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interprétation n'est point dénuée de solides motifs : le fait de colorer la surface d'une pièce de monnaie n'est point un faux, dans le sens propre de ce terme; car la substance même de la pièce n'est point altérée, son empreinte reste la même, et l'expression de valeur qu'elle porte en relief demeure intacte. Ensuite, ce fait n'a pas les mêmes conséquences que la falsification d'une fausse monnaie la couleur, nécessairement fugitive, s'efface entre les mains de celui qui a reçu la pièce; le préjudice est donc limité; il y a plus, le crime n'a que peu de chances de se consommer le plus simple examen suffit pour en arrêter l'effet, puisque la valeur réelle inscrite sur la pièce proteste incessamment contre la frauduleuse valeur qu'on prétend lui donner. Telles sont aussi les raisons qui nous ont portés à voir dans ce fait spécial, quand nous en avons discuté les caractères théoriques, plutôt un vol mêlé d'escroquerie qu'un crime de fausse monnaie (*).

Mais les dispositions du Code pénal permettraient-elles cette interprétation? Il serait difficile de le penser. L'article 132 comprend toutes les espèces de contrefaçon des monnaies ; il assimile même à la contrefaçon des faits qui ont assurément une criminalité et un danger moindres que l'espèce actuelle n'en fait présumer; et son silence sur cette espèce ne peut être considéré comme une exclusion, puisqu'il est impossible de supposer que cette hypothèse, prévue par la loi romaine, la législation antérieure à 1789 et les lois étrangères, et qui se représente fréquemment dans les annales judiciaires, ait été négligée par le législateur. C'est, d'ailleurs, une sorte de contrefaçon, non point accompagnée de faux, à la vérité fugitive et imparfaite, mais qui peut avoir momentanément les effets d'une falsification. L'agent est moins coupable, parce que son action ne pent produire le même dommage, parce qu'elle n'indique pas la même criminalité, parce que sa filouterie est facile à reconnaître; mais son intention n'en a pas moins été de contrefaire la pièce d'or ou d'argent qu'il a cru imiter. Voilà ce qui explique comment le législateur a pu confondre des faits aussi distincts dans la même disposition, et c'est là aussi ce qui justifie la jurisprudence constante par laquelle la Cour de cassation a étendu au fait dont il s'agit les péna

lités de l'article 132 [1]. Dans ce système, ce genre d'imitation, avec ses résultats incertains, peut-être considéré comme une circonstance atténuante mais non exclusive du crime.

Néanmoins, il faut encore ici répéter avec la Cour de cassation que les caractères légaux de la contrefaçon ne peuvent résulter que d'une somme d'apparences assez fortes pour que le commerce de la circulation en soit affecté. Si donc la fraude était visible, si l'évidence d'une substance colorante, jointe à l'expression de la valeur réelle conservée sur la pièce, rendait toute tromperie à peu près impossible, il faudrait décider, comme on l'a fait plus haut, que ce n'est plus là une contrefaçon, que cette vaine tentative d'imitation ne peut constituer même une monnaie fausse, et que d'un fait ainsi constatéil ne peut résulter qu'une intention coupable avortée, qu'un projet criminel inexécuté.

Cela posé, une autre question doit être examinée : le fait qui consiste à enduire d'une substance colorante une pièce de monnaie pour lui imprimer une valeur supérieure, doit-il être considéré comme une contrefaçon ou comme une altération? Cette distinction n'a nul intérêt à l'égard des pièces d'argent qui seraient dorées, puisque l'article 132 punit de la même peine la contrefaçon de la monnaie d'or et l'altération de la monnaie d'argent mais elle est importante lorsqu'il s'agit du blanchiment d'une pièce de cuivre ou de billon; car de l'un ou de l'autre de ces faits résulte alors, soit l'application de l'article 133, si la pièce de billon a été altérée, soit l'application de l'article 132, si la pièce d'argent a été contrefaite.

