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En effet, le président atteste faussement que tel vote existe, et cette fausse attestation dénature le vœu des citoyens; c'est donc là une falsification évidente du vote. A la vérité, la loi ne prévoit que la falsification du billet, ce qui pourrait faire croire à la nécessité d'un acte matériel. Mais ce qu'elle a voulu punir, ainsi que l'indique l'exposé des motifs, c'est l'altération du vote lui-même ; et rien ne motiverait une distinction à cet égard. Et puis, n'est-ce pas réellement falsifier le billet que de lui prêter un vote faux, en célant sa véritable expression?

Le texte primitif de l'article 111 ne punissait que la falsification et la soustraction des scru-tins. Un membre du conseil d'état demanda que l'on prévît également l'addition frauduleuse de votes, puisque celui qui ajoute des billets à un scrutin est aussi coupable que celui qui en soustrait; cet amendement fut adopté. Un autre membre demanda que cette disposition fût étendue aux scrutateurs qui changent le vote de ceux pour lesquels ils écrivent des bulletins. M. Berlier objecta qu'une telle infidélité est sans doute très-répréhensible, mais que sa répression est d'une extrême difficulté; car il s'agit ici de communications écrites, de déclarations faites par le votant à l'oreille du scrutateur; or l'exercice d'une action qui repose sur une telle base n'est pas exempt d'inconvénient. Néanmoins la proposition fut admise, par le motif qu'il y aurait quelque péril à n'admettre aucun moyen de répression contre un délit réel dont les circonstances pourraient quelquefois permettre la preuve [1].

L'exercice du droit électoral par une personne qui n'a pas la qualité d'électeur peut-il être considéré comme constituant l'addition frauduleuse de billets que prévoit l'article 111? La cour royale d'Amiens a décidé que les articles 109 et suivants ne portaient aucune peine contre un pareil fait [2]. Nous ne partageons pas cet avis. L'article 111 comprend dans sa disposition répressive tous ceux qui ajoutent des billets à la masse. Or cette disposition doit s'appliquer à tous les billets illégalement ajoutés à la masse des billets des électeurs. Il y a donc addition d'un billet, dans le sens de la loi, lorsqu'un faux électeur vient déposer son vote; et si cette addition est le résultat non d'une erreur, mais de la fraude, si l'individu qui a voté connaissait

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son incapacité politique, il nous semble que l'article peut lui être appliqué.

Par une exception aux règles communes, les faits prévus par les art. 111 et 112 ne sont punissables qu'au seul cas de flagrant délit. Cette disposition n'existait pas dans le projet du Code. M. Cambacérès la proposa. « A quelle preuve, dit-il, s'en rapporter quand les opérations sont terminées? Dans le faux, le délit est constaté par l'inspection des pièces. Ici, l'on ne pourrait qu'entendre des témoins; et il serait fort dangereux de souffrir qu'un citoyen qui a assisté à une assemblée pût être poursuivi de cette manière, quelquefois même après un temps considérable. » De là ces mots de l'art. 111: sera surpris falsifiant....... M. Berlier a expliqué ces termes dans le même sens dans l'exposé des motifs : «< Malgré tout ce qu'a d'odieux une telle infraction, l'on a dù craindre d'ouvrir une issue trop facile à de tardives et téméraires recherches pour des faits qui ne laissent plus de traces quand le scrutin est détruit et qu'on a terminé les opérations qui s'y rapportent. Combien, dans cette matière surtout, les espérances trompées, les prétentions évanouies et l'amourpropre blessé, ne feraient-ils pas naître d'accusations hasardées, s'il était permis de les recevoir après coup et hors le cas où le coupable est surpris pour ainsi dire en flagrant délit? Il suit de là que le délit doit être constaté au moment même où il est commis, ou du moins avant la dissolution de l'assemblée élective; s'il n'était découvert ou constaté qu'ultérieurement, il ne pourrait plus être poursuivi. Telle est aussi la limite posée par la Cour de cassation: «< Attendu, porte son arrêt, que le législateur n'a voulu ni pu vouloir qu'on pût revenir sur la manière dont il aurait été procédé au scrutin, lorsque le résultat en aurait été proclamé et l'assemblée dissoute [3]. »

