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CHAPITRE XXXIII.

de l'évasion DES DÉTENUS Et du recèlemENT DES CRIMINELS.

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Quels délits naissent de l'évasion des détenus? Dans quels cas le détenu lui-même peut étre inculpé? — L'évasion simple n'est point une circonstance caractéristique du délit d'évasion. Quels détenus peuvent étre compris dans les termes de la loi. De la tentative de l'évasion. Du bris de prison. — De la violence. — Nature du délit. — Il ne rend pas l'agent passible de l'aggravation de peine de la récidive. — Peines de l'évasion. Mode d'exécution de ces peines. Elles se cumulent avec les peines principales.— Délits des personnes chargées de la garde des détenus. — Distinction des cas de négligence et des cas de connivence. Caractères distincts de ces deux délits. — Pénalités. Gradation basée sur la gravité du crime ou du délit qui fait l'objet de la détention.— Complicité par la fourniture d'instruments propres à faciliter l'evasion. Transmission d'armes. Dommages-intéréts. Surveillance de la police. Cessation des peines au cas où les évadés sont repris ou représentés. — Délits des personnes, non chargées de la conduite ou de la garde du détenu, `qui ont procuré ou facilité son évasion. Caractères du delit. · Peines graduées. — Corruption des gardiens et connivence avec eux. — Peines de la complicité. — Dommages-intérêts — De la connivence des époux, ascendants et descendants. Du recèlement de criminels. — Éléments caractéristiques de ce délit. — Exception en faveur des époux et des parents. (Commentaire des art. 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 246, 247 et 248 du Code pénal.)

L'évasion des détenus a été classée par le Code parmi les actes de désobéissance à l'autorité publique. Il peut en résulter trois délits distincts: le délit des détenus qui se sont évadés, le délit des personnes qui ont favorisé l'évasion, et enfin le délit des individus qui ont re élé les détenus évadés Nous allons examiner ces trois incriminations.

De la part des détenus, l'évasion dépouillée de toutes circonstances aggravantes ne constitue aucun délit : « La simple fuite ou évasion de la part d'un prisonnier ou d'une personne qu'on veut arrêter, dit Jousse, n'est jamais punie, ni même la résistance; lorsqu'elle est modique et sans armes ni violences publiques. En effet, il est naturel à une personne qu'on veut arrêter ou qui l'est déjà, de chercher à se sauver des mains de la justice, pour éviter la peine qu'elle mérite, et à plus forte raison si elle est innocente [1]. » L'exposé des motifs du Code a reproduit cette pensée : « Le désir de la liberté

[1] Traité des matières crim. t. 4, p. 81. [2] L. 1, Dig. de effract. et expilator.

est si naturel à l'homme que l'on ne saurait prononcer que celui-ci devient coupable qui, trouvant la porte de sa prison ouverte, en franchit le seuil. » La loi romaine ne posait point une distinction aussi précise : le détenu qui s'était enfui de la prison dont il avait trouvé les portes ouvertes était puni, mais d'une peine moins grave. C'est ce qui résulte de ce texte: Si pernegligentiam custodum evaserunt. levius puniendos [2]; et c'est en s'appuyant sur cette loi que les docteurs établissent la règle Fugiens ex carcere quia invenerit ostium apertum, non punitur de effracto carcere sed mitius [3]. Les lois pénales de Naples ont suivi cette décision, et punissent la fuite simple des condamnés du quart au huitième de la peine restant à subir par eux, sans que cette augmentation puisse excéder deux ans (art. 253).

