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certitude; il était armé, et cette circonstance aggrave son action.

Telle est la théorie de la loi sur cette matière. Une distinction simple et précise en écarte l'arbitraire; elle sépare et soumet à des règles distinctes les objets qui sont réellement des armes et ceux qui ne revêtent que passagèrement ce caractère. Nous avons dû nous attacher à formuler avec précision ces règles, attendu qu'elles s'appliquent à plusieurs parties du Code, et que nous pourrons les invoquer encore en nous occupant des crimes contre les personnes et des vols à main armée.

§ IV.

La loi française du 28 avril 1832 a aboli les articles 103, 104, 105, 106 et 107 du Code pénal, qui punissaient la non-révélation des crimes d'état. Le législateur a pensé avec raison qu'il devait abandonner à la conscience éclairée des citoyens l'accomplissement d'un devoir que l'intérêt public commande, et qu'une certaine répugnance accompagnera toujours; mais cette abrogation n'a pas dû s'étendre jusqu'à l'article 108, quoique cet article ne fasse en quelque sorte que consacrer le même principe que les articles qui le précédaient. En effet, là, les personnes qui avaient eu connaissance du crime et ne l'avaient pas révélé étaient punies à raison de leur silence; ici, les complices qui l'ont révélé sont récompensés et jouissent de l'impunité à raison de leur délation. Cependant ces deux hypothèses different essentiellement. La loi ne peut sans tyrannie incriminer la légitime ré pugnance qu'éprouve tout homme à se faire le délateur de pensées ou de paroles plus ou moins criminelles; mais elle peut, dans l'intérêt bien entendu de l'ordre social, faire briller l'espérance de l'impunité aux yeux du coupable qui préviendra le forfait ou en assurera la répression en dévoilant ses complices.

Cette question a été longtemps controversée, et la législation a hésité longtemps à offrir un encouragement à la délation. La voix de Beccaria vibrait dans les cœurs. « Ce publiciste ne >> voyait qu'opprobre pour la société à autoriser >> les saintes lois, garants sacrés de la confiance » publique, base respectable des mœurs, à pro» téger la perfidie, à légitimer la trahison [1]. » Diderot ne partageait pas cet avis. « Rien ne peut balancer, répondait-il au philosophe italien, l'avantage de jeter la défiance entre les

[1] Des délits et des peines, ch. 14.

a

scélérats, de les rendre suspects et redoutables l'un à l'autre, et de leur faire craindre sans cesse dans leurs complices autant d'accusateurs. La morale humaine, dont les lois sont la base, pour objet l'ordre public, et ne peut admettre au rang de ces vertus la fidélité des scélérats entre eux pour troubler l'ordre et violer les lois avec plus de sécurité [2]. » Ces raisons sont décisives, et toutefois on ne peut disconvenir qu'il faut un intérêt social puissant pour que la justice se détermine à provoquer une telle action et à en profiter pour diriger ses pas. Placez sur le banc des accusés plusieurs coupables; ils ont commis un attentat politique, un assassinat; tous sont également convaincus; mais les premiers sont frappés de la peine de mort, tandis que le dernier, quoique atteint d'un verdict de culpabilité, se prépare à rentrer dans la société. Pourquoi cette différence? Pourquoi cette protection pour cet assassin ? C'est qu'il est devenu délateur; c'est qu'il a livré les têtes de ses complices pour sauver la sienne. Sans doute la société peut avoir intérêt à un pareil marché; mais la morale n'en reçoit-elle aucune atteinte? Beccaria voulait que si la loi, malgré ses éloquentes réclamations, accordait l'impunité, cette impunité emportât du moins avec elle le bannissement du délateur. Cette opinion médiatrice concilierait peut-être l'intérêt de la justice avec celui de la morale : une peine inférieure et même légère promise au délateur entretiendrait les mêmes défiances parmi les complices, et produirait les mêmes effets; et du moins celui-là qui à la honte du crime a joint la lâcheté de la délation, ne recevrait pas immédiatement une liberté qu'il est loin de mériter, et offrirait une expiation à la société.

