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plication des termes dont la loi s'est servie, aux individus qui sont dépositaires à un certain degré de l'autorité publique, et contre lesquels les violences exercées compromettraient la sûreté publique. La Cour de cassation a appliqué cette formule singulière aux gardes qui sont chargés de surveiller l'évacuation des lots de bois d'affouage: il lui a paru que ces gardes, qui n'avaient plus alors que leurs fonctions d'agents de la force publique, devaient du moins être considérés comme chargés d'un ministère du service public [1].

Les violences dont nous avons parlé jusqu'ici, définies par l'art. 228, ne sont, ainsi que nous l'avons remarqué, que des coups portés sans qu'il en soit résulté des blessures. Parmi les violences légères et les voies de fait qui ne laissent nulle trace après elles, la loi a dù n'incrimineret ne punir que les coups, qui sont la plus grave de ces voies de fait. Ces violences vont prendre maintenant un caractère plus dan gereux, et la loi va cesser aussitôt de limiter son incrimination à une seule de leurs espèces. Dès qu'elles ont laissé une trace sanglante, dès qu'elles ont produit un résultat matériel et appréciable, leur gravité les fait rentrer dans la disposition de la loi, quelle que soit la manière dont elles aient été occasionnées. C'est dans ce sens que doit être compris l'art. 231, qui porte: « Si les violences exercées contre les fonctionnaires et agents désignés aux articles 228 et 230 ont été la cause d'effusion de sang, blessures ou maladie, la peine sera la reclusion; si la mort s'en est suivie dans les quarante jours, le coupable sera puni des travaux forcés à perpétuité. >>

Les violences prévues par cet article sont donc toutes celles qui ont pu produire des blessures ou maladies; la loi n'en définit plus l'espèce, ne limite plus l'acception du terme qu'elle emploie. Ce n'est plus d'ailleurs la nature des violences qu'elle considère, mais leur résultat; ce n'est pas l'intention ou la combinaison du crime, mais l'événement : les moyens employés lui sont indifférents; elle cesse d'en faire une condition de son incrimination; elle ne voit que les conséquences matérielles.

En suivant ce système, la loi attribue aux mêmes violences, au même fait, un double caractère, suivant qu'elles ont été suivies de blessures, ou que ces blessures ont entraîné la mort. Nous allons examiner ces deux dispositions; mais il

[1] Arr, cass. 4 août 1826

n'est pas inutile de faire remarquer d'abord que le Code confond ici dans une protection commune les fonctionnaires et agents qu'il avait séparés dans les art 228 et 230, mais que la règle qui restreint cette garantie spéciale aux faits commis dans les fonctions ou à l'occasion des fonctions est toujours subsistante, quoique l'art. 231 ne l'ait pas rappelée, et domine son incrimination comme toutes les dispositions de cette matière..

La loi a confondu dans la même disposition toutes les violences qui peuvent être la cause d'effusion de sang, blessures ou maladies; nulle distinction n'a été faite entre ces diverses violences. La séparation établie par l'art. 309 entre les blessures qui ont produit une maladie ou incapacité de travail de plus de vingt jours, et celles qui n'ont causé qu'une maladie de quelques jours, n'a point été transportée ici: que les blessures soient graves ou légères, qu'elles aient entraîné de longues souffrances et même la perte d'un membre, ou la simple effusion de quelques gouttes de sang, la peine est uniforme, le crime est le même aux yeux de la loi. Elle ne s'est attachée qu'à un résultat matériel quelconque, en faisant abstraction de la gravité même de ce résultat, excepté le seul cas de la mort. Quant au but des violences, quant à la volonté criminelle, elle ne s'en est point occupée; il suffit que ces blessures ne soient point accidentelles, que l'agent ait eu l'intention de les faire avec la connaissance de la qualité de la personne sur laquelle il les exerçait. Ainsi la Cour de cassation a pu juger, sans qu'on puisse critiquer cet arrêt, que l'application de cet article ne saurait être modifiée par le but dans lequel les violences ont pu être exercées, et qu'elles sont également criminelles, soit qu'elles aient eu pour objet la résistance à un acte de l'autorité publique, soit qu'elles n'en aient eu d'autre que d'insulter les agents commis à l'exécution de cet acte [2]. Les seules circonstances dont la réunion soit nécessaire pour donner lieu à la peine de reclusion sont que les violences aient été volontairement exercées, que ces violences aient été cause d'effusion de sang, blessures ou de maladie, enfin qu'elles aient élé exercées pendant que l'officier remplissait les devoirs de son ministère ou à cette occasion [3].