Le délit ne commence donc, dans notre droit, que lorsque le détenu a employé des moyens

[3] Farinacius, quæst. 30, no 160.

criminels, tels que le bris de prison et la violence: : ce sont ces voies de fait qui constituent le délit et qui deviennent l'objet de l'incrimination. L'art. 245 est ainsi conçu : « A l'égard des détenus qui se seront évadés ou qui auront tenté de s'évader par bris de prison ou par violence, ils seront, pour ce seul fait, punis de six mois à un an d'emprisonnement, et subiront cette peine immédiatement après l'expiration de celle qu'ils auront encourue pour le crime ou délit à raison duquel ils étaient détenus, ou immédiatement après l'arrêt ou jugement qui les aura acquittés ou renvoyés absous dudit crime ou délit; le tout sans préjudice de plus fortes peines qu'ils auraient pu encourir pour d'autres crimes qu'ils auraient commis dans leurs violences. >>

Cette disposition donne lieu à plusieurs observations. On doit remarquer d'abord que le mot générique détenus comprend toutes les personnes qui sont renfermées dans les prisons, les prévenus et les accusés, les condamnés pour délits et pour crimes. Mais faut-il l'étendre aux détenus pour cause civile, aux prisonniers pour dettes? Les anciens jurisconsultes ne faisaient nulle distinction à cet égard: Pana effractoris carcerum habet locum non solùm in detento pro causâ criminali, sed etiam in detento pro causâ civili; et la raison de ce principe absolu était que l'auteur du bris de prison est puni, non point en raison du délit qui motive la détention, mais en raison de la rébellion qu'il manifeste par des violences: Quia ad effectum puniendi consideratur solum violatio loci publici et carceris qui dicitur locus sacer, non autem causá detentionis; effractores puniuntur propter fracturam, et non propter delictum pro quo detinentur [1]. Cette doctrine était complétement adoptée dans notre ancienne jurisprudence, ainsi que l'atteste Jousse : « A l'égard de celui qui éant détenu dans les prisons pour dettes civiles vient à les briser et à se sauver, il est punissable comme tout autre criminel pour raison de ce bris de prison [2]. » Il n'en est plus ainsi dans le système de notre Code: il suffit de rapprocher l'art. 245 des art. 238, 239 et 240, pour se convaincre que ces dispositions ne s'appliquent qu'aux prévenus de crimes ou de délits

[1] Farinacius, quæst. 30, no 25 et 81.
[2] Traité des matières crim, t. 4, p. 86.

[3] Arr. cass. 30 avr. 1807; S. 1807, 709; 20 août 1824; 30 juin 1827; Dalloz, t. 14, p. 224; S. 1825, 1, 75; 1827, 1. 438.

et aux condamnés pour ces délits et ces crimes; c'est qu'en effet il ne suffit pas qu'il y ait désobéissance et en quelque sorte rébellion à la justice de la part du détenu qui s'évade, il faut encore que cette évasion cause un préjudice à l'ordre social. Or, l'évasion d'un prisonnier pour dettes ne lèse que les intérêts de son débiteur; la loi pénale n'a donc pas dû la comprendre dans ses dispositions. C'est aussi dans ce sens que l'art. 245 a constamment été appliqué [3].

On distinguait autrefois entre les individus détenus pour une juste cause ou pour une cause illégale. Ceux-ci n'étaient soumis à aucune peine, s'ils venaient à briser la prison. [4]. Les docteurs allaient même jusqu'à soutenir qu'il était permis à celui qu'une injuste détention retenait dans les fers d'exercer des violences sur les gardiens pour se sauver [5]. Sans aller aussi loin, le Code de 1791 ne punissait les complices de l'évasion que dans le cas où ils avaient délivré ou tenté de délivrer par force ou par violence des personnes légalement détenues [6]. Cette expression n'a point été reproduite par le Code pénal, mais la restriction qu'elle exprime résulte implicitement de ses dispositions. Car si l'on suppose une détention réellement arbitraire et illégale, comment la loi pénale pourrait-elle punir celui qui se soustrait à une telle détention qui est elle-même un délit? L'évasion du détenu loin de préjudicier à la société, est au contraire une sorte de bienfait pour elle,puisque cette évasion met un terme à un acte odieux, à l'exécution d'un délit. Néanmoins il ne faut pas confondre la personne qui est détenue illégalement, c'est-à-dire hors des cas où la loi autorise une détention, et celle qui est détenue injustement, c'est-à-dire par suite d'une méprise de la justice et sur de fausses présomptions : le détenu, porte le rapport fait sur cette partie du Code au Corps législatif, a dû se soumettre à la perte de sa liberté jusqu'à ce que les tribunaux aient porté sur lui un jugement définitif, et la loi lui défend de se soustraire à une détention qu'elle prescrit. Pour ce qui le concerne, la loi ne fait point d'exception; qu'il soit innocent ou qu'il soit coupable du premier délit qu'on lui imputait, le second sera

