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été remise, et qui s'en servirait pour compro- la légèreté du signataire a donné en quelque mettre ses intérêts [1]; ou qui se serait procuré par ruse ou artifice le blanc seing dont il aurait abusé [2]: il est nécessaire qu'il le tienne de la confiance du signataire, pour que l'abus qu'il en fait reste classé parmi les simples délits [3]. La même distinction s'applique aux abus de confiance. Ainsi, l'associé qui abuse de la signature sociale, pendant l'existence de la société, pour éteindre ses dettes personnelles ou grever le fonds social, ne commet pas le crime de faux; car le fait qui lui a servi à commettre ce délit, est le mandat qu'il tenait de la société elle-même et dont il a abusé [4]. Ce fait est empreint de dol et de fraude, mais la fraude et le dol ne sont pas le faux. Pour que ce crime pût exister dans l'espèce, il eût fallu qu'il y eût supposition frauduleuse d'une obligation; or cette supposition n'existait pas. C'est la société elle-même, par la main de son mandataire, qui avait écrit et signé les effets; ce mandataire avait faussé la foi qui le liait, mais ses engagements étaient vrais, car il était le représentant légal de la société. << Samain, disait M. Merlin dans son réquisitoire, en écrivant, en signant les lettres de change, n'a pas créé des engagements que la société n'avait pas l'intention de contracter; car sa main était celle de la société elle-même. C'est la société qui a écrit, c'est la société qui a signé, c'est la société qui s'est obligée. Ainsi, écriture, signature, obligation, tout est du fait de la société. Il n'y a donc pas ici l'ombre d'un crime de faux. »

sorte l'être au crime; et que dès lors on ne peut y apercevoir qu'une altération mensongère, une escroquerie. Cependant une différence essentielle semble séparer cette espèce de celles qui précèdent : l'auteur du faux n'agissait point en vertu d'un mandat ; aucun lien ne l'attachait an signataire; il ne pouvait invoquer comme une excuse la facilité qu'il aurait trouvée à commettre le crime. L'acte supposé n'était done plus un simple abus de confiance, mais bien la fabrication frauduleuse d'une fausse convention. Les comptes faux, les chiffres erronés, ne doivent point être compris dans la classe des faux criminels. Cette restriction existait déjà dans la loi romaine : Non quis alias in computatione vel in ratione mentiuntur [6]. Godefroy en donne pour raison que les comptes les plus faux peuvent être le fruit de l'erreur: « Quod eâ parte errorem communem etiam prudentissimus prætexere possit. » Le véritablemotif est dans la règle que nous avons établie : la partie qui a reçu le compte a été mise à même d'en vérifier les chiffres, elle en a connu du moins tous les articles qui y figurent même indûment: l'exagération ou la supposition des chiffres ont donc le caractère d'une énonciation mensongère, mais non du faux; le crime n'existerait que si des pièces fausses avaient été fabriquées à l'appui des chiffres altérés.

Cette doctrine a été confirmée par la Cour de cassation, dans une espèce où un huissier, pour augmenter ses bénéfices, avait supposé dans l'état de ses salaires des actes qu'il n'avait point faits, et exagéré la taxe de ses émoluments. L'arrêt s'appuie sur ce que : « dans l'état des

Mais la décision serait différente, si les billets ont été émis depuis la dissolution de la société, avec la signature sociale, par l'un des associés: cette altération de la vérité prend alors les cou-salaires, il n'a été fait usage d'aucune qualité, leurs du faux, attendu que le mandat qui a servi de prétexte pour l'opérer avait cessé d'exister, et qu'ainsi l'engagement présente une supposition frauduleuse d'acte.

La Cour de cassation s'est-elle écartée de ce principe, en déclarant que celui qui a fait souscrire un acte de vente, lorsque le signataire croyait souscrire une pétition ou un mandat, commet une altération constitutive de faux [5]? On peut penser, au premier abord, qu'il y a lieu d'assimiler cette espèce à celle du mandat ou du blanc seing dont le dépositaire abuse; què

[1] Arr. cass. 4 fév. 1824.

