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punit encore tout fonctionnaire public, agent ou préposé du gouvernement, qui a ordonné ou fait quelque acte arbitraire ou attentatoire, soit aux droits civiques d'un ou de plusieurs citoyens, soit à la Charte. Il serait difficile de définir une incrimination aussi vague. Tout acte arbitraire ou inconstitutionnel portant préjudice à un citoyen peut être poursuivi en vertu de cette disposition. Quant à la violation des droits civiques seulement, il est plus aisé d'en préciser les caractères; ainsi, l'agent qui se trouvant chargé, dans l'ordre de ses fonctions, de la formation des listes d'électeurs, en aurait sciemment rayé quelqu'un ; celui qui aurait mis obstacle à ce qu'il fut statué sur les réclamations d'un autre; enfin tout empêchement apporté d'une manière quelconque à l'exercice des droits civiques par un fonctionnaire rentrerait dans les termes de cet article. La peine de la dégradation civique, qui frappe généralement tous ces actes arbitraires, a été considérée par quelques publicistes comme n'étant pas en proportion avec la gravité du crime. En effet, en rapprochant l'art. 114 des art. 341 et suivants, qui punissent les attentats à la liberté commis par des particuliers, on est sur pris de voir le même fait frappé là de la dégradation civique seulement, ici des travaux forcés à temps. M. Destriveaux pense que cette échelle de pénalité devrait être placée dans un sens inverse: << Il est incontestable, dit-il, que celui-là commet un plus grand crime, qui par un acte transgresse plus de devoirs, manque à plus d'obliga tions. Or, il n'est point douteux que le fonctionnaire public, en rendant un citoyen victime d'une mesure illégale, ne viole deux espèces de devoirs: il blesse l'individu qu'il prive illégitimement de sa liberté; il blesse la société en abusant de sa confiance, en tournant contre un ou plusieurs de ses membres la force qu'elle lui avait confiée pour leur protection et leur défense. »> Nous partageons assurément cette opinion à l'égard de tous les cas où le fonctionnaire, égaré par la passion ou la haine, commet un abus de pouvoir; mais il faut remarquer que, dans la plupart des circonstances, c'est plutôt par erreur que par une criminelle intention qu'il est emporté hors de la ligne de ses devoirs; un excès de zèle l'égare, il croit agir dans l'intérêt de la chose publique. Ces motifs n'excitent jamais les actes des particuliers: c'est la haine, ce sont les passions ou la cupidité qui provoquent les mêmes actes de leur part; la peine qui les atteint doit être plus grave. Ensuite il ne faut pas perdre de vue, d'abord, que la dégradation civique peut être accompagnée de cinq ans

d'emprisonnement; en second lieu, que les pénalités portées par les art. 341 et suivants sont elles-mêmes empreintes d'une excessive sévérité. Peut-être seulement eût-il été nécessaire que la loi prévit les cas où l'arrestation aurait été commise par un fonctionnaire public avec les circonstances aggravantes mentionnées aux art. 342 et 344, et que la peine s'élevât d'un degré lorsque, par exemple, la détention illégale aurait duré plus d'un mois.

Le deuxième paragraphe de l'art. 114 pose un cas d'excuse en faveur du fonctionnaire public coupable d'un acte arbitraire : « Si néanmoins, porte cet article, il justifie qu'il a agi par ordre de ses supérieurs pour des objets du ressort de ceux-ci, sur lesquels il leur était dû obéissance hiérarchique, il sera exempt de la peine, laquelle sera, dans ce cas, appliquée seulement aux supérieurs qui auront donné l'ordre. »

