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SGANARELLE, heurté par Lisette.

Où donc allez-vous, qu'il ne vous en déplaise?
LÉONOR.

Nous ne savons encore, et je pressois ma sœur
De venir du beau temps respirer la douceur :
Mais...

SGANARELLE, à Léonor.

Pour vous, vous pouvez aller où bon vous semble, (Montrant Lisette.)

Vous n'avez qu'à courir, vous voilà deux ensemble.

Que sur un tel sujet c'est parler comme il faut.
Vous souffrez que la vôtre aille leste et pimpante,
Je le veux bien qu'elle ait et laquais et suivante,
J'y consens qu'elle coure, aime l'oisiveté,
Et soit des damoiseaux fleurée en liberté,
J'en suis fort satisfait, mais j'entends que la mienne
Vive à ma fantaisie, et non pas à la sienne;
Que d'une serge honnête elle ait son vêtement,
Et ne porte le noir qu'aux bons jours seulement;
Qu'enfermée au logis, en personne bien sage,
Elle s'applique toute aux choses du ménage,

Mais vous, je vous défends, s'il vous plaît, de sortir. A recoudre mon linge aux heures de loisir,

Hé! laissez-les, mon frère, aller se divertir.

Je suis votre valet, mon frère.

Vent...

La jeunesse

La jeunesse est sotte, et parfois la vieillesse.

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Mon Dieu! chacun raisonne et fait comme il lui plaît.
Elles sont sans parents, et notre ami leur père
Nous commit leur conduite à son heure dernière;
Et nous chargeant tous deux, ou de les épouser,
Ou, sur notre refus, un jour d'en disposer,
Sur elles, par contrat, nous sut, dès leur enfance,
Et de père et d'époux donner pleine puissance :
D'élever celle-là vous prêtes le souci,

Et moi, je me chargeai du soin de celle-ci;
Selon vos volontés vous gouvernez la vôtre,
Laissez-moi, je vous prie, à mon gré régir l'autre.
Il me semble...

ARISTE.

SGANARELLE.

Il me semble, et je le dis tout haut,

dont ils se sont servis pour cacher une incommodité à laquelle ils étoient la plupart sujets. L'empire des modes avoit appartenu à ce peuple avant de passer à nous. (B.)-Catherine et Marie de Médicis avoient apporté cette mode en France. La fraise fut remplacée, sous. Louis XIII, par le collet ou rabat de chemise; mais quelques vieillards la portoient encore à l'époque où l'École des Maris fut jouée. (A.)

Ou bien à tricoter quelques bas par plaisir;
Qu'aux discours des muguets elle ferme l'oreille,
Et ne sorte jamais sans avoir qui la veille.
Enfin la chair est foible, et j'entends tous les bruits.
Je ne veux point porter de cornes si je puis;
Et comme à m'épouser sa fortune l'appelle,
Je prétends, corps pour corps, pouvoir répondre d'elle.

ISABELLE.

Vous n'avez pas sujet, que je crois...

SGANARELLE.

Taisez-vous.

Je vous apprendrai bien s'il faut sortir sans nous.
LÉONOR.

Quoi donc, monsieur ?

SGANARELLE.

Mon Dieu! madame, sans langage, Je ne vous parle pas, car vous être trop sage. LÉONOR.

Voyez-vous Isabelle avec nous à regret?

SGANARELLE.

Oui, vous me la gâtez, puisqu'il faut parler net.
Vos visites ici ne font que me déplaire,

Et vous m'obligerez de ne nous en plus faire.
LÉONOR.

Voulez-vous que mon cœur vous parle net aussi?
J'ignore de quel œil elle voit tout ceci :
Mais je sais ce qu'en moi feroit la défiance;
Et, quoiqu'un même sang nous ait donné naissance,
Nous sommes bien peu sœurs, s'il faut que chaque jour
Vos manières d'agir lui donnent de l'amour.

LISETTE.

