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THÉORIE

DU

CODE PÉNAL.

DES CRIMES POLITIQUES.

CHAPITRE XVIII.

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SUITE.

DIVISION ET OBJET DE CE CHAPITRE.

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EXEMPTION DE

- § Ier. ATTENTATS ET COMPLOTS TENDANTS A EXCITER LA GUERRE CIVILE, LA DÉVASTATION, LE pillage et le MASSACRE; ENRÔLEMENTS ILLÉGITIMES, ARMEMENT ILLÉGAL; USURPATION DU COMMANDEMENT DE LA FORCE PUBLIQUE; EMPLOI DE CETTE FORCE CONTRE LA LEVÉE DES GENS de guerre; DESTRUCTION DES PORTS ET ARSENAUX. CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE CES CRIMES, EXAMEN DES INCRIMINATIONS, RÈGLES QUI EN DOMINENT L'APPLICATION. - § II. DES CRIMES COMMIS PAR DES BANDES ARMÉES. APPLICATION DES PEINES AUX COMMANDANTS DE CES BANDES, AUX COMPLICES, AUX RECÉLEURS. TOUTE PEINE EN FAVEUR DES INDIVIDUS N'EXERÇANT AUCUN COMMANDEMENT ET QUI SE SONT RETIRÉS AU PREMIER AVERTISSEMENT. ÉTENDUE ET LIMITE DE CETTE EXCEPTION. APPLICATION AUX CRIMES PRÉVUS PAR LA LOI DU 24 MAI 1834. § III. DE LA CIRCONSTANCE AGGRAVANTE DU PORT D'ARMES. CE QU'IL FAUT ENTENDRE PAR ARMES. QUELS SONT LES OBJETS COMPRIS SOUS CETTE DÉNOMINATION? LES BATONS ET LES PIERRES RENTRENT-ILS DANS CETTE CATÉGORIE? — § IV. DE LA RÉVÉLATION DE CRIMES CONTRE LA SURETÉ DE L'ÉTAT PAR LES COUPAbles. EXEMPTION DE PEINES EN FAVEUR DE CEUX QUI LES PREMIERS ONT AVERTI L'AUTORITÉ.— .-EXAMEN DES PRINCIPES DE CETTE (COMMENTAIRES DES ART. 91, 92, 93,

EXEMPTION.

LIMITES DE SON APPLICATION.

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94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101 ET 108 DU CODE PÉNAL. )

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Les complots et les attentats qui sont dirigés d'une manière spéciale contre le chef de l'Etat, sa famille, ou son autorité, ont fait l'objet du chapitre précédent. Auprès de ces attentats, il est d'autres crimes qui compromettent également la sûreté intérieure de l'État: tels sont les actes qui tendent à exciter la guerre civile, le massacre et le pillage; les enrôlements illicites; la rétention illégale du commandement de la force publique; l'emploi de cette force contre la levée des gens de guerre; la destruction des ports et des arsenaux; enfin, les attaques envers la force publique commises par des bandes armées. Il nous a fallu, pour nous conformer au plan adopté par le Code, renfermer

CHAUVEAU. T. II.

dans un même chapitre les observations qui se rattachent à des crimes, uniformes dans le but qu'ils se proposent, mais qui diffèrent si étrangement par les circonstances qui les caractérisent.

Ce chapitre sera divisé en quatre paragraphes. Le premier sera consacré aux complots et attentats qui ont pour but d'exciter à la guerre civile ou de porter le massacre et la dévastation; aux crimes d'enrôlement illicite, d'usurpation de commandement, d'emploi illégal de la force publique, et d'incendie des édifices de l'État.

Le deuxième aura pour objet les tentatives criminelles commises par des bandes armées, et

les différentes distinctions introduites par la loi à l'égard des individus qui ont fait partie de ces bandes séditieuses, suivant le rôle qu'ils y ont joué.

Le troisième renfermera la définition de la circonstance aggravante du port d'armes, circonstance qui donne aux bandes un caractère plus alarmant, et qui, dans le système du Code, est un élément constitutif de plusieurs crimes. Enfin, le quatrième paragraphe sera employé à poser les limites et les effets de l'exemption de peine que l'article 108 du Code accorde à ceux d'entre les coupables qui, avant toutes poursuites, ont révélé l'existence des préparatifs et des complots contre la sûreté de l'État.

§ 1er.

