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J'achèterai d'abord une ample seigneurie...
Non, plutôt une bonne et grasse métairie ;
Oh! oui, dans ce canton; j'aime ce pays-ci;
Et Justine, d'ailleurs, me plaît beaucoup aussi.
J'aurai donc à mon tour des gens à mon service
Dans le commandement je serai peu novice;
Mais je ne serai point dur, insolent, ni fier,
Et me rappellerai ce que j'étais hier.
Ma foi, j'aime déjà ma ferme à la folie.

Moi! gros fermier! j'aurai ma basse-cour remplie
De poules, de poussins que je verrai courir :

De mes mains chaque jour je prétends les nourrir.
C'est un coup d'oeil charmant! et puis cela rapporte.
Quel plaisir quand, le soir, assis devant ma porte,
J'entendrai le retour de mes moutons bêlants,
Que je verraï de loin revenir à pas lents,
Mes chevaux vigoureux et mes belles génisses!
Ils sont nos serviteurs, elles sont nos nourrices.
Et mon petit Victor, sur son âne monté,
Fermant la marche avec un air de dignité !
Je serai plus heureux que Monsieur sur un trône.
Je serai riche, riche, et je ferai l'aumône.

Tout bas, sur mon passage, on se dira: "Voilà
Ce bon monsieur Victor." Cela me touchera.
Je puis bien m'abuser; mais ce n'est pas sans cause:
Mon projet est au moins fondé sur quelque chose;
(Il cherche.)
Sur un billet. Je veux revoir ce cher... Hé mais...
Où donc est-il? tantôt encore je l'avais.
Depuis quand ce billet est-il donc invisible?
Ah! l'aurais-je perdu? Serait-il bien possible?
Mon malheur est certain: Me voilà confondu.

(Il crie.)

Que vais-je devenir? Hélas! j'ai tout perdu.
COLLIN-D'HARLEVILLE, les Châteaux en Espagne.

FRAGMENTS.

QUAND un homme arrive au pouvoir, il a toutes les vertus d'une épitaphe; qu'il tombe dans la misère, il a plus de vices que n'en avait l'enfant prodigue.-(De Balzac.)

Accoutume-toi à l'économie, si tu ne veux pas te préparer une vieillesse mal aisée et délaissée de tout le monde; car quoiqu'il ne faille pas trop estimer les richesses, il est bon pourtant de passer pour être à son aise, parce que partout le pauvre est méprisé.—(Fragment du XIIe siècle.)

Vous demandez comment on fait fortune: Voyez ce qui se passe au parterre d'un spectacle, le jour où il y a foule, comme les uns restent en arrière, comme les premiers reculent, comme les derniers sont portés en avant. Cette image est si juste que le mot qui l'exprime a passé dans la langue du peuple. Il appelle faire fortune, se pousser. (Chamfort.)

Il y a une différence si immense entre celui qui a sa fortune toute faite et celui qui la doit faire, que ce ne sont pas deux créatures de la même espèce.-(Voltaire.)

Chaque peuple a son objet de crainte particulier. En Espagne, on craint par-dessus tout, l'enfer; en Italie, la mort; en Angleterre, la servitude et la pauvreté; en France, le ridicule et le déshonneur.-(Comte de Ségur.)

En fait de malheurs, regardez toujours au-dessous de vous; en fait de vertu et de science, regardez toujours au-dessus ; ce sera le moyen de vous préserver du désespoir et de l'orgueil.-(Pensée de Saint-Martin.)

Les personnes vraiment de bonne compagnie sont toujours les plus difficiles à blesser le soin de leur réhabilitation ne les oblige pas de se gendarmer à tout propos. -(Marquis de Custine.)

Les peuples du continent ont remarqué qu'on trouve rarement un Anglais deux jours de suite de la même humeur.-Pouqueville.)

Lettres.

Des lettres ne plaisent guère au public que lorsqu'elles n'ont point été écrites pour le public. Travailler une lettre comme une production littéraire, c'est lui enlever d'avance tout ce qui fait le caractère et le charme de ce genre d'écrire, l'abandon, la grâce, et la familiarité. Madame de SÉVIGNÉ (1626-1696) a atteint la perfection du style épistolaire dans ses lettres à sa fille. Madame de MAINTENON (1635-1719), moins vive et moins piquante, se distingue par l'esprit d'observation, le naturel, et la précision. Si les lettres de Mme de Sévigné sont des chefs-d'œuvre de délicatesse et de grâce, celles de Mme de Maintenon sont des modèles de pureté de style et de raison. En lisant sa lettre à la duchesse de Bourgogne, on croit lire Salomon lui-même. Nous donnons quelques lettres de ces deux femmes célèbres. Après Madame de Sévigné, Voltaire est de tous nos écrivains celui qui a le mieux réussi dans le style épistolaire; il y a porté la facilité, l'esprit, et la grâce qu'on trouve dans ses productions de bon ton.