[2] Arr.. cass. 24 juir 1829.
[3] Arr. cass. 28 janv. 1809; Dalloz, t. 15,
p. 448.
[4] Arr. cass. 16 oct, 1806 et 26 mars 1813; Dalloz,

signature ou pièce fausse, mais qu'il y a seulement été fait de simples fausses énonciations relativement à quelques-uns des articles; d'où il suit que ledit état ne présente aucun caractère réel de faux, et que, si l'on peut y reconnaître des caractères d'escroquerie, de tentative de vol, et même de vol au préjudice du trésor public, la connaissance de pareils crimes ou délits appartient aux tribunaux ordinaires [7]. »

Nous ne pousserons pas plus loin l'examen des cas d'application de notre principe: ce que nous avons voulu établir dans ce premier paragraphe,

t. 15, p. 434 et 453; Rép. vo Faux, sect. 1, § 5. [5] Arr. cass. 13 févr. 1835.

[6] L. 23, Dig. ad leg. jul. de falsis.

[7]Arr, cass. 7 sept. 1810; Dalloz, t. 15, p. 417.

c'est que le premier élément du faux est une aliénation matérielle de la vérité, c'est que toute altération de la vérité n'est pas constitutive d'un faux punissable, c'est enfin qu'elle n'a ce caractère qu'autant qu'elle rentre dans l'un des cas énumérés par le Code, et qu'elle réunit les conditions diverses qu'il assigne à chacun de

ces cas.

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Peut-être eût-il été possible, pour reconnaître les conditions d'une altération criminelle, de poser des règles plus précises; mais ces règles, qu'il faut demander à des textes flexibles et vagues, offrent le péril de placer une loi nouvelle à côté de la loi, et d'ériger des doctrines que l'application vient accuser d'inexactitude. Toutefois il nous semble qu'en général l'altération ne devient criminelle pourvu d'ailleurs qu'elle ait été commise à l'insu de la partie lésée, que dans les seuls cas où elle s'est manifestée par la contrefaçon des écritures, la falsification des actes écrits et la supposition d'un fait ou d'une convention. C'est dans ces trois cas que se confondent les circonstances l'altération peut servir de base au crime de faux. Hors de ce cercle, elle n'a plus que le caractère d'une énonciation mensongère qui, suivant sa gravité, est punie correctionnellement ou échappe à toute pénalité; mais elle n'est plus admise comme élément du faux criminel. Ce point résume toutes nos observations.

SII.

La deuxième condition requise pour constituer le crime de faux est l'intention frauduleuse.

La volonté criminelle a des nuances et des degrés. Dans certains cas elle consiste uniquement à connaître la prohibition de la loi, et à vouloir l'enfreindre. Dans d'autres cas il ne suffit pas que l'agent ait eu la conscience de l'immoralité du fait et la volonté de le commettre; il faut encore que cette volonté se soit proposé un but déterminé : c'est la criminalité de ce but qui se reflète sur l'intention, et détermine sa culpabilité.

Tel est le crime de faux. L'altération peut avoir été commise sciemment et volontairement, et cependant il n'y a pas de crime encore: il faut qu'elle ait été commise avec fraude,

[1] L. 15, Cod. ad leg. corn de falsis.
[2] Tit. 2, sect. 2, art. 41.
[3] Art. 1384 du Code prussien.

c'est-à-dire dans le dessein de nuire à autrui. Ce principe tient à l'essence même du faux. En effet, la fabrication ou l'altération d'un écrit n'est en soi-même, ainsi qu'on l'a déjà remarqué, qu'un acte préparatoire du crime; cet acte ne peut donc puiser sa criminalité que dans le but que se propose son auteur. Ainsi, dans la réalité, le crime de faux ne se consomme que par l'usage de la pièce fausse au détriment d'autrui. Si le législateur a pu incriminer séparément la fabrication et l'usage, il a fallu du moins substituer à cette dernière circonstance constitutive du crime, l'intention de se servir de la pièce au préjudice d'autrui : si cette intention spéciale, si ce dol composé n'existe pas, le fait ne présente plus qu'une altération matérielle qui ne peut devenir la base d'un faux criminel.

