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ble aux rebelles saisis hors du lieu de la réunion et qui ont résisté à la force publique, est celle de la rébellion envers la force publique. Mais l'interprétation devient beaucoup plus difficile, si cet individu a été pris hors du lieu de la réunion, sans opposer nulle résistance, et seule ment les armes à la main.

Car, si d'une part le port d'armes est une condition qui doit le priver de l'application de l'art. 100, d'une autre part les peines des art. 97 et 98 lui sont, comme on l'a dit, inapplicables; et le port d'armes, isolé de toute autre circonstance, ne constitue en lui-même aucun délit. La conséquence de l'application littérale de l'article 100 serait donc que le rebelle pris les armes à la main, hors du lieu de la réunion et sans résistance, serait traité plus favorablement que celui qui serait saisi sans armes, puisqu'on ne pourrait même lui appliquer la peine de la surveillance. Pour concilier ces diverses disposi tions, il faut tenir que, par ces mots sans opposer de résistance et sans armes, la loi n'a voulu parler que des armes employées à faire résistance: celui qui n'a pas fait usage de ces armes doit, comme s'il était désarmé, profiter du privilége établi par cet article.

Il est nécessaire, au reste, que le jury constate chacune des circonstances prévues par l'article 100, à savoir, que l'accusé n'a exercé dans la bande ni commandement ni emploi, qu'il s'est retiré soit au premier avis de l'autorité, soit depuis; enfin, qu'il a été pris hors du lieu de la réunion, sans résistance et sans armes [1]. Chacune de ces circonstances doit donc faire l'objet d'une question distincte. Toutefois la Cour de cassation a jugé, dans une espèce particulière, que le jury n'avait pas dû être interrogé sur le fait de savoir si l'accusé avait été saisi sur le lieu de la réunion séditieuse, parce qu'il était authentiquement constaté au procès qu'il avait été arrêté, sans armes ni résistance, dans la commune du lieu de son domicile, hors de toute réunion séditieuse [2].

La discussion de la loi du 24 mai 1834 a soulevé la question de savoir si l'art. 100 et l'art. 213, qui en a reproduit les termes, seraient applicables aux individus qui auraient porté des armes dans un mouvement insurrectionnel et qui se seraient retirés à la première sommation de l'autorité. On a dit, pour la négative, que cette dispense de la peine ne pourrait s'appliquer sans péril dans le système de cette loi; qu'il est

[1] Arr. cass. 30 août 1832 (Sirey 1833. 1. 252.)

nécessaire d'établir que le seul fait de se rendre en armes dans un mouvement insurrectionnel est un crime; que le fait prévu par l'art. 5 de la loi a ses conditions propres et caractéristiques de la criminalité; que les individus qui, après avoir appuyé la sédition de leur présence et de leurs armes, se retirent, ne sont pas moins coupables que ceux qui ont été arrêté avant leur défaite ou leur fuite; que la culpabilité ne dépend pas du temps où le criminel a été arrêté ; que la retraite prompte et volontaire peut être un moyen de défense, mais non un motif d'amnistie. A ces objections il a été répondu qu'il y a un intérêt politique à ce que les rassemblemens se dispersent d'eux-mêmes; que le seul moyen d'opérer cette dissolution est de donner une preuve d'indulgence à ceux qui ne persistent pas dans le crime; qu'il ne s'agit que des seuls individus auxquels on reproche le fait préparatoire d'avoir fait partie d'un attroupement; que s'ils ont fait usage de leurs armes, c'est un crime personnel dont ils demeurent responsables; enfin, que la culpabilité n'est pas la même si les personnes qui faisaient partie de l'attroupement se sont dispersées à la voix de l'autorité qui les avertissait de leur erreur, ou si, malgré cet avertissement, elles ont persisté dans la sédition. Un membre, formulant ce système, proposa d'ajouter à l'art. 5 de la loi du 24 mai 1834 un amendement ainsi conçu: «Il n'est point dérogé par les dispositions ci-dessus aux articles 100 et 213 du Code pénal. » Mais on objecta qu'il n'y a aucune nécessité d'indiquer dans une loi les dispositions auxquelles on ne déroge pas [3]. La solution fut donc abandonnée à la jurisprudence. Toutefois M. Siméon, en rappelant à la Chambre des Pairs la discussion de la Chambre des Députés, a dit : « Que l'on soit arrêté sur le lieu de l'insurrection ou après, on sera susceptible d'accusation si l'on était en armes; mais si l'on se retire sur la première sommation, on pourra invoquer la disposition du Code pénal qui exempte de la peine. Si l'on ne s'est retiré que depuis, le jury décidera, d'après les défenses et les débats, si la retraite, quoique tardive, a été l'effet d'une bonne intention, ou seulement la suite d'une défaite, d'obstacles indépendans de la volonté. » Ainsi M. Siméon regardait l'application des art. 100 et 213 au cas prévu par la loi du 24 mai 1834, comme parfaitement conciliable avec le texte

