Images de page
PDF
ePub

qui siégent dans leurs fonctions. Car c'est le caractère public du juge, c'est le cours de la justice et l'exercice des fonctions, que la loi pénale a voulu protéger avec une sévérité plus grande.

Une question qui s'est produite naguère dans une circonstance analogue, est de savoir s'il y a outrage lorsque les magistrats siégeant à l'audience n'ont pas entendu les paroles, ne se sont pas aperçus du fait qui peut le constituer. Dans une espèce où la compétence instantanée des juges était seule controversée, la Cour de cassation a jugé « que les paroles offensantes d'un avocat à l'audience ne perdent pas le caractère de faute de discipline qui leur appartient pour n'être pas parvenues à l'oreille des juges; que toutes les fois qu'au lieu d'être dites sous le secret de la confidence, elles sont prononcées assez haut pour être entendues d'une partie du public, il y a atteinte portée à la dignité de l'audience et au respect dû à la justice [1]. » Il faut remarquer d'abord que cette décision ne juge point notre question, puisque les motifs pour admettre la compétence ou l'existence du délit de sont pas les mêmes, puisque toute atteinte portée à la dignité de l'audience n'est pas un outrage dans le sens de la loi pénale; mais il nous semble nécessaire d'en combattre l'induction qu'on pourrait en tirer. Comment admettre l'existence de l'outrage quand le fait qui le constituerait n'est pas même apparu aux yeux du juge? Comment apercevoir un délit dans un geste, dans une parole qui n'a produit ni trouble ni scandale, qui n'a point interrompu les débats, qui est demeuré ignoré du tribunal? L'outrage est une attaque directe contre les juges, il se produit ouvertement, il imprime son offense sur leur front: c'est parce qu'elle l'a considéré comme un fait flagrant, que la loi a voulu venger de suite la dignité de l'audience troublée, et faire suivre immédiatement l'offense de la réparation. Quelques paroles échappées à demi-voix, un geste à peine aperçu, ne peuvent constituer le délit, parce qu'ils n'atteignent pas ouvertement le magistrat. Peut-être ces atteintes secondaires pourraient--elles être comprises dans les termes de l'art. 91 du Code de procédure civile; mais il serait impossible d'y reconnaître les caractères distinctifs de l'outrage défini par le Code pénal.

quer que le deuxième paragraphe de l'art. 222 s'étend à toutes les cours, à tous les tribunaux indistinctement la disposition générale et la même raison de décider s'appliquent, d'ailleurs, à toutes les juridictions.

Les peines portées contre l'outrage par paroles se graduent suivant la qualité de la personne outragée: si cette personne est un magistrat, cette peine est l'emprisonnement dans les limites fixées par l'art. 222; elle s'abaisse et descend jusqu'à une simple amende, lorsque cette personne est un officier ministériel ou un agent de la force publique. « L'outrage fait par paroles, porte l'art. 224, à tout officier ministériel ou agent dépositaire de la force publique, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, sera puni d'une amende de 16 francs à 200 francs. » Il est clair qu'il s'agit ici du même délit la qualité de la personne offensée a seule changé ; la définition et les règles établies par l'art. 222 s'appliquent à celui-ci.

:

La question s'est élevée de savoir si l'art. 224 est applicable à un individu qui a fait à un agent de la force publique la fausse dénonciation d'un crime imaginaire. Il nous paraît qu'une solution négative doit être adoptée. Ce qui constitue l'outrage prévu par le Code, il faut le répéter encore, ce sont ces expressions injurieuses, ces termes de mépris, ces invectives, ces imputations de vices ou d'actions blåmables qui portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne à laquelle on les impute [2]. Or peut-on voir un outrage de ce genre dans une déclaration mensongère faite à un officier de police? Ce ne sont pas les termes de la déclaration qui pourront constituer l'outrage: ces termes, qui ne contiennent que le récit d'un fait en apparence véritable, ne s'adressent point à la personne du magistrat, ils ne l'inculpent pas; ils ne portent pas atteinte à son honneur, à sa délicatesse; ils le trompent à la vérité, mais un faux témoin trompe la justice, et son faux témoignage reste impuni s'il n'a été fait que dans l'instruction écrite devant le magistrat instructeur; et toutefois ce faux témoignage a pu induire les magistrats dans des recherches non-seulement illusoires mais injustes, puisqu'ils ont pu faire envelopper un innocent dans cette poursuite. Une déclaration mensongère ne peut être considérée comme un outrage envers

On ne doit pas omettre, du reste, de remar- l'autorité à qui elle est faite, que par une in

[1] Arr. cass 24 déc. 1836.

