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le licenciement ou la séparation en auront été ordonnés, seront punis de la peine de mort. »

Nous n'avons que peu d'observations à faire sur cet article; il semble, d'abord, que sa place n'était point dans le code pénal, mais bien dans les lois militaires. Cette remarque fut faite par Cambacérés dans les discussions du conseil d'état. M. Berlier répondit que cette classification n'avait aucun inconvénient, et que les peines inscrites dans le code deviendraient la règle des juges compétents, quels qu'ils fussent. Mais, si cette classification n'a pas d'inconvénients, elle est sans utilité; car, du moment qu'il est reconnu que les faits prévus par cet article sont des faits militaires, on ne voit pas par quelle exception cette disposition a pris place dans le droit commun. C'est une dérogation à l'ordre des matières que le code s'est proposé de suivre. Au reste si l'usurpation d'un commandement militaire est un crime grave qui produit dans P'État une perturbation réelle, il est visible que cette perturbation ne peut exister, qu'il n'y a de crime, en un mot, qu'autant que l'usurpation a un but criminel. Car l'intention coupable est l'élément indispensable de tous les crimes; et d'ailleurs l'assimilation que fait cet article de faits distincts et qui n'ont pas évidemment la même importance, révèle que la volonté du législateur a été d'incriminer, non pas seulement le fait matériel de l'usurpation, fait que dans certains cas les circonstances peuvent justifier, mais l'usage que l'agent préten dait faire du commandement usurpé.

Le projet du Code punissait le commandant enchefou en sous-ordre. Cette expression fut changée sur les observations de la commission du Corps législatif : « On voit que l'objet de l'article, disait cette commission, est de ne frapper de cette peine que le commandant en chef, et non les commandants en sous ordre qui lui obéissent, et qui ne peuvent avoir une connaissance de ses coupables desseins, et conséquemment n'être pas punissables comme lui. Si le commandant se retire ou est absent, on convient que l'officier inférieur qui le remplace alors devient lui-même commandant, et que, dans ce cas, il doit être passible de la peine. Toute équivoque cesserait si l'on se déterminait à supprimer les mots en chef ou en sous-ordre, et à mettre ces mots: Ceux qui, sans droit ou motif légitime, auront pris le commandement d'un corps, etc. [1].»

Le Conseil d'état adopta ce changement qui éclaire et fixe le sens de l'article.

L'art. 94 est ainsi conçu: « Toute personne qui, pouvant disposer de la force publique, en aura requis ou ordonné, fait requérir ou ordonner l'action ou l'emploi contre la levée des gens de guerre légalement établie, sera punie de la déportation. Si cette réquisition ou cet ordre ont été suivis de leur effet, le coupable sera pu ni de mort. »

Remarquons en premier lieu que cet article ne s'applique qu'aux personnes qui peuvent disposer de la force publique, et qui en ont requis l'action contre la levée des gens de guerre légalement établie. Ainsi donc, si la réquisition a été faite par une personne dénuée d'autorité ; sila force publique a été employée à tout autre objet qu'à empêcher la levée des gens de guerre; enfin, si la levée contre laquelle cette force a été déployée n'a pas été légalement autorisée, les conditions élémentaires du crime n'existent plus, il n'y a plus de crime.

Le deuxième paragraphe porte la peine de mort quand l'ordre ou la réquisition ont été suivis de leur effet. Quel est l'effet dont la loi a voulu parler? Est-ce la réunion de la force armée, conformément à la réquisition qui lui a été adressée? Estce l'emploi de la force ouverte contre la levée des gens de guerre? Faut-il enfin que cette levée ait été réellement arrêtée? M. Carnot a pensé qu'il fallait qu'un empêchement réel eût été apporté à la levée, pour que le deuxième paragraphe put être appliqué. Peut-être est-ce aller un peu loin: sans doute il ne suffirait pas que la force requise se fût réunie pour que la réquisition soit réputée avoir eu son effet; mais si cette force, obtempérant à cet ordre, s'est employée à son exécution, il est évident que l'effet a eu lieu, quel que soit d'ailleurs le résultat de cet emploi. Il est inutile d'ajouter que la seule tentative de mettre obstacle à la levée des gens de guerre serait punissable, si elle réunissait les caractères constitutifs de la tentative légale.