[2] Arr. cass. 9 février 1832 (Sirey 1832. 1. 141.)

[3] Moniteur du 16 mai 1834, 1er suppl.

de cette loi. Nous pensons aussi que tel est le bandes armées, le législateur a dû déterminer vrai sens de la loi. En effet, les art. 100 et 213 quels objets seraient considérés comme des arsont l'expression d'un principe général qui do- mes, et il a saisi cette occasion de poser une mine cette matière ; il suffit donc que la loi du règle générale qui s'applique à tous les crimes 24 mai 1834 n'y ait point dérogé pour que de commis avec des armes, et qui par conséquent plein droit ils doivent recevoir leur application, domine tout le Code. Nous ne nous écarterons dès que les cas pour lesquels ils ont été créés se point ici de ce plan, et nous allons examiner, dans représentent. Ainsi nous pensons que l'accusé ce paragraphe, quelle est, d'après la loi et la du crime prévu par l'art. 5 de cette loi peut jurisprudence, la signification du mot armes. réclamer la position d'une question d'excuse Tous les législateurs ont considéré l'usage ou dans les termes des art. 100 et 213, pouvu toute-même la simple possession d'une arme comme fois que les diverses conditions énumérées par une circonstance aggravante de certains délits. ces articles coexistent et soient établies.

Il nous reste l'examen de l'art. 99 qui porte: « Ceux qui, connaissant le but et le caractère desdites bandes, leur auront, sans contrainte, fourni des logemens, lieux de retraite ou de réunion, seront condamnés à la peine des travaux forcés à temps. » Cet article, qui doit être conféré avec les art. 61 et 268 du Code, prévoit, comme eux, un cas de complicité par recélé; il faut même, pour son application, que cette complicité soit complètement établie, car l'une des conditions de la peine est que les recéleurs aient connu le but et le caractère de la bande. De là il suit que, dans l'esprit de l'article, quoiqu'il garde le silence à cet égard, il est nécessaire que les lieux de retraite ou de réunion aient été fournis habituellement; car le fait d'avoir reçu l'association une seule fois n'indiquerait point une complicité suffisante, et la peine des travaux forcés serait excessive pour un tel délit. Une deuxième conséquence est que cette peine ne semble point en harmonie avec le crime auquel elle est appliquée ; en effet, dès qu'il s'agit d'un acte de complicité du crime prévu par les art. 96, 97 et 98, il s'agit d'un crime politique, et dès lors la peine devrait être la détention. Il est à remarquer que le projet de l'art. 99 portait : « Ceux qui auront obéi à ces bandes ou à partie de ces bandes. » La suppression de ces derniers mots doit-elle faire penser que le crime n'existe qu'autant que le logement a été fourni à la bande entière? Ce qui nous porterait à adopter l'affirmative, c'est que le recélé d'une bande organisée fait plutôt présumer dans le recéleur la connaissance du but et du caractère de ces bandes. Cependant, si cette connaissance est établie par d'autres circonstances, nous ne pensons pas que l'absence ou le défaut de quelques membres de l'association put faire obstacle à l'application de la peine.

§ III.