La jurisprudence de la Cour de cassation a varié sur ce point. Plusieurs arrêts avaient jugé « que le fait d'avoir doré des pièces de 2 fr. est une véritable altération de monnaie d'argent [2]. » M. Carnot a critiqué avec raison cette interprétation [3]. Altérer une pièce, c'est en modifier la substance, c'est en corrompre la nature; or, la pièce de monnaie qu'une substance colorante a momentanément recouverte, n'éprouve aucune lésion, elle n'est point altérée. La Cour de cassation n'a pas persisté dans cette jurisprudence, et reconnaît maintenant que le blanchiment d'une pièce de cuivre est une véritable contrefaçon de la monnaie d'argent

(*) V. J. de Belgique, 1837, 2, 28.

[1] Arr. cas. 3 juin 1808 et 4 juillet 1811. (Dalloz, t. 15, p. 374 et 375; S. 1812, 1, 109.)

[2] Arr. cass. 5 juill. 1811 et 4 mars 1830 (S. 1830, 1, 230.)

[3] Comm. du Cod. pén. t. 1, p. 362.

que cette pièce a pour but d'imiter [1]. Nous pensons qu'en effet, dans le système du Code, cette qualification est la seule qui puisse être appliquée à ce fait. [*].

Une troisième condition du crime de contrefaçon est que la monnaie contrefaite ait cours légal en France. Cette circonstance doit donc nécessairement être déclarée pour qu'il puisse y avoir condamnation [2].

De cette règle on a tiré deux conséquences: d'abord, que la contrefaçon d'une monnaie que l'usage, aurait adoptée, ne serait pas comprise dans les termes de l'article 132, si cette pièce ne fait pas partie de la monnaie nationale [3]; ensuite, que la contrefaçon de pièces démonétisées ne constitue ni crime ni délit [4]. Ces corollaires sont assurément exacts, mais ils font, suivant nous, la critique la mieux fondée de la distinction adoptée par la loi ; car, dans l'une et l'autre de ces hypothèses, le préjudice peut être le même que si la contrefaçon avait pris une monnaie ayant cours légal, et la criminalité de l'agent n'est pas moins grave. Toute monnnaie ayant cours a droit à la même protection : le crime ne change pas de nature parce que cette monnaie ne porte point l'empreinte nationale, ou parce que la loi ne fait qu'en tolérer l'usage, après en avoir modifié la forme ou la valeur.

Le cour légal n'est autre que le cours forcé: il faut que la monnaie contrefaite fasse partie de la monnaie nationale, ou que, si elle est étrangère, une loi ou une ordonnance du roi l'ait assimilée à cette monnaie. Cela résulte formellement de la discussion qui eut lieu à cet égard au sein du Conseil d'état. Le projet du Code portait: les monnaies nationales ayant cours; à ces mots on substitua les monnaies ayant cours légal en France. « Le motif de ce changement de rédaction, disait M. Berlier, est principalement fondé sur un decret récent (du 24 janvier 1807) qui ordonne que les monmaies italiennes auront cours en France comme les monnaies françaises; elles ne sont pourtant point pour la France monnaie nationale, mais elles lui sont assimilées; elles ont le même cours légal, et la nouvelle rédaction lèvera toute équivoque. Ceci, ajoutait l'orateur

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ne pourra pas s'étendre aux autres monnaies étrangères qui ne seraient pas spécialement assimilées aux nôtres, puisqu'alors elles n'auraient point un cours légal, mais simplement volontaire ou conventionnel [5]. »

M. Carnot a contesté le cours légal en France des monnaies d'Italie. Il a prétendu que si ces monnaies étaient assimilées par le décret du 24 janvier 1807 aux monnaies de France, ce décret avait dû cesser d'être en vigueur lors de la séparation des deux états en 1814 [6]. Ce système a été repoussé par la Cour de cassation, par le motif « que le décret du 24 janvier 1807 n'a été abrogé ni modifié par aucune loi ni ordonnance postérieure, et qu'il a continué de recevoir son exécution pleine et entière par la réception des pièces d'or et d'argent au type du royaume d'Italie dans les caisses publiques et particulières [7]. » Cette opinion nous semble devoir être suivie : il suffit que le cours de la monnaie étrangère s'appuie sur une disposition légale, pour que ce cours soit lui-même réputé légal; et, après avoir été assimilée à la monnaie nationale, elle ne pouvait perdre ce privilége que par l'effet d'une disposition postérieure qui la démonétisȧt.