Arrivons au texte de l'art. 108 : « Seront exemptés des peines prononcées contre les auteurs de complots ou d'autres crimes attentatoires à la sûreté intérieure ou extérieure de l'État, ceux des coupables qui, avant toute exécution ou tentative de ces complots ou de ces crimes, et avant toute poursuite commencée, auront les premiers donné au gouvernement ou aux autorités administratives ou de police judiciaire connaissance de ces complots ou crimes et de leurs auteurs ou complices, ou qui, même depuis le commencement des poursuites, auront procuré l'arrestation desdits auteurs ou complices. Les coupables qui auront donné ces connaissances ou procuré ces arres

[2] Notes de Diderot sur le Traité des délits et des peines.

tations pourront néanmoins être condamnés à rester pour la vie ou à temps sous la surveillance de la haute police. »

Le révélateur jouit de l'exemption des peines dans deux cas bien distincts: d'abord si, avant tout commencement d'exécution du crime et avant toute poursuite commencée, il a le premier donné connaissance du crime; ensuite si, après l'exécution et depuis le commencement des pour suites, il a procuré l'arrestation des auteurs. [1]. L'accusé qui se trouverait déjà en état d'arrestation, même à raison d'un complot qu'aucun acte n'a suivi, ne pourrait donc en faisant des révélations invoquer le bénéfice de la première hypothèse; car, quelle que fùt l'importance de ces révélations, il ne serait pas le premier qui en aurait donné connaissance à l'autorité : c'est le fait d'avoir mis la justice sur la trace du crime, et non l'importance de la révélation, qui motive l'exemption. Cet accusé ne pourrait donc alors invoquer l'art. 108 que dans le seul cas où il aurait, non pas seulement indiqué ses complices, mais procuré leur arrestation. Du reste, il suffirait sans doute, pour affranchir le révélateur de toute peine, qu'il eût procuré l'arrestation de quelques-uns et même d'un seul de ses complices. On sent que, dans les dispositions de cette nature, la loi ne doit pas être entendue trop judaïquement.

L'article 108, de même que les art. 100 et 138, de même que toutes les circonstances qui se lient au fait de l'accusation et qui peuvent augmenter ou diminuer la peine, doit être considéré comme constituant une excuse légale. De là il suit qu'il n'appartient qu'au jury de prononcer sur les diverses circonstances qui peuvent amener l'exemption de la peine; de là

[1] Voy. arr. cass. 17 août 1820 (Bull. no 14).

il suit encore que l'accusé peut provoquer la position d'une question sur l'existence et le caractère de la révélation. Ce principe a été confirmé par un arrêt de la Cour de cassation, dans une espèce où la Cour d'assises, sans consulter le jury sur les faits de révélation allégués, avait elle-même exempté les accusés de la peine portée par la loi, en leur faisant l'application de l'art. 108. L'arrêt de cassation porte : « que toutes les circonstances qui se lient au fait de l'accusation et qui peuvent, d'après les dispositions de la loi, augmenter ou diminuer la peine, ou en faire prononcer la remise, doivent être soumises à la délibération du jury et par lui décidées; que lors donc que, dans les accusations de complot ou d'autres crimes attentatoires à la sûreté de l'Etat, les débats ou les défenses des accusés paraissent pouvoir amener l'application de l'article 108, il doit être posé une question particulière sur la circonstance déterminée dans cet article, et que ce n'est que d'après la réponse du jury à cette question que les Cours d'assises peuvent délibérer et prononcer sur l'exemption de la peine qui pourrait être encourue par la réponse affirmative de ce jury sur le fait principal [2]. »

Nous terminerons ce chapitre en faisant remarquer que la disposition de l'article 108 est spéciale et ne s'applique qu'aux crimes et attentats contre la sûreté de l'Etat; on ne peut donc l'invoquer que dans les accusations de cette nature. Mais, en même temps, elle est commune à tous les crimes qui rentrent dans cette catégorie, et par conséquent elle s'étend aussi bien aux crimes qui menacent la sûreté extérieure qu'à ceux qui peuvent compromettre la sûreté intérieure de l'Etat.

[2] Arr. 29 avr. 1819 (déc. 1819, 1re p., p. 313).

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CHAPITRE XIX.