[4] Menochius, de arbitrar jud. casu 301, no 14, Farinacius, quæst. 30, no 120.

[5] Menochius, casu 301, no 15; Covarruvias, Var. resolut. lib. 1, cap. 2, no 12; Boerius, decis. 215, no 32; Farinacius, quæst. 30, no 129. [6] 2 p., tit. 1, sect 4, art. 8.

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Après avoir défini quelles personnes peuvent être inculpées à raison de leur évasion, il faut expliquer les circonstances caractéristiques du délit; ces circonstances sont au nombre de deux : il est nécessaire qu'il y ait eu évasion ou tentative d'évasion, et que cette évasion ou cette tentative ait été exécutée par bris de prison ou par violence.

La question de savoir si la tentative de l'évasion doit être assimilée à l'évasion consommée, était très-controversée parmi les anciens jurisconsultes. La loi romaine renferme sur ce point des textes qu'il est difficile de concilier: , la loi 17 Dig. de ædilitio edicto répute une personne fugitive, non d'après l'acte de sa fuite, mais d'après l'intention qu'elle avait de s'enfuir Fugitivum ferè ab affectu animi intelligendum esse non à fugâ. Cependant Tryphonien semble restreindre cette décision dans la loi 225 Dig. de verborum significatione: Fugitivumn on secundùm propositum solum sed cum aliquo actu intelligi constat. Pour concilier ces deux lois, Boerius décide qu'il suffit d'un pas fait par le prisonnier avec la pensée de prendre la fuite, pour qu'il doive être réputé fugitif: Qui in acti fugæ deprehenditur, etiam quod unum ad fugiendum moverit pedem, fugitivus dicitur [1]. Cette décision rigoureuse n'était point suivie dans la pratique; on distinguait celui qui avait consommé son évasion, et celui qui avait été arrêté dans les actes de l'exécution celui-ci était puni d'une peine inférieure Fugȧ non sequutá, effractores puniuntur, non eodem pœnv, sed mitiori [2]. Il en était de même dans notre ancienne jurisprudence: « Lorsque le bris de prison n'est que tenté sans être suivi d'exécution, on ne le punit que légè rement, eu égard néanmoins aux circonstances [3]. » Cette distinction, motivée sur l'abscence du préjudice lorsque la tentative a été arrêtée, n'a point été adoptée par le Code; mais il faut prendre garde néanmoins que l'article 245 ne punit la tentative légale du délit qu'autant que cette tentative réunit les carac

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tères prescrits par l'art. 2 du Code, et par con-séquent dans le seul cas où la volonté de s'évader s'est manifestée par le bris de prison ou les violences, mais n'a pu s'accomplir par un événement imprévu qui a arrêté l'évasion.

Le véritable délit, le fait punissable consiste dans le bris de prison et les violences commises pour se procurer l'évasion. Le désir de la liberté, naturel à l'homme, cesse d'être une excuse, quand il le pousse jusqu'à la révolte contre l'autorité publique. La loi romaine avait consacré la même décision, en ne punissant que les détenus qui avaient fait effraction à la prison ou qui avaient ourdi entre eux un complot pour s'évader eos qui de carcere eruperunt, sive effractis foribus, sive conspiratione cum cæteris qui in evdem custodiv erant [4]. Ce qu'il importe donc de définir c'est ce qu'on doit entendre par le bris de prison et les violences, puisque ces circonstances sont, dans tous les cas, constitutives du délit.