Cette règle est, du reste, universellement reconnue. La loi romaine la posait en termes précis non nisi dolo malo falsum [1]. Le Code de 1791 ne punissait que le faux commis méchamment et à dessein de nuire [2]. Les Codes étrangers exigent que le faux ait été commis dans des vues d'intérêt personnel [3]. La loi anglaise et les Codes américains demandent qu'il y ait dessein de frauder ou de nuire à quelqu'un : a design to defraudor injure any person [4]. Enfin notre Code veut que le faux ait été commis frauduleusement.

a

M. Rossi, en essayant d'établir une distinction entre le dol objectif et le dol subjectif, cru trouver un exemple de ces deux sortes de dol dans les articles 145 et 146: le mot frauduleusement introduit dans ce dernier article ne se rencontre pas dans le premier; il en a conclu que le faux matériel, prévu par l'art. 145, emportait avec lui une présomption de dol, tandis que le faux intellectuel devait être prouvé par d'autres circonstances, par d'autres faits que le fait même de l'altération.

« Il peut arriver à tout homme de mal comprendre ce qu'un autre homme lui impose, de mal rédiger sa pensée, d'omettre en écrivant une circonstance importante, et cela sans nulle intention criminelle, qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas, d'ailleurs, un reproche de négligence à lui faire; il faudra donc une preuve, une démonstration ultérieure de culpabilité de l'agent. C'est ce que la loi indique par le mot frauduleusement, introduit dans l'art. 146,

[4] Statut du 23 juill. 1830; summary of the crim. law, p. 203; state of New-Yorck, § 22; Cod. of some state of Louisiane, art. 287.

et omis dans l'art. 145. Personne n'imagine que le législateur ait voulu dire que dans le cas de l'art. 146, pour qu'il y ait faux, il doit y avoir eu intention, et que dans celui de l'article 145, il peut y avoir faux sans intention, Le législateur a voulu donner lui-même, par les expressions de l'art. 146, une garantie aux fonctionnaires, en les mettant dans ce cas à l'abri de la poursuite, toutes les fois que l'accusation ne pourra établir leur culpabilité par d'autres moyens que la simple preuve du faux matériel [1]. »

Nous pensons que tel est en effet le sens du mot frauduleusement dans l'art. 146; mais la conséquence qu'on en déduit à l'égard de l'article 145 nous paraît tout-à-fait inexacte. La différence qui se fait remarquer entre ces deux articles est plus apparente que réelle. Elle naft de ce que, dans l'art. 146, le législateur a analysé les éléments du faux intellectuel, et que dès lors il a dù mentionner la fraude qui est l'un de ces éléments, tandis que dans l'art. 145 il s'est borné à punir tout fonctionnaire qui aura commis un faux par telle ou telle manière, sans analyser les circonstances constitutives de ce faux. Mais comment, dans l'un et dans l'autre cas, la valeur de ces éléments serait-elle différente? Par quel motif la fraude serait-elle présumée de droit, lorsqu'un huissier, par exemple, aura fait l'addition après coup, dans un exploit, d'un mot oublié, complétement indifférent, ou qu'un receveur aura inséré une énonciation de la même nature omise sur un registre clos? Dans ces hypothèses et dans une foule d'autres, le dol ne résulte point de la chose même, non se habet in rem ipsam, il n'est point nécessairement lié au fait matériel de l'altération. Il ne suffit donc pas de savoir qu'un fonctionnaire a commis volontairement un faux pour le constituer en prévention de crime; il faut rechercher, par des circonstances particulières, s'il a commis ce faux dans une pensée de fraude [2].

Nous avons dit que l'intention frauduleuse, nécessaire pour l'existence du crime de faux, était en général l'intention de nuire à autrui: telle est la règle fondamentale de la matière. Mais cette expression ne doit pas être entendue dans un sens trop restreint on peut nuire à

[1] Traité de droit pén. t. 2, p. 243.

[2] La Cour de cassation qui, sous l'empire de la loi du 23 floréal an x, jugeait dans un sens contraire, n'a pas continué depuis cette jurisprudence.

autrui, non-seulement en portant atteinte à la fortune, mais à l'honneur et à la réputation; non-seulement en attaquant des intérêts privés, mais en froissant les intérêts généraux de la société. Ces principes vont être développés par l'application.