Après avoir défini les crimes commis par des

On trouve, en effet, dans cette possession ou cet usage l'indice d'une intention plus coupable qui confère à l'action un caractère plus grave. Dans la plupart des cas, cette circonstance a eu pour résultat l'aggravation de la peine; dans quelques hypothèses spéciales, elle a suffi pour entraîner l'accusé devant une juridiction extraordinaire. C'est ainsi que l'art. 9 de la loi du 18 pluviôse an Ix attribuait à des tribunaux spéciaux la connaissance des vols commis dans les campagnes, lorsqu'ils l'avaient été avec port d'armes; et que la loi du 13 floréal an xr plaçait dans les attributions des cours spéciales les délits de contrebande commis avec attroupement et port d'armes. Dans l'état actuel de la législation, le port d'armes peut encore modifier le caractère du fait, en imprimant à un délit correctionnel le caractère de crime; mais cette circonstance n'a en général d'autre effet que de faire aggra. ver la quotité de la peine. Il n'est pas moins important de préciser les objets que la loi répute des armes.

Les fragmens du Digeste renferment plusieurs définitions qui se confondent peut-être au fond, mais qui diffèrent essentiellement dans l'expression. Ainsi, d'abord, on trouve cette énumération: Arma sunt omnia tela, hoc est, et fustes et lapides; non solum gladii, hasta, frameæ, id est, romphea [1]. On lit encore dans un autre fragment: Armorum appellatio non utique scuta et gladios et galeas significat, sed et fustes et lapides [2]. Mais Caïus a formulé cette définition dans un principe plus précis : Teli appellatione et ferrum et fustis et lapis et denique omne quod nocendi causâ habetur, significatur [3]. Il suit de ces termes que l'arme puise son caractère non pas tant dans la

[1] L. 3, § 2, Dig. de vi et vi armatá.' [2] L. 41, Dig. de verb. significatione. [3] L. 54, 2, Dig. de furtis.

matière qui la forme, que dans l'usage auquel elle est destinée; tout ce qui peut nuire, omne quod nocendi causâ habetur, tous les objets avec lesquels on peut tuer ou blesser peuvent devenir des armes. Cette définition, plus géné rale dans les termes, est cependant plus restrictive que les premières, par le but moral qu'elle exige dans la possession d'un objet, pour que cet objet soit réputé une arme.

L'ancienne législation n'a défini ce qu'elle entendait par des armes, que pour en interdire le port [1]: les armes défendues étaient les armes à feu, les dagues, épées, poignards et bâtons ferrés, balles de plomb au bout d'une courroie; mais les simples bâtons, les cannes et les pierres n'étaient pas compris et ne pouvaient l'être sous ce nom. Le Code pénal de 1791 n'avait donné aucune explication; mais les lois du 13 floréal an xi et du 19 pluviôse an XIII renfermaient une disposition identique ainsi conçue: « Le délit sera réputé commis avec armes, lorsqu'il aura été fait avec fusils, pistolets et autres armes à feu, sabres, épées, poignards, massue, et généralement avec tous instrumens tranchans, perçans ou contondans. Ne seront pas réputés armes, les cannes ordinaires sans dard ni ferrement, ni les couteaux fermans et servant habituellement aux usages ordinaires de la vie. » L'art. 101 du C. P. s'est éloigné de cette disposition, d'abord en ce que, dans son 1er S, il donne au mot armes un sens plus étendu; ensuite en ce qu'il range dans la catégorie des armes les couteaux de poche et les cannes simples, lors qu'il en a été fait usage. En voici le texte : « Sont compris dans le mot armes, toutes machines, tous instrumens ou ustensiles tranchans, perçans ou contondans. Les couteaux et ciseaux de poche, les cannes simples, ne seront réputés armes qu'autant qu'il en aura été fait usage pour tuer, blesser ou frapper. »>

La commission du Corps législatif avait proposé de simplifier cette disposition. « Comme les termes en sont généraux, porte son rapport, qu'on n'y trouve pas les armes à feu ou à vent, que le mot machines peut donner lieu à des interprétations arbitraires, la commission croit que le 1er § ne serait pas nécessaire, et qu'il suffirait de s'en tenir au second. » Mais le Conseil d'état pensa qu'en substituant les mots sont

compris aux mots sont désignés, que portait le projet, on remédierait à l'inconvénient signalé par la commission: cette modification fit conserver le premier paragraphe.

