Images de page
PDF
ePub

première peine, dans le cas où elle serait la plus forte, absorberait celle-ci. Cette règle particulière à ce délit a été souvent consacrée par la jurisprudence [1].

La deuxième règle est que la peine portée par l'art. 245 n'est point passible de l'aggravation que comporte la récidive. En effet l'évasion, de même que l'infraction de ban, suppose, en général, l'état de récidive, et dès lors cette circonstance étant essentielle au délit ne peut l'aggraver. En second lieu, cette infraction ne recèle point une immoralité qui permette de la ranger dans la classe commune des délits et d'en faire la base de la perversité présumée des condamnés [2]. C'est une infraction spéciale à une loi de police, et qui garde ses règles distinctes au milieu des règles générales du Code.

Les anciens jurisconsultes avaient établi des excuses dont quelques-unes devraient encore être suivies. C'est ainsi que les détenus qui n'ont brisé la prison pour s'évader, que parce qu'elle était le théâtre d'un incendie, d'une inondation ou d'une maladie contagieuse, et pour fuir un péril certain, ne pourraient être l'objet d'une poursuite [3]. Les prisonniers qui s'évaderaient pour se dérober à des traitements atroces qui seraient exercés sur eux, devraient également être excusés si ces faits étaient vérifiés on citait l'exemple d'une fille à l'honneur de laquelle un gardien aurait attenté [4]. Mais on ne saurait admettre que celui qui, après avoir brisé la prison, revient de lui-même sur-le-champ, doive être exempté de toute peine [5]: son retour est sans doute une circonstance atténuante, mais il ne saurait effacer le délit; il prouve le repentir de l'agent, il ne détruit pas son action. Après avoir considéré le délit d'évasion dans la personne de son auteur principal, du détenu lui-même, nous devons l'examiner sous un second point de vue, dans la personne des tiers qui en favorisent l'exécution. Ce nouveau délit prend une double face, suivant qu'il est commis par les préposés à la garde du détenu, ou par toutes autres personnes étrangères à cette garde. Mais une règle qui s'applique d'abord à l'une et l'autre hypothèse, est que la simple évasion du détenu suffit pour constituer un délit pour les personnes qui l'ont favorisée par leur négli

[1] Arr. cass. 17 juin 1831; 5 avr. 1832; S. 1832, 1, 719, 9 mars 1837 (Journ. du droit crim. 1837, p. 55).

[2] Voy. notre t. 1, p. 133.

[3] Farinacius, quæst. 30, nos 185-189.

[4] Ibid. no 171 et seq. 190.

gence ou leur connivence : il n'est pas nécessaire que cette évasion se soit opérée par bris de prison ou par violences; ces circonstances ne sont essentielles que lorsque l'évasion est imputée au détenu lui-même. En effet, si le désir naturel de la liberté justifie en quelque sorte son évasion lorsqu'il ne fait que franchir le seuil d'une prison qu'il trouve ouverte devant ses pas, cette excuse ne saurait s'étendre aux complices qui l'ont ouverte leur action reste la même, quels que soient les moyens employés pour effectuer l'évasion, parce que leur crimi– nalité ne prend pas sa source dans l'acte de l'évasion lui-même, mais dans les actes de négligence ou de connivence qui l'ont précédé et facilité.

La punition des préposés à la garde des détenus, qui ont laissé les prisonniers s'évader, a varié suivant les temps et les besoins de la société. La loi romaine, qui punissait l'évadé de la peine de mort, devait nécessairement élendre la même peine au gardien : Eâdem pœnà tenetur et qui cum eo quem custodiebat, deseruit [6]. Le principe général de l'ancien droit était que les fauteurs et complices des détenus évadés devaient être punis de la même peine que ceux-ci [7]. Le Code de 1791 ne portait sur cette matière que cette disposition insuffisante: « Quiconque aura délivré ou sera convaincu d'avoir tenté de délivrer par force ou violence des personnes légalement détenues, sera puni de trois années de fers [8]. » La loi du 13 brumaire an II, quoiqu'en exagérant la peine, posa le premier germe d'une distinction évidente dans la criminalité des gardiens dès qu'une personne détenue s'évadait, les geôliers, gardiens, gendarmes et tous autres préposés à sa garde, étaient sur-le-champ mis en arrestation; s'ils étaient convaincus d'avoir volontairement fait évader ou favorisé l'évasion, ils encouraient la peine de mort; s'ils étaient acquittés sur la question intentionnelle, ils étaient destitués néanmoins et condamnés, à raison de leur négligence, à deux années d'emprisonnement. Enfin, la loi du 4 vendémiaire an vi vint modifier ces peines et introduire en même temps les diverses distinctions que le Code a recueillies et que nous allons parcourir.