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SUITE DES DÉLITS POLITIQUES. CRIMES ET DÉLITS CONTRE LA CHARTE. — DIVISION DU
CHAPITRE. -§ 1er. DES CRIMES ET DÉLITS RELATIFS A L'exercice des DROITS CIVIQUES. –
DEFINITION DE CES DROITS. CARACTÈRE DES ACTES DIRIGÉs contre leur exercice.
EMPÊCHEMENT PAR ATTROUPEMENTS, VIOLENCES OU MENACES.-PRÉMÉDITATION ET CONCERT
PRÉALABLE. — S'il faut, pour qu'IL Y AIT CRIME, QUE LE PLAN SOIT EXÉCUTÉ DANS DIVERS
LIEUX.-EXAMEN CRITIQUE DE L'INCRIMINATION LÉGALE. FALSIFICATION, SOUSTRACTION
OU ADDITION DE BULLETINS. — CARACTÈRE DU DÉLIT ET CIRCONSTANCES AGGRAVANTES.
LE FLAGRANT DÉLIT EST UNE CONDITION ESSENTIELLE. VENTE ET ACHAT DE SUFFRAGES.
CIRCONSTANCES CONSTITUTIVES DU DÉLIT. · OBSERVATIONS SUR LA MINIMITÉ DE LA PEINE.—
A QUELS DROITS CIVIQUES ET A QUELLES ÉLECTIONS S'ÉTEndent les art. 109, 110, 111, 112
ET 113.- II. ATTENTATS A LA LIBERTÉ. QUELS FONCTIONNAIRES PEUVENT ORDONNER
L'ARRESTATION.-Dans quel cas est-elle AUTORISÉE PAR LA LOI?—DANS QUEL CAS L'ARRES-
TATION EST RÉPUTÉE ARBITRAIRE. -RESPONSABILITÉ DES FONCTIONNAIRES.
PEINES.-DOMMAGES-INTÉRÊTS. REFUS DE DÉFÉRER A UNE RÉCLAMATION
TENDANTE A CONSTATER UNE DÉTENTION ILLÉGALE. ·DÉTENTION HORS DES LIEUX DÉTER,
MINÉS PAR L'ADMINISTRATION. - QUELLES PRISONS SONT RÉPUTÉES LÉGALES. POUR SUITES
CONTRE LES FONCTIONNAIRES OU AGENTS DU GOUVERNEMENT, SANS LES AUTORISATIONS
EXIGÉES PAR LA LOI. SI L'ARRESTATION DE CES AGENTS PEUT AVOIR LIEU En cas de
FLAGRANT délit. RESPONSABILIté des concierges et garDIENS DE PRISONS. PEINES
QU'ILS PEUVENT ENCOURIR.—§ III. COALITION DE FONCTIONNAIRES.
CONTRAIRES AUX LOIS. CIRCONSTANCES AGGRAVANTES DE CE DÉLIT. —§ IV. EMPIÉTEMENT
DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES.

DES MINISTRES.

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COMPLICITÉ

CONCERT DE MESURES

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AUTORITÉS. RÈGLES RELATIVES AU CONFLIT. EXCÈS DE Pouvoir. MENTAIRE DES ART. 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130 et 131 DU CODE PÉNAL.)

Les crimes et délits contre la Charte constitutionnelle forment, dans la division des actions punissables, une classe, indécise, et dont les limites ne sont pas assez tranchées. D'une part, en effet, les crimes qui sembleraient devoir par leur nature figurer dans cette classe ne s'y trouvent pas; tels sont les complots contre la forme du gouvernement, les attaques qui ont pour but le renversement de la constitution, et enfin tous les délits qui tendent à briser les droits qu'elle garantit: et d'un autre côté, les offenses que le Code pénal y a placées appartiennent plutôt à la classe des délits contre l'ordre public ou contre les personnes, qu'à celle des délits contre la constitution; tels sont les attentats contre la liberté individuelle, et les délits d'empiétement et de coalition des fonctionnaires.

Cependant nous suivrons l'ordre adopté par le Code, quelque défectueux qu'il puisse nous paraître. La pensée de transposer et de réunir

les dispositions homogènes, séparées peut-être à tort par un plan arbitraire, séduit et plaît à la première vue; mais il faut se garder, quand on prend à tâche d'expliquer la loi et de lui rendre son vrai sens, de rompre l'harmonie de ses dispositions et le lien qui les unit entre elles la théorie court alors les risques de s'égarer en traçant des règles qui ne sont plus celles du législateur; et les lecteurs ne suivent point sans quelque effort des divisions nouvelles, plus méthodiques peut-être, mais auxquelles leur esprit n'est point habitué.

Nous réunirons donc, comme notre Code, et dans un seul chapitre, les quatre sections qui forment la classe des délits contre la constitution. Ce chapitre se divisera en conséquence en quatre paragraphes: le premier s'oc cupera des crimes et délits contre l'exercice des droits civiques; le deuxième, des attentats à l liberté ; le troisième, de la coalition des fonc

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Les droits civiques ou politiques consistent dans un concours plus ou moins immédiat à l'exercice de la puissance publique. Si les citoyens doivent être protégés par les lois, c'est lorsqu'ils exercent les droits que la constitution leur assure, et qui leur sont délégués par la souveraineté nationale. Enchaîner ou détruire cette prérogative, c'est violer la constitution, c'est opprimer la nation elle-même : la loi pénale doit réprimer un tel attentat.