de

La peine s'élève aux travaux forcés à perpétuité, lorsque la mort a suivi les violences dans les quarante jours. L'article primitif du Code

[2] Arr. cass. 21 mai 1811; S. t. 12, 1, p. 135. [3] Arr. cass. 6 avr. 1820.

ne portait point après les mots : si la mort s'en est suivie, ceux-ci : dans les quarante jours. La commission du Corps législatif proposa cette addition en se fondant sur ce que si l'individu blessé, après avoir survécu plus de quarante jours aux blessures ou aux coups, succombait plus tard à la suite d'une autre maladie, on pourrait en attribuer la cause à ces coups et blessures, en sorte que l'auteur de ceux-ci pourrait rester pendant un temps indéfini avec le poids d'une responsabilité terrible et l'attente d'une peine qui dépendrait d'un événement incertain. Ces considérations firent adopter cet amendement [1].

Mais il faut qu'il soit bien établi que la mort ait été le résultat nécessaire des violences exercées; car l'accusé ne saurait devenir responsable d'un malheur qui ne serait pas une conséquence directe de son action. Cette observation, évidente par elle-même, fut d'ailleurs formellement exprimée dans les discussions du Conseil d'état. Un membre (M. Defermon) fit remarquer que ces mots, si la mort s'en est suivie, pourraient faire appliquer la disposition à l'auteur des violences, même lorsque la mort ne serait que l'effet d'une maladie naturelle, mais survenue après l'événement. M. Berlier répondit « que ceux qui interpréteraient ainsi l'article se méprendraient à plaisir, mais qu'on peut rendre la disposition plus claire, en restreignant son effet aux violences qui ont été la cause des maladies.»> L'article fut adopté avec cette explication [2]. On peut, en effet, admettre, avec le législateur, que l'agent porte la responsabilité des suites nécessaires de son action; mais on ne peut lui imputer sans injustice un événement involontaire, une mort accidentelle arrivée à la suite des violences, mais dont celles-ci n'ont pas été la cause nécessaire. En posant une autre règle, « vous rendez, a dit un savant professeur, l'auteur de la blessure responsable de toutes les altérations qui peuvent survenir dans la constitution du blessé; vous le rendez responsable de complications que l'art ne saurait ni prévoir ni empêcher l'art, disons-nous; mais si le blessé a été abandonné à des mains inexpérimentées, vous faites une victime par les lois pour venger une victime de l'ignorance [3]. » La maxime qui domine en général la loi pénale est : l'intention est la mesure du crime: in maleficiis voluntas

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 9 janv. 1810; Code pénal progressif, p. 256.

[2] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 12 août 1809.

spectatur, non exitus. Et la loi romaine avait appliqué cette maxime en termes explicites à l'égard des coups et blessures: Divus Hadrianus rescripsit eum qui hominem occidit, si non occidendi animo hoc admisit, absolvi posse, et qui hominem non occidit, sed vulneravit ut occidat, pro homicida damnandum [4]. Le Code pénal déroge ici à ce principe qui a été puisé dans le for de la conscience: c'est dans l'événement et non dans la volonté seule que le crime puise son caractère; mais du moins il faut admettre que cet événement doit être la suite nécessaire, immédiate de l'action; car il serait trop injuste d'aggraver la peine à raison d'un accident entièrement indépendant de la volonté de l'agent, entièrement étranger à son action.