[3] Julius Clarus, quæst. 21, no 27. [6] L. 38, § 11, Dig. de pænis.

[7] Boerius, dec. 215, nos 3 et 4; Farinacius, quæst. 30, no 92 et seq.; ord. de 1535, ch. 21,

art. 15.

[8] L. 25 sept.-6 oct. 1791,2o part., tit. 3, art. 8.

L'art. 237 est ainsi conçu : « Toutes les fois qu'une évasion de détenus aura lieu, les huissiers, les commandants en chef ou en sous-chef, soit de la gendarmerie, soit de la force armée, servant d'escorte ou garnissant les postes, les concierges, gardiens, geòliers et tous autres préposés à la conduite, au transport ou à la garde des détenus, seront punis ainsi qu'il suit. >>

Deux observations doivent être faites avant d'arriver aux distinctions qui motivent les divers degrés de la peine. La première est qu'il ne s'agit pas ici de tous les détenus, mais seulement de ceux qui sont détenus légalement et dont la détention à lieu a raison d'un délit ou d'un crime prévu et puni par la loi pénale, ou à titre de prisonniers de guerre. La Cour de cassation a décidé, en appliquant ce principe qui a été développé plus haut, que les dispositions que nous allons examiner ne s'appliquent point soit au cas où la personne détenue qui s'est évadée serait un prisonnier pour dettes [1], soit au cas où cette personne, justiciable d'un tribunal étranger, serait detenue à raison d'un crime, mais en vertu d'une ordonnance d'extradition. L'arrêt rendu dans cette dernière espèce déclare. «que si l'arrestation d'un étranger sur le territoire français, en vertu d'une ordonnance du roi prescrivant son extradition, constitue une détention légale ; que si, en fait et dans l'espèce, l'arrestation a été régulière dans la forme; que si l'acte par lequel l'évasion a été favorisée est répréhensible à un très-haut degré et éminemment irrespectueux pour l'autorité royale, néanmoins il n'est pas prévu par la loi, au silence de laquelle les tribunaux ne peuvent suppléer; que les différentes dispositions placées sous la rubrique évasion de détenus ne sont pas applicables à tous les cas indistinctement où il s'agit d'une personne légalement détenue, mais seulement aux cas respectifs où la personne évadée, non-seulement était prévenue ou accnsée à raison d'un délit prévu et puni par les lois françaises, mais encore passible de certaines, peines déterminées; que des dispositions pénales ne peuvent être étendues [2]. » Cette interprétation est conforme au texte de la loi.

Notre deuxième observation se rapporte aux agents qui sont déclarés responsables de l'évasion; la loi les énumère : ce sont les huissiers, les commandants en chef ou en sous-ordre de la force armée, les concierges, gardiens, geôliers

[1] Voy. suprà, p. 429.

[2] Arr. cass. 30 juin 1827; S. 1827, 1, 438.

et tous autres préposés à la conduite, au transport ou à la garde des détenus. La responsabilité naît de la fonction: dès que celle-ci impose le devoir de la surveillance, l'évasion doit en faire présumer l'infraction. Mais la loi pénale, qui étend cette responsabilité à tous les préposés civils, ne la fait pas peser sur tous les militaires qui sont employés à l'escorte ou à la garde des détenus. L'art. 2 de la loi du 4 vendémiaire an IV portait : « Sont également responsables les citoyens composant la force armée servant d'escorte ou garnissant les postes établis pour la garde des détenus. » L'art. 237 a limité son incrimination aux commandants en chef ou en sous-ordre de la force armée la conséquence de cette désignation est que les militaires qui ne sont ni officiers ni sous-officiers restent rangés dans la classe des personnes étrangères à la garde des détenus, et dès lors ne sont responsables de l'évasion que lorsqu'ils l'ont procurée on facilitée.