Une loi du 14 juin 1829 porte que : « les écus de 6 livres, 3 livres, les pièces de 24 sous et 6 sous tournois, ainsi que les pièces d'or de 48 livres, de 24 livres et de 12 livres, cesseront d'avoir cours forcé pour leur valeur nominale actuelle le 1er avril 1834. » De cette disposition faut-il conclure que les pièces qui y sont énumérées ont cessé d'avoir cours légal? Cette conséquence nous paraît évidente; dès que ces pièces cessent d'avoir cours forcé pour leur valeur nominale, elles ne valent plus que comme lingots d'or ou d'argent; elles n'ont d'autre valeur que celle du poids qu'elles ont conservé; elles perdent donc leur caractère de monnaies : or la protection de la loi pénale ne s'est attachée qu'aux seules monnaies dont le cours rapide et forcé multipliait les chances du faux monnayeur. La contrefaçon de ces anciennes pièces, aujourd'hui démonétisées, ne pourrait donc constituer le crime prévu par l'article 132. Nous avons cité plus haut un arrêt de la Cour de cassation qui, bien qu'antérieur au Code pénal,

[4] Arr. cass. 6 fruct. an XI.

[3] Procès-verbaux du Cons. d'état, séance du 21 mai 1808.

[6] Ibid. no 14.

[7] Arr. Cass. 10 août 1826 (Sirey, 1828, 1, 54).

est intervenu dans les mêmes circonstances, et confirme formellement cette décision [1].

Il résulte d'une loi du 14 germinal an xi que les anciennes monnaies altérées ou rognées ne sont admissibles dans les paiements qu'au poids; et d'un arrêt du 6 fructidor an xi, que ces mêmes pièces, lorsqu'elles n'ont conservé aucune trace de leur empreinte, ont perdu le caractère de monnaie, et ne seront reçues au change que d'après leur poids. Ces lois, s'appliquant à des pièces aujourd'hui hors de cours, ne sont plus elles-mêmes applicables; mais le principe qu'elles rappelaient, et que les lois anciennes avaient déjà posé, doit être maintenu : les pièces rognées ou dont l'empreinte est entièrement effacée, n'ont aucun cours légal. Ainsi l'imitation de ces pièces, ou, en d'autres termes, la fabrication d'une pièce qui porterait les traces d'une forte altération, ou sur laquelle aucune empreinte n'existerait, ne serait pas la contrefaçon d'une monnaie ayant cours, et dès lors ne motiverait pas l'application de l'article 132. De même que dans le cas qui précède, on ne pourrait voir dans ce fait que les caractères d'un vol simple ou d'une escroquerie[2].

Du reste, il suffirait que le cours légal ait lieu dans la partie de la France où le crime a été commis, encore bien que la monnaie fût réputée étrangère dans une autre partie du territoire. Cette décision, qui est puisée dans la raison même qui a dicté la restriction de la loi, a été prise par la Cour de cassation à l'égard des départements réunis de l'ancienne Hollande, dans lesquels les rixdalers de Zélande avaient cours légal [3]. Aujourd'hui l'uniformité de notre législation ne donne plus lieu d'invoquer cette décision; mais elle n'en a pas moins conservé son intérêt, et, si les mêmes circonstances se renouvclaient, on ne pourrait hésiter à l'appliquer. Nous avons défini les trois caractères de la fausse monnaie : l'intention criminelle, l'imitation matérielle, la contrefaçon d'une monnaie ayant cours légal, nous avons établi que le crime ne peut exister que par la réunion de cette triple circonstance: c'est d'après ces règles fondamentales que tous les faits de contrefaçon doivent être appréciés. Examinons maintenant, d'abord, le deuxième mode de perpétration du

[1] Arr. cass. 6. fruct. an x1.

crime de fausse monnaie que la loi pénale a assimilé à la contrefaçon, l'altération des monnaies ayant cours légal, et en deuxième lieu, les différents actes qui font considérer comme complices du fait principal ceux qui les commettent.