En effet, tous ces soins sont des choses infames.
Sommes-nous chez les Turcs, pour enfermer les fem-
Car on dit qu'on les tient esclaves en ce lieu, [mes?
Et que
c'est pour cela qu'ils sont maudits de Dieu.
Notre honneur est, monsieur, bien sujet à foiblesse,
S'il faut qu'il ait besoin qu'on le garde sans cesse.
Pensez-vous, après tout, que ces précautions
Servent de quelque obstacle à nos intentions?
Et, quand nous nous mettons quelque chose à la tête,
Que l'homme le plus fin ne soit pas une bête?
Toutes ces gardes-là sont visions de fous;

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Le plus sûr est, ma foi, de se fier en nous;
Qui nous gêne se met en un péril extrême,
Et toujours notre honneur veut se garder lui-même.
C'est nous inspirer presque un desir de pécher,
Que montrer tant de soins de nous en empêcher;
Et, si par un mari je me voyois contrainte,
J'aurois fort grande pente à confirmer sa crainte.
SGANARELLE, à Ariste.

Voilà, beau précepteur, votre éducation,
Et vous souffrez cela sans nulle émotion?

ARISTE.

Mon frère, son discours ne doit que faire rire;
Elle a quelque raison en ce qu'elle vent dire.
Leur sexe aime à jouir d'un peu de liberté;
On le retient fort mal par tant d'austérité;
Et les soins défiants, les verrous et les grilles,
Ne font pas la vertu des femmes ni des filles :
C'est l'honneur qui les doit tenir dans le devoir,
Non la sévérité que nous leur faisons voir.
C'est une étrange chose, à vous parler sans feinte,
Qu'une femme qui n'est sage que par contrainte.
En vain sur tous ses pas nous prétendons régner,
Je trouve que le cœur est ce qu'il faut gagner;
Et je ne tiendrois, moi, quelque soin qu'on se donne,
Mon honneur guère sûr aux mains d'une personne
A qui, dans les desirs qui pourroient l'assaillir,
Il ne manqueroit rien qu'un moyen de faillir.

SGANARELLE.

Chansons que tout cela !

ARISTE.

Soit, mais je tiens sans cesse
Qu'il nous faut en riant instruire la jeunesse,
Reprendre ses défauts avec grande douceur,
Et du nom de vertu ne lui point faire peur.
Mes soins pour Léonor ont suivi ces maximes;
Des moindres libertés je n'ai point fait des crimes,
A ses jeunes desirs j'ai toujours consenti,
Et je ne m'en suis point, grace au ciel, repenti.
J'ai souffert qu'elle ait vu les belles compagnies,
Les divertissements, les bals, les comédies;

Ce sont choses, pour moi, que je tiens de tout temps
Fort propres à former l'esprit des jeunes gens;
Et l'école du monde, en l'air dont il faut vivre,
Instruit mieux à mon gré que ne fait aucun livre.
Elle aime à dépenser en habits, linge, et nœuds;
Que voulez-vous? Je tâche à contenter ses vœux;
Et ce sont des plaisirs qu'on peut, dans nos familles,
Lorsque l'on a du bien, permettre aux jeunes filles.
Un ordre paternel l'oblige à m'épouser;
Mais mon dessein n'est pas de la tyranniser.
Je sais bien que nos ans ne se rapportent guère,
Et je laisse à son choix liberté tout entière.
Si quatre mille écus de rente bien venants,
Une grande tendresse et des soins complaisants,

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Oh! que les voilà bien tous formés l'un pour
Quelle belle famille! Un vieillard insensé
Qui fait le dameret dans un corps tout cassé;
Une fille maîtresse et coquette suprême;
Des valets impudents: non, la Sagesse même
N'en viendroit pas à bout, perdroit sens et raison
A vouloir corriger une telle maison.

Isabelle pourroit perdre dans ces hantises
Les semences d'honneur qu'avec nous elle a prises;

ARISTE, SGANARELLE, LÉONOR, LISETTE. Et, pour l'en empêcher, dans peu nous prétendons

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Lui faire aller revoir nos choux et nos dindons.

SCÈNE V.

VALÈRE, SGANARELLE, ERGASTE.

VALÈRE, dans le fond du théâtre. Ergaste, le voilà cet argus que j'abhorre, Le sévère tuteur de celle que j'adore.

SGANARELLE, se croyant seul. N'est-ce pas quelque chose enfin de surprenant Que la corruption des mœurs de maintenant! VALÈRE. Je voudrois l'accoster, s'il est en ma puissance, Et tâcher de lier avec lui connoissance.