Lors de la discussion de la loi du 28 avril 1832, on avait proposé de substituer la détention à temps à la déportation dans le premier paragraphe de l'article 94. Cette proposition fut combattue par le rapporteur. « Ce crime, disaitil, peut-il paraître digne d'indulgence? Il se compose de sédition et de trahison: il n'y a pas seulement tentative de révolte, il y a tentative de révolte à l'aide du pouvoir qu'on avait reçu pour la réprimer. Veut-on le comparer aux crimes analogues? Si la réquisition a été

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du suivie d'effet, le même article prononce la

9 janvier 1810. Locré, t. 15, p. 193.

peine de mort. Si nous substituons la détention

à temps à la déportation, pense-t-on que le succès du crime sera une raison suffisante de l'énorme différence des deux châtiments? Ici encore la substitution de la détention à temps à la déportation est insuffisante pour la gravité du crime, et rompt toute l'harmonie des peines entre elles [1]. »

propriétés particulières? Quelques auteurs paraissent avoir adopté cette distinction ; nous ne la croyons pas fondée. Il ne faut pas perdre de vue que l'art. 95 est placé dans la catégorie des crimes qui tendent à troubler l'Etat par la guerre civile. Le législateur a supposé qu'un traître pourrait, en présence de l'ennemi ou de ses concitoyens révoltés, faire sauter une citadelle, un arsenal, un magasin; et ce qui atteste cette pen

quée à toutes les tentatives de cette nature. En effet, dans cette hypothèse, le crime prend une haute gravité : il attaque et compromet la sûreté intérieure de l'Etat ; ce n'est pas seulement un crime d'incendie, c'est un crime de trahison, et c'est cette action complexe qu'a voulu punir l'article 95. Mais si cette intention politique n'a pas présidé à l'attentat, ce n'est plus qu'un crime commun, et il se trouve dès lors compris dans les termes de l'art. 435. Car, d'une part, rien n'indique, dans le texte de ce dernier article, que ses peines soient exclusivement réservées pour les attentats contre les propriétés privées; et, d'un autre côté, il serait trop rigoureux d'infliger la peine de mort, sans distinction, à des incendies de propriétés publiques qui n'auraient ni compromis ni troublé la tranquillité générale de l'Etat.

Nous sommes loin d'adopter ces motifs. On conçoit que sous l'empire, dont la guerre était un moyen de gouvernement, la plus lésée, c'est la peine de mort uniformément appligère résistance aux décrets de lever des troupes ait dû constituer un crime capital. Mais les lois pénales ne doivent pas se ployer aux systèmes de gouvernement. Il est exorbitant que la simple réquisition de l'action de la force publique contre la levée des gens de guerre soit punie de la déportation; il est exorbitant que la peine de mort soit prononcée, si cette réquisition a été suivie de quelque effet. Le péril social n'est point en proportion avec ces peines. M. Destriveaux a proposé une distinction qui garantit à la fois les intérêts de l'État et ceux de la justice [2]. «Sans doute, dit ce publiciste, si l'Etat, engagé dans une guerre qui demande l'emploi de toutes ses forces, appelle ses citoyens aux armes, celui qui se sert de la force publique pour la tourner contre sa patrie doit être soumis à une peine capitale, lorsque ses funestes ordres ont été entendus et exécutés : mais si l'État est en paix, cette action prend un tout autre caractère; la peine de mort est hors de toute proportion, et les travaux forcés nous semblent une réparation suffisante de l'attentat, lors d'ailleurs qu'au crime principal ne se joint pas un crime accessoire, tel, par exemple, que l'homicide. >>

Il nous reste à examiner dans ce paragraphe l'art. 95, ainsi conçu : « Tout individu qui aura incendié ou détruit, par l'explosion d'une mine, des édifices, magasins, arsenaux, vaisseaux, ou autres propriétés appartenant à l'Etat, sera puni de mort. »