Les actes qui tendent à allumer la guerre civile, l'usurpation du commandement des gens de guerre, la dévastation et le pillage public, ont un but commun, c'est de porter le trouble dans l'État. Cette intention criminelle est une sorte de lien qui groupe ensemble les faits divers que prévoient les art. 91, 92, 93, 94 et 95 du Code. Ces crimes, en effet, ne sont que la manifestation, dans des espèces distinctes, d'une pensée identique ce sont autant de moyens différents de parvenir à troubler l'ordre public, autant de tentatives dirigées contre le pouvoir social. Cette volonté spéciale, ce caractère politique, sont donc les premiers éléments de ces crimes. S'ils ne se trouvaient pas dans les faits incriminés, l'attaque changerait de nature, ou le crime disparaîtrait même entiè

rement.

C'est avec l'appui de cette première règle que nous allons successivement examiner les circonstances constitutives de chacun de ces crimes. Rappelons cependant encore un autre principe qui doit également dominer cet examen, et que nous avons déjà eu occasion d'invoquer ailleurs: c'est qu'en cette matière où la criminalité se puise surtout dans le péril social, l'interprétation doit se renfermer avec plus de rigueur dans les termes de la loi pénale. Le législateur, en traçant les caractères qui constituent le crime, a marqué le point où le péril commence, où l'ordre public est menacé; il n'appartient pas aux juges d'être plus prévoyants.

L'article 91 est ainsi conçu : « L'attentat dont le but sera, soit d'exciter la guerre civile, en armant ou en portant les citoyens à s'armer les uns contre les autres, soit de porter la dévastation, le massacre et le pillage dans une ou plu

sieurs communes, sera puni de mort. — Le complot ayant pour but l'un des crimes prévus au présent article, et la proposition de former ce complot, seront punis des peines portées en l'article 89, suivant les distinctions qui y sont établies. »>

Cet article prévoit un dernier cas de complot et d'attentat. Nous n'avons plus à nous occuper ici de la valeur de ces expressions légales et des conditions élémentaires de ces crimes ces expressions ont reçu leur définition dans le chapitre qui précède, et les éléments constitutifs de l'attentat et du complot y ont été également expliqués. Il ne reste donc qu'à appliquer des règles déjà posées à une nouvelle espèce du même crime.

L'art. 91 punit le complot et l'attentat qui ont eu pour objet, soit d'exciter la guerre civile, en armant ou en portant les citoyens à s'armer les uns contre les autres, soit de porter la dévastation, le massacre ou le pillage dans une ou plusieurs communes. Il faut examiner séparément ces crimes, suivant qu'ils tendent vers l'un ou l'autre but. Dans la première espèce, il est nécessaire, pour l'existence de l'attentat, qu'il ait eu pour but d'exciter la guerre civile. C'est ce but coupable, c'est cette pensée qui fait tout le crime. Les fauteurs des guerres civiles portent, en effet, l'atteinte la plus grave à la société : ils allument un incendie que des flots de sang n'éteignent pas toujours; ils déchirent le sein de la patrie avec les mains de ses propres enfants; ils sacrifient le repos et la vie de leurs concitoyens aux passions qui les animent, et aux vengeances qu'ils méditent. Voilà le crime que l'art. 91 a voulu punir: on ne pourrait donc invoquer les dispositions de cet article, s'il s'agissait d'une querelle locale, d'une rixe entre des particuliers et même entre des communes; il faut que l'agent ait nourri une pensée politique, il faut qu'il ait envisagé la guerre civile et ses horreurs, et qu'il n'ait point reculé.

Mais ici se présente une question : Qu'est-ce que la guerre civile dans l'esprit de la loi pénale? Dans quel cas existe-t elle? Quelles sont les circonstances nécessaires pour la produire? La guerre, suivant la définition de Grotius, est l'état de ceux qui tâchent de vider leurs différends par la force [1]; et la guerre civile ne se distingue de la guerre en général, qu'en ce que ce sont les membres de la même société qui

[1] De jure belli et pacis, l. 1, ch. 1, § 5.

s'arment les uns contre les autres [1]. Ainsi, d'après les publicistes, pour qu'il y ait guerre civile, il faut ces deux circonstances: que les membres d'une même nation s'arment les uns contre les autres, et qu'ils aient pour but de vider leurs différends par la force. Il suit de là qu'on ne peut voir de guerre civile dans des rixes isolées, des attaques accidentelles, des séditions même, quand elles sont locales, dénuées de tout but politique, et qu'elles n'ont pas, en un mot, pour objet de vider les graves différends qui partagent et bouleversent les nations. Il n'y a done excitation à la guerre civile, dans le sens de l'art. 91, que lorsque l'agent, par ses actes matériels, a provoqué une faction, une classe de personnes, ou les citoyens en masse, à prendre les armes pour une cause générale et de nature à altérer les rapports politiques des pouvoirs sociaux.