M. Cambacérès voulait, en outre, que l'infi délité ne pût être poursuivie que dans le cas où elle aurait eu pour résultat de priver un citoyen d'une élection qui lui était acquise. Mais cette restriction ne fut pas admise. « La loi, dit M. Berlier, doit-elle faire de cet effet une condition expresse, de manière à interdire toutes poursuites et à proclamer l'impunité, lorsque les infidélités commises ne l'auront pas atteint? La criminalité du fait ne doit pas s'apprécier seu

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lement d'après le résultat général de l'opération, mais d'après les actes particuliers qui pourraient vicier ce résultat, »

Du reste, il est hors de doute que les sous tractions ou additions de bulletins faites involontairement ne constitueraient aucun délit; car il n'y a pas de crime quand il n'y a pas d'intention criminelle. Aussi l'addition du mot sciemment, proposée par M. de Cessac, fut repoussée par le Conseil d'état comme sans objet. La falsification ou la soustraction doit donc être non-seulement matérielle, mais intentionnelle, mais frauduleuse, pour constituer le délit. L'article 111 parle de la soustraction des billets de la masse. Lors de la révision du Code, cette dernière expression fut critiquée dans la Chambre des Pairs comme obscure et bizarre, et l'on proposa même d'y substituer les mots de l'urne. Cet amendement ne fut pas adopté, et, à notre sens, avec raison. La masse des billets comprend l'ensemble des bulletins écrits, dans quelque lieu qu'ils soient déposés, même épars sur le bureau; en employant, au contraire, le mot urne, on eût restreint l'application de la peine au cas où la falsification aurait été commise dans cette urne même.

La falsification des billets dans un scrutin est un véritable faux; M. Treilhard proposait, en conséquence, d'ajouter à la peine du carcan celle de la marque. Peut-être, du moins, eût-il été juste de séparer ce crime des autres faits qui lui sont assimilés dans l'article 111, et qui supposent une criminalité moins intense. La dégradation civique, telle que le Code l'a instituée, peut suffire pour punir ces dernières infidélités; mais le faussaire, par cela seul qu'il emploie pour parvenir au même but un moyen plus criminel, doit encourir une peine plus grave.

Le dernier délit relatif à l'exercice des droits civiques fait l'objet de l'article 113, ainsi conçu: « Tout citoyen qui aura, dans une élection, acheté ou vendu un suffrage à un prix quelconque, sera puni d'interdiction des droits de citoyen et de toute fonction ou emploi public pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. Seront, en outre, le vendeur et l'acheteur du suffrage, condamnés chacun à une amende double de la valeur des choses reçues ou promises. » L'exposé des motifs s'exprime en ces termes : «Notre projet de loi, en s'occupant des délits commis dans l'exercice des droits civiques, ne pouvait rester muet sur la turpitude de ceux qui achètent ou vendent des suffrages... La peine qu'ils encourent est tracée par la nature même de leur délit : ils ont méconnu la dignité de leur

caractère; ils ont profané l'un de leurs plas beaux droits; que l'exercice de ces droits leur soit donc retiré pendant un temps suffisant pour l'expiation d'un pacte honteux, et qu'il leur soit infligé une amende comme supplément de peine due à l'esprit de corruption et de vénalité qui les a conduits. »

Cet article donne lieu à deux observations: il n'est pas nécessaire que le prix du suffrage soit une somme d'argent, car la loi parle d'un vote à un prix quelconque; ainsi, une place, une faveur promise pourrait être considérée comme le prix du vote: la condition du délit est que l'électeur ait fait trafic de son droit de suffrage. Mais comment évaluer alors l'amende, qui doit être double de la valeur des choses reçues ou promises? C'est au juge qu'il appartiendrait d'arbitrer le bénéfice qu'auraient pu procurer au votant les promesses qui lui auraient été faites.