Le Code du 3 brumaire an IV portait des peines sévères contre toute violence dirigée contre la liberté des suffrages (art. 616 et 617). Les législations de presque tous les Etats libres contiennent sur ce point des dispositions prévoyantes et rigoureuses [1]. Les lois de la Louisiane, de la Géorgie et du Brésil descendent même à des détails minutieux; elles ne s'arrêtent pas aux violences exercées et à la falsification des votes, elles punissent encore celui qui vote sans en avoir le droit ou qui vote plus d'une fois dans les élections [2], celui qui facilite l'introduction d'un faux électeur, celui qui, par promesses ou par une influence quelconque, appuie les prétentions d'un candidat [3], etc.

La sollicitude des rédacteurs de notre Code ne s'est pas portée aussi loin. Trois actes seulement leur ont paru passibles d'une peine: l'empêchement du vote à l'aide de violences, la falsification des scrutins et la corruption des électeurs. Mais ces incriminations ont été restreintes dans des termes étroits, et les peines qui les suivent ne sont point, par leur abaissement, en proportion avec le système général du Code. C'est à de telles dispositions que l'esprit du législateur de 1810 se décèle. Il est étrange, en effet, que l'anéantissement des droits les plus sacrés, qu'un acte d'usurpation et de tyrannie, qui est de nature à troubler tout le corps so-cial, soit puni moins sévérement que des vio

[1] Engl. stat. 7 et 8, Will. III, c. 4; 2 Geo. II, c. 24; 49 Geo. III, c. 118; 53 Geo. III, c. 89; 7 et 8 Gco. IV, c. 37. - Code du Brésil, art. 100, 101, Code of crimes and punishments of the state of Louisiana, art. 216 et suiv. - Penal Code of the state of Georgia, 10me div. sec. 29 et 30.

102.

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lences, même légères, exercées contre un garde champêtre ou un huissier.

Examinons ces dispositions. L'empêchement apporté à l'exercice des droits civiques est prévu par les articles 109 et 110. L'article 109 est ainsi conçu « Lorsque par attroupements, voies de fait ou menaces, on aura empêché un ou plusieurs citoyens d'exercer leurs droits civiques, chacun des coupables sera puni d'un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus, et de l'interdiction du droit de voter et d'être éligible pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. >>

Cet article trace avec précision les deux circonstances caractéristiques du délit : ce délit n'existe qu'autant qu'un ou plusieurs citoyens ont été empêchés d'exercer leur droits civiques, et que cet empêchement a été produit par un attroupement, par des voies de fait ou par des menaces. Ainsi la simple tentative n'est pas punissable; il faut que le délit ait été consommé, que les citoyens aient été empêchés. Ainsi l'obstacle qui prendrait sa source dans toute autre cause que les menaces, les voies de fait et l'attroupement, échapperait encore à la prévision de cet article. L'article 100 du code pénal du Brésil punit l'empêchemeut d'une manière quelconque notre code, au contraire, a prévu et limité les modes d'exécution.

L'article 110 mentionne une circonstance aggravante du délit : c'est l'existence d'un plan cencerté pour son exécution; il prend alors le caractère de crime. Cet article est ainsi conçu : «Si le crime [4] a été commis par suite d'un plan concerté pour être exécuté soit dans tout le royaume, soit dans un ou plusieurs départements, soit dans un ou plusieurs arrondissements communaux, la peine sera le bannissement. »>

La seule différence qui sépare cet article de celui qui le précède est le concert préalable. L'art. 109 punit l'empêchement produit par un mouvement spontané; l'article 110 par un mouvement prémédité et préparé à l'avance entre plusieurs personnes. Du reste, dans le dernier cas comme dans le précédent, il faut que l'empêchement ait produit son effet, et par

[2] Penal Code of the state of Georgia, 10me div. art. 29.

[3] Code of crimes and punishments of Louisiana, art. 229 et 220.

[4] Ce terme est inexact, puisque l'art. 109 ne parle que d'un délit : on aurait dû y substituer le mot delit on infraction.

l'un des trois moyens énumérés par l'article 109 car c'est le même acte, le même fait que prévoient l'un et l'autre article; seulement ce fait reçoit un caractère plus grave de la circonstance exprimée par l'article 110.