Il faut donc, pour l'existence du crime, nonseulement que le jury déclare que la mort a suivi les violences dans les quarante jours, mais encore qu'elle a été la suite et le résultat nécessaire de ces violences. Cette circonstance constitutive du crime doit être réunie aux trois premiers éléments que nous avons énumérés tout à l'heure, et qui sont nécessaires pour l'application de la peine de la reclusion; celle des travaux forcés à perpétuité, que la loi du 28 avril 1832 a substituée dans cet article à la peine de mort, ne peut donc être prononcée qu'autant que ces quatre conditions distinctes se trouveront à la fois constatées [5].

L'art. 231 ne distingue point si les violences qu'il punit ont été commises avec ou sans préméditation; il réunit dans sa disposition toutes les violences qui ont été la cause d'effusion de sang, de blessures ou de maladie. Mais si ce résultat matériel n'a pas eu lieu, fidèle à la distinction déjà établie par l'art. 228, il sépare parmi les violences celles qui se manifestent par des coups et celles qui consistent dans d'autres voies de fait les premières sont seules assimilées aux violences suivies de blessures ou de maladie, lorsqu'elles sont exercées avec préméditation. Tel est l'objet de l'article 232 ainsi conçu : « Dans le cas même où ces violences n'auraient pas causé d'effusion de sang, blessures ou maladie, les coups seront punis de la reclusion, s'ils ont été portés avec préméditation ou de guet-apens. » Nous ne ferons sur cet article qu'une seule observation, c'est qu'il se réfère

:

[3] Essais sur le Code pénal, p. 80. [4] L. 1, Dig. ad leg. Corn, de sicariis. [5] Arr. cass, 6 avr. 1820.

évidemment à l'art. 231 pour la nature des violences qu'il prévoit. De là il suit qu'il est nécessaire que les coups portés aient été de nature à causer une effusion de sang, des blessures ou une maladie; car ce ne sont que des coups de cette espèce qui font l'objet de l'art. 231. Quant aux circonstances de préméditation et de guetapens, elles sont définies par les art. 297 et 298; les autres conditions de crime sont également applicables aux art. 231 et 232.

Enfin, le législateur prévoit le cas le plus grave, celui ou les coups et les blessures, qu'ils aient ou non causé la mort, ont été portés avec l'intention de la donner; et, fidèle à son système d'aggravation, il prononce, au lieu de la peine des travaux forcés perpétuels, peine commune de ce crime, la peine de mort. L'art 233 porte : « Si les coups ont été portés ou les blessures faites à un des fonctionnaires ou agents désignés aux art. 228 et 230, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, avec intention de donner la mort, le coupable sera puni de mort. >>

Cet article a été rectifié par la loi du 28 avril 1832; il était ainsi rédigé : « Si les blessures sont du nombre de celles qui portent le caractère du meurtre, le coupable sera puni de mort. » Ces expressions vagues et obscures avaient soulevé beaucoup de difficultés. On avait de mandé dans quel cas les blessures avaient le caractère du meurtre, et la réponse de M. Carnot, qui enseignait qu'elles avaient ce caractère quand elles étaient faites dans le dessein de tuer, avait éprouvé une vive contradiction. La loi nouvelle n'a fait qu'adopter cette interprétation; mais elle a en même temps exagéré la sévérité du Code lui-même, en ce que celui-ci exigeait du moins qu'il y eût des blessures faites, tandis que, d'après le nouveau texte de l'article, les simples coups portés avec l'intention de tuer seront punis de la peine de mort. Le nouvel article a également ajouté ces mots : faites à l'un des fonctionnaires ou agents désignés aux art. 228 et 230, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. La raison de cette addition est que cet article ayant été voté isolément et en absence de ceux qui le précèdent, on a cru nécessaire d'y rappeler les diverses conditions constitutives du crime. Mais elle était inutile, puisque cet article, comme l'article 232, se réfère à l'article 231 qui renferme l'énumération de ces éléments.