L'art. 91 porte: les citoyens ou habitants. Ces termes, dans leur généralité, comprennent non-seulement les nationaux, mais les étrangers qui résident sur le territoire français, et dont l'agent pourrait se faire un instrument de troubles.

Le deuxième fait que punit l'art. 91, est le complot et l'attentat qui ont pour but de porter la dévastation, le massacre et le pillage dans une ou plusieurs communes. Il ne suffirait done pas que l'attentat eût eu cet effet pour résultat; il faut que la dévastation, le massacre et le pillage aient été le but qu'il s'est proposé : c'est ce but seul qui caractérise le crime. Il faut remarquer ensuite que la loi exige la réunion de la dévastation, du massacre et du pillage. Et, en effet, la dévastation d'une commune ne serait qu'une atteinte à la propriété. C'est le massacre des habitans, c'est le pillage des maisons, qui et révèdéterminent le caractère de la guerre, lent l'attentat politique.

Le Code pénal de 1810 punissait de la même peine le complot et l'attentat prévus par l'art. 91. La révision du 28 avril 1832 a détruit cette confusion; les distinctions établies par l'art. 89 s'appliquent à l'art. 91, et la peine de mort est réservée au seul attentat. Le projet du Code pénal belge a introduit une autre division : l'attentat qui a pour objet de porter la dévastation, le massacre ou le pillage dans une commune, est seul puni de mort; celui dont le but est d'exciter la guerre civile n'est puni que de la détention perpétuelle. Les motifs de cette sé

[1] Burlamaqui, t. 2, p. 775.

paration sont que le premier de ces attentats est directement dirigé contre la vie ou les propriétés des citoyens, tandis que le second, principalement dirigé contre le gouvernement, ne compromet qu'accessoirement cette vie et cette fortune. M. Haus critique, non sans raison, cette proposition; car il ne s'agit pas ici d'une attaque immatérielle contre le gouvernement; il s'agit d'une attaque à force ouverte et par la guerre civile: or, est-ce que la guerre civile ne menace pas immédiatement l'existence des citoyens? est-ce qu'elle n'a pas pour résultat inévitable la dévastation et le massacre? Les deux faits prévus par l'art. 91 se confondent par leur caractère et leurs effets. Si les dispositions de cet article appellent une distinc tion, ce serait plutôt, ce nous semble, pour marquer les résultats divers de l'attentat; si la guerre civile, bien que provoquée par un acte matériel, ne s'est pas allumée, si le pillage ou le massacre prémédités dans une commune ont été prévenus ou arrêtés, le dommage ni le péril ne sont pas les mêmes, et la peine doit avoir des degrés.

Une seconde innovation de la loi du 28 avril 1832 a été d'incriminer la simple proposition de former un complot ayant pour but l'un des crimes prévus par l'art. 91. Cette disposition fut introduite par voie d'amendement. «< Comment laisser impuni, disait-on, l'homme assez coupable pour faire une proposition tendante à exciter la guerre civile, à porter la dévastation, le massacre et le pillage dans sa patrie? Peuton le regarder comme beaucoup moins criminel que celui qui propose d'attenter à la vie du roi ? » Nous avons réfuté ailleurs cette argumentation. La proposition non agréée d'un complot contre la vie du roi porte en elle-même un péril grave, parce que son exécution est facile et son but clair et net. Mais une proposition tendante à allumer la guerre civile ou à porter la dévastation et le massacre dans une commune, n'est point aussi alarmante, car le but est éloigné et les moyens d'exécution difficiles à réunir. Une telle proposition ne doit donc être considérée que comme un vague projet que la loi peut laisser sans danger impuni. Le Code de 1810, si sévère dans les crimes de cette nature, avait cru pouvoir négliger celuici, et il n'en était résulté aucun péril pour l'or dre social.

La loi du 24 mai 1834 a incriminé, à titre de crimes distincts, plusieurs actes de guerre civile qui constitueraient l'attentat prévu par l'art. 91, si leur but criminel pouvait être établi. Ces actes ont été examinés dans notre pré

cédent chapitre, et il suffira d'y renvoyer nos lecteurs.