Le premier point est que l'altération de la vérité, même volontaire, ne peut former un faux punissable quand elle a été faite sans intention de nuire. Cette proposition a été consacrée par un grand nombre d'arrêts dont les espèces sont précieuses à recueillir.

Une pétition avait été couverte de fausses signatures; l'instruction constata que le prévenu avait signé pour les pétitionnaires, et de leur consentement, à l'exception de deux signatures qu'il avait apposées à l'insu des personnes, mais sans intention de nuire. La Cour de cassation a déclaré : « que le crime de faux ne peut exister là où il ne se rencontre aucune idée ni intention de porter aucun dommage à autrui [3]. »

Dans une deuxième espèce analogue à la première, un médecin avait signé une consultation du nom d'un confrère. Mais celui-ci, qui avait vu le malade avec le premier, avouait la consultation; il était dès lors évident que dans le fait de cette signature il ne pouvait y avoir aucun dessein de nuire, et par conséquent aucun faux punissable. C'est aussi dans ce sens que la Cour de cassation a apprécié ce fait [4].

Il en serait de même de la fabrication d'une fausse obligation, et, par exemple, d'une donation en l'absence du donateur, lorsqu'il est reconnu en même temps que l'agent n'a eu aucune intention d'en consommer l'acte par l'apposition d'une fausse signature [5]. En effet, dès que cette fabrication matérielle n'est animée par aucune intention de nuire, le crime disparaît; il ne reste plus qu'une supposition inoffensive et que la loi pénale ne peut atteindre.

Il faut bien comprendre que la consommation même du faux, faite sciemment et volontairement, ne suffit pas pour constituer le crime : cette distinction est posée par un arrêt de la Cour de cassation, qui dispose : « que le faux prévu et déclaré punissable par l'art. 147 suppose un faux commis dans un dessein et dans un but criminels; que dans l'espèce où le prévenu

[3] Arr. cass. 16 mars 1806 (Merlin, Rép. vo Faux, 1re sect. p. 15).

[4] Arr. cass. 15 flor. an x11; Dalloz, t. 15, p. 444. [5] Arr. cass. 14 août 1817; Dalloz, t. 15, p. 429; S. 1818, 1, 111.

avait été poursuivi comme auteur d'un faux commis sur des passavants délivrés dans un bu reau de douane, la criminalité de ce fait avait été attachée par l'acte d'accusation à l'intention de soustraire par ce moyen à des droits de douane une plus grande quantité de marchandises que celles énoncées dans les passavants; que si le jury a déclaré le prévenu coupable d'avoir falsifié lesdits passavants, c'est-à-dire d'être l'auteur du fait matériel de la falsification, il a formellement reconnu et déclaré que le faux n'avait point été commis dans l'objet de soustraire aux droits de douane les marchandises dont il s'agit; qu'ayant ainsi écarté la circonstance qui pouvait donner au fait un caractère criminel, la peine portée par l'art. 147 contre le crime de faux ne pouvait être prononcée [1]. » Il était impossible de tracer avec plus de précision la ligne qui sépare la perpétration volontaire du faux et l'intention de nuire qui seule le rend criminel.

Nous citerons encore un arrêt qui fortifie de plus en plus cette distinction. Un préposé d'un droit de passe avait émis dans un procès-verbal destiné à constater une contravention, des énonciations inexactes, mais qui n'aggravaient point la position du contrevenant mis en accusation pour crime de faux. La Cour de cassation a cassé l'arrêt : « Attendu qu'il ne peut y avoir lieu à la procédure en faux contre un procèsverbal des préposés, que dans le cas où les fausses énonciations reprochées au rédacteur du procès-verbal seraient criminelles, et auraient eu pour objet d'établir une contravention qui n'aurait pas existé [2]. » Et en effet, si la fausse énonciation insérée dans un procès-verbal n'a pas pour but de fabriquer des circonstances à la charge du contrevenant, elle ne peut nuire d'aucune façon, et dès lors ne peut devenir un élément de crime.