[ocr errors]

On doit comprendre dans l'énumération de cet article les gardes nationales, car elles font partie de laforce armée, mais avec la même restriction relative aux simples gardes nationaux. On doit y comprendre également les préposés des hôpitaux, dans le cas où les détenus y ont été tratsférés pour cause de maladie [3]; toutefois la responsabilité ne pèse que sur les personnes chargées de la police de ces hôpitau x (décret du 8 janv. 1810, art, 11 no3)..

Mais il faut en excepter les officiers et sousofficiers qui ont laissé évader le prévenu d'un délit militaire confié à leur garde; ce cas spécial est prévu par l'art. 17 du tit. 8 de la loi du 21 brum. an v, qui est ainsi conçu : « Lorsque, par une coupable négligence, la force armée aura laissé évader un prévenu de délit militaire confié à sa garde, les officiers, sous-officiers et les quatre volontaires les plus anciens de service faisant partie de la force armée, seront poursuivis et punis de la même peine que le prévenu aurait dù subir, sans néanmoins que cette peine puisse excéder deux ans de fers.»>Nous n'examinons point ici cette peine, qui seule a conservé dans cette matière la trace de l'ancienne jurisprudence; nous ne faisons que constater l'excep tion.

Nous passons maintenant à l'examen des divers degrés du délit. La loi a multiplié dans cette matière les distinctions et les subdivisions; chaque circonstance est incriminée séparément

[3] Loi 4 vend, an vi, art. 15 et 16; décret du 8 janv. 1810, art. 1 et 11.

et imprime au fait une physionomie distincte, Le Code puise d'abord la base de ses peines dans la gravité du crime sous le poids duquel l'évadé était détenu : ces peines diffèrent donc suivant que ce fait est passible d'une peine correctionnelle ou infamante, d'une peine afflictive temporaire, enfin d'une peine perpétuelle ou de la peine de mort. Si, en effet, dans ces divers cas, l'acte de l'agent qui a favorisé l'évasion est le même, cet acte acquiert cependant une gravité plus haute puisqu'il produit un dommage plus grand à la société.

L'art. 238 établit le premier degré de cette échelle répressive: «Si l'évadé, porte cet article, était prévenu de délits de police ou de crimes simplement infamants, ou s'il était prisonnier de guerre, les préposés à sa garde ou conduite seront punis, en cas de négligence, d'un emprisonnement de six jours à deux mois, et, en cas de connivence, d'un emprisonnement de six mois à deux ans. »

La distinction de la négligence et de la connivence des préposés est la première disposition à laquelle on doit s'arrêter dans cet article. La négligence est une simple contravention matérielle; c'est l'infraction du devoir de surveillance imposé à tous les préposés : la loi suppose qu'ils n'ont nullement eu l'intention de faciliter l'évasion, que la pensée de violer leur devoir leur est restée étrangère; elle ne les punit que parce qu'ils ont omis des mesures de précaution qu'elle leur avait prescrites, ou qu'ils n'ont pas pris les mesures extraordinaires que les circonstances exigeaient. La connivence est, au contraire, l'infraction intentionnelle du devoir; c'est l'acte par lequel le préposé à la garde du détenu procure ou facilite son évasion, se sert de ses fonctions pour l'accomplir, et trahit la mission confiée à sa foi. La négligence et la connivence sont donc séparées par toute la distance qui existe entre l'infraction matérielle et l'infraction morale, entre la contravention et le délit.