[2] L'imputation d'imbecillité, de bétise, adressée à un bourgmestre constitue le délit d'outrage.

Br. 6 août 1835; J. de B. 1835, 406.
- V. cepen.
dant Sirey, 1809, 1, 162; 1810, 1, 298.

duction qui dénaturerait le sens naturel des expressions de l'art. 222; qui substituerait à l'outrage par paroles, lequel présente un sens précis et déterminé et se manifeste par un acte matériel, une autre autre espèce d'outrage qui aurait besoin de temps et de recherches pour se découvrir, qui laisserait des doutes sur l'intention de son auteur, qui serait en un mot tout intellectuel. A cette doctrine, toutefois, on peut opposer un arrêt de rejet de 9 décembre 1808 [1], qui a qualifié d'outrage la dénonciation d'un délit imaginaire faite à la gendarmerie. Mais on doit remarquer que cet arrêt a été rendu sous l'empire du Code de 1791, et les dispositions de ce Code relatives à l'outrage n'étaient point conçues dans des termes aussi précis, aussi restrictifs que ceux de l'art. 222; et d'ailleurs, nous n'hésitons point à penser que, même en appliquant ce Code qui n'avait point défini l'outrage, mais qui lui avait laissé son sens commun, l'arrêt que nous avons cité a méconnu les signes essentiels de ce délit.

L'unique difficulté à laquelle puisse donner lieu l'art. 224 est de savoir quelles personnes sont comprises sous la dénomination d'officiers ministériels et d'agents dépositaires de la force publique [2]. Nous avons précédemment expliqué la signification de la première de ces expressions; elle s'étend, en général, aux avoués, aux huissiers, aux commissaires-priseurs: [3] la jurisprudence y a compris, dans l'application même de l'art. 224, les notaires [4] et même les porteurs de contraintes des contributions

[1] Sirey, t. 10, p. 257; Dalloz, t. 22, p. 88. [2] Les employés des droits d'entrée, etc., ne doivent être considérés ni comme des agents de la force publique, ni comme des officiers ministé riels.

L'art. 224 ne s'applique qu'aux agents dépositaires de la force publique, et non à ceux qui en sont simplement agents. Br. cass. 22 oct. 1835; Bull. de cass., 1836, 207.

Le code pénal de 1810 et la loi générale sur les accises du 26 août 1822 ont abrogé l'art. 14 du tit. 13 de la loi du 22 août 1791, qui punit de 500 francs d'amende, sans minimum, cenx qui se permettent d'injurier ou maltraiter les préposés des douanes. Br. cass. 9 août 1834; Bull. de cass. 1835, p. 126; 1836, p. 267.

Les préposés aux taxes municipales sont des officiers ministériels ou agents dépositaires de la force publique, dans le sens des articles 209 et 224 du C. P. combinés avec l'art. 323 de la loi générale en date du 26 août 1822. Liége, 1er juillet

directes. Quant aux notaires, quoiqu'ils soient plus généralement considérés comme fonctionnaires publics, toutefois ils appartiennent par leur caractère et leurs fonctions à la classe des officiers ministériels, et le vœu de la loi a certainement été de leur assurer la même protection, dans l'exercice de leurs fonctions, qu'aux avoués et aux commissaires-priseurs [5]. Mais nous ne pouvons étendre la même solution aux porteurs de contraintes des contributions directes. La Cour de cassation a décidé « qu'aux termes de l'art. 18 du décret du 16 thermidor an VIII, ces porteurs sont huissiers des contributions directes; que dès lors ils sont officiers ministériels dans l'exercice de leurs fonctions, et que les outrages qui leur sont adressés, dans cet exercice, par paroles, gestes ou menaces, sont prévus et réprimés par l'art. 224 [6]. » Nous ne croyons pas, d'abord, qu'il soit exact de dire que ces agents sont huissiers des contributions directes; ils en remplissent les fonctions, mais ils n'en ont pas le caractère. L'art. 18 de la loi du 16 thermidor an VIII est ainsi conçu : « Les porteurs de contraintes feront seuls les fonctions d'huissiers pour les contributions directes; ils ne sont pas assujétis au droit de patente.» Or, ne serait-ce pas donner une extension aux termes de cet article et par conséquent de l'art. 224, que d'assimiler complètement ces agents aux officiers ministériels, pour leur assurer une garantie qui ne leur a point été nominativement accordée? Ensuite, on doit remarquer que l'art. 209 énumère les

1825; Rec. de Liége, t. 10, P. 298.