Avant d'examiner les difficultés que l'interprétation de l'art. 101 a fait naître, il est important de poser une règle générale : c'est que cet article ne fait qu'établir une présomption légale que la preuve contraire peut toujours combattre. En saisissant dans la main des coupables, des machines, des instruments propres à exécuter leur dessein, la loi suppose qu'ils avaient l'intention de les employer à l'exécution et elle les frappe en conséquence d'une peine plus grave. Mais cette présomption doit céder dès que le prévenu donne à la possession de l'instrument une cause légitime. Ainsi, lorsqu'il est prouvé que cet instrument se trouve accidentellement entre ses mains, et qu'il ne l'a pas pris en vue du délit, sa possession cesse d'être une circonstance aggravante du crime, alors même que la loi comprendrait cet instrument parmi les armes. Tel serait un chasseur qui, dans un accès instantané de colère ou de jalousie, aurait dirigé son arme sur la victime; tel serait encore un ouvrier qui, portant entre les mains les ustensiles de sa profession, se serait accidentellement mêlé à un mouvement insurrectionnel. «< Il serait absurde, dit un criminaliste, de prétendre qu'un cordonnier serait un homme armé parce qu'il se trouverait porteur de son tranchet, qu'un tonnelier le serait parce qu'il aurait sa doloire sur l'épaule, et un coupeur de bois, parce qu'il aurait sa cognée à la main [2]. » Ce qu'il faut discerner, c'est si le prévenu s'est muni de l'instrument avec le dessein de s'en servir à l'exécution du crime, no cendi causâ. Telle est aussi la distinction faite par les docteurs : « Secundum propriam et strictam armorum significationem, eorum appellatione non veniant nisi ea quæ principaliter et secundùm ordinationem naturæ nocere possunt, non autem ea quæ ad alium usum destinata sunt [3]. » Et en effet ici comme dans toutes les questions criminelles, on doit discuter le fait matériel et l'intention; la possession d'un instrument que la loi classe parmi les armes, et l'intention qui a mis cet instrument dans les mains du coupable. Cette dis

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[1] Ord. de 1487; déc. du 9 mai 1539, art. 1 et 4. du 5 août 1560; éd. du 20 oct. 1561, art. 3; décl. du 16 août 1563, du 4 déc. 1679; ord. du 9 sept. 1700, et du 2 juill. 1716.

CHAUVEAU. T. II.

[2] Carnot, Comm. t. 1, p. 281.

[3] Farinacius, quæst. 108, no 88; Julius Clarus quæst. 82, in stat. 6, no 4.

2.

tinction est importante dans le cas même où il en aurait fait usage, puisqu'elle servirait à établir s'il y a eu préméditation.

L'art. 101 distingue deux espèces d'armes les unes dont la seule possession, concomitante avec le délit, peut former une circonstance aggravante de ce délit; les autres qui ne constituent cette aggravation qu'autant que l'auteur du délit s'en est servi pour tuer, blesser ou frapper. La raison de cette distinction est évidente. Les armes de la première espèce ne sont pas d'un usage ordinaire dans les habitudes de la vie, et dès lors le fait seul de s'en trouver muni semble révéler dans l'auteur du crime la préméditation de s'en servir. Celui qui est arrêté au sein d'une rébellion avec un fusil, un sabre, un pistolet, est présumé avoir pris ces armes pour en faire usage dans la rébellion. Les armes de la seconde espèce, les couteaux, les ciseaux, les cannes simples, ne sont point au contraire, à proprement parler, des armes; ce sont des ustensiles d'un usage journalier. Le rebelle, le voleur lui-même, peut en être muni sans que cette possession révèle la pensée de s'en servir dans la perpétration du délit ; c'est l'usage seul qui peut prouver cette pensée.

Deux questions se sont élevées sur l'application du mot armes : il s'agissait d'y comprendre et les bâtons et les pierres.