SGANARELLE, se croyant seul:

Au lieu de voir régner cette sévérité
Qui composoit si bien l'ancienne honnêteté,
La jeunesse en ces lieux, libertine, absolue,
Ne prend...

(Valère salue Sganarelle de loin.)
VALÈRE.

Il ne voit pas que c'est lui qu'on salue.

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Que m'importe?

SGANARELLE.

VALÈRE.

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C'est ce qui fait pour vous, et sur ces conséquences
Votre amour doit fonder de grandes espérances.
Apprenez, pour avoir votre esprit raffermi,

Il est vrai; mais pour les nouveautés. Qu'une femme qu'on garde est gagnée à demi,

On peut avoir parfois des curiosités.

Vous irez voir, monsieur, cette magnificence
Que de notre dauphin prépare la naissance"?

Si je veux.

1

SGANARELLE.

Godelureau, un jeune galant. Ce mot est du style familier: suivant Ménage, il vient du mot latin gaudere, se réjouir.

'Il s'agit ici du dauphin, fils de Louis XIV, appelé Monseigneur, qui naquit à Fontainebleau le 1er novembre 1661, et mourut à Meudon le 14 avril 1711. Le dauphin étant né cinq mois après la première représentation de l'École des Maris, qui eut lieu au commencement de juin 1661, ces vers, où il est question des fêtes de sa naissance, furent ajoutés après coup par Molière. (A.)

Et

que

les noirs chagrins des maris ou des pères
Ont toujours du galant avancé les affaires.
Je coquette fort peu, c'est mon moindre talent,
Et de profession je ne suis point galant:
Mais j'en ai servi vingt de ces chercheurs de proie,
Qui disoient fort souvent que leur plus grande joie
Etoit de rencontrer de ces maris fâcheux,
Qui jamais sans gronder ne reviennent chez eux;

'On ne dit plus repart, mais repartie. Dans un autre mot de la même famille, le changement a été inverse: on disoit anciennement départie; ou dit aujourd'hui départ. ( A. ) — On voit un exemple du mot départie pour départ dans la chanson de Henri IV à la belle Gabrielle.

De ces brutaux fieffés, qui, sans raison ni suite,
De leurs femmes en tout contrôlent la conduite,
Et, du nom de mari fièrement se parants,
Lear rompent en visière aux yeux des soupirants'.
On en sait, disent-ils, prendre ses avantages;
Et l'aigreur de la dame à ces sortes d'outrages,
Dont la plaint doucement le complaisant témoin,
Est un champ à pousser les choses assez loin;
En un mot, ce vous est une attente assez belle,
Que la sévérité du tuteur d'Isabelle.

VALÈRE.

Mais depuis quatre mois que je l'aime ardemment, Je n'ai pour lui parler pu trouver un moment.

ERGASTE.

L'amour rend inventif; mais vous ne l'êtes guère, Et si j'avois été...

VALÈRE.

Mais qu'aurois-tu pu faire, Puisque sans ce brutal on ne la voit jamais; Et qu'il n'est là-dedans servantes ni valets Dont, par l'appât flatteur de quelque récompense, Je puisse pour mes feux ménager l'assistance?

ERGASTE.

Elle ne sait donc pas encor que vous l'aimez ?
VALÈRE.

C'est un point dont mes vœux ne sont pas informés.
Partout où ce farouche a conduit cette belle,
Elle m'a toujours vu comme une ombre après elle,
Et mes regards aux siens ont tâché chaque jour
De pouvoir expliquer l'excès de mon amour.
Mes yeux ont fort parlě; mais qui me peut apprendre
Si leur langage enfin a pu se faire entendre?

ERGASTE.

Ce langage, il est vrai, peut être obscur parfois, S'il n'a pour truchement l'écriture ou la voix.

VALÈRE.

Que faire pour sortir de cette peine extrême, Et savoir si la belle a connu que je l'aime ? Dis-m'en quelque moyen.

ERGASTE.

C'est ce qu'il faut trouver:

Entrons un peu chez vous afin d'y mieux rêver.

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SGANARELLE.

Ah! c'est vous que je cherche. VALÈRE.

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