Cette définition résulte des termes mêmes de la loi : il ne peut y avoir de bris de prison sans une effraction extérieure; il ne peut y avoir de violences, dans le sens de la loi, qu'autant qu'elles sont exercées sur la personne des préposés à la garde des détenus. Le bris de prison existe quand le détenu a arraché les barreaux des fenêtres, enfoncé les portes, commis enfin une effraction de nature à faciliter sa sortie ; effracto carcere, effractis foribus. Mais ces termes doivent être restreints dans leur sens propre le déteuu qui s'évade par adresse ou par supercherie, par exemple en revêtant des vêtements étrangers, en trompant la surveillance des gardiens, ne rentre point dans les termes de la loi, car la loi n'a incriminé que les actes d'effraction et de violence; et c'est le cas d'appliquer l'exception de la loi romaine, mais sans réserver la peine légère qu'elle prononçait encore si per negligentiam custo'dum evaserunt, leviùs puniendos. Il en est de même à l'égard de l'escalade des murs de la prison et du bris des fers qui retiennent le détenu captif; car l'escalade n'est pas une effraction, et le bris des fers n'est pas un bris de pri son : « Celui qui s'évade, dit Jousse, en passant par-dessus le mur de la prison, ou en sortant par une fenêtre d'où il se laisse glisser en bas, ne peut être poursuivi. Le prisonnier même

[1] Dec. 215, nos 1 et 12.

[2] Farinacius, quæst. 30, nos 30 et 31.* [3] Jousse, t. 4, p. 85.

[4] L. 1, Dig. de effractoribus; l. 13, Dig. de custodiá reorum; 1. 38, § 110, Dig. de pœnis; 1. 13, § 5, de re militari.

qui brise ses fers, et qui ensuite, trouvant l'occasion de se sauver, s'enfuit des prisons, ne paraît pas devoir être puni [1].

Les violences sont toutes les voies de fait et les menaces qui ont pour objet de paralyser la garde et la surveillance des préposés de la prison ou de la force armée qui escorte les détenus. « Si l'évasion, dit encore Jousse, est faite en usant de la violence à l'égard du geôlier ou des guichetiers, soit en menaçant de les tuer, ou en les forçant de donner les clefs, ou en les leur arrachant par force ou par violence, alors elle devient punissable [2]. » Ces mots sont l'explication la plus claire de cette expression. Ainsi l'on ne doit pas confondre le bris et les violences: celui-là s'applique aux choses matérielles, celles-ci ne s'appliquent qu'aux personnes. Hors de la prison, l'évasion qui peut avoir lieu des mains des agents de la force publique n'est punissable que lorsqu'elle s'est opérée avec violences [3]. Ainsi les actes de corruption pratiqués par le détenu sur ses gardiens ne seraient point compris dans les termes de l'art. 245, puisque cet article ne prévoit que les actes de violence. Mais il est nécessaire d'ajouter que si les violences commises sont d'une nature assez grave pour constituer un délit ou un crime distinct, si, par exemple, les détenus ont frappé, blessé ou tué l'un des gardiens, ce fait est puni, non plus à titre de simples violences constitutives du délit d'évasion, mais comme un délit sui generis, passible de la peine appliquée par la loi aux délits de cette nature. Cette réserve, qu'il était peut-être inutile d'exprimer, est formellement énoncée par les termes qui terminent l'art. 245: « Le tout sans préjudice de plus fortes peines qu'ils auraient pu encourir pour d'autres crimes qu'ils auraient commis dans leurs violences. »

La Cour royale de Paris a jugé que les détenus qui se sont évadés, sont passibles des peines portées par l'art. 245, par cela seul qu'ils savaient, au moment de l'évasion, qu'elle s'opérait à l'aide soit de violences, soit de bris de clôture, et qu'ils ont profité des moyens pratiqués par quelques uns d'entre eux pour l'opérer [4] ; les motifs de cet arrêt sont : « que l'évasion, non plus que le bris de prison, de la part des détenus, ne constitue point séparément l'action que la loi a réprimée, l'évasion par bris de prison, ce qui n'implique pas la coopération personnelle de chacun des individus au fait de bris de