Ce premier point établi, il faut distinguer les différentes nuances que l'intention de nuire peut réfléchir, les caractères divers qu'elle peut prendre successivement.

En général, le faux est un moyen de consommer un vol; son but le plus ordinaire est donc de nuire à la fortune d'autrui. C'est de cette considération qu'est né l'art. 164 du Code pénal, qui prononce contre les faussaires une amende qui peut être portée jusqu'au quart du bénéfice illégitime que le faux est destiné à procurer aux auteurs ou complices

[1] Arr. cass. 25 nov. 1819; Dalloz, t. 15, p. 431. [2] Arr. cass. 20 févr 1806; Dalloz, t. 15, p. 482.

du faux. Mais cet article est-il restrictif? Fautil en déduire, comme une conséquence impérieuse, qu'il n'y a pas faux, dans le sens de la loi, quand l'altération criminelle n'est pas destinée à procurer un bénéfice pécuniaire à son auteur? Nous ne l'avons pas pensé.

L'article 164 a puisé sa source dans cette observation de M. Target, qui l'avait lui-même empruntée à Bentham : « que les délits qui ont pour principe une vile cupidité doivent être réprimés par des condamnations qui attaquent et affligent la passion même par laquelle ils ont été inspirés. » Mais si le Code n'a pas restreint, comme il aurait dû le faire, à la classe des faux qui sont enfantés par la cupidité, l'application d'une peine pécuniaire, on ne saurait en conclure que tous les faux qui prennent leur source dans un autre principe, tel que la vengeance ou le désir de se soustraire à une charge publique, doivent demeurer impunis. Une conséquence aussi large ne saurait jaillir d'un texte aussi peu explicite : l'obscurité de la loi naît de ce qu'elle a été rédigée en vue des cas de faux les plus saillants; mais tout ce qu'on pourrait logiquement en induire, c'est que l'art. 164 et l'amende qu'il prononce ne peuvent être appliqués qu'aux faux de cette classe.

Si une interprétation contraire était admise, il faudrait rigoureusement rejeter de la classe des faux toute altération qui n'aurait pas pour but exclusif de procurer un bénéfice illicite à son auteur; or il est impossible d'admettre une telle conséquence, évidemment contraire à l'esprit de la loi. Le faussaire qui fabrique une autorisation de médecin pour se procurer chez un pharmacien l'arsenic qu'il destine à un empoisonnement, a assurément l'intention de nuire susceptible de devenir l'élément du crime. Le bénéfice que le faux doit lui procurer est la satisfaction de sa vengeance, de sa haine, de ses passions. Ne reconnaître le caractère de faux qu'aux actes qui doivent procurer un bénéfice pécuniaire, c'est prendre une classe de faux parmi les faux, c'est distinguer tandis que les dispositions de la loi pénale sont générales et s'étendent aux faux de toute nature.

Nous admettons donc avec la Cour de cassation que l'altération de la vérité peut constituer le crime de faux, quand elle a pour but de nuire, non pas seulement à la fortune, mais à l'honneur, à la réputation d'autrui. Et en effet, suivant les termes mêmes d'un arrêt [3] : « les

[3] Arr cass. 26 juill. 1832; S. 1833, 1, 318.

articles 145 et 150 mettent au rang des crimes qui doivent être punis de peines afflictives et infamantes, les faux en écritures privées qui ont été commis dans un dessein criminel, soit par contrefaçon d'écritures ou de signatures, soit par fabrication ou altération de conventions et dispositions; qu'il y a dessein criminel dans tout faux qui a pour objet de nuire à l'intérêt public ou à l'intérêt particulier; que l'intérêt particulier se compose, non-seulement des moyens d'aisance ou de fortune, mais aussi de la réputation et de l'honneur. >>

Le faux est donc punissable, lors même qu'il n'a d'autre but que de calomnier. Toutefois, il est nécessaire de discerner avec soin les éléments du faux et ceux du délit de calomnie ou de diffamation: alléguer, publier de fausses imputations, ce n'est pas commettre un crime de faux, et la loi ne punit ce délit, quels que soient ses résultats, que d'une peine correctionnelle [1]. Mais si la calomnie prend l'appui du faux, si l'imputation diffamatoire s'étaie d'un faux certificat, d'une pièce fabriquée pour la soutenir, ce fait accessoire devient le crime principal, et les peines du faux lui sont applicables.