Dans le projet primitif du Code, ce paragraphe était ainsi conçu : « S'il a agi par ordre supérieur, l'auteur de l'ordre sera seul poursuivi et puni de la même peine. » Cette disposition fit naître des objections : » On ne doit pas absoudre, dit Cambacérès, celui qui a agi par l'ordre de son supérieur, lorsque l'acte qu'il a fait est évidemment défendu par les lois. Ce n'est que dans le militaire que l'obéissance passive doit être sans bornes [1]. Mais, dans le civil, il serait très-dangereux de supposer que l'inférieur est à couvert de toute peine dès qu'il peut représenter l'ordre de son supérieur. Par exemple, absoudra-t-on un. sous-préfet qui, par l'ordre du préfet, aura fait arrêter un président d'assemblée dans l'exercice de ses fonctions? » M. Treilhard répondit qu'il serait dan gereux d'autoriser le fonctionnaire inférieur à délibérer sur l'ordre qu'il reçoit; mais que dans l'administration l'obéissance n'est de rigueur que dans l'ordre du service et des fonctions : qu'il fallait déclarer que l'inférieur est punissable si, hors de ses fonctions, il exécute un ordre pernicieux ; mais qu'il était nécessaire de réserver dans tous les cas le recours contre le supérieur de qui l'ordre est émané, et de le réserver à l'inférieur lui-même [2]. C'est d'après ces observations que l'article fut modifié.

L'agent est poursuivi dans tous les cas; mais il est exempt de toute peine s'il rapporte l'ordre de ses supérieurs, pourvu que cet ordre se rattache à leurs fonctions légales, et qu'ils exercent sur le prévenu une autorité directe et immé

[1] Voy. sur cette théorie, t. 2, p. 271. [2] Procès-verb, du Cons. séance du 10 oct. 1808

car,

diate. Ces trois conditions sont indispensables en avoir reçu l'ordre: l'approbation ultérieure pour établir le fait justificatif. Ainsi, l'agent du supérieur n'est qu'une appréciation admin'est point excusé lorsque l'acte ne se rattache nistrative de l'acte incriminé; elle ne peut mopoint aux attributions du supérieur, par exem- difier le caractère avec lequel il s'est produit. ple, quand le préfet transmet à un sous-préfet L'acte arbitraire ouvre, comme tous les actes ou à un maire un ordre d'arrestation; ou lorsque qualifiés crimes ou délits, deux actions discelui de qui l'ordre émane n'est pas le supérieur tinctes : l'action répressive, et l'action en domdans l'ordre hiérarchique de l'agent, par exem- mages-intérêts. L'art. 117 a fait à cet égard une ple, si un maire ou un commissaire de police disposition expresse dont le but principal a été reçoit cet ordre d'un commandant militaire; de fixer le minimum des dommages-intérêts dans ces deux hypothèses, l'agent ne doit qui peuvent être accordés; cet article est ainsi pas obéissance; s'il agit, c'est hors de ses fonc- conçu : « Les dommages-intérêts qui pourraient tions: l'acte est imputable. être prononcés à raison des attentats exprimés dans l'art. 114, seront demandés, soit sur la poursuite criminelle, soit par la voie civile, et seront réglés, eu égard aux personnes, aux circonstances et au préjudice souffert, sans qu'en aucun cas, et quel que soit l'individu lésé, lesdits dommages-intérêts puissent être au-dessous de 25 francs pour chaque jour de détention illégale et arbitraire, et pour chaque individu. »>

On ne doit donc voir dans cette espèce nulle dérogation aux règles qui ont été posées, dans notre chapitre 14, sur les effets de la contrainte morale qui agit sur un inférieur par suite du commandement du supérieur [1]. Toutes les conditions que nous avons requises pour la justification de l'agent sont exigées par cet article. I faut donc également distinguer ici si l'ordre n'est exécutoire qu'après l'accomplissement de certaines formalités, ou si l'acte qui en fait l'objet est abandonné au pouvoir des fonctionnaires. Ce n'est que dans ce dernier cas que l'excuse pourrait être invoquée; car l'arrestation d'un citoyen sur un simple ordre du magistrat, sans que cet ordre ait pris la forme d'un mandat, et hors le cas de flagrant délit, serait un acte coupable, nonobstant l'autorité du magistrat, soit de la part de l'huissier qui y aurait procédé, soit de la part du concierge qui aurait reçu le prévenu dans la prison.

Une ordonnance rendue en Conseil d'état, le 22 février 1821, a décidé, sur une demande en autorisation de poursuivre un fonctionnaire prévenu d'un acte arbitraire : « que le refus fait par le directeur de la monnaie des médailles d'en frapper une ayant été approuvé par décision du ministre de l'intérieur, le réclamant n'était pas fondé à poursuivre personnellement le directeur à raison de son refus. » Il semblerait résulter de cette décision que l'approbation du supérieur, postérieure à l'acte arbitraire, suffirait pour justifier l'agent. Ce serait évidemment une erreur : ce qui justifie l'inférieur, c'est la présomption qu'il a été entraîné par l'obéissance hiérarchique, qu'il a agi sous l'empire d'une contrainte morale, qu'il n'a pas délibéré sur l'action qu'il a commise. Mais cette présomption n'existe plus quand il a fait ou ordonné l'acte de son propre mouvement et sans

[1] Voy. t. l.