L'art. 233 peut donner lieu, comme l'art. 231, à une critique fondée. Son vice est de comprendre dans la même pénalité des faits inégaux par

leur valeur morale et leurs résultats matériels; en effet, les blessures les plus graves et les simples coups portés avec le dessein de tuer, l'attentat à la vie du fonctionnaire, commis avec ou sans préméditation, de guet-apens ou dans un premier mouvement, le meurtre et l'assassinat, tous ces faits si distincts et que la loi pénale a distingués quand ils sont dirigés contre de simples particuliers, sont punis d'une peine commune, et cette peine est inflexible et sans degrés qui lui permettent de la proportionner aux diverses nuances du crime. C'est là un vice que le législateur pouvait facilement éviter en introduisant dans cette section, tout en aggravant les pénalités, les diverses distinctions qu'il a lui-même établies dans la répression des crimes contre les personnes.

Du reste, il est essentiel, pour l'application de cet article, que la question relative au dessein de tuer soit posée au jury et affirmativement résolue: cette circonstance est constitutive du crime, elle forme seule la différence qui sépare les art. 231 et 233; car il n'est pas nécessaire pour constituer le crime prévu par le premier de ces articles, que l'auteur des coups qui ont donné la mort ait eu le dessein de tuer, il suffit que les coups aient été portés volontairement. Cette volonté ne suffit plus dans l'espèce de l'art 233; soit que les coups aient ou non donné la mort, il faut qu'ils aient été portés avec l'intention de la donner, pour l'existence de ce dernier crime.

des

Nous avons achevé de retracer les caractères des violences dont les fonctionnaires peuvent être l'objet dans l'exercice de leurs fonctions; ces violences sont, d'après les termes mêmes de la loi, de deux espèces : les coups qui ne laissent point de blessures, et les violences de toute nature qui ont engendré une effusion de sang, blessures, une maladie. Ces deux espèces de violences different par leur caractère propre, là restreint, ici illimité, et par leur gravité intrinsèque; là, ce n'est qu'une insulte plus ou moins grave; ici, c'est une attaque contre la sûreté de la personne. Mais, dans l'une et l'autre hypothèse, uno question grave surgit et peut modifier l'application des peines en même temps qu'altérer la nature du délit. Il s'agit de savoir si ces violences doivent trouver une excuse dans les violences elles-mêmes du fonctionnaire, si la provocation qui atténue les coups et les blessures commis envers les particuliers cesse de constituer une excuse, quand ces blessures et ces coups sont portés contre des fonctionnaires. La Cour de cassation n'a point hésité à déclarer, par deux arrêts successifs

qui semblent former une règle dans sa jurisprudence, que le meurtre commis sur un agent de la force publique n'était point excusable, quoiqu'il eût été provoqué par des violences graves [1]. Nous sommes forcés, à raison de l'importance de la question et de la nécessité d'en sonder toutes les difficultés, de rapporter la plus grande partie des motifs de ces arrêts, quoiqu'ils soient très-développés.

Ces motifs sont : « que les dispositions de l'article 321 n'ont pas été insérées dans le Code, comme celles qui concernent la démence, la force majeure et l'âge de l'accusé, dans un titre général et préliminaire commun à toutes les parties dont le Code se compose; que cet article a été classé dans le Code pénal sous le titre des crimes et délits contre les particuliers; que l'application de ses dispositions est limitativement déterminée par le titre; qu'elle ne peut donc être faite qu'aux meurtres et aux actes de violence commis sur des individus sans caractère public ou agissant hors de l'exercice de ce caractère; que les excès commis sur les agents de la force publique dans l'exercice de leurs fonctions ont été l'objet, dans le Code pénal, de dispositions distinctes et séparées de celles relatives aux excès commis sur des particuliers; que dans ce paragraphe tous les genres de blessures et excès qui peuvent être commis sur des agents de l'autorité et de la force publique dans l'exercice de leurs fonctions, ont été déterminés, qu'ils y sont punis plus rigoureusement que ne le sont, dans le titre des crimes et délits contre les particuliers, les crimes et délits de la même espèce; que ceux-ci, en effet, ne blessent que la sûreté individuelle, et que les autres sont tout à la fois un attentat à la sûreté particulière et un attentat à la sûreté publique,... que ce serait donc ajouter à la loi, et violer son texte, que d'admettre dans une accusation de meurtre ou de violences commis envers un agent de la force publique dans l'exercice de ses fonctions, l'exception atténuante d'une prétendue provocation violente que ledit art. 321 n'a établie que relativement aux meurtres et aux violences commis sur des particuliers; que ce serait également violer l'esprit de la loi que d'étendre par induction cette exception d'un cas à un autre, quand, ne l'énonçant que pour un cas, le législateur l'a nécessairement exclue dans l'autre ; que d'ailleurs il n'est pas permis d'argumenter d'un cas moins grave à

