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c'est une femme haute comme une maison; c'est un géant terrible et fort comme Polyphème, qui parle vingtdeux langues comme M. Silvestre de Sacy; c'est un nain dont on vous montre la main mignonne par une petite ouverture; c'est un anthropophage, les yeux ardents, qui assomme un tigre à grands coups de massue; ou bien encore, c'est une fille sauvage, reine ou princesse pour le moins, qui perce un ours de ses flèches. La foule est là,

béante d'étonnement, et qui regarde avec admiration.

Connaissez-vous le petit savant qu'on interroge dans la rue ? C'est là un enfant précoce, une véritable merveille! Ne me parlez plus de Pic de la Mirandole, ni de personne autre le petit savant a tout surpassé, tout éclipsé. Le petit savant sait combien il y a d'étoiles au ciel, combien de grains de sable au bord de la mer; le petit savant connaît la date précise de chaque événement, de chaque invention; le petit savant a une mémoire imperturbable; le petit savant est aussi complet qu'une encyclopédie, aussi exact qu'un erratum.

Et le musicien qui exécute un concert à lui seul, qui a une guitare, une flûte de Pan, des sonnettes à son chapeau et à son panache, une grosse caisse derrière le dos, qu'il frappe de ses coudes, et des cymbales entre ses jambes! Et celui qui joue l'automate, qui est parvenu à se donner toutes les apparences d'une machine, qu'on remue, qu'on pose, qu'on emporte, qui garde l'attitude qu'on lui donne; qui a le corps raide, le regard fixe; dont la paupière même ne bouge point! Et la famille aux échasses, qui manoeuvre et fait mainte évolution comme un peloton d'infanterie ! Et le chimiste qui, avec un peu d'eau, vous fabrique à vue des vins de toutes les couleurs, rien qu'en versant d'un verre dans un autre !

Et les animaux savants! le cheval qui dit l'heure avec son pied! le dromadaire qui ploie docilement les genoux au son de la cornemuse! Le singe qui fait ses exercises d'équitation sur un chien ; qui balaie, qui tend son chapeau pour avoir un sou! Le lièvre, enfin, qui tire un coup de pistolet et qui fait le roulement sur un tambour!

A Paris, on peut faire un cours d'histoire naturelle dans la rue. On y trouve tous les animaux de l'arche,

Les couleuvres sont l'attribut des marchands de cirage, ainsi que les petits oiseaux qu'on fait tenir immobiles en leur tordant le cou.

Qu'est-ce qu'on voit là-bas, où il y a tant de monde attroupé? Ah! c'est l'avaleur de sabres. Nous avons vu des hommes qui mangeaient des oiseaux vivants : celui-ci mange toute la boutique d'un armurier.

Quelle est cette dame, en chapeau à plumes, debout, dans un cabriolet découvert, avec ces beaux messieurs à pied, en habits rouges? C'est un empirique, un docteur en jupons. Elle possède de merveilleux secrets; elle a des drogues pour toutes les maladies; elle connaît des simples de tout genre. Elle parcourt le monde par humanité; elle ne fait que passer par cette ville; elle a sauvé de maladies mortelles le grand Lama, le grand Mogol, l'empereur de Maroc. Et les vieilles commères, et les crédules campagnards, et les innocents conscrits, séduits par le pathos de la vendeuse d'orviétan, échangent leur pauvre argent contre de l'herbe, au milieu des fanfares triomphales des messieurs en habits rouges.

Poursuivons. Autre enjôleur. C'est un dentiste-pédicure. Il a un onguent vert qui guérit radicalement les cors. Il a une pommade rouge qui guérit toute brûlure. "Messieurs," dit-il, avec une noble fierté, "y a t-il quelqu'un d'entre vous qui ait mal aux dents? veuillez m'honorer de votre confiance. C'est sans effort, sans douleur. On ne le sent même pas." Longtemps tout le monde reste immobile; à la fin, un pauvre diable s'avance, la figure empaquetée, la joue gonflée comme un ballon. On l'assied. C'est une grosse dent de la mâchoire inférieure, toute cassée. L'opérateur empoigne une tenaille de maréchal ferrant. La dent est saisie. Voilà l'instant dramatique, l'instant décisif. Un cri s'entend, une secousse est donnée, secousse effroyable, qui déracinerait un chêne, qui arracherait une montagne de sa base; le patient, la chaise, tout est ébranlé, tout est enlevé par le bras de fer de l'impitoyable chirurgien. Enfin, la dent rebelle, la dent récalcitrante demeure au bout de l'instrument avec une bonne portion de l'os maxillaire. AMÉDÉE POMMIER.

