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PRE. MED. Nous savons mieux que vous comment vous vous portez; et nous voyons clair dans votre constitution.

M. DE POURC. Si vous êtes médecins, je n'ai pas besoin de vous; et je me moque de la médecine.

PRE. MED. Ho! ho! voici un homme plus fou que nous ne pensions.

M. DE POUR. Mon père et ma mère n'ont jamais voulu de remèdes, et ils sont morts tous deux sans l'assistance des médecins.

PRE. MED. Je ne m'étonne pas si leur fils est insensé.

(M. de Pourceaugnac trouve le moyen de s'échapper, Le Premier Médecin va le chercher chez Oronte, père de Julie.)

ORONTE, PREMIER MÉDECIN.

PRE. MED. Il y a, monsieur, un certain Pourceaugnac qui doit épouser votre fille.

ORON. Oui; je l'attends de Limoges, et il devrait être arrivé.

PRE. MED. Il est venu, et s'est enfui de chez moi, après y avoir été mis; mais je vous défends de procéder au mariage que je ne l'aie guéri.

ORON. Comment donc ?

PRE. MED. Votre prétendu gendre a été constitué mon malade; et je vous déclare que je ne prétends point qu'il se marie, qu'il n'ait subi les remèdes que je lui ai ordonnés.

ORON. Il a quelque mal?

PRE. MED. Oui, sans doute.

ORON. Et quel mal, s'il vous plaît?

PRE. MED. Ne vous mettez pas en peine. Les médecins sont obligés au secret. Il suffit que je vous ordonne, à vous et à votre fille, de ne point célébrer vos noces avec lui, sous peine d'encourir la disgrâce de la faculté, et d'être accablé de toutes les maladies qu'il nous plaira.

ORON. Puisque c'est ainsi, je m'opposerai au mariage. PRE. MED. On me l'a mis entre les mains, et il est obligé d'être mon malade.

ORON. A la bonne heure.

PRE. MED. Il a beau fuir, je le ferai condamner par arrêt à se faire guérir par moi.

ORON. J'y consens.

PRE. MED. Oui, il faut qu'il meure, ou que je le guérisse.

ORON. Je le veux bien.

SCÈNE SUIVANTE.

ORONTE; SBRIGANI, déguisé en marchand flamand. SBRIG. Monsieur, avec votre permission, je suis un marchand flamand qui voudrait vous faire une petite question.

ORON. Quoi, monsieur ?

SBRIG. Mettez le chapeau sur la tête, monsieur, s'il vous plaît.

ORON. Dites-moi, monsieur, ce que vous voulez.

SBRIG. Je ne dirai rien, monsieur, si vous ne mettez pas le chapeau sur la tête.

ORON. Soit. Qu'y a-t-il, monsieur ?

SBRIG. Vous ne connaissez point dans cette ville un certain monsieur Oronte ?

ORON. Oui, je le connais.

SBRIG. Et quel homme est-il, monsieur, s'il vous plaît ? ORON. C'est un homme comme les autres.

SBRIG. Je vous demande, monsieur, s'il est un homme riche, qui a du bien.

ORON. Oui.

SBRIG. Mais riche, extrêmement riche, monsieur ?
ORON. Oui.

SBRIG. J'en suis bien aise, monsieur.

ORON. Mais pourquoi cela?

SBRIG. C'est, monsieur, pour une petite raison de conséquence pour nous.

ORON. Mais encore pourquoi ?

SBRIG. C'est, monsieur, que ce monsieur Oronte donne sa fille en mariage à un certain monsieur de Pourceaugnac.

ORON. Hé bien ?

SBRIG. Et ce monsieur de Pourceaugnac, monsieur,

est un homme qui doit beaucoup à dix ou douze marchands flamands qui sont venus ici.

ORON. Ce monsieur de Pourceaugnac doit beaucoup à dix ou douze marchands?

SBRIG. Oui, monsieur, et depuis huit mois nous avons obtenu une petite sentence contre lui, et il a remis à payer ses créanciers de la dot que ce M. Oronte donne à sa fille. ORON. HO! ho! il a remis là à payer ses créanciers? SBRIG. Oui, monsieur, et avec une grande dévotion nous tous attendons ce mariage.

ORON. (à part.) L'avis n'est pas mauvais. (haut.) Je vous souhaite le bonjour.

SBRIG. Je remercie, monsieur, de la faveur grande. ORON. Votre très humble valet.

SBRIG. (Seul.) Cela ne va pas mal. Quittons notre ajustement de flammand pour songer à d'autres machines; et tâchons de semer tant de soupçons et de division entre le beau-père et le gendre, que cela rompe le mariage prétendu.

PRÉCIS DE LA SCÈNE SUIVANTE.

Sbrigani rencontre M. de Pourceaugnac qui cherche le logis d'Oronte; il parvient à le dégoûter entièrement de son mariage avec Julie, en la lui représentant comme une coquette achevée.