[1] Arr, cass. 13 mars 1817 et 8 avr. 1829; S. 1827, 1, 28.

un cas plus grave, pour étendre à celui-ci des dispositions favorables qui n'ont été créées que pour celui-là, et que le Code pénal a signalé, par la différence des peines qu'il a ordonnées, la différence de gravité que la raison et l'intérêt social établissent entre des excès commis sur des particuliers et ceux qui sont commis sur les agents de l'autorité, dans les fonctions relatives au maintien de l'ordre public; que si, dans ces fonctions, ils se rendent eux-mêmes coupables de violences criminelles, la loi a pourvu à la vengeance du citoyen injustement offensé ou maltraité; que l'art. 186 a sévèrement puni cet abus de la force et de l'autorité, mais... que le dépositaire de la force publique est toujours présumé, lorsqu'il agit au nom de la loi, ne faire que ce qu'elle lui prescrit ou lui permet ; que ce n'est pas aux individus sur lesquels il exerce ses fonctions à se rendre juges de cet exercice et moins encore à les réprimer; qu'aux seuls magistrats de la loi appartient ce pouvoir. » Ces différents motifs se résument dans deux arguments : le premier est puisé dans la place que l'article 321 occupe dans le Code; cet article est classé parmi les crimes et délits contre les particuliers, et l'on en tire la conséquence qu'il doit rester étranger aux crimes et délits commis contre les fonctionnaires publics. Toutefois ce n'est pas dans le Code pénal qu'on peut invoquer sérieusement, et comme une raison décisive, la classification des matières et la rubrique des chapitres. On sait que si ce Code s'est tracé des divisions, il ne les a point suivies avec exactitude, et que dans un grand nombre de cas, d'ailleurs, les dispositions relatives aux crimes particuliers et aux crimes publics se prêtent un mutuel appui [2]: La question doit, ce nous semble, se dégager de ces étroites arguties et se placer sur un terrain plus élevé.

Si les règles relatives à la provocation et à la légitime défense ont été placées sous le titre de crimes et délits contre les particuliers, c'est que sous ce titre se trouvent placées en même temps les règles générales relatives aux crimes contre les personnes ; c'est que les violences contre les particuliers, plus communes, donnent lieu à une application plus fréquente de ces dispositions. Mais l'admission de ces excuses n'est point une arbitraire concession du législateur, qu'il puisse joindre à une espèce de crimes contre les personnes séparés d'une autre espèce; elles tiennent aux entrailles mêmes de ces cri

[2] Voy. nos observations sur ce point, t. 1, p. 238 et suiv.

mes, elles en modifient essentiellement la valeur morale, elles altèrent par conséquent le degré de responsabilité de l'agent. Quelles que soient les personnes contre lesquelles les violences s'exercent, leur criminalité intrinsèque n'est pas la même, et varie suivant qu'elles ont été exercées avec préméditation ou dans un premier mouvement, qu'elles ont été provoquées par une injuste agression, ou qu'elles ont eu enfin pour but la défense légitime de soi-même. La qualité du fonctionnaire peut, comme nous le dirons tout à l'heure, établir une sorte de présomption en sa faveur; mais quand cette présomption est détruite par les faits, quand les violences provocatrices sont constatées, comment séparer la provocation du fait incriminé, comment punir une action sans la considérer avec toutes les circonstances qui la constituent? La loi qui ferait une telle distinction, qui frapperait un acte en faisant abstraction des circonstances danslesquelles il est intervenu, qui verrait le crime et refuserait de voir l'excuse, cette loi serait injuste et monstrueuse; car elle n'atteindrait pas le crime réellement commis, mais un crime imaginaire et conventionnel.