Cet article doit être rapproché de l'art. 435, qui punit, d'après les distinctions faites en l'art. 434, ceux qui ont détruit, par l'effet d'une mine, des édifices, navires, bateaux, magasins ou chantiers. Faut-il induire de la combinaison de ces deux articles que la destruction des propriétés publiques, par l'emploi d'une mine, rentre, dans tous les cas, dans les termes de l'art. 95, et que l'art. 434 ne s'applique qu'à la destruction, par le même moyen, des

[1] Code pénal progressif, p. 223. [2] Essais sur le Code pénal, p. 18.

Dans l'hypothèse même de l'article, on peut justement reprocher au législateur d'avoir frappé d'une peine inflexible un crime qui peut avoir des degrés. Ainsi, l'édifice détruit peut être d'une immense importance, ou de la valeur la plus minime; l'incendie peut jeter l'Etat dans un grave péril, ou ne point exposer sérieusement ses intérêts. Dans ces deux cas, le résultat est différent, on ne doit pas supposer non plus la même criminalité: or, c'est une loi défectueuse que celle dans laquelle on confond des idées aussi distinctes, pour arriver à prononcer la même peine et surtout la peine de mort [3].

Au reste, il faut remarquer que, d'après les termes de l'art. 95, le crime n'est accompli que par la destruction, par l'effet de l'explosion de la mine, des édifices et magasins. Un léger dommage causé par l'explosion ne suffirait done pas pour justifier son application, à moins que l'action ne réunit dans ce cas les caractères constitutifs de la tentative légale.

§ II.

Les crimes contre la sûreté intérieure de

[3] M Destriveaux, p. 20.

l'Etat peuvent être commis par des bandes armées. La loi pénale a dû prévoir ce moyen formidable d'exécution: elle prohibe, elle punit la seule organisation des bandes, lorsqu'elles ont pour but un crime politique, indépendamment même de la tentative ou de l'exécution de ce crime. Leur seule existence est un acte préparatoire et presque un commencement d'exécution de l'attentat; elle est un péril flagrant pour l'État. La sédition s'est organisée et a arboré sa bannière; il serait puéril d'attendre, pour la réprimer, qu'elle eût agi. La loi punit l'acte de sédition pour n'avoir pas à punir le crime; la justice exige seulement que les peines soient proportionnées à la gravité des

actes.

Recherchons d'abord quels caractères, quel but, doivent avoir les bandes armées, pour rentrer dans les termes de la loi pénale.

Les bandes dont il s'agit dans ce paragraphe different, 1o des réunions séditieuses prévues par les art. 210 et suiv., en ce que celles-ci sont fortuites et purement accidentelles; 2o des bandes de malfaiteurs que punissent les art. 265 et suivants, en ce que ces associations n'ont pour objet que les crimes contre les personnes et les propriétés; 3° enfin, des réunions ou bandes dont l'article 440 fait mention, en ce que ces réunions n'ont pour objet qu'un seul crime, le pillage des propriétés mobilières, et qu'elles ne sont le résultat d'aucune association préalable.

Deux caractères dominent donc l'existence des bandes prévues par les art. 96 et 97: leur organisation et leur but politique.

L'organisation est la circonstance constitutive du crime: c'est cette organisation qui constitue l'acte préparatoire, qui fait naître le péril, qui décèle l'intention du crime. Il faut qu'elle soit complétement établie; la loi en a déterminé les caractères principaux. L'art. 96 suppose une association préalable, des directeurs, un commandant en chef; l'art. 97 admet des emplois accessoires, des chefs subalternes. Il est nécessaire, de plus, que les hommes recrutés soient armés, et qu'ils aient reçu une organisation militaire.