Ainsi le fait d'avoir publié une lettre fausse dirigée contre un tiers dans le dessein de nuire à sa réputation, constitue le crime de faux [2]. Ainsi l'apposition de fausses signatures au pied d'une pétition qui a pour objet de faire destituer un fonctionnaire, a le même caractère [3]. Une conséquence plus générale du même principe, est que l'intention de nuire est indépendante du profit personnel que le faux peut pro. curer à son auteur. On conçoit, en effet, que ce profit soit nul et que cependant l'intention de nuire puisse agir avec toute son énergie. La Cour de cassation a décidé en conséquence : « qu'il n'est pas nécessaire, pour que le crime de faux soit constaté, qu'il ait été commis dans l'intention d'en profiter personnellement ; qu'il suffit que le faux ait été commis dans l'intention de nuire à autrui [4]. » Ainsi, lorsque la falsification a été commise pour servir un tiers, même étranger au crime, lorsque son seul but a même été une vaine pensée de méchanceté dénuée de tout intérêt apparent, le crime n'en subsiste pas moins dès que l'altération est

constatée, que l'intention de nuire l'a dictée, et que le préjudice est possible.

Il suit encore de ce qui précède que l'intention de nuire est un élément du crime, nonseulement quand elle porte atteinte à des intérêts privés, mais encore quand elle s'attaque à des intérêts publics. Ainsi il n'est pas douteux que les dispositions du Code relatives aux faux s'appliqueraient au faux commis en écritures pour soustraire un jeune soldat à la loi du recrutement ou aux recherches de la gendarmerie [5]. On peut d'ailleurs ajouter que tout faux qui a pour objet de soustraire une personne à une loi d'ordre public, de la libérer d'une obligation que cette loi lui imposait personnellement, a pour résultat de faire remplir cette obligation par un autre citoyen et par conséquent de nuire à autrui [6]; que tout faux qui a pour objet de faire jouir un citoyen d'un droit qui ne lui appartient pas, lèse la société tout entière.

Ces principes ne sont pas exempts de quelques difficultés quand ils s'appliquent aux altérations commises par des officiers publics dans l'exercice de leurs fonctions. La règle générale est nécessairement la même. Ainsi, soit que l'altération ait été commise par un fonctionnaire ou par un citoyen, le crime ne subsiste que lorsqu'il y a intenţion de nuire. Mais il est plus difficile de caractériser l'espèce de fraude qui peut constituer cette intention de la part du fonctionnaire, et de préciser les éléments divers par lesquels elle se révèle.

La Cour de cassation reconnaît en principe que le fonctionnaire qui altère dans un acte des circonstances accidentelles, et même dans certains cas, des faits substantiels à l'acte, ne commet point un faux punissable, s'il n'est animé d'aucune intention criminelle. C'est ainsi qu'elle a successivement décidé que le notaire qui a intercalé une fausse date dans un acte, dans le seul but de retarder le paiement des droits d'enregistrement [7]; que le même officier qui inscrit dans un acte la mention que cet acte a été reçu dans son étude, tandis qu'il l'a été au domicile de la partie [8]; enfin que cet officier, en attestant avoir dressé un inventaire ou reçu des actes qui ont été passés en son ab

[1] Art. 367 et suiv du C. P. modifiés et abrogés par les lois des 17 mai 1819 et 25 mars 1822. [2] Arr. cass. 12 nov. 1819; Dalloz, t. 15, p. 454. [3] Arr. cass, 3 août 1810; Dalloz, t. 15, p. 150. [4] Arr. cass. 6 avr. 1809; Dalloz, t. 15, p. 440;

S. 1809, 429.

[5] Arr. cass. 8 août 1806; Dalloz, t. 15, p. 401. [6] Arr. cass. 24 mars 1806; Dalloz, t. 15, p. 400. [7] Arr. cass. 24 prair. an xш; Dalloz, t. 15, p. 397. [8] Arr cass. 29 déc. 1808; Dalloz, t. 15, p. 411.

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