Au reste, quelque élevée que puisse être l'amende, la peine ne semble point en proportion avec la gravité du délit, sourtout à l'égard du vendeur qui a pu voir un objet de lucre dans un droit qui lui a été délégué dans l'intérêt de ses concitoyens. La loi du 4 thermidor an v le punissait d'une peine infamante, et cette punition semblait s'appliquer plus convenablement à l'action d'un homme qui, pour un salaire, consent à profaner d'un vote adultère l'urne électorale. La loi de Géorgie inflige au même fait quatre ans de travaux de force dans un pénitencier; celle de la Louisiane, un an d'emprisonnement; celle du Brésil, neuf mois de la même peine. Sans doute, ainsi que l'a remarqué M. Carnot, cette disposition est destinée à demeurer inerte et sans application dans le Code; car dans quels cas pourrait-on arriver à la preuve complète d'une telle action? Mais elle n'en est pas moins utile: c'est une haute leçon de morale que la loi édicte pour les peuples; c'est une menace vivante qui poursuit les citoyens assez vils pour trahir, à prix d'or, leurs devoirs; or, la leçon, la menace elle-même, pour être efficace, doit flétrir avec énergie l'acte qu'elle punit; la loi qui ne prononce qu'une amende, une privation temporaire des droits de cité, ne paraît pas attacher une grande importance à l'acte qu'elle frappe.

Quelques doutes peuvent s'élever sur l'application des articles qui font l'objet de ce paragraphe. A l'exercice de quels droits civiques s'appliquent-ils ? Faut-il les restreindre aux droits qui sont exercés en vertu de la constitution de l'Etat ? D'abord, il est évident, d'après leur texte, d'après la nature des incriminations

l'abus serait terrible, ne saurait donc être trop rigoureusement défini, trop soigneusement organisé par la loi.

Notre législation a-t-elle compris ce devoir? Sa prévoyance a-t-elle été au-devant des excès dont la liberté peut souffrir? A-t-elle protégé les citoyens contre toutes les atteintes qui, hors les cas d'une nécessité absolue, peuvent les priver arbitrairement de ce premier des biens? La Charte constitutionnelle proclame comme la déclaration des droits du 3 septem. 1791 (V. Const. Belge, art. 7), que « personne ne peut être arrêté que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle a prescrite. » Mais la loi pénale n'a donné à ce principe fécond qu'une sanction impuissante.

qui en font l'objet, que le seul but de ces articles a été de protéger le droit de suffrage dans les élections; c'est le premier des droits politiques du citoyen qui seul a préoccupé l'attention du législateur ; c'est le seul aussi peut-être qui appelât une protection spéciale. Mais cette protection s'étend-elle à toutes les élections auxquelles sont appelés les citoyens? Ne comprendelle, au contraire, que les seules élections politiques? D'une part, la rubrique du chapitre semble limiter l'effet de ses dispositions aux délits contre la Charte; d'un autre côté, les termes des articles sont généraux, et s'étendent à toutes les élections où les citoyens concourent. Nous pensons que la sanction de ces articles doit s'appliquer, non-seulement à l'élection des membres de la Chambre des Députés, mais encore à toutes les institutions qui ont pour base l'élection et qui prennent leur source dans la loi fondamentale; telles sont les élections départementales et municipales instituées en exécution de l'art. 69 de la Charte; telles sont encore les élections des officiers de la garde nationale qui ont lieu en vertu du même article. Il suffit que ces institutions dérivent de la Charte pour que les suffrages qui les alimentent doivent être protégés par les dispositions pénales du Code; et ces dispositions sont elles-mement rare et presque impossible. Les infracmême tellement illimitées, que pour les en exclure il faudrait élever une distinction arbitraire : cette distinction est dans la Charte elle même; l'application des art. 109 et suiv. du Code est naturellement limitée aux élections qui dérivent de la loi constitutionnelle.