Il se présente une question grave: quel est le nombre d'individus nécessaire pour constituer une bande séditieuse dans le sens de l'art. 96? La loi romaine ne reconnaissait à un rassemblement séditieux le nom de bande, turba, qu'autant que 10 ou 15 personnes le composaient le texte de cette loi, où cette distinction est établie avec précision, est précieux à recueillir: Turba autem ex quo numero admittimus? Si duo

rixam commiserint, utique non accipiemus in turba id factum, quia duo turbæ non propriè dicentur. Enim verò si plures fuerunt, decem aut quindecim homines, turba dicetur. Quid ergò si tres aut quatuor? turba non erit [1]. La plupart des législations se sont dispensées d'exprimer le nombre d'individus nécessaire pour constituer la sédition. Cependant l'art. 111 du Code du Brésil porte qu'il faut 20 personnes au moins pour qu'il y ait rébellion.

Notre Code est muet sur ce point: s'ensuit-il qu'il faille recourir aux art. 210, 211 et 212, qui ont prévu les faits de résistance avec violence aux agents de l'autorité publique? Mais ces articles, ainsi qu'on l'a déjà fait remarquer, ne parlent que de réunions subites; et ces réu nions ne peuvent être assimilées à des bandes organisées; ensuite, la peine s'y trouve graduée (l'emprisonnement, la détention et les travaux forcés), suivant que la rébellion est commise par une ou deux personnes, trois ou plus jusqu'à vingt, ou plus de vingt. Or, quelle est celle de ces réunions dont il faudra suivre l'analogie? Si la gravité de la peine doit servir de règle de comparaison, il est évident que l'art.96 ne serait applicable qu'aux réunions de plus de 20 personnes. Tel est aussi, nous le croyons, l'esprit de la loi. Comment, en effet, supposer moins de 20 personnes à une bande qui a une organisation, un commandant et des chefs subalternes, et pour laquelle la loi présume l'envoi de convois de subsistances? Mais, dans le silence de la loi, et lorsqu'elle s'est abstenue de définir les éléments qui doivent constituer une bande, il est impossible de poser une règle par voie d'analogie. La question de savoir quel nombre d'individus est nécessaire pour former cette bande est une pure question de fait : c'est au jury à déclarer si l'accusé a fait partie ou s'est mis à la tête d'une bande séditieuse, sans qu'il y ait à s'expliquer sur le nombre des hommes qui la formaient.

La même décision doit s'appliquer à l'organisation des bandes : la loi n'a pas énuméré les signes caractéristiques de cette organisation; seulement elle exige des chefs et des armes. C'est donc encore au jury à apprécier si la réunion n'est qu'un rassemblement éphémère, ramassé à la hâte pour accomplir un acte isolé, ou si elle est soumise aux liens d'une discipline qui révèle une organisation durable et un but

[1] L. 4, 3, Dig, de vi bon, rapt.

arrêté. Ce n'est que dans cette dernière hypothèse que la réunion aurait le caractère d'une bande, d'après l'esprit et le texte des art. 96 et 97. « Lorsque le législateur, a dit M. Carnot, a parlé de bandes armées, de directeurs, de commandants de ces bandes, d'armes, de munitions, de convois de subsistances à leur fournir, il a nécessairement supposé qu'il y aurait eu des levées d'hommes, une organisation quelconque, des troupes agissant sous les ordres et d'après la direction qui leur serait donnée par des agents supérieurs chargés d'en diriger les mouvements: hors ce cas, ce ne serait plus qu'un rassemblement armé, qu'une rébellion à main armée, que des malfaiteurs réunis et armés pour commettre des crimes. >>

Le deuxième élément du crime est le but que les bandes se proposent d'atteindre. La loi a prévu deux objets principaux à ces rassemblements: les crimes d'envahissement et de pillage énumérés par l'art. 96, et les attentats à la sûreté de l'État prévus par les art. 86, 87 et 91. Or il est nécessaire qu'il soit établi que l'un de ces crimes a été le but de leur organisation et de leur prise d'armes; car le crime est tout entier, à vrai dire, dans ce but. A défaut de cette preuve, les bandes ne seraient plus que des attroupements dont l'existence peut inquiéter la tranquillité publique, mais qui sont à l'abri de toute peine jusqu'au moment où l'autorité leur adresse la sommation de se disperser; et leur refus d'obtempérer à cette injonction pourrait constituer seul, aux termes des lois des 3 août 1791 et 10 avril 1831, le délit de trouble à la paix publique.

