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DORANTE.

grande épreuve de toutes vos comédies, c'est le juge- | ces messieurs-là, et que je ne sais point les règles de ment de la cour; que c'est son goût qu'il faut étudier l'art. pour trouver l'art de réussir; qu'il n'y a point de lieu où les décisions soient si justes; et, sans mettre en ligne de compte tous les gens savants qui y sont, que, du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s'y fait une manière d'esprit, qui, sans comparaison, juge plus finement des ses que tout le savoir enrouillé des pédants.

passe

URANIE.

Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l'art soient les plus grands mystères du cho-monde; et cependant ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l'on prend à ces sortes de poèmes; et le même bon sens qui a fait autrefois ces observations, les fait aisément tous les jours, sans le secours d'Horace et d'Aristote. Je voudrois bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public s'abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n'y soit pas juge du plaisir qu'il y prend?

Il est vrai que, pour peu qu'on y demeure, il vous là tous les jours assez de choses devant les yeux, pour acquérir quelque habitude de les connoître, et surtout pour ce qui est de la bonne et mauvaise plaisanterie.

DORANTE.

La cour a quelques ridicules, j'en demeure d'accord, et je suis, comme on voit, le premier à les fronder. Mais, ma foi, il y en a un grand nombre parmi les beaux esprits de profession; et si l'on joue quelques marquis, je trouve qu'il y a bien plus de quoi jouer les auteurs, et que ce seroit une chose plaisante à mettre sur le théâtre, que leurs grimaces savantes et leurs raffinements ridicules, leur vicieuse coutume d'assassiner les gens de leurs ouvrages, leur friandise de louanges, leurs ménagements de pensées, leur trafic de réputation, et leurs ligues offensives et défensives, aussi bien que leurs guerres d'esprit, et leurs combats de prose et de vers.

LYSIDAS.

Molière est bien heureux, monsieur, d'avoir un protecteur aussi chaud que vous. Mais enfin, pour venir au fait, il est question de savoir si la pièce est bonne, et je m'offre d'y montrer partout cent défauts visibles.

URANIE.

C'est une étrange chose de vous autres, messieurs les poètes, que vous condamniez toujours les pièces où tout le monde court, et ne disiez jamais du bien que de celles où personne ne va. Vous montrez pour les unes une haine invincible, et pour les autres une tendresse qui n'est pas concevable.

DORANTE.

C'est qu'il est généreux de se ranger du côté des affligés.

URANIE.

Mais, de grace, monsieur Lysidas, faites-nous voir ces défauts, dont je ne me suis point aperçue.

LYSIDAS.

|

URANIE.

J'ai remarqué une choses de ces messieurs-là; c'est que ceux qui parlent le plus des règles, et qui les savent mieux que les autres, font des comédies que personne ne trouve belles.

DORANTE.

Et c'est ce qui marque, madame, comme on doit s'arrêter peu à leurs disputes embarrassées. Car enfin, si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas, et que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudroit, de nécessité, que les règles eussent été mal faites. Moquons-nous donc de cette chicane, où ils veulent assujétir le goût du public, et ne consultons dans une comédie que l'effet qu'elle fait sur nous. Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d'avoir du plaisir.

URANIE.

Pour moi, quand je vois une comédie, je regarde seulement si les choses me touchent; et, lorsque je m'y suis bien divertie, je ne vais point demander si j'ai eu tort, et si les règles d'Aristote me défendoient de rire.

DORANTE.

C'est justement comme un homme qui auroit trouvé une sauce excellente, et qui voudroit examiner si elle est bonne, sur les préceptes du Cuisinier françois.

URANIE.

Il est vrai; et j'admire les raffinements de certaines gens sur des choses que nous devons sentir par

Ceux qui possèdent Aristote et Horace voient d'abord, madame, que cette comédie pèche contre tou-nous-mêmes. tes les règles de l'art.

URANIE.

DORANTE.

Vous avez raison, madame, de les trouver étran

Je vous avoue que je n'ai aucune habitude avec ges, tous ces raffinements mystérieux. Car enfin,

s'ils ont lieu, nous voilà réduits à ne nous plus croire; nos propres sens seront esclaves en toutes choses; et, jusques au manger et au boire, nous n'oserons plus trouver rien de bon, sans le congé de messieurs les experts.

LYSIDAS.

Enfin, monsieur, toute votre raison, c'est que l'Ecole des Femmes a plu; et vous ne vous souciez point qu'elle ne soit pas dans les règles, pourvu...

DORANTE.

