Berlier, doit être punie plus sévèrement que celle dont on use envers un particulier, ce n'est pas à cause du rang de l'offensé, c'est parce que, par sa nature, le délit est plus grave, en ce qu'il arrête l'exercice de l'autorité; se régler sur la qualité des personnes, ce serait établir des priviléges [1]. » Le même orateur résumait ensuite cette discussion, en exposant les motifs du Code devant le Corps législatif : « Convenait-il de punir les outrages commis même hors de tout exercice de fonctions, de peines de différents ordres graduées d'après la simple considération du rang plus ou moins élevé que les personnes outragées tiennent dans la société? En agitant cette question, on n'a pas tardé à reconnaître que l'application d'une telle idée serait impraticable; qu'en tarifant les peines selon le rang de l'offensé, cela irait à l'infini; qu'il faudrait aussi prendre en considération le rang de l'offenseur. Enfin, on a reconnu que cela était moins utile que jamais dans un système qui, assignant à chaque classe de peines temporaires un maximum et un minimum, laissait à la justice une suffisante latitude pour varier la punition des outrages privés d'après la considération due aux person

nes. »>

Nous avons dû insister sur les motifs d'une règle qui s'étend sur tous les articles de ce chapitre et en détermine le sens ; il nous sera plus facile maintenant de fixer les limites de son application. L'outrage est commis dans l'exercice des fonctions, toutes les fois que le fonctionnaire, au moment de sa perpétration, procède à un acte de ses attributions. Les termes de cette formule sont généraux et n'admettent point de restriction; ainsi la jurisprudence a été fondée à décider que le fonctionnaire est dans l'exercice de ses fonctions, alors même

[1] Procès-verb. du Conseil d'état, séances des 6 et 12 août 1809.

[2] Arr. cass. 28 déc. 1807; Dalloz, t. 22, p. 89.

qu'il n'est pas revêtu de son costume, si le prévenu s'adresse à lui à l'occasion de l'acte auquel il procède [2]: alors même que son incompétence pour procéder à cet acte serait légalement établie, si d'ailleurs il adroit et qualité pour agir[3]; alors même enfin qu'il se trouvait hors du lieu ordinaire où s'exercent ses fonctions, pourvu qu'il procédât régulièrement à un acte de son ministère [4]. L'outrage qui l'attaque dans ces diverses circonstances le saisit donc dans l'exercice de ses fonctions, et dès lors rentre dans les termes de la loi pénale. Enfin il importe peu, dans ces diverses hypothèses, que l'outrage se rapporte à un fait, à un acte des fonctions: lorsqu'il intervient pendant leur durée, le motif est indifférent; la loi ne voit que le trouble, que l'injure apportés à l'exercice des fonctions, que l'insulte qui avilit leur dignité ; cette insulte aurait une cause étrangère à ces fonctions, que le trouble n'existerait pas moins; il n'était donc pas possible de distinguer.

:

L'outrage est commis à raison on à l'occasion des fonctions, toutes les fois qu'il se rapporte à un acte de ces fonctions: c'est cet objet de l'outrage qui sert alors à discerner son caractère légal. La loi n'a voulu, nous l'avons déjà dit, protéger d'une peine plus sévère que les seuls actes de la fonction lors donc que le prévenu n'a fait porter son outrage sur aucun fait qui fût relatif au ministère du fonctionnaire, qui se rattachât à leur exercice, cet outrage ne tombe plus que sur un simple particulier, puisque nous supposons d'ailleurs qu'il est commis en dehors de l'exercice des fonctions, et les dispositions qui font la matière de ce chapitre sont inapplicables. L'art. 16 de la loi française du 17 mai 1819 et l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822, qui ont porté de nouvelles peines contre la diffamation ou les outrages dont les fonctionnaires et les agents de l'autorité publique peuvent être l'objet, n'ont point dérogé à cette règle dans l'un et l'autre cas, les peines ne sont applicables qu'au cas où le délit est commis à raison des fonctions ou pour des faits relatifs aux fonctions; c'est toujours la même formule, les mêmes motifs, la même règle.