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En Angleterre, l'acte d'habeas corpus garantit aux citoyens leur liberté individuelle ; et les peines sévères du præmunire [1], c'està-dire une prison qui peut être perpétuelle, et la confiscation des biens, ont été étendues aux principales infractions dirigées contre cette liberté. Mais la faculté dont les juges de paix sont investis, dans cette contrée et dans les Etats-Unis d'Amérique, de recevoir à caution tous les prévenus, à l'exception de ceux qui sont accusés de crimes capitaux, rend ce crime extrê

tions plus légères, telles que l'arrestation illégale, quand elle est de courte durée, donnent lieu à une amende et à l'emprisonnement, et de plus à une action civile de la partie lésée contre le délinquant [2]. Les Codes des Etats-Unis d'Amérique définissent ce crime: «< toute violation de la liberté individuelle sans une cause légitime et suffisante [3]. » L'arrestation faite sans mandat légal ou sans jugement est punie d'emprisonnement et d'amende ; si cette arrestation est manifestement illégale et révèle une intention oppressive, le magistrat qui l'a ordonnée est puni de deux ans d'emprisonnement dans le pénitencier [4]. Le Code du Brésil inflige la suspension temporaire de ses fonctions et quatre mois de prison au magistrat qui ordonne une arrestation hors les cas où la loi l'autorise ; qui refuse d'admettre un citoyen à caution dans les cas où la loi le permet ; ou enfin qui

[2] Blakstone, Comm. sur le Code crim. 1re p., ch. 15, no 8.

[3] A violation of the personal liberty of a citizen, without sufficient legal authority.

[4] Penal Code of the state of Georgia, fourth div. sec. 48, 49 et 50; Revised, statutes of NewYork, tit. 6, § 2.

apporte des retards à l'interrogatoire, à l'admission à caution et au jugement d'un prévenu (art. 181). Enfin le Code prussien punit d'une amende le juge qui retient plus de quarantehuit heures un prisonnier sans l'interroger, ou qui prolonge sa détention, par sa négligence, au-delà du temps nécessaire à la procédure; et de la réclusion dans un fort pendant une à quatre années, celui qui procède par voie criminelle contre un innocent, dans l'intention coupable de porter atteinte à sa réputation ou à sa fortune. (Art. 384, 385 et 386 ).

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Notre Code, moins prévoyant, n'inculpe les fonctionnaires que dans les cas suivans lors qu'ils ont ordonné ou fait quelque acte attentatoire à la liberté individuelle; lorsqu'ils ont refusé de déférer à une réclamation tendante à constater une détention arbitraire; lorsque cette détention a été opérée sans un ordre légal; enfin, lorsqu'elle a eu lieu dans une maison non affectée à ce service par l'administration.

Le premier paragraphe de l'art. 114 est ainsi conçu « Lorsqu'un fonctionnaire public, un agent ou un préposé du gouvernement, aura ordonné ou fait quelque acte arbitraire ou attentatoire soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d'un ou de plusieurs citoyens, soit à la Charte, il sera condamné à la peine de la dégradation civique. >>

Cet article incrimine, en général, l'acte attentatoire à la liberté, sans définir cet acte, sans préciser les circonstances où il peut se produire. Cette vague incrimination, qui est d'ailleurs un vice grave dans la loi pénale, ravit en partie aux citoyens la protection que cette disposition semble leur assurer: car le juge prononce rarement une condamnation, quand les caractères du délit ne sont pas fixés avec précision.