La négligence est présumée dans toute évasion, de détenus; c'est là le sens de ces termes de l'article 237: «< Toutes les fois qu'une évasion de détenus aura lieu, les préposés seront punis ainsi qu'il suit. » Mais de ces termes on ne doit pas induire que toute évasion entraîne nécessairement l'application d'une peine, car les articles qui suivent subordonnent cette peine au cas de négligence. Il faut donc que le fait de

[1] Voy. cependant Arr. contr. cass. 18 avr. 1819; Dalloz, t. 8, p. 39; S. 1820, 1, 121.

la négligence soit constaté, et que, par exemple, il soit prouvé que le préposé a omis quelques précautions, quelques mesures de sûreté qu'il était de son devoir de prendre; mais le gardien, que ses fonctions rendent responsable de l'évasion, peut être contraint de prouver qu'il n'y a pas de sa faute et qu'aucun fait de négligence ne peut lui être imputé. Telle était la décision de l'art. 6 de la loi du 13 brumaire an II, portant qu'aucune peine ne pourrait être prononcée, si les prévenus prouvaient que l'évasion n'avait eu lieu que par l'effet d'une force majeure et imprévue. C'est aux juges qu'il appartient d'apprécier les cas de force majeure : il existe un décret de la Convention du 3 messidor an II qui, sur la question de savoir si le mauvais état d'une prison peut créer en faveur du geôlier l'exception de force majeure, déclare : « que c'est aux jurés à décider si, dans la circonstance d'une évasion prouvée par le mauvais état de la prison, la vigilance du concierge a été assez assidue et assez sévère pour qu'il puisse être considéré comme ayant fait tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir l'évasion. »

La connivence ne se présume pas. La simple évasion ne suffit pas pour en fonder l'accusation; il faut qu'il soit établi, non-seulement que l'évasion est le résultat de la faute du préposé, mais qu'il l'a sciemment procurée et facilitée ; il faut qu'il soit certain que ce n'est pas à sa négligence ou à son impéritie qu'on doit l'imputer, mais à sa volonté à l'intention coupable de favoriser la fuite d'un détenu. Le prévenu de connivence peut demander que la question relative à la négligence soit posée : cette dernière circonstance est, en effet, en quelque sorte l'excuse légale du délit ; elle en atténue la gravité, elle en modifie le caractère; et les nuances quelquefois légères qui peuvent distinguer ces deux actes ne permettent pas d'y voir deux délits que la même prévention ne puisse réunir, que le même fait ne puisse supposer [1].

L'art. 238 prévoit les cas où le détenu était prévenu de délits de police, de crimes infamants, ou était prisonnier de guerre. Ces mots délits de police ont donné lieu à des interprétations diverses les uns ont voulu y comprendre les délits et les contraventions, parcs que, dit-on, le Code a voulu parler ici par agglomération, au lieu de dire délits correctionnels et contraventions de police [2]; les autres ont restreint, au contraire, cette

[2] M. Rauter, Traité du droit cr. t. 1, no 391, édité par la Société typographique.

expression aux seuls délits de police correctionnelle [1]. Le mot délits que le Code n'applique qu'aux faits correctionnels, et l'assimilation qui lie dans cet article ces délits et les crimes passibles de peines infamantes, sembleraient indiquer que le Code a voulu restreindre son incrimination à l'évasion des prévenus de délits correctionnels. On pourrait même ajouter que la détention des prévenus de simples contraventions n'offre point assez d'intérêt à l'ordre social, pour qu'il soit nécessaire d'en garantir la durée par une sanction pénale. Cependant, en matière de simple police, ne pourrait-il point se présenter des faits assez graves pour que l'action d'un geòlier qui faciliterait l'évasion dût être punie?

L'article range dans la même catégorie, avec les prévenus de délits correctionnels et de crimes passibles de peines infamantes, les prisonniers de guerre. La raison d'état peut exiger, en effet, que la détention de ces derniers soit efficacement protégée. Dans ce cas, il suffit d'établir la qualité des détenus évadés, pour déterminer le caractère du délit imputable aux gardiens et le degré de la peine qui leur est applicable.

Enfin l'art. 238, par une omission qui contraste avec les art. 239 et 240, ne fait mention que des prévenus et nullement des condamnés. Faut il conclure que l'évasion de ces derniers ne fasse encourir aucune responsabilité aux préposés dans l'espèce prévue par cet article? Nous ne le croyons pas. Si la loi les a rendus responsables de l'évasion des simples prévenus dont la culpabilité est incertaine, et qui par conséquent par cette évasion ne causent qu'un dommage, ponr ainsi dire, conditionnel à l'ordre social, à plus forte raison cette responsabilité doit-elle s'étendre aux condamnés, dont la peine est une garantie pour la société et une sanction de la morale et des lois. Cette interprétation est d'ailleurs conforme au système général que les art. 239 et 240 ont explicitement formulé, et l'on ne pourrait y déroger, dans le cas de l'art. 238, sans qu'une telle exception fût autorisée par la loi. L'omission qui s'est glissée dans cet article n'est évidemment qu'une erreur de rédaction; on ne peut la prendre comme la base et l'expression d'un principe nouveau.