:

Cela posé, notre matière se divise naturellement en deux parties, suivant que l'outrage est commis par paroles ou par gestes, ou qu'il est accompagné de violences. Nous traiterons donc,

[3] Arr. cass. 1er avr 1813 (Bull. no 63).

[4] Arr cass. 17 therm. an x; 16 août 1810; Dalloz, t. 22, p. 88; S. 1817, 1, 322.

dans un premier paragraphe, des outrages par paroles, par menaces ou par gestes, et dans un deuxième, des violences et des voies de fait commises sur les fonctionnaires.

S ler.

police rentrent encore dans cette catégorie. lorsqu'ils exercent les fonctions du ministère public près les tribunaux de police [4]. Mais les officiers de police judiciaire doivent-ils être rangés dans cette classe? La question ne peut s'élever qu'à l'égard des officiers de gen

Des outrages par paroles et par gestes ou darmerie et des gardes champêtres et forestiers.

menaces.

L'outrage par paroles et défini par l'art 222 du Code, qui est ainsi conçu : « Lorsqu'un ou plusieurs magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire auront reçu, dans l'exercice de leurs fonctions ou à l'occasion de cet exercice, quelque outrage par paroles tendant à inculper leur honneur ou leur délicatesse, celui qui les aura ainsi outragés sera puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans. » Cet article indique clairement les éléments du délit que le Code a voulu punir: il faut que l'outrage s'adresse aux fonctionnaires qu'il désigne, qu'il soit commis pendant l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions; enfin, que cet outrage soit verbal et de nature à inculper leur honneur ou leur délicatesse. Cestrois conditions exigent quelques explications.

:

Le premier point consiste à définir ce qu'il faut entendre par les magistrats de l'ordre administratif et judiciaire. En général, la dénomination de magistrat de l'ordre administratif appartient aux fonctionnaires administratifs qui ne sont ni officiers ministériels, ni agents de la force publique tels sont les préfets, les maires et leurs adjoints. La jurisprudence a reconnu la même qualité aux commissaires de police [1]; elle l'a refusée avec raison aux membres de la Chambre des Députés [2], percepteurs des contributions [3]. Les magistrats de l'ordre judiciaire sont tous les juges, tous les membres du ministère public; ainsi les maires et leurs adjoints et les commissaires de

aux

[1] Arr. cass. 30 juill. 1812; Dalloz, t. 22, p. 90; S. 1813, 73; 9 mars 1837; et un arrêt rendu en février 1838, en audience solennelle. La Cour de Bruxelles a jugé, en 1827, que les outrages envers les commissaires de police, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, ne rentrent pas, hors le cas où ils remplissent les fonctions du ministère public près les tribunaux de simple police, dans les dispositions des art. 222 et 223 du code pénal. Br. 27 janv. 1827; J. de B. 1827, 1, 11; J. du 19 s., 1827, 3, 187; et même arrêt du 14 juill. 1837; J. de B.,1837, 486. Cependant il résulte des discussions sur l'art. 123 de la loi communale qu'on a donné aux commissaires de police, la qua

Or, ces fonctionnaires se trouvant déjà qualifiés commandants ou dépositaires de la force publique, cette qualité absorbe celle de magistrat et fait obstacle à ce qu'ils puissent être considérés sous ce deuxième rapport.

Le deuxième élément du délit est que l'outrage ait été reçu dans l'exercice des fonctions ou à l'occasion de cet exercice. Nous ne reviendrons point sur cette règle générale dont nous avons indiqué le sens et les limites; mais on doit remarquer que de cette formule il ne résulte point que la publicité soit nécessaire pour constituer l'outrage; car cet outrage peut se rapporter aux fonctions ou se commettre pendant leur exercice, sans se manifester publiquement: tels sont les outrages qui se commettent dans un lieu non public, dans la maison particulière du magistrat. La non publicité de l'outrage ne lui ôte pas son caractère ; c'est en ce sens que la jurisprudence s'est constamment prononcée [5].

