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Mais, ou je ne pourrai, Ou je jure bien fort que je m'en vengerai. Oui, je te ferai voir, batteur que Dieu confonde, Que ce n'est pas pour rien qu'il faut rouer le monde, Que je suis un valet, mais fort homme d'honneur, Et qu'après m'avoir eu quatre ans pour serviteur, Il ne me falloit pas payer en coups de gaules,

Et me faire un affront si sensible aux épaules :

Je te le dis encor, je saurai m'en venger:
Une esclave te plaît, tu voulois m'engager
A la mettre en tes mains, et je veux faire en sorte
Qu'un autre te l'enlève, ou le diable m'emporte.
LÉANDRE.

Ecoute, Mascarille, et quitte ce transport.
Tu m'as plu de tout temps, et je souhaitois fort
Qu'un garçon comme toi, plein d'esprit et fidèle,
A mon service un jour pût attacher son zèle :
Enfin, si le parti te semble bon pour toi,
Si tu veux me servir, je t'arrête avec moi.

MASCARILLE,

M'offre à me bien venger, en vous rendant service:
Et que,
dans mes efforts pour vos contentements,
Je puis à mon brutal trouver des châtiments:
De Célie, en un mot, par mon adresse extrême...
LÉANDRE.

Mon amour s'est rendu cet office lui-même.
Enflammé d'un objet qui n'a point de défaut,
Je viens de l'acheter moins encor qu'il ne vaut.

MASCARILLE.

Quoi! Célie est à vous?

LÉANDRE.

Tu la verrois paroître,

:

Si de mes actions j'étois tout-à-fait maître,
Mais quoi! mon père l'est comme il a volonté,
Ainsi que je l'apprends d'un paquet apporté,
De me déterminer à l'hymen d'Hippolyte,
J'empêche qu'un rapport de tout ceci l'irrite.
Donc avec Trufaldin, car je sors de chez lui,
J'ai voulu tout exprès agir au nom d'autrui,
Et l'achat fait, ma bague est la marque choisie
Sur laquelle au premier il doit livrer Célie.
Je songe auparavant à chercher les moyens
D'ôter aux yeux de tous ce qui charme les miens;
A trouver promptement un endroit favorable
Où puisse être en secret cette captive aimable.

MASCARILLE.

Hors de la ville un peu, je puis avec raison
D'un vieux parent que j'ai vous offrir la maison;
Là vous pourrez la mettre avec toute assurance,
Et de cette action nul n'aura connoissance.

LÉANDRE.

Oui, ma foi, tu me fais un plaisir souhaité.
Tiens donc, et va pour moi prendre cette beauté.
Dès que par Trufaldin ma bague sera vue,
Aussitôt en tes mains elle sera rendue,

Et dans cette maison tu me la conduiras,
Quand.... Mais chut, Hippolyte est ici sur nos pas.

SCÈNE X.

HIPPOLYTE, LÉANDRE, MASCARILLE.

HIPPOLYTE.

Je dois vous annoncer, Léandre, une nouvelle; Mais la trouverez-vous agréable ou cruelle ?

LEANDRE.

Pour en pouvoir juger et répondre soudain, Il faudroit la savoir.

HIPPOLYTE.

Donnez-moi donc la main

Jusqu'au temple; en marchant je pourrai vous l'ap-
LÉANDRE, à Mascarille. [prendre.

Oui, monsieur, d'autant mieux que le destin propice | Va, va-t-en me servir sans davantage attendre.

SCÈNE XI.

MASCARILLE.

Oui, je te vais servir d'un plat de ma façon.
Fut-il jamais au monde un plus heureux garçon ?
Oh! que dans un moment Lélie aura de joie !
Sa maîtresse en nos mains tomber par cette voie!
Recevoir tout son bien d'où l'on attend le mal!
Et devenir heureux par la main d'un rival!
Après ce rare exploit, je veux que l'on s'apprête
A me peindre en héros, un laurier sur la tête,
Et qu'au bas du portrait on mette en lettres d'or :
Vivat Mascarillus, fourbum imperator!

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>> Que par votre bonheur, que je veux rendre extrême,
» Vous bénirez le jour où vous causez le mien. »
De Madrid.

DOM PEDRO DE GUSMAN,
MARQUIS DE MONTALCANE.
(Il continue.)

Quoiqu'à leur nation bien peu de foi soit due,
Ils me l'avoient bien dit, ceux qui me l'ont vendue,
Que je verrois dans peu quelqu'un la retirer,
Et que je n'aurois pas sujet d'en murmurer;
El cependant j'allois, par mon impatience,
Perdre aujourd'hui les fruits d'une haute espérance.
(au courrier.)

Un seul moment plus tard tous vos pas étoient vains,
J'allois mettre à l'instant cette fille en ses mains:
Mais suffit; j'en aurai tout le soin qu'on desire.
(Le courrier sort.)

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» Que ma fille, à quatre ans, par des voleurs ravie, | Çà, rions donc bien fort, nous en avons sujet.

» Sous le nom de Célie est esclave chez vous.

» Si vous sûtes jamais ce que c'est qu'être père,

» Et vous trouvez sensible aux tendresses du sang,

>> Conservez-moi chez vous cette fille si chère, >> Comme si de la vôtre elle tenoit le rang.

» Pour l'aller retirer je pars d'ici moi-même, >> Et vous vais de vos soins récompenser si bien,

LÉLIE.

Ah! je ne serai plus de tes plaintes l'objet.
Tu ne me diras plus, toi qui toujours me cries,

'Ce mot baie vient de l'italien baia. Les Italiens disent comme nous dar la baia pour se moquer. (MÉNAGE.)