Altérer les pièces de monnaie, c'est diminuer leur valeur intrinsèque, c'est modifier leur substance ou leur poids: c'est ainsi qu'il a été jugé que celui qui lime ou rogne une pièce d'or commet le crime d'altération de monnaie [4]. D'après l'ancienne législation, le crime de fausse monnaie se commettait également en altérant ou rognant la monnaie par le secours des limes et des eaux fortes [5]. La crainte que le crime inspire, et la facilité avec laquelle il peut se commettre, ont perpétué cette fiction que nous avons précédemment combattue. Mais il importe de remarquer qu'il ne suffit pas, pour l'existence du crime, que l'altération matérielle de la pièce soit constatée; il faut encore que cette pièce ait cours légal en France; il faut surtout que l'accusé ait agi avec une intention coupable, avec l'intention de nuire [6]: soumettre une pièce de monnaie à une opération chimique qui la détruirait en partie, ne serait point un fait criminel, si l'agent n'a pas l'intention de la remettre en circulation au taux de la valeur primitive.

L'émission, l'exposition et l'introduction sur le territoire de monnaies fausses, sont des actes de consommation du crime de fausse monnaie, quand ils sont commis par le fabricateur luimême. La participation d'un tiers à ces mêmes actes, quand il agit de connivence avec le fabricateur, est un acte de complicité.

Ce n'est, en effet qu'en leur imprimant ce caractère, que le législateur a pu assimiler les auteurs de ces actes secondaires aux auteurs du crime principal. « Qu'est-ce que peut être, disait M. Berlier dans l'exposé des motifs, un distributeur ou introducteur qui connaît la fausseté des pièces, et n'a pas pour lui l'excuse de les avoir reçues pour bonnes? Qu'est-il, sinon le fauteur volontaire, et conséquemment le complice du fabricateur? Il subira donc la même peine. >>

En général, cette complicité existe effectivement. Il est rare qu'un individu reçoive des pièces comme fausses et les émette comme bonnes,

Br. Cass. 31 déc. 1824; J. de Bruxell. 1825, 1,

[2] Voy. l'arr. déjà cité de la Cour de Brux. 28 19; J. du 19 s., 1825, 3, 3. nov. 1817. (J. de Belg. 1817, 1, p.136.)

[3] Arr. cass. 21 mai 1813. (Dalloz, t. 15, p. 376, 383; S. 1821, 1, 260.

[4] Arr. cass. 19 brum. an x. (Dalloz, t. 15, p. 374.

[5] Jousse, Traité des mat. cr. t. 3, p. 442.

[6] << With intent to profit. » Code of crimes and punishments of the state of Louisiana, art. 258.

sans connivence avec le fabricateur. Cependant cette hypothèse peut se présenter, et la loi eût dû la prévoir. On peut supposer, en effet, qu'un individu dérobe au greffe les pièces fausses qui y sont déposées comme pièces de conviction, et les émette comme bonnes; d'après le Code pénal, il serait puni comme complice du fabricateur, et toutefois il ne serait coupable que de vol et d'escroquerie; mais cette distinction a échappé au législateur, et dès lors la Cour de cassation a décidé avec raison que l'article 132 ne distingue point, relativement à l'émission des monnaies altérées, entre le cas d'une première émission et celui d'une émission subséquente [1].

L'émission n'est punissable qu'autant que la monnaie mise en circulation est contrefaite ou altérée. Ainsi dans une espèce où le jury n'avait pas été interrogé sur le point de savoir si les pièces émises étaient contrefaites, la Cour de cassation a cassé l'application qui avait été faite de la peine :«< Attendu que, par sa réponse simplement affirmative, nulle déclaration n'avait été donnée sur cette circonstance essentiellement constitutive de la criminalité du fait d'émission [2]. » Il est donc nécessaire que les pièces émises portent en elles-mêmes la preuve d'un crime de contrefaçon ou d'altération de monnaies ayant cours légal; car, s'il n'y avait pas crime principal, il n'y aurait pas de complices.

La loi n'a fait que deux exceptions à la disposition de l'article 132, relative à l'émission de monnaies contrefaites ou altérées elles sont prévues par les articles 163 et 165. D'après l'article 163, le distributeur qui ignore les vices de la monnaie qu'il émet ne commet ni crime ni délit : son ignorance est un fait pleinement justificatif. D'après l'art. 135, le distributeur, s'il a découvert les vices de la monnaie, peut invoquer comme une excuse qu'il l'avait reçue pour bonne : ce fait ne justifie pas, mais atténue sa culpabilité.