Le caractère de l'outrage forme la troisième condition du délit : il faut d'abord que l'art. 222 puisse être appliqué, que l'outrage se manifeste par des paroles; l'article en fait une règle formelle. Cependant la Cour de cassation, ne se croyant pas enchaînée par ce texte, n'a point hésité à assimiler l'outrage par écrit à l'outrage par paroles. Les motifs de cette décision sont : « qu'il n'existe aucune raison de soustraire l'outrage commis par lettre missive ou par écrit non rendu public à l'application des art. 222 et 223 [6]; que l'outrage écrit a un caractère de préméditation qui

lification de magistrats, pour leur assurer, dans l'exercice de leurs fonctions, la protection de l'art. 222 du code pénal contre les outrages qu'ou pourrait se permettre à leur égard.

[2] Arr. cass. 20 oct. 1820.
[3] Arr. cass. 25 juill. 1821.

[4] Arr. cass. 7 août 1818; Dalloz, t. 22, p. 90. [5] Arr. cass. 13 mars 1812; 2 avril 1825 ; 23 janvier 1829; Dalloz, t. 22, p. 91; S. 1826, 1, 250.

[6] L'art. 222, qui punit les outrages par paroles envers un ou plusieurs magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire, comprend les outrages consignés dans des écrits publics. Br. cass. 21 no

ne permet pas de le ranger parmi les outrages par gestes ou menaces; qu'il doit donc être assimilé à l'outrage par paroles; qu'en effet l'écriture n'est qu'une parole écrite; que l'art.222 n'a point exclu cette interprétation, et que les termes n'en sont point limitatifs [1]. » Nous ne pouvons admettre ni l'exactitude de cette analogie, ni la doctrine sur laquelle elle repose. Faut-il répéter encore qu'en matière pénale les termes de la loi doivent être pris dans leur acception propre, qu'aucun mot ne peut être détourné de son sens naturel, et surtout qu'en aucun cas l'analogie ne peut être invoquée pour en déduire l'application d'une peine à un cas nouveau ? La loi a puni l'outrage par paroles, on en conclut qu'elle a voulu punir l'outrage par lettres; mais il suffirait que ces deux modes d'exécution du même délit fussent différents l'un de l'autre, pour qu'on ne pût étendre de l'un à l'autre la disposition pénale. Ensuite le délit est-il donc le même? L'outrage par paroles est une espèce de voie de fait; il peut acquérir de la publicité; il emprunte à la forme avec laquelle il se produit une gravité plus ou moins intense. L'outrage par lettres n'a ni le même retentissement, ni les mêmes caractères de gravité; l'injure reste ensevelie dans le silence elle ne cause au fond aucun dommage. Si la lettre devenait publique, ou si l'agent répétait la parole outrageante, l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822 le saisirait aussitôt pour le punir. Le même besoin de protection ne se fait donc pas sentir dans les deux cas ; c'est un motif de plus pour ne pas les assimiler. Nous ajouterons enfin qu'il n'est peut-être pas exact de dire que les injures adressées à un magistrat dans une lettre restée secrète ne trouveraient dans la loi pénale aucune répression; car l'art. 376 du Code comprend dans sa disposition toutes injures ou expressions outrageantes, et la Cour de cassation a jugé que cet article s'appliquait aux injures écrites commes aux injures verbales [2]. Au reste, l'interprétation que nous proposons se trouve déjà confirmée par un précédent arrêt de la Cour de cassation rendu sous la présidence de M. Barris [3].

ticle 222 s'applique aux injures proférées même en l'absence du fonctionnaire, et il se fonde sur ce que cet article n'a pas exigé sa présence [4]. Nous aurions peine à concilier cette décision avec la nature de l'outrage et les textes du Code. La loi suppose évidemment dans tous les articles qui font l'objet de ce chapitre la présence du magistrat offensé : l'art. 222 veut qu'il ait reçu l'outrage; l'art. 228 qu'il ait éprouvé les violences. Ensuite, il est de l'essence de l'outrage d'être fait à la personne elle-même qui en est l'objet; proféré loin d'elle, c'est une diffamation ou une injure, ce n'est plus un outrage, parce que le magistrat n'en est pas atteint immédiatement, parce que la loi n'a voulu le protéger plus efficacement que contre une attaque directe.