A la vérité la loi a fait une exception à cette doctrine à l'égard du parricide, qui, aux termes de l'article 323, n'est jamais excusable; mais cette seule exception, que le Code a d'ailleurs formellement exprimée, est fondée sur des motifs particuliers: il a paru au législateur que le fils, même provoqué par les violences de son père, ne devait jamais trouver dans ces violences une excuse de son attentat; qu'aucun motif ne pouvait l'autoriser à lever une main parricide sur son père; qu'une provocation même injuste laissait subsister dans ce cas spécial un crime tel, que la plus forte des peines n'a pas semblé trop forte pour le punir. Mais ces motifs, qui sont puisés dans le lien du sang qui unit le père et le fils, dans le respect filial que la nature a gravé dans le cœur de celui-ci, pourraient-ils être invoqués quand il s'agit des violences exercées sur un gendarme ou sur un garde champêtre? Faudrait-il admettre que le respect dû à ces agents de la force publique rende sans excuse les excès dpnt ils ont pu être l'objet, même quand ils les ont provoqués par leurs propres excès? A la différence du père, dont l'amour filial doit voiler jusqu'aux égarements, et qui reste père lors même qu'il est injuste, l'autorité du fonctionnaire n'a droit au respect et n'existe même que quand elle s'exerce dans ses limites légales; n'invoquez plus ce respect quand il se livre à d'injustes violences, car ce serait outrager l'autorité elle-même qui ne peut être

compromise par les excès de ses agents. La loi, en limitant au seul parricide la disposition de l'art. 323, a donc fait une sage distinction, et par cela seul livré les crimes dont les fonctionnaires publics peuvent être l'objet aux règles du droit commun.

Cette intention de la loi va devenir plus évidente encore. Une nuance quelquefois imperceptible sépare l'excuse de la provocation, et le fait justificatif de la légitime défense les mêmes coups peuvent être invoqués par le prévenu comme une excuse ou comme un moyen de justification, suivant qu'ils ont plus ou moins mis la personne en péril et menacé sa vie. Si l'on repousse, dans l'espèce, l'excuse de la provocation, il faut donc repousser celle de la légitime défense; car elles s'appuient sur les mêmes motifs, et l'art. 328 est placé comme l'art. 321 au titre des crimes contre les particuliers. Or, soutiendrait-on que la personne dont la vie serait sérieusement menacée par un agent de la force publique n'aurait pas le droit de se défendre? La Cour de cassation elle-même n'a pas porté jusqu'à ce point la conséquence de son principe, et elle a reconnu hautement que la question de la légitime défense pouvait être proposée dans notre espèce par le prévenu, et que la solution de cette question en sa faveur entralnait son acquittement : « Attendu, porte cet arrêt, qu'il résulte du procès-verbal des débats qu'après la position des questions par le président, les accusés ayant formellement conclu à ce qu'il fût demandé aux jurés, par une question nou-→ velle et spéciale, si les accusés n'avaient pas agi en légitime défense en repoussant les gendarmes qui avaient tiré les premiers, la Cour d'assises rendit arrêt par lequel, sans avoir égard à la demande des accusés, elle ordonna que les questions resteraient posées telles qu'elles l'avaient été par le président; attendu qu'en rejetant, comme elle en avait le droit, la demande des accusés tendante à poser une question de légitime défense, et en maintenant les questions telles qu'elles avaient été proposées par le président, la Cour d'assises n'a point donné de motifs de sa décision; que cette infraction et d'autant plus grave que la question proposée par les accusés tendait à dépouiller du caractère criminel l'acte d'accusation et aurait procuré leur acquittement, si elle avait été répondue affirmativement [1]. » La Cour de cassation admet done que la question de la légitime défense peut être posée au jury; or, cette question se

[1] Arr. cass. 13 janv. 1827; S. 1827, 1, 484.

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