[1 et 2] Traité des matières crim. t. 4, p. 88. [3] Arr. cass, 5 avr. 1832; S. 1832, 1, 719.

prison, mais seulement l'emploi des moyens de violence pratiqués par quelques-uns, dans le but d'une évasion concertée en commun avant leur évasion. » Cette doctrine nous semble trop absolue. Notre Code n'a point incriminé, comme l'avait fait la loi romaine, le complot formé par des prisonniers pour s'évader ; ce n'est donc que par des actes de coopération active ou par des actes de complicité qu'ils peuvent devenir coupables du délit d'évasion par bris de prison; et lorsque, comme dans l'espèce, aucune de ces deux circonstances n'est établie, l'évasion cesse d'être un délit. Car quel fait leur reprocherait-on encore? D'avoir profité des moyens pratiqués par quelques détenus pour s'évader? Mais c'est là précisément l'évasion simple qui, affranchie des circonstances de bris et de violence, n'entraîne aucune peine. Les détenus ont vu une porte ouverte, ils en ont franchi le seuil. Qu'importe que cette porte ait été ouverte par leurs codétenus ou par la négligence des gardiens? Qu'importe même qu'ils aient connu à l'avance les tentatives faites pour opérer l'effraction? Cette circonstance ne suffit pas pour les constituer complices: il est nécessaire, aux termes de l'art. 60 du Code pénal, qu'ils aient agi sur les auteurs du bris par dons, promesses ou menaces, ou qu'ils les aient aidés soit en leur procurant des armes ou des instruments, soit par une coopération effective. L'arrêt de la Cour royale de Paris nous paraît donc avoir étendu au-delà de leur sens les termes de la loi.

Nous venons d'indiquer les caractères du bris et de la violence qui constituent le délit prévu par l'art. 245; il est inutile d'ajouter que ces circonstances ne peuvent être incriminées qu'autant qu'elles sont réunies à l'évasion ou à la tentative de l'évasion : c'est comme moyens criminels employés pour accomplir un acte de désobéissance à la loi, que la loi les a inculpés; le délit est donc complexe : il se compose de l'évasion ou de la tentative de cette évasion, et du bris ou de la violence employés comme mode d'exécution. Chacune de ces deux circonstances est également essentielle à l'existence du délit.

Enfin, il est nécessaire que le lieu de détention d'où le prévenu s'est évadé soit une prison légalement établie; nous avons fait connaître précédemment quels sont les lieux de détention institués par la loi ou par l'administration publique [5]. La Cour de cassation n'a fait que

[4] Arr. 26 déc. 1835.

[5] Voy. t. 1, p. 100 et 108, et Suprà, p. 31.

confirmer cette règle en déclarant que l'individu arrêté en flagrant délit, et déposé dans la chambre de sûreté de la caserne de gendarmerie, à défaut d'autre prison, se rend passible des peines portées par l'art. 245, s'il s'évade de ce lieu avec bris ou violence [1]; car cette décision est uniquement fondée sur ce que cette chambre de sûreté est formellement autorisée par l'art. 85 de la loi du 28 germinal an VI.

La peine portée par l'art. 245 est un emprisonnement de six mois à un an. Avant de s'arrêter à ce taux, la peine appliquée à l'évasion a subi d'étranges variations: la loi romaine prononçait la peine de mort: Saturninus probat eos qui de carcere eruperunt, sive effractis foribus, sive conspiratione cum cæteris qui in eâdem custodia erant, capite puniendos [2]. Néanmoins cette peine n'était pas rigoureusement appliquée, et les jurisconsultes ont épuisé les subtilités de l'interprétation pour lui substituer une peine plus douce [3]. En France, nulle disposition de la législation ne déterminait le châtiment de ce délit ; et toutefois l'ordonnance de 1670 le supposait nécessairement punissable, puisqu'elle assujétissait les détenus évadés à toute la rigueur d'une procédure extraordinaire : la peine était dès lors arbitraire et se réglait d'après les circonstances et la qualité du fait.