[2] Procès-verb. du Cons. d'état, séance du

Dans la discussion du Conseil d'état, M. Regnaud avait demandé la suppression de cette disposition, en se fondant sur ce que la conscience des juges ne doit pas être gênée par des règles absolues; et M. Berlier avait appuyé cette demande, en ajoutant que l'obligation étroite de porter les dommages-intérêts à 25 fr. par jour annoncerait qu'on redoute la faiblesse des juges et qu'on se défie de leur justice, et que la fixation en devrait être pleinement abandonnée aux tribunaux [2]. Néanmoins l'article fut maintenu.

Un tribunal correctionnel saisi d'une affaire de douane, et après avoir annulé le procèsverbal pour vice de forme, avait condamné l'administration à payer aux prévenus une somme de 150 francs de dommages-intérêts à raison de leur arrestation, et par application des art. 114 et 117 du Code pénal. Ce jugement a été déféré à la Cour de cassation, qui a déclaré : « que le tribunal était sans caractère pour prononcer d'après ces articles dont les faits rentrent dans les attributions du grand criminel; qu'eût-il eu ce caractère pour en faire l'application, il l'aurait encore faussement faite dans l'espèce, puisqu'il n'a pas été jugé que les préposés des douanes s'étaient rendus coupables d'un acte arbitraire, et que l'arrestation des prévenus, lors de la saisie, était formellement commandée par l'article 41 de la loi du 28 avril 1816 [3].

18 oct. 1808.

[3] Arr. cass, 30 août 1832 (Bull. off. no 121).

Ces deux points sont également évidents: les dommages-intérêts ne peuvent prendre leur source que dans l'acte arbitraire, et cet acte ne peut être apprécié que par la Cour d'assises, à moins que l'action ne soit intentée par la voie civile.

Les attentats prévus par l'art. 114 peuvent avoir été faits par l'ordre d'un ministre les art. 115, 116 et 118 ont pour objet de déterminer les conséquences de cette hypothèse. L'art. 115 est ainsi conçu : « Si c'est un ministre qui a ordonné ou fait les actes ou l'un des actes mentionnés en l'article précédent; et si, après les invitations mentionnées dans les art. 63 et 67 du sénatus-consulte du 28 floréal an XII, il a refusé ou négligé de faire réparer les actes dans les délais fixés par ledit acte, il sera puni du bannissement. >>

Les art. 63 et 67 de l'acte du 28 floréal an XII se rattachaient à l'institution aujourd'hui abolie d'une commission sénatoriale de la liberté individuelle et de la liberté de la presse : il fallait que le ministère fût trois fois interpellé de mettre en liberté le citoyen détenu, et que cette détention n'eût pas cessé dix jours après la dernière sommation, pour qu'il pût être traduit devant la haute cour. « Il faut se garder de croire, disait M. Berlier pour rassurer les membres du conseil d'état inquiets de l'usage qui pourrait être fait de cette disposition, que les ministres deviendront immédiatement sujets au bannissement, quand ils auront fait ou ordonné un acte arbitraire; il faudra encore qu'ils aient méconnu l'autorité du sénat et refusé de réparer l'acte il est aisé de croire que cela n'arrivera pas souvent. »>

Aujourd'hui suffirait-il qu'une simple réclamation eût révélé au ministre l'acte arbitraire, et qu'il eût refusé de le faire réparer, pour que l'art. 115 devint applicable ? Le doute peut naitre de ce que l'un des éléments du délit, la désobéissance aux invitations émanées du sénat, n'existe plus mais ces invitations n'avaient pour objet que d'obvier aux inconvénients qui peuvent résulter d'une action brusque et rapide dirigée contre un haut fonctionnaire, elles ne changeaient nullement la criminalité intrinsèque du fait; ce fait doit donc être passible encore de la même répression, lorsqu'il se produit avec les deux circonstances de l'illégalité de l'acte et du refus de faire droit aux réclamations. Au surplus, cette difficulté n'a que peu d'intérêt pratique, et les obstacles qui s'élèveraient devant les poursuites les rendraient d'ailleurs presque impossibles. Les ministres ne sont, en effet, justiciables que des chambres