[3] La Cour de Bruxelles, par arrêt du 29 octobre 1836, a considéré les gardes champêtres comme officiers ministériels, mais outre que la signification propre de ces derniers mots résiste à semblable interprétation, il résulte formellement de l'art. 209 qu'aux yeux du législateur les officiers ministériels et les gardes champêtres forment une classe distincte de fonctionnaires. — V. J. de Belg., 1837, p. 58.

[4] Le fait d'avoir empoigné et chassé des témoins instrumentaires appelés par un notaire à la passation d'un testament rentre dans l'application des art. 209 et 212 comme constituant un délit de rébellion, une véritable attaque avec violences et voies de fait, envers le notaire lui-même. Un notaire doit être considéré comme un officier ministériel. Br. 23 fév. 1833; J. de B. 1833, 1, 191. [5] Arr. cass. 13 mars 1812; 22 juin 1809; Dalloz. t 22, p. 94; S. 1810, 1, 190.

[6] Arr. cass. 30 juin 1832; S. 1832, 1, 577.

officiers ministériels, la force publique, les préposés à la perception des taxes et des contributions, leurs porteurs de contraintes, etc. En rapprochant cette disposition de l'art. 224, il en résulte ces deux corollaires: que les porteurs de contraintes sont autre chose que les officiers ministériels et les agents de la force publique; et que, puisque l'art. 224 ne punit que les outrages faits à ces derniers, sa disposition ne saurait atteindre les actes de la même nature commis envers les porteurs de contraintes.

Les agents de la force publique sont nécessairement agents de l'autorité publique; mais ces derniers ne sont pas toujours agents de la force publique [1] : ainsi les agents ou les appariteurs de police ne devraient pas être rangés dans la classe des agents de la force publique [2]. Cette différence peut être importante à l'égard des outrages que les agents reçoivent dans l'exercice de leurs fonctions, car l'art. 224 est la seule loi pénale applicable à ces outrages; mais il en est autrement en ce qui concerne les outrages commis à raison de leurs fonctions et publiquement l'art. 19 de la loi du 17 mai 1819 porte que « l'injure contre les personnes désignées par les art. 16 et 17 de la loi sera punie d'un emprisonnement de cinq jours à un an, et d'une amende de 25 à 200 francs. » Or, l'article 16 désigne indistinctement les dépositaires et les agents de l'autorité publique : d'où il il suit que les agents de la force publique sont protégés soit par l'art. 224, soit par l'art. 19 de la loi du 17 mai 1819, suivant qu'ils ont été outragés ou injuriés dans leurs fonctions, mais publiquement; et que les agents de l'autorité ne jouissent, au contraire, de cette garantie que dans le seul cas prévu par l'art. 19 de la loi du 17 mai 1819.

L'art. 225 fait une exception à l'article précédent en faveur des commandants de la force publique : « La peine sera de six jours à un mois d'emprisonnement, si l'outrage mentionné en l'article précédent a été dirigé contre un commandant de la force publique. » Le sens de cette dernière expression ne nous semble pas avoir été sainement compris par la jurispru

[1] Les agents de police, bien qu'ils soient en effet agents de l'autorité publique, ne peuvent être assimilés aux agents dépositaires de la force publique que dans les cas où cette qualité leur est attribuée par l'art. 77 du décret du 18 juin 1811.