Enfin l'outrage par paroles doit, pour être incriminé, être de nature à inculper l'honneur ou la délicatesse du magistrat. Pris dans un sens générique, l'outrage est toute injure faite d'une manière quelconque à un fonctionnaire : l'art. 222 a restreint cette acception; il a créé une espèce dans le genre; il ne punit pas tout outrage, mais seulement celui qui par son caractère tend le plus à paralyser l'autorité morale, à affaiblir la considération du magistrat. Cette nature spéciale de l'outrage prévu par l'art. 222 doit être soigneusement pesée par le juge; car il n'est point investi d'un pouvoir discrétionnaire pour en apprécier les éléments, puisque ces éléments ont été définis par la loi. La jurisprudence offre plusieurs exemples d'une appréciation des juges du fait, déclarée inexacte ou saine par la Cour de cassation [5].

Telles sont les différentes conditions qui doivent se réunir pour constituer un outrage et caractériser le délit. Mais, depuis le Code pénal, cette matière a plusieurs fois occupé le législateur et les règles qui viennent d'être exposées ont été modifiées en France sous plusieurs rapports. Il importe de savoir quelles règles nouvelles la législation a apportées sur ce point, et quelles dispositions du Code se trouvent abrogées, lesquelles sont encore debout et en vigueur; c'est ce que nous allons maintenant

Mais cet arrêt a jugé en même temps que l'ar- examiner.

vembre 1821; J. de B, 1821, 2. 55; et Br. 29 janv. 1829; J. de B. 1829, 1, 8.

Ce dernier arrêt a jugé également que le ministre de la justice est un magistrat dans le sens de l'art. 222.

[1] Arr. cass. 15 juin 1837.

[2] Arr. cass. 10 nov. 1826; S. 1827, 213.

[3] Arr. cass. 10 avril 1817; S. 1818, 1, 23; Dalloz, t. 22, 153.

[4] La Cour de cassation de Bruxelles a jugé dans le même sens par arrêt du 29 janv. 1829. J. de Br. 1829, 1, 8.

[5] Arr. cass. 22 déc. 1814; 29 mai 1813; Dalloz, t. 22, p. 92; S. 1815, 1, 92.

Les art. 16 et 19 de la loi du 17 mai 1819 avaient déjà modifié l'art. 222, en en détachant les cas où l'outrage prendrait le caractère d'une diffamation ou d'une simple injure. L'art. 16 porte: « La diffamation envers tout dépositaire ou agent de l'autorité publique, pour des faits relatifs à ses fonctions, sera punie d'un emprisonnement de huit jours à dix-huit mois, et d'une amende de 50 frs. à 3,000 frs. » L'art. 19 punit l'injure envers les mêmes personnes d'un emprisonnement de cinq jours à un an, et d'une amende de 25 francs à 2,000 francs; mais ces dispositions ont été elles-mêmes implicitement abrogées par l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822, qui a porté de nouvelles peines contre les outrages dont les fonctionnaires publics peuvent être l'objet, et qui a substitué le terme d'outrage aux mots injure, diffamation, pour qualifier les propos diffamatoires ou injurieux adressés aux fonctionnaires [1]. Toutefois, comme l'article 16 de la loi du 17 mai 1819 est la seule disposition de la législation qui ait désigné les agents de l'autorité publique parmi les fonctionnaires sur lesquels la loi étend une protection spéciale, on a continué de l'appliquer toutes les fois que la qualification de fonctionnaire public ne peut être donnée à l'agent de l'autorité publique outragé. C'est ainsi que cette disposition a été invoquée par la jurisprudence en faveur des appariteurs ou agents de police [2], et même des gardes nationaux insultés dans leurs fonctions [3].