pour les faits qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions, et les chambres elles-mêmes n'ont juridiction que pour les crimes de trahison et de concussion. Il faut donc soutenir que l'atteinte aux droits civiques ou à la liberté individuelle constitue la trahison; or ce système, qui serait vrai dans certaines circonstances, ne pourrait évidemment être accueilli qu'à l'égard des faits d'une haute gravité.

L'art. 116 introduit un fait d'excuse que peuvent invoquer non-seulement les ministres, mais tous les fonctionnaires inculpés : « Si les ministres, porte cet article, prévenus d'avoir ordonné ou autorisé l'acte contraire à la charte, prétendent que la signature à eux imputée leur a été surprise, ils seront tenus, en faisant cesser l'acte, de dénoncer celui qu'ils déclareront auteur de la surprise, sinon ils seront poursuivis personnellement. » Le projet du code portait ce deuxième paragraphe : « Nul autre fonctionnaire public ne pourra alléguer que sa signature a été surprise. » M. Cambacérès exprima l'avis que cette restriction était contraire à la justice. « Un fonctionnaire d'un ordre inférieur, dit-il, peut avoir été surpris comme un ministre. Il se peut qu'un secrétaire surprenne la signature d'un préfet; il faut donc que le préfet puisse alléguer cette excuse, non, à la vérité, pour échapper aux dommages-intérêts, car il y a toujours, de sa part, une faute qu'il doit réparer, mais du moins pour échapper à la peine. >> D'après cette observation le paragraphe fut retranché. M. Berlier proposa d'exprimer formellement que tous les fonctionnaires seraient admis à justifier que leur signature a été surprise, puisque le silence de la loi pourrait faire croire que ce moyen de défense leur est dénié. Mais M. Treilhard répondit que cette addition était inutile, parce que les excuses sont de droit admissibles quand la loi ne les a pas formellement écartées [1]. Ce dernier motif est évidemment erroné, puisque en général la loi repousse tous les faits d'excuse qu'elle n'a pas formellement admis; mais il résulte néanmoins de la délibération du Conseil d'état que tous les fonctionnaires peuvent alléguer le fait de surprise que cet article mentionne. M. Berlier déclara, en effet, positivement, qu'il n'abandonnait son amendement que dans la pensée que le procèsverbal y suppléerait. Une intention aussi formellement exprimée ne saurait être méconnue dans l'interprétation..

[1] Procès-verb. du Cons. d'état, séance du 18 oct. 1808.

L'art. 116 n'a d'application que dans le seul cas où les ministres inculpés alléguent que leur signature a été surprise. Ainsi ces derniers mots: sinon ils seront poursuivis personnellement, ne modifient en aucune manière la disposition de l'art. 115, d'après laquelle ils ne peuvent être poursuivis qu'après avoir refusé on négligé de faire réparer l'acte arbitraire. Mais il résulte des paroles de Cambacérès que la preuve même de l'excuse ne les exempte pas de dommages-intérêts; et, en effet, l'excuse n'efface que le crime, elle ne détruit pas la faute, qui suffit pour motiver la réparation civile.

L'art. 118 prévoit un crime spécial, le cas où les attentats ont été commis à l'aide d'un faux: « Si l'acte contraire à la Charte a été fait d'après une fausse signature du nom du ministre ou d'un fonctionnaire public, les auteurs du faux et ceux qui en auront fait sciemment usage seront punis des travaux forcés à temps, dont le maximum sera toujours appliqué dans ce cas. »

Cette espèce de faux aurait nécessairement été punie d'après les dispositions répressives du faux en écritures publiques; mais le législateur a voulu le frapper d'une peine plus forte. «La peine du faux en écriture publique, disait M. Berlier, n'est que celle des travaux forcés à temps, dont la durée est de dix ans au moins et de vingt ans au plus; mais, quelque grave que soit le crime d'un individu qui fait un faux en acte notoire, celui qui contrefait la signature d'un ministre commet un crime qui paraît appeler une peine plus forte, parce qu'il compromet encore plus la paix publique. » Il proposait la déportation; le Conseil d'état préféra le maximum des travaux forcés à temps.