Ceci posé, reprenons le texte des articles. L'art. 96 porte: « Quiconque, soit pour envahir des domaines, propriétés ou deniers publics, places, villes, forteresses, magasins, postes, arsenaux, ports, vaisseaux ou bâtiments appartenant à l'État, soit pour piller ou partager des propriétés publiques ou nationales ou celles d'une généralité de citoyens, soit enfin pour faire attaque ou résistance envers la force publique agissant contre les auteurs de ces crimes, se sera mis à la tête de bandes armées, ou y aura exercé une fonction ou commandement quelconque, sera puni de mort. >>

Il est difficile de ne pas remarquer quelque confusion dans l'énumération de cet article; on y voit confondus et placés sur la même ligne, l'invasion d'une forteresse et le pillage d'une

[1] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 12 octobre 1808. Locré, t. 15, p. 155.

caisse publique, l'attaque d'une ville et la dévastation d'un bien communal.

Cette injuste classification excita des réclamations au sein du Conseil d'état, lors de la rédaction du Code pénal. Plusieurs membres objectèrent que cet article allait trop loin; que, s'il n'était pas modifié, il faudrait punir de la peine capitale des habitants qui se transporteraient en armes sur un terrain communal qui leur serait disputé par le domaine; qu'il suffirait, pour envoyer à l'échafaud des centaines de paysans, qu'un homme influent les eût ameutés pour envahir une propriété. M. Berlier répondit que jamais un tribunal ne confondrait une réunion tumultueuse et subite de villageois avec une bande armée de malfaiteurs, ni une rixe pour des biens communaux avec un pillage de propriétés ; que si, contre toute apparence, des paysans s'armaient et élisaient un ou plusieurs chefs, alors, et seulement alors, ceux-ci deviendraient sujets aux peines exprimées par l'article [1].

L'objection fut reprise par la commission du Corps législatif. « Dans l'énumération des faits qui constituent un crime emportant peine de mort, on trouve le cas où une bande armée aura attaqué ou dévasté les propriétés d'une généralité de citoyens. Cette désignation paraît devoir principalement concerner les propriétés communales, ou celles de la masse des habitants d'un lieu. Mais, quelque punissables que soient les invasions contre cette espèce de propriété ou autres analogues, on ne peut s'empêcher d'y reconnaître une gravité moindre que lorsque les voies de fait auront pour objet des propriétés publiques ou nationales. » La commission proposait également un paragraphe ainsi conçu: « A l'égard des pillages partiels, attroupements, émeutes et séditions, les au-teurs de ces crimes, les directeurs, provocateurs et chefs de ces rassemblements, seront punis des peines ci-après exprimées en l'art. 440. » Le Conseil d'état repoussa ces propositions par le motif: « qu'ils s'agissait ici non d'attroupements irréfléchis, mais de bandes organisées. Or un crime de cette nature, dirigé même contre des propriétés communales, est si dangereux et par le fait et par l'exemple, il est susceptible d'avoir promptement tant d'imitateurs, qu'il y aurait beaucoup d'inconvénients à le distinguer des crimes qui menacent la sûreté de l'Etat au premier degré [2]. »

[2] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance du 9 janvier 1810. Locré, t. 15, p. 193 et suiv.

Ces motifs peu concluants n'ont pas détruit de l'action dans les faits qui l'ont préparée. l'objection. Il est évident que la loi a accumulé dans une seule disposition, pour les punir de la même peine, plusieurs crimes dont les éléments sont entièrement distincts; il est évident que cette peine est une anomalie dans le Code même, puisque, dans une hypothèse analogue, les art. 209 et 211 ne punissent la rébellion commise avec violence envers la force publique, par une réunion armée de vingt personnes, que de la seule peine de la réclusion.