Ces dispositions parurent insuffisantes au législateur; l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822 fut proposé pour les compléter. « Il est triste, disait l'exposé des motifs, d'avoir à rappeler que des membres de cette Chambre ont été diversement insultés ou menacés par des attroupements tumultueux. Les tribunaux, fidèles à la lettre de la loi, ont jugé que les membres des Chambres n'étaient pas compris sous les désignations de magistrats ou de dépositaires de l'autorité publique. Une disposition spéciale est donc nécessaire; elle embrasse l'outrage fait publiquement, d'une manière quelconque, à raison de la fonction ou de la qualité; et, comme cette désignation est plus large que celle du Code pénal, le projet ne s'applique pas seulement aux membres des deux Chambres, mais aussi aux fonctionnaires publics. Enfin, l'article donne une garantie semblable aux jurés et aux témoins, dont l'indépendance est si

[1] Arr. cass. 18 juill. 1828; S. 1828, 1, 399. [2] Arr, cass. 28 août 1829.

essentielle à la bonne administration de la justice; tels sont les motifs de l'article 6, ainsi conçu « L'outrage fait publiquement, d'une manière quelconque, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, soit à un ou plusieurs membres de l'une des deux Chambres, soit à un fonctionnaire public, sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à deux ans, et d'une amende de 1,000 fr. à 4,000 fr.; le même délit envers un juré à raison de ses fonctions, ou envers un témoin à raison de sa déposition, sera puni de dix jours à un an, et d'une amende de 50 fr. à 3,000 fr.»

Il est nécessaire de remarquer que si cet article ne crée point un délit nouveau, puisque le délit d'outrage était déjà prévu par le Code pénal, il imprime du moins à ce délit un sens plus large et preque indéfini. Il ne s'agit plus seulement ici, comme dans l'art. 222, d'une atteinte à l'honneur ou à la délicatesse du fonctionnaire; toute expression offensante, toute imputation d'un fait honteux, toute insulte peut être qualifiée ontrage. Mais cet outrage n'est punissable, dans le système de la loi, qu'autant qu'il a été commis avec des conditions de criminalité différentes de celles énumérées par le Code.

Ainsi l'art. 222 ne prévoit qu'une espèce d'outrage, celui qui peut inculper l'honneur ou la délicatasse de la personne offensée; l'article 6 de la loi du 25 mars 1822 punit l'outrage sans le définir, et par conséquent toutes les sortes d'outrages commis dans les circonstances énoncées par cet article se trouvent comprises dans cette expression générique. Ensuite le Code pénal ne s'applique qu'aux outrages faits par paroles ou par gestes, tandis que la loi spéciale comprend les outrages commis d'une manière quelconque, par écrits, par paroles, par emblèmes, par gestes. Cette loi se restreint à ceux qui sont faits à raison des fonctions,et le Code s'étend, au contraire, aux outrages commis soit dans l'exercice, soit à l'occasion des fonctions; enfin la loi de 1822 n'atteint que les outrages qui se sont manifestés publiquement, et l'art. 222 les frappe, au contraire, qu'ils soient ou non accompagnés de publicité.

De ces différencès il faut conclure que l'article 222 demeure encore en vigueur relativement aux outrages qui sont commis, 1° dans l'exercice des fonctions, qu'ils soient ou non

[3] Arr, cass. 24 fév. et 17 mai 1832; S. 1832, 1,541.

publics [1]; 2° à l'occasion de cet exercice, mais sans publicité [2]. Dans ces deux cas, les règles particulières que nous avons déduites du texte de l'article conservent leur force, et dès lors le délit doit réunir les éléments de criminalité exigés par cet article. Hors de ces deux hypothèses, cette disposition n'a plus d'application. Mais, dans l'une de ces hypothèses même, lorsque l'outrage est commis dans l'exercice des fonctions, il peut revêtir un autre caractère, celui de la diffamation. En général, l'outrage, qui n'est qu'une injure aggravée par la qualité de celui auquel elle s'adresse, constitue un délit distinct de la diffamation, que la loi a définie l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération [3]. Néanmoins, lorsque cette diffamation se produit par la parole, qu'elle est jetée à la face du magistrat comme une injure au milieu de l'exercice de ses fonctions, elle peut être considérée comme un outrage, et les règles relatives à ce dernier peuvent la saisir; mais il n'en serait plus ainsi lorsque la diffamation n'a été accompagnée d'aucune expression outrageante, d'aucun terme de mépris, d'aucune invective, enfin d'aucun geste de nature à en faire un outrage. Cette distinction est surtout importante en ce qui concerne la procédure, puisque la compétence et les formes diffèrent, aux termes de l'article 20 de la loi du 26 mai 1819, dans l'un et l'autre cas.