Cet article est spécial pour cette sorte de faux: ainsi il ne s'applique pas seulement aux fonctionnaires, mais encore aux simples particuliers; car ses termes ne permettent aucune distinction. Ainsi, il n'est pas permis de combiner sa disposition avec celle de l'article 198, qui porte une échelle d'aggravation des peines encourues par les fonctionnaires; car la loi règle spécialement les peines qui doivent leur être infligées dans cette espèce.

Mais il faut remarquer que, d'après les termes de l'article 118, le crime n'a d'existence légale qu'autant que les prévenus ont contrefait ou falsifié la signature du fonctionnaire public, ou qu'ils en ont sciemment fait usage, et qu'à l'aide de cette fausse signature il a été procédé à un acte contraire à la Charte. Il faut, du reste, comprendre sous ces derniers termes les divers attentats prévus par l'article 114.

l'attentat à la liberté individuelle. Le refus de déférer à une réclamation tendante à constater une détention arbitraire est une deuxième incrimination établie par la loi pénale dans l'intérêt de la même liberté. L'article 119 du Code pénal porte : « Les fonctionnaires publics chargés de la police administrative ou judiciaire, qui auront refusé ou négligé de déférer à une réclamation légale tendante à constater les détentions illégales et arbitraires, soit dans les maisons destinées à la garde des détenus, soit partout ailleurs, et qui ne justifieront pas les avoir dénoncées à l'autorité supérieure, seront punis de la dégradation civique, et tenus de dommages-intérêts, lesquels seront réglés comme il est dit dans l'article 117. »

On est frappé à la simple lecture de cet article, de l'insuffisance et des lacunes que présente sa disposition. La loi se borne à punir les fonctionnaires qui refusent ou négligent de constater, quand on le réclame, une détention arbitraire, et qui ne la dénoncent pas ensuite à l'autorité supérieure de sorte que ces agents ne sont obligés de constater la détention que sur une réclamation formelle, et ne sont punis que pour avoir omis de la constater ou de la dénoncer. Mais là se termine leur mission : ils n'ont pas le droit de la faire cesser.

:

Cependant cet article est la seule disposition de la législation qui statue sur les moyens de rendre à la liberté les individus qui sont illégalement détenus dans les prisons. Les articles 615 et 616 du Code d'instruction criminelle ne s'occupent, en effet, que d'un cas spécial, de la détention dans une maison qui n'est pas destinée à la garde des détenus. « Tout juge de paix, porte l'article 616, tout officier chargé du ministère public, tout juge d'instruction, est tenu d'office, ou sur l'avis qu'il en aura reçu, sous peine d'être poursuivi comme complice de détention arbitraire, de s'y transporter aussitôt (dans la maison particulière) et de faire mettre en liberté la personne détenue. » On voit qu'il ne s'agit pas de se transporter dans une prison légale pour y examiner les causes qui motivent une détention, mais seulement de faire cesser cette détention hors des maisons destinées à la garde des détenus.

Mais quel est le motif de cette restriction? La liberté individuelle n'est-elle pas plus intéressée encore à la légalité des causes de la détention qu'à celle du lieu dans lequel elle est opérée? On est tenté de n'attribuer cette lacune qu'à l'oubli, à la seule négligence des rédacteurs du Code, et cette idée semble se fortifier Nous n'avons jusqu'à présent parlé que de quand on se reporte à l'article 587 du Code du

3 brumaire an IV, qui prescrivait la mise en liberté lorsque la détention dans une prison ne s'appuyait pas sur un titre régulier, quand on se reporte surtout à ces paroles de M. Berlier dans l'exposé des motifs : « Protecteurs nés de la liberté civile, les magistrats qui, étant formellement requis de faire cesser ou de constater une détention illégale ou arbitraire, ne le font pas, ne sont pas moins coupables que s'ils l'avaient ordonnée eux-mêmes. >>