La première difficulté s'est soulevée sous l'empire de la loi du 13 floréal an xr, qui, ainsi qu'on l'a vu, exceptait de cette application les cannes ordinaires sans dards ni ferrements. La Cour de cassation a jugé, 1o par arrêt du 15 floréal an XII, « qu'un bâton à massue (terminé par un noeud durci au feu) n'est pas une canne ordinaire, qui fait seule exception dans la loi à la prohibition générale de tous instruments contondants; » 2o par arrêt du 9 juin 1808, « que cette loi excepte à la vérité les cannes ordinaires sans dards ni ferrements, mais qu'il est néanmoins évident qu'on ne peut assimiler à des cannes ordinaires les bâtons dont les attroupements sont prévenus de s'être servis pour commettre des voies de fait. » La même Cour a encore jugé sous l'empire de la loi du 19 pluviose an XIII, qui n'avait fait que reproduire la définition de celle du 13 floréal an XI, 1o par arrêt du 13 août 1807, « que les bâtons entre les mains d'un attroupement séditieux forment des armes qui peuvent être meurtrières; que cette dénomination d'armes em

[1] Journ. du droit crim, 1832, p. 183.
[2] Rép. de jur. vo rébellion, § 3, no 16.

brasse toute espèce d'instruments propres à donner la mort; » 2o par arrêt du 7 octobre 1808, « qu'un énorme bâton étant une arme qui peut donner la mort, doit être réputé arme. » Enfin, et sous l'empire du Code pénal, la Cour de cassation a encore décidé, 1o par arrêt du 3 octobre 1817, « qu'un gros bâton étant un instrument contondant, doit être réputé arme par l'art. 101; » 2o par arrêt du 16 février 1832 [1], <«< que les bâtons sont des instruments contondants, et compris dès lors dans le mot armes par le même article. >>

Telle est la jurisprudence. Il faut, en premier lieu, reconnaître que les bâtons qui ne sont ni ferrés ni noueux rentrent évidemment dans la classe des cannes simples; il ne peut à cet égard s'élever aucune difficulté. Le bâton est pour l'habitant des campagnes ce que la canne est pour celui des villes, c'est une arme ordinaire, une arme de sûreté, et dont la possession ne peut entraîner aucune présomption défavorable: l'usage seul qu'on en fait peut devenir une circonstance aggravante du délit. La difficulté ne peut donc naître qu'en ce qui concerne les bâtons à massue ou à ferrement, et la Cour de cassation n'a pas posé assez nettement cette distinction. Or, dans ce cas même, on ne doit pas perdre de vue que ces bâtons sont très-fréquemment des ustensiles ordinaires, soit pour la sûreté, soit pour l'appui des voyageurs. Leur seule possession ne doit pas toujours entraîner une présomption défavorable; cependant on ne peut nier que, lorsque les bâtons sont ainsi armés de manière à les rendre impropres à un service journalier, il serait difficile de les soustraire à l'application des termes généraux du

1er de l'art. 101.

Cette interprétation a été plus controversée en ce qui concerne les pierres. Plusieurs tribunaux correctionnels, et les Cours royales de Toulouse et de Montpellier, ont déclaré que les pierres n'étaient pas des armes dans le sens de l'art. 101 [2]. Mais la Cour de cassation s'est prononcée pour l'opinion contraire, et de nombreux arrêts attestent que sa jurisprudence est fixée [3]. Nous ne citerons que le dernier de ces arrêts qui pose, comme les autres, en principe: « que les pierres sont au nombre des instruments, machines ou ustensiles perçants, tranchants ou contondants que l'art. 101 comprend au nombre des armes ; que leur jet contre la force armée constitue la rébellion armée; et

[3] Arr. cass. 30 nov. 1810, 9 avr. 1812, 20 août 1812, 30 avr. 1824, et 20 oct. 1831. Dalloz. 3, 6.

que, dans ce cas, elles sont des armes d'autant plus dangereuses qu'elles atteignent de plus loin. >> Cette doctrine a été professée par M. Merlin : « Qu'est-ce qu'un instrument contondant? disait ce magistrat dans le réquisitoire qui précéda l'arrêt du 20 août 1812. C'est, suivant le dictionnaire de l'Académie, au mot contondant, un instrument qui perce sans blesser ni couper, mais en faisant des contusions, tout aussi bien qu'une massue, tout aussi bien qu'un bâton, mis au nombre des instruments contondants. » Les lois romaines que nous avons rapportées plus haut viennent à l'appui de cette opinion.