Est-il nécessaire que l'empêchement, pour rentrer dans les termes de cet article, soit le ré sultat d'un plan concerté pour être exécuté à la fois dans divers lieux ? L'affirmative semble résulter de ces paroles de l'exposé des motifs: « Toute personne qui trouble ou empêche cet exercice se rend coupable; mais son délit s'aggrave et peut même s'élever au rang des crimes, s'il est le résultat d'un plan concerté pour être en même temps exécuté dans divers lieux; dans ce dernier cas, l'ordre public, plus grièvement blessé, réclame aussi une plus sévère punition. » Mais ces expressions sont évidemment inexactes, car le texte de la loi résiste à une telle interprétation: il suffit, aux termes de l'article 110, qu'il y ait eu plan concerté dans un département, dans un arrondissement, et par conséquent dans un seul lieu. On lit, d'ailleurs, dans les procès-verbaux du conseil d'état, que M. Defermont avait exprimé l'opinion que l'article 109 suffisait, quand le délit n'avait été commis que dans un seul arrondissement; qu'alors, en effet, il ne pouvait y avoir le concert que l'article 110 tend à punir. M. Berlier répondit « qu'il y a plusieurs cantons dans un arrondissement, et que d'ailleurs la peine plus grave est ici imposée à la préméditation, qui n'est point supposée exister dans le cas de l'article précédent. » Il est évident, du reste, que la préméditation, dans le sens de cet article, est le concert formé entre plusieurs personnes.

Mais de là il suit à la fois que la loi a aggloméré dans une même disposition, et puni d'une même peine, des actions qui different et par leur gravité morale et par le péril auquel elles exposent l'Etat. La formation, l'exécution même d'un plan qui aurait pour objet de détruire par la violence la liberté des élections dans tout le royaume, est rangée sur la même ligne que le fait d'avoir apporté obstacle au vote de quelques électeurs dans une seule localité. Une distance immense sépare ces deux faits, et la même peine n'aurait pas dû les réunir. L'un est un acte de guerre civile; il tend au bouleversement ou à l'asservissement de l'Etat : l'autre n'est qu'un acte isolé d'ambition ou de tyrannie; la pensée de son auteur ne revêt pas la même criminalité; son action n'a pas le même péril.

Il faut remarquer, enfin, que si les moyens employés pour dominer les élections ont le caractère d'un délit distinct, ce caractère n'est

pas absorbé par la violation du droit qui fait le but de ces moyens. Ainsi rien ne s'oppose à ce que les attroupements, les violences ou les menaces soient l'objet d'une poursuite distincte ou simultanée, si ces différents faits forment des délits séparés. Cette observation, qui est par elle-même incontestable, fut énoncée dans la discussion du conseil d'état. M. Corvetto avait demandé si l'on n'infligeait que les peines établies dans les deux articles, quels que fussent les moyens que le coupable aurait employés pour accomplir ses desseins. M. Treilhard répondit « que ces articles ne dérogeaient pas aux autres dispositions du code; et qu'ainsi, lorsque le coupable, pour exécuter ses projets, aurait commis d'autres délits, il porterait la peine que ces délits entraînent [1]. »

La falsification des billets fait l'objet des art. 111 et 112. Voici le texte de ces articles: Art. 111. « Tout citoyen qui étant chargé, dans un scrutin, du dépouillement des billets contenant les suffrages des citoyens, sera surpris falsifiant ces billets, ou en soustrayant de la masse, ou y en ajoutant, ou inscrivant sur les billets des votants non lettrés des noms autres que ceux qui lui auraient été déclarés, sera puni de la peine de la dégradation civique. » Art. 112. « Toutes autres personnes, coupables des faits énoncés dans l'article précédent, seront punis d'un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus, et de l'interdiction du droit de voter et d'être éligibles pendant cinq ans au moins et dix ans au plus.»>

Ces deux articles prévoient et punissent les mêmes faits : la qualité du prévenu met seule une différence dans la peine. Si, comme scrutateur, il était chargé de dépouiller le scrutin, son infidélité est un crime; s'il n'avait pas cette mission, elle ne constitue qu'un simple délit. « Il y a délit, porte l'exposé des motifs, toutes les fois que le vœu des citoyens est dénaturé par des falsifications, soustractions ou additions de billets, et ces coupables manœuvres acquièrent un nouveau degré de gravité lorsqu'elles sont l'ouvrage des scrutateurs eux-mêmes, car il y a dans ce cas violation de dépôt et abus de confiance. »>

Faudrait-il voir une falsification dans le fait du président qui, en donnant lecture des bulletins, prononcerait frauduleusement des noms autres que ceux qui y seraient écrits? Cette question devrait être résolue affirmativement.

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 18 oct. 1808; Locré, t. 15, p. 171.

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