Cependant il est permis d'apercevoir un autre motif au texte précis et restrictif de l'artiticle. « Ce n'était pas, a dit un magistrat distingué, avec le système des prisons d'Etat et les arrestations par mesure de haute police, que l'on pouvait concéder encore à un simple fonctionnaire le droit de faire mettre en liberté les individus jetés dans les prisons sans mandat ni jugement. On voulait bien permettre la simple réparation du crime de détention arbitraire commis par un particulier dans une maison particulière; mais cet autre crime commis par l'autorité elle-même, et exécuté ouvertement dans les lieux où ce crime est puni, il fallait bien se garder d'y toucher (1). » Cet écrivain propose, pour remédier à cet abus, d'investir les chambres du Conseil du droit de statuer sur la mise en liberté des individus qui prétendraient être illégalement détenus; et ce mode présenterait, sans doute, toutes les garanties qui peuvent être nécessaires à la société.

Que faut-il entendre par réclamation légale dans le sens de l'article 119, et quel est le devoir de cette autorité supérieure à laquelle la dénonciation est adressée ? La loi n'a entendu assujétir le réclamant à aucune formalité particulière il y a réclamation légale toutes les fois qu'elle est parvenue à la connaissance de l'officier public. Cela résulte de la discussion même à laquelle cet article a donné lieu. Le projet portait le mot réquisition; la commission du Corps législatif proposa de substituer à ce mot ceux de réclamation légale, et l'unique motif de ce changement est que celui qui a à se plaindre ou à dénoncer aux magistrats une détention arbitraire, doit leur en donner régulièrement avis, et non leur faire une réquisition; ce terme suppose une autorité de celui qui requiert sur celui qui est requis.

Quant àl'autorité supérieure qui se compose apparemment du fonctionnaire immédiatement supérieur au fonctionnaire saisi, la loi garde

[1] De l'humanité dans les lois criminelles, par M. de Molènes, p. 209.

le silence sur ses obligations: elle doit, sans doute, se borner à transmettre elle-même la dénonciation au fonctionnaire placé au-dessus d'elle dans l'ordre hiérarchique; et cette dénonciation remontera ainsi jusqu'au ministre, qui n'est pas lui-même investi par la loi du droit d'ordonner la mise en liberté. Mais la pénalité et les dommages-intérêts ne s'appliquent point à ces fonctionnaires intermédiaires : celui qui a été saisi directement par le détenu de sa réclamation en est seul passible.

Un troisième crime contre la liberté individuelle est la violation des formes prescrites par la loi pour l'arrestation. Deux de ces formes ont reçu dans la loi pénale une sanction spéciale : toute détention opérée sans un ordre de la justice, ou hors des maisons destinées à la garde des détenus, est une détention arbitraire. Ces deux hypothèses font l'objet des articles 120 et 122 du Code pénal. L'article 121 porte : « Les gardiens et concierges des maisons de dépôt, d'arrêt, de justice ou de peine, qui auront reçu un prisonnier sans mandat ou jugement, ou sans ordre provisoire du gouvernement; ceux qui l'auront retenu ou auront refusé de le représenter à l'officier de police ou au porteur de ses ordres, sans justifier de la défense du procureur du roi ou du juge; ceux qui auront refuse d'exhiber leurs registres à l'officier de police, seront comme coupables de détention arbitraire, punis de six mois à deux ans d'emprisonnement, et d'une amende de 16 à 200 francs. »>

Cet article prévoit trois cas distincts: la détention d'un prisonnier sans mandat ni jugement, le refus de représenter un détenu à l'officier de police, enfin le refus d'exhiber les registres de la prison au même officier.

La première de ces dispositions a pour but de confirmer l'art. 609 du Code d'instruction criminelle qui déclare que : Nul gardien ne pourra, à peine d'être poursuivi et puni comme coupable de détention at bitraire, recevoir ni retenir aucune personne qu en vertu soit d'un mandat de dépôt, soit d'un mandat d'arrêt décerné selon les formes prescrites par la loi, soit d'un arrêt de renvoi, d'un décret d'accusation ou d'un arrêt ou jugement... » Toutefois l'art. 120 admet de plus la validité d'un ordre provisoire du gouvernement; mais nous avons vu précédemment que les arrestations par mesure de police, en vigueur lors de la rédaction du Code pénal, avaient été abolies par la Charte, et que cette disposition, aujourd'hui sans force, devait être désormais sans application.

L'art. 609 du Code d'instruction criminelle, en énumérant les mandats qui justifient l'in

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