'Male de malus, mauvais. Ce mot est très-ancien dans notre langue. On disoit dans le douzième siècle, male-femme, maleloi, pour mauvaise femme, mauvaise loi.

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Ah! s'il te plaît, donne-toi patience. J'ai donc feint une lettre avecque diligence, Comme d'un grand seigneur écrite à Trufaldin, Qui mande qu'ayant su, par un heureux destin, Qu'une esclave qu'il tient sous le nom de Célie, Est sa fille, autrefois par des voleurs ravie, Il veut la venir prendre, et le conjure au moins De la garder toujours, de lui rendre des soins; Qu'à ce sujet il part d'Espagne, et doit pour elle Par de si grands présents reconnoître son zèle, Qu'il n'aura point regret de causer son bonheur.

Fort bien.

MASCARILLE.

LÉLIE.

Ecoute donc, voici bien le meilleur. La lettre que je dis a donc été remise; Mais sais-tu bien comment? En saison si bien prise, Que le porteur m'a dit que, sans ce trait falot, Un homme l'emmenoit, qui s'est trouvé fort sot.

MASCARILLE.

Vous avez fait ce coup sans vous donner au diable ?
LÉLIE.

Oui. D'un tour si subtil m'aurois-tu cru capable?
Loue au moins mon adresse, et la dextérité
Dont je romps d'un rival le dessein concerté.

MASCARILLE.

A vous pouvoir louer selon votre mérite,
Je manque d'éloquence, et ma force est petite.
Oui, pour bien étaler cet effort relevé,
Ce bel exploit de guerre à nos yeux achevé,
Ce grand et rare effet d'une imaginative
Qui ne cède en vigueur à personne qui vive,
Ma langue est impuissante, et je voudrois avoir
Celles de tous les gens du plus exquis savoir,

Pour vous dire en beaux vers, ou bien en docte prose,
Que vous serez toujours, quoi que l'on se propose,
Tout ce que vous avez été durant vos jours;
C'est-à-dire un esprit chaussé tout à rebours,
Une raison malade et toujours en débauche,
Un envers du bon sens, un jugement à gauche,
Un brouillon, une bête, un brusque, un étourdi,
Que sais-je ? un... cent fois plus encor que je ne di.
C'est faire en abrégé votre panégyrique.

LÉLIE.

Apprends-moi le sujet qui contre moi te pique; Ai-je fait quelque chose? Eclaircis-moi ce point.

MASCARILLE.

Non, vous n'avez rien fait; mais ne me suivez point. LÉLIE.

Je te suivrai par-tout pour savoir ce mystère.

MASCARILLE.

Oui? Sus donc, préparez vos jambes à bien faire; Car je vais vous fournir de quoi les exercer.

LÉLIE, seul.

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Taisez-vous, ma bonté, cessez votre entretien,
Vous êtes une sotte, et je n'en ferai rien.
Oui, vous avez raison, mon courroux, je l'avoue;
Relier tant de fois ce qu'un brouillon dénoue,
C'est trop de patience; et je dois en sortir;
Après de si beaux coups qu'il a su divertir.
Mais aussi raisonnons un peu sans violence.
Si je suis maintenant ma juste impatience,
On dira que je cède à la difficulté;
Que je me trouve à bout de ma subtilité :
Et que deviendra lors cette publique estime,
Qui te vante partout pour un fourbe sublime,
Et que tu t'es acquise en tant d'occasions,
A ne t'être jamais vu court d'inventions?
L'honneur, ô Mascarille, est une belle chose!
A tes nobles travaux ne fais aucune pause,
Et, quoi qu'un maître ait fait pour te faire enrager,
Achève pour ta gloire, et non pour l'obliger.
Mais quoi! Que feras-tu, que de l'eau toute claire ?

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Ce torrent effréné, qui de tes artifices
Renverse en un moment les plus beaux édifices.
Hé bien! pour toute grâce, encore un coup du moins.
Au hasard du succès, sacrifions des soins;
Et s'il poursuit encore à rompre notre chance,
J'y consens, ôtons-lui toute notre assistance.
Cependant notre affaire encor n'iroit pas mal,
Si par là nous pouvions perdre notre rival;
Et que Léandre enfin, lassé de sa poursuite,
Nous laissât jour entier pour ce que je médite.
Oui, je roule en ma tête un trait ingénieux,
Dont je promettrois bien un succès glorieux,
Si je puis n'avoir plus cet obstacle à combattre.
Bon, voyons si son feu se rend opiniâtre?

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Oui, sa pudeur n'est que franche grimace, Qu'une ombre de vertu qui garde mal sa place, Et qui s'évanouit, comme l'on peut savoir, Aux rayons du soleil qu'une bourse fait voir '. LÉANDRE. Las! que dis-tu ? croirai-je un discours de la sorte!

MASCARILLE.

Monsieur, les volontés sont libres; que m'importe ?
Non, ne me croyez pas, suivez votre dessein,
Prenez cette matoise, et lui donnez la main;
Toute la ville en corps reconnoîtra ce zèle,
Et vous épouserez le bien public en elle.
LÉANDRE.

Quelle surprise étrange!

MASCARILLE, à part.
Il a pris l'hameçon.
Courage, s'il s'y peut enferrer tout de bon,
Nous nous ôtons du pied une fâcheuse épine.
LÉANDRE.

Oui, d'un coup étonnant ce discours m'assassine.

'Ce vers fait allusion au soleil représenté sur les louis d'or du temps de Louis XIV. Charles IX est le premier de nos rois qui ait fait frapper des monnoies d'or avec l'effigie du soleil, Louis XIV est le dernier.

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