Cependant notre législation actuelle n'étend pas la peine correctionnelle de l'art. 245 à tous les cas d'évasion; elle en excepte les évasions des forçats dans les bagnes. L'art. 16 du titre 3 de la loi du 20 septembre-12 octobre 1791 porte: « Chaque évasion de forçats sera punie seulement par trois années de chaîne de plus pour les forçats à terme, et par l'application à la double chaîne pendant le même temps, pour les forçats qui sont actuellement condamnés à vie. » Le législateur ne crut pas pendant quelque temps cette peine suffisante, et l'art. 69 du décret du 12 novembre 1806 y substitua cette disposition exorbitante: « Tout forçat qui s'évadera sera condamné à vingt-quatre années de fers; et s'il est déjà condamné à cette peine, il sera mis à la double chaîne pendant trois ans. >> Cette peine, aussi injuste par son énormité qu'illégalement imposée, fut elle-même abrogée par l'ordonnance du 2 janvier 1817, dont l'article 1er est ainsi conçu : « Conformément à l'art. 16 du titre 3 de la loi du 12 octobre 1791, tout forçat

[1] Arr. cass. 28 avr. 1836.
(2) L. 1, Dig. de effractoribus.

[3] Julius Clarus, quæst. 21, no 27; Menochius,

qui s'évadera sera puni, pour chaque évasion,
par trois années de travaux forcés, lorsqu'il ne
sera condamné qu'à terme; et par l'application
à la double chaîne pendant le même espace de
temps, s'il est condamné à perpétuité. » Ainsi
la loi de 1791 est encore en vigueur, et par con→
séquent l'art. 245 ne s'applique qu'aux indivi-
dus qui sont détenus dans les prisons propre-
ment dites la jurisprudence a confirmé cette
distinction. Toutefois on doit remarquer que
nulle voix ne s'est élevée dans les discussions
préparatoires du Code pour réserver l'applica-
tion de la loi de 1791; que tous les lieux de dé-
tention qui sont légalement établis se trouvent
en général compris dans le terme générique de
prison dont la loi s'est servie; et qu'enfin il est
étrange qu'à côté du Code qui détermine, sans
faire nulle distinction, les éléments et les peines
du délit d'évasion, une disposition antérieure
soit maintenue qui pose d'autres règles et d'au-
tres peines. Il résulte, en effet, du texte de cette
disposition, que ce n'est pas seulement l'éva-
sion par bris ou par violences qu'elle punit,
mais aussi l'évasion simple, celle qu'aucune
circonstance n'aggrave et que le Code déclare
ne constituer aucun délit. Il en résulte encore
que la peine uniforme et inflexible de trois an
nées de fers frappe sans nulle distinction l'éva→
sion sans bris ni violences et l'évasion avec
violences et effraction.

L'exécution des peines qui atteignent le dé-
lit d'évasion a été soumise à deux régles qui
forment l'une et l'autre une exception aux rè-
gles générales du droit criminel. La première
est une dérogation à l'art. 365 du Code d'in-
struction criminelle, qui pose en principe la non
cumulation des peines : la peine de l'évasion se
cumule dans tous les cas avec les autres peines;
cela résulte des termes mêmes de l'article 345 du
Code pénal, qui déclare que cette peine devra être
subie immédiatement après l'expiration de celle
que l'agent aura encourue pour le crime ou délit
à raison duquel il était détenu. C'est que cette
peine est distincte et indépendante des autres
peines, parce qu'elle punit un délit special et qui
ne se confond point lui-même avec les autres
délits; c'est que si ces peines se confondaient, il
s'ensuivrait que les prévenus qui se seraient éva-
dés, et qui plus tard encourraient une peine à rai-
son du délit qui motivait leur détention, échap-
peraient à la peine du délit d'évasion, puisque la

de arbitr, jud. casu 301, no 5; Farinacius, quæst. 30, nos 23 et 24.

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