En conséquence ceux qui les outragent par paroles dans l'exercice de leurs fonctions ne sont

CHAUVEAU. T. II.

dence: la Cour de cassation a jugé qu'un brigadier de gendarmerie est un commandant de la force publique dans l'étendue du territoire assigné à sa brigade, lors même que dans le service il n'est accompagné que d'un seul homme [3]; cette décision s'appuie sur quelques articles de l'ordonnance du 29 octobre 1820, relative à la gendarmerie, qui désignent ce sous-officier par le nom de commandant de brigade. Mais ce n'est pas au mot seul qu'il faut s'attacher, c'est à la valeur que la loi lui a donnée. Cet article n'existait point dans le projet du Code pénal: un membre du Conseil d'état objecta que la faible amende portée par l'art 224 lui semblait une peine insuffisante lorsque l'outrage serait fait à un officier de la force armée qui pourrait être d'un grade élevé. M. Berlier répondit qu'il semblait inutile de prévoir une hypothèse qui devait rester étrangère à l'article « Qu'est-ce que l'officier ministériel dont il parle ? ordinairement un huissier; et quels sont les autres agents de la force publique ? le plus souvent des recors, plus souvent des gendarmes : voilà les seuls militaires qui puissent se trouver dans la disposition qu'on discute, et encore n'y sont-ils que comme auxiliaires de l'autorité civile. La chose ainsi entendue : quelque faveur que mérite un gendarme, l'outrage qui lui est fait ne paraît pas devoir être aussi grièvement puni que l'insulte faite à un magistrat en fonctions. »> On insista en alléguant qu'il était possible que le commandant du détachement fût un officier de gendarmerie, et M. Berlier accorda que dans ce cas spécial il pourrait être convenable d'infliger la peine d'emprisonnement, mais à un degré moindre que dans le cas d'insulte faite à un magistrat : Cambacérès ajouta qu'il fallait faire une disposition particulière pour les officiers supérieurs. Voilà l'origine et les motifs de l'article 225. Il en résulte que ce n'est qu'aux seuls officiers que le législateur a voulu prêter un appui plus efficace, et que sa protection ne s'est point étendue aux sous-officiers qui, alors même qu'ils se trouvent à la tête de quelques militaires, ne peuvent être réputés commandants dans le sens hiérarchique que la loi militaire attache à ce mot. Et si l'on veut une

point punissables aux termes de l'art. 224 du Code pénal. Br. cass. 3 juill. 1834; Bull. de cass. 1835, p. 379; Liége, 15 mars 1836; J. de B 1836, 446; et V. 1834, 234.

[2] Arr. cass. 28 août 1829; S. 1830, 1, 159. [3] Arr. cass. 14 janv. 1826; S. 1826, 1, 369.

17

preuve qui soit puisée dans la loi pénale elle-
même, il suffit de rapprocher de l'art. 225
l'art. 234 qui énumère soigneusement les com-
mandants, les officiers et les sous-officiers
de la force publique. Il résulterait même de ce
nouveau texte que les officiers eux-mêmes ne
seraient pas indistinctement réputés comman-
dants, ce qui est exact dans la hiérarchie mili-
taire;
mais comme il suit de la discussion que
le but du législateur a été de tracer une distinc.
tion entre les officiers et les sous-officiers,
nous croyons que tous les officiers doivent jouir
du bénéfice de l'art. 225.

magistrat, de l'officier ministériel ou de l'agent de la force publique. Mais comment discerner cette tendance d'un outrage qui ne se manifeste que par des gestes? Cette appréciation est le plus souvent assez facile: le geste est l'expression d'une pensée, expression vive et énergique lorsqu'il traduit un outrage; il est donc aisé de saisir, sous cette forme muette mais expressive, la pensée injurieuse que la parole déguise même quelquefois plus habilement. Les anciens jurisconsultes considéraient comme des gestes injurieux le jet de boue ou d'ordures, le fait de lever une canne sur la tête du magistrat, les sifflets, les charivaris, les huées ces actes pourraient rentrer sans aucun doute, et suivant les circonstances, dans les termes de l'art. 223. C'est aux juges, du reste, qu'il appartient d'apprécier les éléments du délit : mais le jugement doit nécessairement constater ces éléments car l'application de la peine manquerait de base légale. Au surplus, tout autre outrage par gestes ou menaces, qui n'aurait pas l'effet d'attaquer l'honneur ou la délicatesse du fonc

:

l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822 le comprendrait dans ses termes pourvu qu'il eût été commis publiquement et à raison de ses fonctions.