SCÈNE SUIVANTE.

ORONTE, M. DE POURCEAUGNAC.

M. DE POURC. Bonjour, monsieur, bonjour.
ORON. Serviteur, monsieur, serviteur.

M. DE POURC. Vous êtes monsieur Oronte, n'est-ce pas ?
ORON. Oui.

M. DE POURC. Et moi, monsieur de Pourceaugnac.
ORON. A la bonne heure.

M. DE POURC. Croyez-vous, monsieur Oronte, que les Limousins soient des sots ?

ORON. Croyez-vous, monsieur de Pourceaugnac, que les Parisiens soient des bêtes ?

M. DE POURC. Vous imaginez-vous, monsieur Oronte, qu'un homme comme moi soit si affamé de femme ?

- OKON. Vous imaginez-vous, monsieur de Pourceaugnac, qu'une fille comme la mienne soit si affamée de mari?

M. DE POURC. Vous êtes-vous mis dans la tête que Léonard de Pourceaugnac soit un homme à acheter chat en poche, et qu'il n'ait pas là-dedans (en mettant la main sur son front) quelque morceau de judiciaire. pour se conduire et pour s'informer de l'histoire du monde?

ORON. Vous êtes-vous mis dans la tête qu'un homme de soixante ans ait si peu de cervelle, et considère si peu sa fille, que de la marier avec un homme qui a été mis chez un médecin pour être guéri de la folie ?

M. DE POURC. C'est une pièce que l'on m'a faite, et je ne suis point fou.

ORON. Le médecin me l'a dit lui-même.

M. DE POURC. Le médecin en a menti. Je suis gentilhomme, et je veux le voir l'épée à la main.

ORON. Je sais ce que j'en dois croire; et vous ne m'abuserez pas là-dessus non plus que sur les dettes que vous avez assignées sur le mariage de ma fille.

M. DE POURC. Quelles dettes ?

ORON. La feinte ici est inutile; et j'ai vu le marchand flamand qui, avec les autres créanciers, a obtenu depuis huit mois sentence contre vous.

M. DE POURC. Quel marchand flamand? Quels créanciers? Quelle sentence obtenue contre moi? ORON. Vous savez bien ce que je veux-dire.

PRÉCIS DU RESTE DE LA PIÈCE.

Deux femmes de différentes provinces viennent ensuite s'opposer au mariage de M. de Pourceaugnac, comme étant mariées à lui. Elles sont accompagnées de plusieurs enfants, qui crient après lui, papa, papa. M. de Pourceaugnac craignant d'être arrêté et pendu comme bigame, se résout à se déguiser et à quitter la ville en habit de femme. Eraste amène ensuite Julie à son père, et lui fait accroire qu'elle voulait s'enfuir avec M. de Pourceaugnac. Le père touché du procédé d'Eraste, lui donne sa fille en mariage, et augmente sa dot de dix mille écus.

Fables.

Sa

Les fubles occupent une partie de ce volume. L'utilité de co genre, lorsqu'il est bien traité, est de présenter à la jeunesse une esquisse de la vie humaine et des rapports sociaux, et d'exercer à la fois son jugement et son sens moral. LA FONTAINE (né en 1621, mort en 1695) est le premier de nos fabulistes. On a beaucoup parlé de sa naïveté; c'est une naïveté de poète, qui laisse place à beaucoup de pénétration et de malice. Ce n'est pas en enfant, ni en optimiste, que La Fontaine a vu le monde. morale est prise à mi-hauteur, je ne dirai pas de la vérité, mais de la nature humaine. Quant à la poésie des pensées et du style, elle est de celles qui ne vieilliront point. La Fontaine est plus à l'abri du temps qu'aucun autre poète; la langue demeurant, il demeurera tout entier. Nul, à ce qu'il me semble, n'eut des génies plus divers; tous les genres se trouvent chez lui, abrégés et résumés. Il est, par la variété de ses couleurs et de ses accents, l'Homère de l'Apologue; tous les aspects de la vie se reproduisent dans ses fables comme dans l'Iliade; il a, de la vie humaine, tout ressenti et tout indiqué. De dessous ses ailes a pris l'essor toute une volée de fabulistes; mais les meilleurs n'ont été que fabulistes; et la fable n'était, chez La Fontaine, que la forine préférée d'un génie bien plus vaste que ce genre de poésie. FLORIAN (né en 1755, mort en 1794) est, à une grande distance de lui, le fabuliste le plus connu, l'un des plus intéressants, et sans comparaison le plus convenable à l'enfance.

LE COCHET, LE CHAT, ET LE SOURICEAU.

UN souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère.

J'avais franchi les monts qui bornent cet état,
Et trottais comme un jeune rat

Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, bénin et gracieux,

Et l'autre turbulent, et plein d'inquiétude;
Il a la voix perçante et rude,

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