A la vérité, le 1er § de l'art. 96 ne s'applique qu'aux individus qui se sont mis à la tête des bandes armées, ou qui y ont exercé une fonction ou commandement quelconque. Mais il faut remarquer que, d'après les termes de cet article, il n'est pas même nécessaire que les crimes qui ont fait le but de la bande aient été exécutés ou même tentés. Le seul fait du commandement d'une bande armée ou d'une fonction remplie dans cette bande, avec le but d'exécuter l'un des faits énumérés dans l'art. 96, constitue le crime, indépendamment des actes d'exécution: c'est, ainsi qu'on l'a déjà remarqué, l'acte préparatoire que la loi saisit, au moment où il se développe plein de périls pour la société. Toutefois, et cette règle a été consacrée par la Cour de cassation [1], le commandement ou les fonctions, l'armement de la bande, et le but que se propose l'entreprise, sont des circonstances constitutives, et non pas seulement aggravantes du crime; d'où il suit que si le jury a écarté une seule de ces circonstances, l'accusation n'a plus de base et les faits déclarés constants ne forment plus de crime.

La rigueur de la loi se manifeste avec plus d'intensité encore à l'égard des complices; dans le 2o § de l'art. 96, ainsi conçu: « Les mêmes peines [2] seront appliquées à ceux qui auront dirigé l'association, levé ou fait lever, organisé ou fait organiser les bandes, ou leur auront sciemment et volontairement fourni ou procuré des armes, munitions et instruments de crime, ou envoyé des convois de subsistances, ou qui auront de toute autre manière pratiqué des intelligences avec les directeurs ou commandants des bandes. >>

On pourrait penser, à la première vue, que cette disposition est sans objet, puisque l'art. 60 déclare en général complices ceux qui ont, avec connaissance, aidé ou assisté les auteurs

Mais plusieurs différences essentielles se font remarquer entre le principe général et l'application qu'en a faite l'art. 96. L'article 60 ne punit comme complices que les individus quiont pris part aux préparatifs d'un crime tenté ou consommé; l'art. 96 inculpe la seule assistance à un acte préparatoire, l'organisation des bandes, indépendamment de l'exécution et même de la tentative du crime qu'elles ont pour but de consommer. En deuxième lieu, la peine applicable aux complices d'après l'art. 59, est la même peine que pour les auteurs mêmes du crime. Or, lorsqu'il s'agit de bandes armées, cette peine a deux degrés, suivant que les auteurs principaux ont été les directeurs ou seulement les membres de ces bandes. Il semblerait donc que, dans certains cas, les complices pourraient n'être passibles que de la plus douce de ces deux peines il n'en est point ainsi; et la peine de mort, spécialement destinée aux chefs ou directeurs des bandes, est uniformément appliquée à tous les cas de complicité quels qu'ils soient, de sorte que la plus légère intelligence avec le commandant d'une de ces bandes est punie plus rigoureusement que le fait même d'en avoir fait partie. Enfin, ce n'est pas seulement par les modes de participation énumérés dans l'art. 60, que l'on devient complice de l'organisation des bandes armées; il suffit, pour encourir cette complicité et devenir passible de la peine capitale, d'avoir de toute autre manière pratiqué des intelligences avec les directeurs ou commandants des bandes.

Il est impossible de ne pas remarquer l'effrayante latitude de ces dernières expressions. La commission du corps législatif avait proposé de retrancher ces mots : de toute autre manière, et de laisser seulement ceux qui auront pratiqué des intelligences. « Cette énonciation, portait son rapport, envelopperait tous les moyens de pratiquer des intelligences, et laisserait moins de carrière aux fausses interprétations et aux mauvaises applications. » Il serait difficile, en effet, d'imaginer un texte plus flexible à toutes les interprétations, et il est pénible de penser que les mille modes d'intelligences qu'il permet de comprendre dans ses expressions seraient indistinctement punis de la peine capitale.

Toutefois les individus qui ont prêté aide et

[1] Arr. cass. 9 fév. 1832; Sirey 1832. 1. 141. [2] Il faut lire la même peine, puisque la con

:

fiscation a été retranchée du premier paragraphe. Cette erreur de rédaction a échappé à la révision.

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