Nous ne nous sommes occupés jusqu'ici que de l'outrage par paroles : la loi à prévu une deuxième espèce d'outrage qui se commet par gestes ou menaces, et elle l'a placé à un degré inférieur dans l'appréciation de leur criminalité respective. « Dans la classification des outrages, porte l'exposé des motifs, on a placé au moindre degré de l'échelle ceux qui sont commis par gestes ou par menaces: les paroles ou trageantes, qui ont ordinairement un sens plus précis et mieux déterminé que de simples gestionnaire, ne resterait pas par cela seul impuni; tes ou menaces, ont paru être un délit supérieur à celui-ci. » La peine varie, du reste, comme en ce qui concerne l'outrage, par paroles, suivant que la personne outragée est un m gistrat, un officier ministériel ou agent de la force publique, ou enfin un commandant de la force publique: elle ne diffère de la peine relative à l'outrage par paroles que dans le premier cas, elle est la même dans les deux autres. L'art. 223 porte: «L'outrage fait par gestes ou menaces à un magistrat dans l'exercice de ses fonctions sera puni d'un mois à six mois d'emprisonnement; et si l'outrage a eu lieu à l'audience d'une Cour ou d'un tribunal, il sera puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans. » Les art. 224 et 225, dont nous avons rapporté les textes plus haut, punissent le même outrage quand il est fait aux officiers ministériels, commandants ou agents de la force publique.

L'art. 223 n'a point défini l'outrage par gestes ou menaces. Faut-il se reporter à l'art. 222 pour y puiser la tendance et le caractère de gravité que doit offrir cet outrage? L'affirmative ne semble pas douteuse. Ces deux articles sont l'expression d'une même pensée; ils appartiennent au même délit, au même genre d'outrages; ils ne diffèrent qu'en ce qu'ils prévoient un mode distinct d'exécution de ce délit : ce mode varie, mais l'acte reste le même; ainsi 1out geste injurieux, toute menace offensante ne constituera pas le délit: il faut que son but soit d'inculper l'honneur ou la délicatesse du

L'art. 223 a omis également, en parlant de l'outrage fait à un magistrat, de définir ce dernier terme c'est qu'ici encore l'intention du législateur a été de se référer à l'art. 222 relativement à cette définition; c'est aussi ce que la Cour de cassation a reconnu en décidant : « qu'en déclarant que les membres de la Chambre des Députés ne peuvent être considérés comme magistrats administratifs ou judiciaires, et qu'ainsi l'art. 223 du Code pénal, qui se réfère à l'art. 222, ne pourrait être appliqué aux outrages par gestes ou menaces qui leur seraient faits à l'occasion de l'exercice de leurs fonetions, la Cour royale dont l'arrêt avait été frappé par le pourvoi n'avait point violé ces articles [1]. »

Aux peines d'emprisonnement et d'amende que les articles 222 et suivants ont établies pour la répression des outrages, le Code en a joint une autre d'une nature particulière ; c'est la réparation à l'offensé faite à l'audience ou par écrit. Les art. 226 et 227, qui édictent cette peine spéciale, sont ainsi conçus. Art. 226 : « Dans le cas des art. 222, 223 et 225, l'offenseur pourra être, outre l'emprisonnement, condamné à faire réparation, soit à la première

[1] Arr. cass. 20 oct. 1820; Dalloz, t. 22, 97.

audience, soit par écrit ; et le temps de l'emprisonnement prononcé contre lui ne sera compté qu'à dater du jour où la réparation aura eu lieu. » Art. 227: « Dans le cas de l'art. 224, l'offenseur pourra de même, outre l'amende,être condamné à faire réparation à l'offensé; et s'il retarde ou refuse, il sera contraint par corps.» Cette peine, qui n'existait point dans la loi romaine, a été puisée dans notre ancien droit où elle était placée à côté de l'amende honora ble, quoiqu'elle ne partageât d'ailleurs ni l'infamie ni l'appareil de cette dernière peine. Elle paraît avoir pris son origine dans la jurisprudence canonique, qui la considérait comme une sorte de pénitence imposée au coupable à raison du mal qu'il avait causé par l'injure [1]. » La réparation honorable, dit Jousse, est la satisfaction qu'un accusé qui a offensé quelqu'un est obligé de faire à celui qu'il a offensé. Quand l'injure est légère, cette réparation se fait par un acte que l'on met au greffe et par lequel on déclare que l'on tient celui qu'on a injurié pour une personne d'honneur; si l'injure est grave, celui qui l'a proférée est condamné à faire cette déclaration en présence de deux ou plusieurs personnes, au choix de l'offensé, à lui demander pardon, et à passer un acte de cette déclaration devant notaire et à ses dépens [2]. »