DE M DE SÉVIGNÉ À SA FILLE, ME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi, 1er avril, 1671.

JE revins hier de Saint-Germain ; j'étais avec madame d'Arpajon. Le nombre de ceux qui me demandèrent de vos nouvelles, est aussi grand que celui de tous ceux qui composent la cour. Je pense qu'il est bon de distinguer la Reine, qui fit un pas vers moi, et me demanda des nouvelles de ma fille sur son aventure du Rhône*; je la remerciai de l'honneur qu'elle vous faisait de se souvenir de vous. Elle reprit la parole, et me dit: Contez-moi comme elle a pensé périr. Je me mis à lui conter votre belle hardiesse de vouloir traverser le Rhône par un grand vent, et que ce vent vous avait jetée rapidement sous une arche, à deux doigts du pilier, où vous auriez

* Mme de Grignan avait été exposée à un grand danger en traversant le Rhône près d'Avignon.

péri mille fois, si vous aviez touché. La Reine me dit : Et son mari était-il avec elle? Oui, madame, et monsieur le coadjuteur * aussi. Vraiment ils ont grand tort, reprit-elle, et fit des hélas, et dit des choses très obligeantes pour vous. Il vint ensuite bien des duchesses, entr'autres la jeune Ventadour très belle et très jolie. Au milieu du silence du cercle, la Reine se tourne et me dit: A qui ressemble votre petite-fille ?-Madame, lui dis-je, elle ressemble à M. de Grignan. Sa Majesté fit un cri: j'en suis fâchée et me dit doucement, elle aurait mieux fait de ressembler à sa mère ou à sa grand-mère. Voilà ce que vous me valez de faire ma cour......

Je ne dois pas oublier monsieur le Dauphin et Mademoisellet, qui m'ont fort parlé de vous. J'ai vu madame de Ludre; elle vint m'aborder avec une surabondance d'amitié qui me surprit; elle me parla de vous sur le même ton; et puis tout d'un coup, comme je pensais répondre, je trouvai qu'elle ne m'écoutait plus, et que ses beaux yeux trottaient par la chambre; je le vis promptement, et ceux qui virent que je le voyais, m'en surent bon gré, et se mirent à rire.

Les coiffures Hurlu-Brelu m'ont fort divertie; il y en a qu'on voudrait souffleter. La Choiseul ‡ resemblait, comme dit Ninon, à un printemps d'hôtellerie comme deux gouttes d'eau, cette comparaison est excellente. Mais qu'elle est dangereuse cette Ninon ! Si vous saviez comme elle dogmatise sur la religion, cela vous ferait horreur. Elle trouve que votre frère a la simplicité de la colombe, il ressemble à sa mère; c'est madame de Grignan qui a tout le sel de la maison.

Madame de Vauvineux vous rend mille grâces; sa fille a été très mal. Madame d'Arpajon vous embrasse mille fois; et surtout M. le Camus vous adore: et moi, ma

* M. le coadjuteur d'Arles, frère de M. de Grignan.

+ Mademoiselle, employé absolument, désignait autrefois La fille aînée de Monsieur, frère du roi, ou La première princesse du sang, tant qu'elle était fille.

L'urbanité française a proscrit depuis longtemps cette manière familière de s'exprimer.

chère enfant, que pensez-vous que je fasse ? vous aimer, penser à vous, m'attendrir à tout moment plus que je ne voudrais, m'occuper de vos affaires, m'inquiéter de ce que vous pensez, sentir vos ennuis et vos peines, les vouloir souffrir pour vous, s'il était possible, écumer votre cœur, comme j'écumais votre chambre des fâcheux dont je la voyais remplie, en un mot, comprendre vivement ce que c'est d'aimer quelqu'un plus que soi-même, voilà comme je suis; c'est une chose qu'on dit souvent en l'air, on abuse de cette expression; moi, je la répète, et sans la profaner jamais, je la sens toute entière en moi, et

cela est vrai.

DE LA MÊME À M. DE COULANGES.*

Paris, le 15 décembre 1670. Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie; enfin, une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste: une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment la pourrait-on croire à Lyon? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde; une chose qui comble de joie madame de Rohan et madame de Hauteville; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront, croiront avoir la berluet; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à vous la dire, devinezla je vous la donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chiens?

Hé bien ! il faut donc vous la dire: M. de Lauzun épouse

*Cousin-germain de Mme de Sévigné. † La vue trouble. Jeter sa langue aux chiens, Renoncer à deviner quelque chose.

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