Ce dernier article porte : « La participation énoncée aux précédents articles ne s'applique point à ceux qui, ayant reçu pour bonnes des pièces de monnaie contrefaites ou altérées, les ont remises en circulation. Toutefois celui qui aura fait usage desdites pièces, après en avoir vérifié ou fait vérifier les vices, sera puni d'une amende triple au moins et sextuple au plus de

[1] Arr. cass. 5 oct. 1821. (Dalloz, t. 15, p. 377 et t. 7, p. 344.)

[2] Arr, cass. 8 avril 1825.

[3] Arr. cass. 3 mai 1832.

la somme représentée par les pièces qu'il aura rendues à la circulation, sans que cette amende puisse, en aucun cas être inférieure à 16 francs.»>

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Le distributeur qui, après avoir reçu une monnaie pour bonne, en découvre les vices et la remet en circulation, commet une fraude évidente, un véritable vol, car il cause un dommage à celui qui la reçoit, avec une connaissance parfaite du mal qu'il fait. Mais la loi, porte l'exposé des motifs, doit compatir à sa position, et ne voir en lui qu'un malheureux cherchant à rejeter sur la masse la perte dont il était personnellement menacé.

Cette exception constitue un fait d'excuse lé→ gale. De là plusieurs corollaires. C'est à l'accusé qu'il appartient de proposer ce fait d'excuse, et la preuve en doit être à sa charge [3]. Ainsi l'accusation n'est point tenue de prouver que le prévenu n'a pas reçu pour bonnes les pièces qu'il a émises : il lui suffit, à moins que cette circonstance ne ressorte évidemment des faits, d'établir les circonstances élémentaires du crime d'émission prévu par l'art. 132 [4]. Mais, d'un autre côté, lorsque l'excuse est proposée et établie, c'est à l'accusation à prouver que le prévenu a vérifié les vices des pièces émises; car cette vérification, après laquelle seulement on devient punissable, est la circonstance constitutive du délit que punit l'article 135.

Une autre conséquence du même principe est que la Cour d'assises ne peut, aux termes de l'art. 139 du Code d'instruction criminelle, refuser de poser cette question d'excuse, si elle est proposée par l'accusé [5]; et que le jugement de cette exception n'appartient qu'au jury [6].

La simple tentative d'une émission de pièces qu'on sait être fausses, mais qu'on a reçues pour bonnes, n'est pas punissable [7], car cette émission n'a plus que le caractère d'un délit : or, aux termes de l'article 3 du Code pénal, la tentative d'un délit ne peut être punie qu'en vertu d'une disposition spéciale de la loi; il faut donc que le délit ait été consommé par l'acceptation de celui auquel la pièce a été offerte.

L'article 135 dispose que l'amende ne pourra, en aucun cas, être inférieure à 16 francs. Ces termes restrictifs doivent-ils être considérés comme établissant une exception à la disposi

[5] Arr. cass. 14 déc. 1833; S., 1834, 1, 185. [6] Arr. cass. 3 mai 1832 et 12 nov. 1835 (Journ. du droit cr. 1832, p. 245, et 1835, p. 55.)

[7] Arr. cass. 15 avril 1826; S. 1827, 1, 197.

[4] Arr. cass. 23 juin 1826.

tion générale de l'article 463? Nous ne le pensons pas. L'article 135 établit une amende triple au moins et sextuple au plus de la somme représentée par les pièces fausses, et, prévoyant le cas où cette somme ne s'élèverait pas à 16 francs, il ajoute que cette amende ne peut, en aucun cas, ‚être inférieure à cette fixation. Il ne s'agit donc ici que des cas prévus par cet article, que du mode d'évaluation de l'amende d'après les bases qu'il pose; mais on ne doit point y voir une dérogation à une disposition qui domine tout le Code pénal, et qui puise un principe d'atténuation dans des circonstances que l'article 135 n'a point prévues et qui lui étaient étrangères.