LE PÉTITIONNAIRE ET LE ROI DE ROME.

ON m'a conté une anecdote assez singulière sur notre ci-devant seigneur et maître l'empereur Napoléon. Un homme d'esprit, qui était à la fois assez instruit et très malheureux, songea qu'il remplirait une petite place un peu lucrative, aussi bien qu'une multitude de sots bien payés, et qui n'ont pour eux que leur bonheur. Il demanda donc un emploi: mais il n'avait point de protecteurs; et l'on sait que le mérite seul ne protége personne. Il essaya vainement trois ou quatre pétitions qui, selon l'usage, ne furent pas remises au monarque.

Fatigué, impatient, et toujours plus pauvre, il s'avisa d'un stratagème, qui ne serait pas indigne d'un courtisan. La nécessité donne souvent d'heureuses idées. Il écrivit avec beaucoup de soin un petit placet, qu'il adressa à sa majesté le roi de Rome. Il ne demandait qu'un emploi de six mille francs; ce qui était très modeste.

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Le cœur plein de l'espoir du succès, il alla trouver un officier général attaché à la personne de l'empereur; il lui avoua sa détresse, lui montra son placet, et lui dit : Monsieur, vous feriez encore une action généreuse, et vous auriez droit à ma reconnaissance éternelle, si vous me donniez le moyen de présenter ce papier à l'empereur." Le général, qui était accessible autant que brave, conduisit le pétitionnaire devant Napoléon.

L'empereur prit le placet, remarqua l'adresse, et en parut agréablement étonné.-Sire, lui dit-on, c'est une pétition pour sa majesté le roi de Rome.-Eh bien! répondit l'empereur, qu'on porte la pétition à son adresse..

. Le roi de Rome avait alors six mois. Quatre chambellans eurent ordre de conduire le pétitionnaire devant la petite majesté. Le solliciteur ne se démonta pas: il voyait la fortune sourire. Il se présenta devant le berceau du prince, déplia son papier, et en fit lecture à haute et intelligible voix, après les plus respectueuses révérences. L'enfant-roi balbutia quelques sons pendant cette lecture, et ne répondit point à la demande. Le cortége

salua le petit monarque; et l'empereur demanda quelle réponse on avait obtenue ?-Sire, sa majesté n'a rien répondu.-Qui ne dit rien, consent, reprit Napoléon: la place est accordée. COLLIN DE PLANCY.

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"Apologue charmant, qui est la censure du règne entier d'un conquérant."-TISSOT.

Il était un roi d'Yvetot,
Peu connu dans l'histoire ;
Se levant tard, se couchant tôt,
Dormant fort bien sans gloire,
Et couronné par Jeanneton
D'un simple bonnet de coton,
Dit-on.

Quel bon petit roi c'était là !

Il faisait ses quatre repas
Dans son palais de chaume,
Et sur un âne, pas à pas,
Parcourait son royaume.
Joyeux, simple et croyant le bien,
Pour toute garde il n'avait rien
Qu'un chien.
Quel bon petit roi c'était là !

Il n'avait de goût onéreux

Qu'une soif un peu vive;

Mais, en rendant son peuple heureux,
Il faut bien qu'un roi vive.

Lui-même à table, et sans suppôt,

Sur chaque muid levait un pot
D'impôt.

Quel bon petit roi c'était là!

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Le caractère national ne peut s'effacer. Nos marins disent que dans les colonies nouvelles les Espagnols commencent par bâtir une église, les Anglais une taverne, et les Français un fort; et j'ajoute une salle de bal. Je me trouvais en Amérique, sur la frontière du pays des Sauvages: j'appris qu'à la première journée, je rencontrerais parmi les Indiens un de mes compatriotes. Arrivé chez les Cayougas, tribu qui faisait partie de la nation des Iroquois, mon guide me conduisit dans une forêt. Au milieu de cette forêt, on voyait une espèce de grange; je trouvai dans cette grange une vingtaine de Sauvages, hommes et femmes, barbouillés comme des sorciers, le corps demi-nu, les oreilles découpées, des plumes de corbeau sur la tête, et des anneaux passés dans les narines. Un petit Français poudré et frisé comme autrefois, habit vert-pomme, veste de droguet, jabot et manchettes de mousseline, raclait un violon de poche, et faisait danser Madelon Friquet à ces Iroquois. M. Violet (c'était son

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