Tout beau, monsieur Lysidas, je ne vous accorde pas cela. Je dis bien que le grand art est de plaire, et que cette comédie ayant plu à ceux pour qui elle est faite, je trouve que c'est assez pour elle, et qu'elle doit peu-se soucier du reste. Mais, avec cela, je soutiens qu'elle ne pêche contre aucune des règles dont vous parlez. Je les ai lues, Dieu merci, autant qu'un autre; et je ferois voir aisément que peut-être n'avons-nous point de pièce au théâtre plus régulière

que celle-là.

ÉLISE.

Courage, monsieur Lysidas! nous sommes perdus si vous reculez.

LYSIDAS.

Quoi! monsieur, la protase, l'épitase, et la péripétie.

DORANTE.

Ah! monsieur Lysidas, vous nous assommez avec vos grands mots. Ne paroissez point si savant, de grace. Humanisez votre discours, et parlez pour être entendu. Pensez-vous qu'un nom grec donne plus de poids à vos raisons? Et ne trouveriez-vous pas qu'il fût aussi beau de dire, l'exposition du sujet, que la protase; le nœud, que l'épitase; et le dénouement, que la péripétie?

LYSIDAS.

Ce sont termes de l'art dont il est permis de se servir. Mais, puisque ces mots blessent vos oreilles, je m'expliquerai d'une autre façon, et je vous prie de répondre positivement à trois ou quatre choses que je vais dire. Peut-on souffrir une pièce qui pêche contre le nom propre des pièces de théâtre? Car enfin le nom de poèmè dramatique vient d'un mot grec qui signifie agir, pour montrer que la nature de ce poème consiste dans l'action; et dans cette comédie-ci, il ne se passe point d'actions, et tout consiste en des récits que vient faire ou Agnès ou Ho

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Et ce monsieur de la Souche, enfin, qu'on nous fait un homme d'esprit, et qui paroît si sérieux en tant d'endroits, ne descend-il point dans quelque chose de trop comique et de trop outré au cinquième acte, lorsqu'il explique à Agnès la violence de son amour, avec ces roulements d'yeux extravagants, ces soupirs ridicules, et ces larmes niaises qui font rire tout le monde ?

LE MARQUIS. Morbleu! merveille.

Miracle!

CLIMÈNE.

ÉLISE.

Vivat! monsieur Lysidas.

LYSIDAS.

Je laisse cent mille autres choses, de

Est-il rien de si peu spirituel, ou, pour mieux dire, ennuyeux.

peur d'être

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Premièrement, il n'est pas vrai de dire que toute la pièce n'est qu'en récits. On y voit beaucoup d'actions qui se passent sur la scène; et les récits euxmêmes y sont des actions, suivant la constitution du sujet, d'autant qu'ils sont tous faits innocemment, ces récits, à la personne intéressée, qui, par-là, entre à tous coups dans une confusion à réjouir les spectateurs, et prend, à chaque nouvelle, toutes les mesures qu'il peut, pour se parer du malheur qu'il craint.

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Quant à l'argent qu'il donne librement, outre que la lettre de son meilleur ami lui est une caution suffisante, il n'est pas incompatible qu'une personne soit ridicule en de certaines choses, et honnête homme en d'autres. Et, pour la scène d'Alain et de Georgette dans le logis, que quelques-uns ont trouvée longue et froide, il est certain qu'elle n'est pas sans raison, et de même qu'Arnolphe se trouve attrapé pendant son voyage par la pure innocence de sa maitresse, il demeure au retour long-temps à sa porte par l'innocence de ses valets, afin qu'il soit partout puni par les choses qu'il a cru faire la sûreté de ses précautions.

LE MARQUIS.
Voilà des raisons qui ne valent rien.
CLIMÈNE.
que blanchir.
ÉLISE.

Tout cela ne fait

Cela fait pitié.

DORANTE.

Pour le discours moral que vous appelez un sermon, il est certain que de vrais dévots qui l'ont ouï n'ont pas trouvé qu'il choquât ce que vous dites; et sans doute que ces paroles d'enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées par l'extravagance d'Arnolphe, et par l'innocence de celle à qui il parle. Et quant au transport amoureux du cinquième acte, qu'on accuse d'être trop outré et trop comique, je voudrois bien savoir si ce n'est pas faire la satire des amants, et si les honnêtes gens même et les plus sérieux, en de pareilles occasions, ne font pas des

choses...

LE MARQUIS.

Ma foi, chevalier, tu ferois mieux de te taire.

DORANTE.

Fort bien. Mais enfin si nous nous regardions nousmêmes, quand nous sommes bien amoureux...

LE MARQUIS.

Je ne veux pas seulement t'écouter.

DORANTE.

Écoute-moi si tu veux. Est-ce que dans la violence de la passion...

LE MARQUIS.

La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la. (Il chante.)