L'exposition des monnaies contrefaites est un deuxième fait de complicité du crime de contrefaçon. La loi a supposé que le changeur qui expose ces monnaies pour les vendre, les a reçues du faux monnayeur, et participe à son crime. De là la même peine qui les frappe l'un et l'autre.

Si l'on ne supposait pas cette connaissance du crime, on arriverait à des conséquences absurdes: car l'exposition, qui n'est qu'une tentative incomplète de l'émission, serait punie des travaux forcés à perpétuité, lors même que l'exposant aurait reçu les pièces pour bonnes tandis que, dans la même hypothèse, l'émission même consommée ne serait punie que d'une simple amende.

Il n'est donc pas exact de dire, avec la Cour de cassation, que l'immoralité du crime d'exposition de fausse monnaie est tout entière dans la connaissance qu'a celui qu'il expose des monnaies contrefaites ou altérées [1], puisque, dans ce système, non-seulement le fait que l'exposant a reçu les monnaies pour bonnes, mais le but même de son exposition, n'auraient aucune influence sur le crime. L'immoralité est fondée sur la double présomption de connivence de l'exposant avec le fabricateur, et de l'intention de cet agent d'écouler les pièces comme bonnes. S'il n'a pas connu le vice des monnaies quand il les a reçues, toute présomption de complicité s'évanouit, et l'exposition ne forme plus dès lors qu'une sorte de tentative du simple délit d'émission prévu par l'article 135, tentative qui n'est passible d'aucune peine. Si les monnaies ont été exposées avec la connaissance de leurs vices, mais comme objet de curiosité, et non pour les mettre en circulation, ce

fait ne forme encore aucun crime, puisque, dans l'exposition, la loi ne punit qu'un commencement d'exécution de la mise en circulation, et que, dépouillée de cette circonstance, elle n'a plus de péril.

A la vérité, une hypothèse se présente où cette règle semble fléchir : c'est lorsque l'exposant n'a pas reçu les pièces du fabricateur luimême, mais les a reçues comme fausses. Evidemment, il n'existe alors aucune complicité réelle; mais le législateur, pour ne pas multiplier les distinctions, a présumé dans ce cas une sorte de complicité, sinon avec l'agent principal, du moins avec les agents secondaires du crime. Cette présomption, inexacte sans doute, assimile complétement cette hypothèse à la véritable complicité, et la peine est la même. C'est donc dans cette présomption de complicité que l'exposition, de même que l'émission et l'introduction, puise son caractère criminel; c'est à l'exposant à prouver que cette présomption n'est pas fondée, en établissant qu'il a reçu les monnaies pour bonnes.

Le même principe et les mêmes distinctions s'appliquent à l'introduction sur le territoire français de monnaies contrefaites ou altérées. Ce fait n'est qu'un acte préparatoire de l'émission; pour l'élever au rang des crimes, il a fallu supposer une sorte d'association entre le fabricateur et l'introducteur. Si cette présomption est détruite par la défense, la criminalité cesse; mais, d'après le système de la loi, elle ne peut être détruite que par la preuve que l'agent ignorait les vices des pièces importées, ou du moins qu'il les avait reçues pour bonnes.

Les différentes règles qui viennent d'être exposées, et qui sont relatives au caractère légal de la contrefaçon ou de l'altération des monnaies d'or et d'argent, et aux divers modes d'émission de ces monnaies contrefaites ou altérées, s'appliquent complétement, soit aux monnaies de billon ou de cuivre, soit aux monnaies étrangères. On doit donc se référer aux explications qui précèdent, pour obtenir la solution des difficultés que les articles 133 et 134 peuvent soulever; et nous nous bornerons, pour compléter nos explications en ce qui concerne ces deux articles, à examiner les points qui leur sont spéciaux.

L'article 133 est ainsi conçu : « Celui qui aura contrefait ou altéré des monnaies de billon ou de cuivre ayant cours légal en France, ou participé à l'émission ou exposition desdites monnaies contrefaites ou altérées, ou à leur intro[1] Arr. cass. 6 therm, an viii. (Dalloz, t. 15 duction sur le territoire français, sera puni des p. 374.) travaux forcés à temps. »

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