L'art. 239 prévoit un degré plus élevé de la criminalité des gardiens : « Si les détenus évadés ou l'un d'eux étaient prévenus ou accusés d'un crime de nature à entraîner une peine af

[1] Carnot, Comm. du C. P. obs, sur l'art. 238.

flictive à temps, ou condamnés pour l'un de ces crimes, la peine sera, contre les préposés à la garde ou conduite, en cas de négligence, un emprisonnement de deux mois à six mois, en cas de connivence, la reclusion, »> Enfin l'art. 240 s'occupe d'une hypothèse plus grave encore : « Si les évadés ou l'un d'eux, porte cet article, sont prévenus ou accusés de crimes de nature à entraîner la peine de mort ou des peines perpétuelles, ou s'ils sont condamnés à l'une de ces peines, leurs conducteurs ou gardiens seront punis d'un an à deux ans d'emprisonnement, en cas de négligence, et des travaux forcés à temps, en cas de connivence. » Ces deux articles maintiennent et continuent la distinction tracée par l'art. 238 entre la négligence et la connivence, nous avons établi tout à l'heure les caractères distincts de ces deux infractions. Ils inculpent les conducteurs et les gardiens; mais pour l'explication de cette expression nouvelle, il faut se reporter à l'art. 237 qui a soigneusement énuméré les personnes que la responsabilité peut atteindre et dont la définition domine tout ce paragraphe. Enfin, il faut remarquer que ces deux articles de même que l'art. 238, ne prononcent de peines qu'au cas de l'évasion consommée : cela résulte du texte même de ces articles qui ne s'occupent que du cas où les détenus sont évadés, des termes généraux de l'art. 237 qui ne déclare les gardiens responsables qu'autant qu'une évasion a eu lieu, enfin de la restriction de l'art. 241 qui, dans un cas spécial, prévoit explicitement l'é vasion et la tentative de l'évasion. Cela résulte surtout de ce qu'on ne peut évidemment accuser les gardiens de négligence qu'autant que l'évasion a été exécutée, et de ce que les signes de la connivence sont trop douteux pour être inculpés jusqu'à ce qu'elle se soit trahie par l'évasion ou par les actes extérieurs mentionnées par l'art. 241.

Cet article est ainsi conçu: « Si l'évasion a eu lieu ou a été tentée avec violences ou bris de prison, les peines contre ceux qui l'auront favorisée en fournissant des instruments propres à l'opérer, seront, en cas que l'évadé fut de la qualité exprimée en l'art. 238, trois mois à deux ans d'emprisonnement au cas de l'art. 239, deux à cinq ans d'emprisonnement, et au cas de l'art. 240, la reclusion. » Le délit prévu par cet article est complexe et se compose de deux éléments distincts: il faut que le gardien ait fourni des instruments propres à opérer l'évasion, avec la pensée de la favoriser, et qu'à l'aide de ces instruments l'évasion ait été effectuée ou tentée avec bris et violences. Il est donc néces

saire que ces deux circonstances soient réunies et constatées pour motiver son application. Latentative est assimilée dans cette hypothèse, à l'évasion consommée, parce qu'à l'égard du gardien le délit est le même dans l'un et l'autre cas: ce délit est consommé à son égard par la remise des instruments faite avec la connaissance de leur destination et suivie du fait matériel de leur emploi.

Il est à remarquer ensuite qu'il ne s'agit plus ici de l'évasion procurée par négligence on par connivence, mais de celle qui s'est opérée par bris de prison ou par violences. Mais cette distinction donne lieu de signaler une anomalie dans la distribution des peines: si l'évadé est un condamné à des peines perpétuelles, et que le gardien lui ait fourni les instruments qui lui ont servi à rompre les barreaux de la prison, la peine sera la reclusion, aux termes de l'art. 241; s'il lui a fourni au contraire des instruments propres à opérer l'évasion sans bris de prison ni violences, et par exemple une échelle pour escalader les murs, l'article 241 cessera d'être applicable, et il faudra recourir à l'art. 240 qui punit cet acte de connivence des travaux forcés à temps. Toutefois il est évident que ces deux actes ont la même valeur morale et les mêmes résultats matériels.