Nous passons à l'art. 92, dont voici le texte : >> Seront punis de mort ceux qui auront levé ou >> fait lever des troupes armées, engagé ou en» rôlé, fait engager ou enrôler des soldats, ou >> leur auront fourni ou procuré des armes ou >> munitions, sans ordre ou autorisation du >> pouvoir légitime. »>

Quelques doutes se sont élevés sur l'interprétation de cet article. On a remarqué qu'il punissait l'armement illégal, sans faire aucune mention du but de cet armement; et la cour de cassation a induit de ce silence qu'il n'est pas nécessaire que l'objet de l'enrôlement soit déterminé dans les questions posées au jury [1]. Cette opinion nous paraît entièrement contraire à la loi. L'art. 92 est placé dans le chapitre des crimes contre la sûreté intérieure de l'État, et dans la section des crimes qui tendent à troubler l'État par la guerre civile. Que fautil conclure de cette classification? Qu'il s'agit, dans l'esprit de cet article, d'un armement dirigé contre le gouvernement lui-même. Voilà le crime que le législateur a dû prévoir en s'occupant des attentats contre la sûreté de l'État; voilà l'attentat qu'il a eu en vue quand il l'a frappé de la peine de mort. Et, en effet, la levée illégitime de gens de guerre, quand elle menace le pouvoir social, le jette dans un danger imminent; elle constitue une rébellion ouverte aux lois, un attentat direct contre l'État: le législateur a dû lui réserver la plus forte de ses peines. Mais ôtez à cette action ce but coupable; supposez qu'il s'agit d'un enrôlement de citoyens pour un pays étranger: quel serait le péril d'un tel enrôlement pour l'État ? et comment justifier alors l'énormité de la peine? Nous croyons donc que l'art. 92, ne s'applique qu'à la levée illégitime de troupes armées, qu'à l'armement illégal de soldats qui sont destinés, dans l'intention de l'agent, à attaquer les pouvoirs de l'État. Au reste, il importe de bien distinguer l'enrôlement illicite, prévu par l'art. 92, du crime d'embauchage. D'après la définition de l'art. 2 de la loi du 4 nivôse an IV, «l'embaucheur est celui qui, par argent, par des liqueurs énivrantes ou tout autre moyen, cherche à éloigner de leurs drapeaux les défenseurs de la patrie, pour les faire passer à l'ennemi, à l'étranger ou aux rebelles. » L'embaucheur s'adresse donc aux militaires qui sont sous les

[1] Arr. cass. 13 févr. 1823.

drapeaux, il s'efforce par ses séductions de les arracher à leur devoir, il provoque la désertion, il se rend complice du crime. Aussi, dans l'embauchage, il y a toujours eu existence simultanée de ce crime spécial et du crime de conspiration contre la sûreté de l'État. De là la peine de mort que la loi du 4 nivôse an IV prononce uniformément contre le crime, sans même distinguer, comme la justice l'eût exigé, si les militaires embauchés étaient destinés à l'ennemi et aux rebelles, ou à l'étranger.

Dans le crime prévu par l'art. 92, l'agent ne s'adresse point à des militaires, car alors il serait coupable d'embauchage, mais à de simples citoyens; l'enrôlement auquel il procède n'est point en lui-même un crime, comme celui de l'embauchage ; il ne prend ce caractère que par le but qu'il se propose. Et de là on doit conclure que, si ce but n'est pas criminel, il peut être coupable d'une contravention aux lois de police, en procédant à un armement sans autorisation; mais il n'est pas coupable du crime puni par l'art. 92, crime qui puise son premier élément dans l'intention de faire usage de la force illégalement levée pour attaquer les pouvoirs de l'État.

Aux termes de l'article 92, il n'y a crime qu'autant que l'armement a eu lieu sans ordre ou autorisation du pouvoir légitime. Cette addition, qui était peut-être superflue, ne doit pas être entendue dans un sens trop absolu. Ainsi l'agent qui aurait procédé à une levée d'hommes sans l'autorisation du pouvoir, serait cependant excusable s'il avait agi par l'ordre de ses supérieurs dans le rang hiérarchique, et que cet enrôlement fût un acte de ses fonctions.

La cour de cassation a décidé, par un arrêt du 13 février 1823, que la seule tentative de l'enrôlement illicite doit être punie comme le crime même; et en effet, d'après les termes formels de l'art. 2, toute tentative de crime doit être considérée comme le crime même. Mais alors il est évident qu'une telle tentative ne peut être punie qu'autant qu'elle renferme les circonstances élémentaires exigées par cet article.

L'art. 93 présente une espèce analogue; il est ainsi conçu : « Ceux qui, sans droit ou motif légitime, auront pris le commandement d'un corps d'armée, d'une troupe, d'une flotte, d'une escadre, d'un bâtiment de mer, d'une place forte, d'un port, d'un poste, d'une ville; — ceux qui auront retenu, contre l'ordre du gouvernement, un commandement militaire quelconque; les commandants qui auront tenu leur armée en troupe rassemblée, après que

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