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URANIE.

tes un mémoire de tout, et le donnez à Molière, que vous connoissez, pour le mettre en comédie.

CLIMÈNE.

Il n'auroit garde, sans doute, et ce ne seroit pas des vers à sa louange.

URANIE.

Point, point; je connois son humeur : il ne se soucie pas qu'on fronde ses pièces, pourvu qu'il y vienne du monde.

DORANTE.

Oui. Mais quel dénouement pourroit-il trouver à ceci? Car il ne sauroit y avoir ni mariage, ni reconnoissance; et je ne sais point par où l'on pourroit faire finir la dispute.

URANIE.

Il faudroit rêver quelque incident pour cela.

SCÈNE VIII.

CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTE, LE MARQUIS, LYSIDAS, GALOPIN.

GALOPIN.

Madame, on a servi sur table.

DORANTE.

Ah! voilà justement ce qu'il faut pour le dénouement que nous cherchions, et l'on ne peut rien trouver de plus naturel. On disputera fort et ferme de part et d'autre, comme nous avons fait, sans que personne se rende; un petit laquais viendra dire qu'on a servi, on se lèvera, et chacun ira souper.

URANIE.

La comédie ne peut pas mieux finir, et nous fe

Puisque chacun en seroit content, chevalier, fai- | rons bien d'en demeurer là.

FIN DE LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

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Votre paresse enfin me scandalise,

Ma muse, obéissez-moi ;

Il faut ce matin sans remise
Aller au lever du Roi.

Vous savez bien pourquoi ;
Et ce vous est une honte

De n'avoir pas été plus prompte

A le remercier de ses fameux bienfaits :
Mais il vaut mieux tard que jamais;
Faites donc votre compte
D'aller au Louvre accomplir mes souhaits.
Gardez-vous bien d'être en muse bâtie;
Un air de muse est choquant dans ces lieux;
On y veut des objets à réjouir les yeux;

Vous en devez être avertie :

Et vous ferez votre cour beaucoup mieux
Lorsqu'en marquis vous serez travestic.
Vous savez ce qu'il faut pour paroître marquis;
N'oubliez rien de l'air ni des habits;
Arborez un chapeau chargé de trente plumes
Sur une perruque de prix;

Que le rabat soit des plus grands volumes,
Et le pourpoint des plus petits.
Mais sur tout je vous recommande

Le manteau, d'un ruban sur le dos retroussé ;
La galanterie en est grande,

Et parmi les marquis de la plus haute bande C'est pour être placé.

Avec vos brillantes hardes,

Et votre ajustement,

Faites tout le trajet de la salle des gardes;

Et, vous peignant galamment,

Portez de tous côtés vos regards brusquement;

Et ceux que vous pourrez connoître,

L'Impromptu de Versailles fut représenté à Paris le 4 novembre 1663. Dans le courant de la même année, Louis XIV avoit fait comprendre Molière dans la liste des gens de lettres qui eurent part à ses libéralités. Molière exprima sa reconnoissance au roi dans la pièce qui porte le titre de Remerciement au Roi.

Ne manquez pas, d'un haut ton,
De les saluer par leur nom,

De quelque rang qu'ils puissent être.
Cette familiarité

Donne, à quiconque en use, un air de qualité.
Grattez du peigne à la porte

De la chambre du roi ;

Ou si, comme je prévoi,

La presse s'y trouve forte,
Montrez de loin votre chapeau,

Ou montez sur quelque chose
Pour faire voir votre museau,
Et criez sans aucune pause,

D'un ton rien moins que naturel :

Monsieur l'huissier, pour le marquis un tel. Jetez-vous dans la foule, et tranchez du notable; Coudoyez un chacun, point du tout de quartier; Pressez, poussez, faites le diable

Pour vous mettre le premier;

Et quand même l'huissier,

A vos desirs inexorable,

Vous trouveroit en face un marquis repoussable, Ne démordez point pour cela,

Tenez toujours ferme là;

A déboucher la porte il iroit trop du vôtre,
Faites qu'aucun n'y puisse pénétrer.

Et qu'on soit obligé de vous laisser entrer
Pour faire entrer quelque autre.
Quand vous serez entré, ne vous relâchez pas;
Pour assiéger la chaise il faut d'autres combats;
Tâchez d'en être des plus proches,
En y gagnant le terrain pas à pas;
Et si des assiégeants le prévenant amas
En bouche toutes les approches,
Prenez le parti doucement
D'attendre le prince au passage;
11 connoîtra votre visage,
Malgré votre déguisement,
Et lors, sans tarder davantage,
Faites-lui votre compliment.
Vous pourriez aisément l'étendre,
Et parler des transports qu'en vous font éclater

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