A la vérité, cette définition offrait de graves difficultés; car il fallait sonder les fonctions des officiers de justice, examiner les actes qui appartiennent à leurs attributions, préciser les cas où ils peuvent se servir de leur pouvoir, et marquer la limite où l'usage se changerait en abus. Peut-être, à défaut de la loi, et pour suppléer à son silence, devrions-nous parcourir ce cercle immense; car la véritable définition de l'arrestation illégale se trouve dans l'énumération des cas où cette arrestation est permise. Mais il est évident que cette discussion, qui ne se rattache qu'accessoirement à la loi pénale, appartient

[1] Voy. trois dissertations que nous avons publiées sur cette matière dans le Journal du droit criminel, 1835, p. 33, 65 et 161.

tout entière au Code d'instruction criminelle [1]. Nous ne pourrions donc, sans nous écarter de notre plan et du but spécial de ce livre, pénétrer dans une matière qui lui est étrangère, et nous nous bornerons en conséquence à rechercher les cas principaux où les écarts des fonctionnaires pourraient constituer le délit prévu par l'article 114.

Il peut y avoir attentat à la liberté, dans le sens de cet article, lorsqu'un fonctionnaire ordonne une arrestation sans en avoir le droit; lorsque, bien qu'investi du droit d'arrestation, il l'exerce en dehors des limites légales; lorsqu'enfin des agens de la force publique effectuent une arrestation sans en avoir le pouvoir, ou sans être munis d'un ordre légal.

Une règle générale est que le droit d'arrestation ne peut être exercé qu'en vertu d'une disposition formelle de la loi : nous avons cité plus haut l'article de la Charte d'où cette règle découle. Il en résulte que, lorsque la question s'élève de savoir si ce droit appartient à tel agent de l'autorité, s'il peut être exercé dans telle circonstance; il suffit d'examiner s'il existe une disposition législative qui l'accorde à cet agent ou qui en autorise l'exercice dans cette circonstance. C'est ce principe qu'il faut prendre pour guide dans l'examen des difficultés que soulève cette matière.

Les fonctionnaires qui sont investis par la loi du droit d'ordonner une arrestation, sont, avec une mesure inégale de pouvoir, les juges d'instruction, les procureurs du roi, les juges de paix, les officiers de gendarmerie, les maires et leurs adjoints, et les préfets. Ainsi, et du moins nul doute ne peut s'élever sur ce premier point; tout fonctionnaire, autre que ceux qui viennent d'être énumérés, qui délivrerait un ordre d'arrestation, se rendrait nécessairement coupable d'un acte attentatoire à la liberté.

Parmi les fonctionnaires auxquels la loi a départi le droit d'ordonner une arrestation, le juge d'instruction est celui qui l'exerce avec la plus grande puissance. Quelquespublicistes ont critiqué ce pouvoir presque discrétionnaire qu'aucun contrôle ne surveille, et dont la responsabilité est trop vaguement définie [2]. Il nous semble que le défaut le plus grave de la loi est dans l'absence des règles précises qui enchaînent et limitent l'action de ce magistrat.

[2] M. Bérenger, de la Jușt. crim. p. 367; M.Rossil, traité du droit pénal.

Cependant le Code d'instruction criminelle a donné quelques règles, posé quelques limites, qui, bien que flexibles et mollement tracées, semblent néanmoins circonscrire dans un certain cercle le pouvoir du juge. Mais ces règles ont-elles une sanction dans l'art. 114? L'excès de pouvoir commis par ce magistrat peut-il être qualifié crime? Est-ce un acte attentatoire à la liberté, dans le sens de la loi, que de décerner un ordre d'arrestation sans indices suffisans de culpabilité; ou, lorsque le fait n'est puni que d'une amende ou ne constitue qu'une simple contravention, que d'ajourner au-delà de vingt-quatre heures l'interrogatoire d'un prévenu en état de mandat d'amener, que de prolonger sa détention lorsque l'interrogatoire a prouvé son innocence, ou lorsqu'il justifie d'un domicile et qu'il n'est inculpé que d'un délit léger?