Le Code a limité l'application de cette mesure au seul cas d'outrages envers les fonctionnaires dénommés aux art. 222, 224 et 225; mais, même ainsi restreinte, il importe d'en fixer le caractère ce caractère est évidemment celui d'une peine; elle est prononcée, non point à la requête de la partie civile, mais d'office et sur les réquisitions du ministère public : ce n'est donc point une simple réparation civile, c'est une aggravation de la peine principale. Telle est aussi l'appréciation que la Cour de cassation en a faite en déclarant : « que cette condamnation est autorisée dans les art. 226 et 227 comme une aggravation de la peine quand il y échet; qu'elle y est donc considérée comme ayant elle-même un caractère pénal [3]. » De cette règle découlent deux corollaires.

La réparation d'honneur étant une peine, il s'ensuit qu'elle ne peut être prononcée que sur les faits et dans les cas pour lesquels la loi l'a expressément ordonnée ou permise. Ainsi elle ne pourrait être appliquée aux injures commises vis-à-vis des particuliers; elle ne pourrait l'être même aux outrages commis envers les

[1] Farinacius, quæst. 105, no 72. [2] Traité des matières crim. t. 1, p. 116.

[ocr errors]

fonctionnaires publics dans le cas prévu par l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822. Car la loi pénale n'a autorisé cette condamnation que dans les seuls cas prévus par les art. 222, 223 et 225; et, en ne la renouvelant pas pour d'autres cas, même d'une nature identique, il est présumé l'avoir refusée.

Une deuxième conséquence du même principe est que le magistrat offensé ne peut, comme l'enseigne M. Carnot [4], dispenser le condamné de cette réparation, en déclarant qu'il y renonce. Ce n'est point en vue de la personne et dans l'intérêt du fonctionnaire outragé que la réparation est ordonnée, c'est en considération de la magistrature blessée par l'injure : le fonctionnaire outragé ne peut pas plus la remettre que l'amende et l'emprisonnement.

Cette peine est facultative: les juges ne doivent donc la prononcer que dans les cas les plus graves; mais c'est bien plus la nature de l'outrage que la gravité de la personne offensée qui doit en déterminer l'emploi. La commission du Corps législatif avait proposé de réserver cette réparation en faveur des seuls magistrats offensés : « Il y a une grande différence, portait son rapport, entre un outrage fait à un magistrat séant en son tribunal, et celui fait, par exemple, à un huissier exécutant dans l'intérieur d'une maison un acte de son ministère ; l'un est public, l'autre l'est peu, et le respect dû à l'autorité d'un administrateur, d'un juge, d'un maire, exige un degré de réparation de plus. Le cas sera très-rare à leur égard et très-commun pour les officiers ministériels. La réparation donnerait souvent lieu à de nouvelles injures, à des poursuites fréquentes. » Le Conseil d'état répondit à ces observations qu'il ne voyait pas de motif pour refuser la réparation aux officiers ministériels, et qu'il ne fallait pas que la loi eflemême les avilit en les plaçant en dehors de ses dispositions; l'article fut en conséquence maintenu.

Mais il est dans la nature d'une telle peine d'entraîner de grandes difficultés dans son exécution, car elle consiste dans une obligation de faire; et, si le condamné refuse de se soumettre à cette obligation, il faut recourir à des mesures coercitives. Farinacius voulait qu'au cas de refus de sa part, une autre peine fût substituée à celle-là: Si injurians non vult hane veniam petere, nullo modo ipsi talis petitio injungenda est, præsertim si fama et honoris restitutio aliter fieri potest. D'après l'art. 22

[3] Arr. cass. 28 mars 1812; 8 juill. 1813; Dalloz, t. 22, p. 142; S. 1812, I, 359.

[4] Comm. du C. P. art. 226, no 10.

« PrécédentContinuer »