Cependant elle n'a point entraîné M. Carnot. Ce criminaliste s'exprime ainsi : « La Cour de cassation a souvent jugé que des pierres qui ont été lancées sont des armes ; et en le jugeant ainsi, elle a plutôt consulté l'esprit de la loi que sa lettre : car des pierres ne sont ni des armes proprement dites, ni des machines, ni des instrumens, ni des ustensiles, et ce n'est que des armes, des instruments, des ustensiles et des machines que parle l'art. 101. Mais lorsque la lettre de la loi est claire et précise, peut-il être permis de consulter son esprit pour en étendre la disposition, en raisonnant par analogie? Cela ne conduirait-il pas à l'arbitraire? Lorsque la loi n'a pas eu assez de prévoyance, les lacunes qui s'y font remarquer peuvent être facilement remplies, tandis qu'en autorisant les tribunaux à juger d'après son esprit présumé, c'est les mettre à la place du législateur [1]. »

Nous ne partageons ni l'une ni l'autre de ces deux opinions. D'une part, il nous paraît bien difficile de ranger les pierres parmi les instruments contondants; il eût fallu que le Code s'expliquât plus clairement; la loi romaine désignait textuellement les pierres parmi les armes; le législateur avait cette loi sous les yeux et ne l'a pas imitée. D'un autre côté, il est également difficile d'admettre que des pierres lancées contre la force publique ne soient pas un acte de rébellion armée. A nos yeux, ce n'est pas dans le 1er § de l'art. 101, mais bien dans le deuxième, qu'il faut chercher la solution de la question: ce paragraphe est purement démonstratif; s'il n'a parlé que des ciseaux, des couteaux de poche et des cannes simples, il est évident qu'on ne pourrait l'empêcher de ranger dans la même catégorie les canifs, poinçons et

[1] Comment. du C. P. t. 1, p. 281. [2] Quæst. 108, no 88.

[3] Arr. cass. 30 avr. 1824. Dalloz. 3. 6.

outils: ces ustensiles prendraient leur qualité d'armes dans l'usage qu'on en aurait fait. Il en doit être de même des pierres. Le jet de ces pierres révèle seul l'intention de l'agent; c'est un acte qui leur imprime la qualité d'armes. Jusque-là elles ne pourraient, sans une extension manifeste du vœu de la loi, recevoir cette dénomination. Telle était aussi la décision de Farinacius : « Armorum appellatione veniunt lapides et fustes, post percussionem cum ipsis factam, non autem ante [2]. »

Nous ne pouvons donc admettre, avec la Cour de cassation [3], que des pierres doivent être réputées armes, alors même que le prévenu qui en était saisi n'en a fait aucun usage. Car elles different des armes proprement dites, en ce que le prévenu qui a pris soin de se munir de celles-ci peut être présumé avec raison avoir nourri la pensée de s'en servir, tandis que c'est une idée accidentelle, une idée subite et non préméditée qui lui met à la main son couteau de poche, des ciseaux, des pierres. Or, le seul fait de se saisir d'un objet que le hasard lui présente ne peut entraîner aucune présomption fondée de criminalité, il faut qu'il ait rendu cette intention manifeste en s'en servant. C'est d'après cette même règle que, dans une autre espèce, la Cour de cassation a jugé que les couteaux de poche ne sont réputés armes et ne forment une circonstance aggravante que lorsqu'il en a été fait usage pour tuer, blesser ou frapper, et non quand il n'en a été fait usage que pour menacer ou effrayer, sans intention de frapper [4].

D'après les termes du deuxième paragraphe de l'art. 101, il ne suffit même pas que le prévenu se soit servi de son arme accidentelle, il faut qu'il en ait fait usage pour tuer, blesser ou frapper. Ainsi la loi a pris soin de définir jusqu'au mode de l'usage qui peut transformer accidentellement un objet en arme. Cependant la Cour de cassation n'a pas hésité de décider qu'il suffit qu'il soit déclaré que le prévenu s'est servi d'une canne simple, pour que la circonstance aggravante du port d'armes vienne compliquer le délit. Une telle décision ne pourrait faire jurisprudence, car elle repose évidemment sur une équivoque. Le prévenu s'est servi de sa canne; mais n'est-ce que pour menacer? Dans ce cas, la canne n'est pas mise au rang des armes, il n'y a point d'aggravation du délit. A-t-il frappé, au contraire? Il n'y a plus d'in

[4] Arr. cass. 8 juill. 1813. Sirey, 1817. 1. 92. (Bourguignon, sur l'art. 101).

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