Le crime des gardiens devient plus grave s'ils ont remis des armes au détenu pour favoriser son évasion; l'art. 243, qui prévoit cet acte de connivence, est ainsi conçu : «Si l'évasion avec bris ou violence a été favorisée par transmission d'armes, les gardiens et conducteurs qui y auront participé seront punis des travaux forcés à perpétuité. » La loi suppose qu'en remettant les armes, le préposé a prévu qu'elles serviraient à favoriser l'évasion; elle le rend responsable de l'usage que le détenu peut en faire en s'évadant avec violence; elle le punit de la peine qu'elle réserve aux violences les plus graves. De là il suit qu'il ne suffirait pas, pour l'application de l'article, que les armes eussent été remises avec la pensée qu'elles dussent servir à la fuite du détenu, il faut encore que l'évasion avec bris ou violence ait été opérée à l'aide de ces armes : l'évasion à main armée, voilà le fait matériel; la remise des armes pour la favoriser, voilà la criminalité du fait.

La peine des travaux forcés à perpétuité n'a point été établie dans cet article sans contestation; la commission du Corps législatif en avait demandé la modification; on lit dans son rapport: « Les gardiens qui transmettent des armes pour faciliter une évasion, et les autres personnes qui y coopèrent, sont bien coupables

sans doute; mais les travaux forcés à perpétuité pour les uns, et les travaux forcés à temps pour les autres, paraîtront d'une excessive sévérité. Le but de la loi est de punir des actes aussi criminels; mais ne trouvera-t-on pas que les peines des travaux forcés à temps et de la reclusion, étant afflictives et infamantes, donnent aux coupables une juste punition et à la société une garantie convenable?» Ces observations étaient fondées, et elles auraient pu s'étendre aux diverses dispositions qui incriminent les actes de connivence des préposés à la garde des détenus. En effet, si la loi a distingué avec une minutieuse exactitude les diverses modifications de leur culpabilité, elle a appliqué en même temps à chaque modification une peine d'un degré supérieur, et elle a conduit rigoureusement jusqu'aux travaux forcés à perpétuité ce système d'aggravation. Or, comme il s'agit au fond du même crime, qui revêt seulement des nuances différentes, peut-être eût-il été plus convenable de se borner à prolonger à chaque degré la durée de la peine, sans en changer la nature. On peut remarquer, d'ailleurs, que le Code n'a pas même suivi avec exactitude le système d'aggravation qu'il s'était imposé. En effet, tandis que l'art. 238 punit d'un emprisonnement de six mois à deux ans la connivence du gardien qui a fait évader le prévenu d'un crime passible d'une peine infamante, l'article suivant, relatif à l'évasion des prévenus de crimes passibles d'une peine afflictive et infamante, au lieu de prononcer pour ce degré immédiatement supérieur la peine immédiatement supérieure, c'est-à-dire celle de deux à cinq ans d'emprisonnement, saute ce degré intermédiaire et s'élève brusquement jusqu'à la reclusion. Il serait difficile de justifier et méme d'expliquer cette singulière omission.

M. Carnot prétend qu'il faut restreindre le mot armes, employé dans l'art. 243, aux armes proprement dites, et qui reçoivent cette dénomination dans l'acception commune; mais qu'il ne faut pas l'étendre à tous les instruments ou ustensiles que l'article 101 a compris dans sa définition: il s'appuie sur ce que l'art. 241 prévoit, suivant lui, la remise de ces instruments, et que l'art. 243 doit dès lors être réservé pour la remise des armes proprement dites. Cette opinion ne nous paraît pas fondée. Le principe de la loi est que les armes puisent leur caractère non pas tant dans la matière qui les forme que dans l'usage auquel elles sont destinées [1]. Si donc les instruments transmis, quoi

[1] Voy. Suprà, p. 16.

« PrécédentContinuer »