Dans le droit romain, le juge qui abusait de son pouvoir à l'égard d'un citoyen était condamné à des dommages-intérêts. Judex indebitè inquirens contra aliquem, in omnes impensas et interesse partis vexata tenetur [1]. Cette règle était généralement enseignée par les docteurs. Baldus dit formellement: «Judex temerè capiens innocentem, puniendus est et tenetur ad damna et interesse partis [2]. » Jousse atteste qu'elle était appliquée dans notre ancien droit : « Les juges, dit cet auteur, qui décrètent légèrement de prise de corps et qui font emprisonner mal à propos, peuvent être pris à partie et sont tenus des dommages-intérêts envers celui qui a été mis en prison injustement [3]. » Et il ajoute la raison de cette règle : « Car la prison, dit-il, est un mal irréparable, à cause de sa rigueur et du déshonneur qui y est attaché. >>

Cette jurisprudence ne pourrait être suivie aujourd'hui qu'en traçant une importante distinction entre les différents actes qui peuvent être imputés au juge. La législation nouvelle semble s'être montrée moins jalouse que l'ancienne de la liberté des citoyens. Les juges d'instruction exercent le droit d'arrestation dans sa plénitude; ils sont appréciateurs souverains des circonstances dans lesquelles les mandats peuvent être décernés; ils ont même le choix des mandats qu'ils décernent. Si la loi a posé des règles pour les guider dans ce choix et cette délivrance, ces règles, dénuées d'une sanction

[] L. si filius fam. Dig. de judiciis.

[2] In 1. 2, C. de iis qui latron. ; Paul de Castro, in l. si quis, Dig. de testamentis; Julius Clarus,

précise, peuvent lier leur conscience, n'enchaînent point leurs actes par le frein salutaire d'une responsabilité sérieuse. La loi n'a pas même réservé aux inculpés, hors le seul cas d'incompétence, le droit de se pourvoir par voie d'appel on d'opposition contre les mandats qui les atteignent. Ils restent sans recours et sans garanties contre l'exercice abusif que le magistrat ferait de son pouvoir, lorsque, par exemple, il les priverait de leur liberté sans nécessité ou prolongerait la durée de leur détention provisoire. La loi ne leur a laissé que le droit de porter plainte au procureur général, sous la surveillance duquel les juges d'instruction sont placés, recours illusoire et toujours sans effet. C'est là une de ces lacunes qui accusent une législation, en révélant l'absence des premières garanties qu'un accusé doit trouver dans la procédure.

Mais si l'acte du juge sort des limites de ses pouvoirs, si la gravité de la faute lui imprime le caractère du dol, si enfin la prévarication devient manifeste, la loi en assure la répression. Le citoyen illégalement privé de sa liberté, non-seulement peut prendre le juge à partie, conformément à l'article 505 du Code de procédure civile, mais encore peut porter plainte à raison du crime d'attentat à la liberté individuelle. Et nous ne faisons aucun doute que cette plainte ne fût accueillie, si, par exemple, la prolongation de la détention dépassait évidemment les bornes de la nécessité, si des mandats étaient arbitrairement décernés contre d'irréprochables citoyens, si l'arrestation n'avait aucune cause légale, si le prévenu demeurait plusieurs jours sous les liens d'un mandat d'amener, sans être interrogé. Dans ces cas et dans plusieurs autres qu'il est superflu de rappeler, il y aurait non-seulement infraction des règles légales, il y aurait encore abus de pouvoir, faute grave équivalente au dol, enfin acte arbitraire. Or, ce sont là précisément les caractères du crime d'attentat à la liberté individuelle; c'est donc pour de tels actes, mais seulement pour les actes de cette nature, que la sanction pénale de l'article 114 pourrait être invoquée.

Après les pouvoirs étendus qu'elle a confiés aux juges d'instruction, la loi en a attribué, mais dans une mesure plus restreinte, aux procureurs du roi, aux juges de paix, aux officiers de gendarmerie, aux maires et adjoints, aux

quæst. 10, no 3.

[3] Traité des mat. crim. t. 2, p. 200 et 214; Airault, Inst. jud. l. 3, part. 1, noo 13 et 14.

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