La loi pénale a considéré comme une circonstance aggravante de l'outrage sa perpétration à l'audience des cours et des tribunaux. L'infraction puise dans cette circonstance une plus haute gravité, soit parce que ce n'est plus à un magistrat procédant isolément, mais à un corps de magistrature, à un tribunal entier que l'injure est portée, soit parce que la majesté des juges doit être protégée avec plus de sévérité au moment où ils distribuent la justice. Le deuxième paragraphe de l'art. 222 porté en conséquence: <«< Si l'outrage a eu lieu à l'audience d'une cour ou d'un tribunal, l'emprisonnement sera de deux a cinq ans. » Il est nécessaire de rapprocher d'abord cette disposition de deux autres dispositions analogues de la législation.

L'art. 11 du Code de procédure civile autorise le juge, dans le cas d'insulte et d'irrévérence grave envers lui, à prononcer un emprisonnement de trois jours au plus; et l'art. 91 du

[1] Arr. cass. 17 mars 1820; 28 août 1823; 27 fév. 1832; Dalloz, t. 22, p. 93; S. 1820, 1, 276, 1832, 1, 161.

même Code investit également les tribunaux du pouvoir de condamner à un mois d'emprisonnement ceux qui outrageraient ou menaceraient les juges ou les officiers de justice dans l'exercice de leurs fonctions : nous ne parlons point des art. 504 et suivants du Code d'instruction criminelle, qui ne sont relatifs qu'au mode de procédure et à la compétence des tribunaux. Ces dispositions ont été abrogées ou du moins modifiées par les art. 222 et 223 du Code pénal. Il est évident, en premier lieu, que l'art. 11 prévoit un fait différent, le fait d'insulte et d'irrévérence grave, qui constitue une infraction beaucoup plus légère que l'outrage. La sollicitude du législateur a dù déployer une prévoyance plus grande en faveur du juge de paix, qui, plus isolé et plus en contact avec les parties, avait besoin d'une protection plus efficace et d'un moyen répressif plus facile. L'art. 11 doit donc subsister à côté de l'art. 222; il agit dans une sphère inférieure, il s'arrête quand l'insulte prend les caractères de l'outrage défini par cet article. En ce qui concerne l'art. 91, cependant, il nous semble que la même solution doit y être appliquée : l'outrage prévu par les art. 222 et 223 a un caractère particulier et très-grave; mais, au-dessous de cette injure spéciale, il est un grand nombre de faits, de paroles injurieuses, moins graves et cependant répréhensibles, qui portent atteinte, non point à la personne du juge, à son honneur ou à sa délicatesse, mais à la dignité de la magistrature et au respect dû à l'audience. C'est à cette classe d'outrages que l'art. 91 peut encore s'appliquer utilement, soit à raison des peines légères qu'il prononce, soit à raison des formes expéditives qu'il trace. Son incrimination étant indéfinie se trouve circonscrite par l'art. 222, mais elle peut s'appliquer encore aux faits qui ne rentrent point dans la disposition de cet article.

Cela posé, toutes les règles relatives aux outrages qui attaquent les magistrats dans l'exercice de leurs fonctions s'appliquent nécessairement aux outrages commis aux audiences: la pénalité seule est modifiée. Ainsi les mème éléments sont exigés pour caractériser le délit ; ainsi il importe peu que l'outrage se rapporte à l'affaire qui occupe l'audience, pourvu qu'il soit commis pendant la durée de cette audience, pourvu qu'il soit dirigé contre les magistrats

[2] Arr. cass. 2 avr. 1825; 20 fév. 1830; S. 1826, 1, 250. [3] Art. 13, loi du 17 mai 1819.

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