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DON JUAN.

naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre, par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une ame qui a peine à rendre les armes; à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur, et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire, ni plus rien à souhaiter; tout le beau de

Et ne trouves-tu pas, dis-moi, que j'ai raison d'en la passion est fini, et nous nous endormons dans la user de la sorte?

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tranquillité d'un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos desirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d'une conquête à faire. Enfin, il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne; et j'ai, sur ce sujet, l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes desirs; je me sens un cœur à aimer toute la terre; et, comme Alexan

He bien! je te donne la liberté de parler, et de me dre, je souhaiterois qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.

dire tes sentiments.

SGANARELLE.

En ce cas, monsieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre méthode, et que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites.

DON JUAN.

Quoi! tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux! Non, non, la constance n'est bonne que pour des ridicules; toutes les belles ont droit de nous charmer et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon ame à faire injustice aux autres; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable; et, dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avois dix mille, je les donnerois tous. Les inclinations

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Ah! n'allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement à ce qui nous peut donner du plaisir. La personne dont je te parle est une jeune fiancée, la plus agréable du monde,

Holà! maître sot. Vous savez que je vous ai dit qui a été conduite ici par celui même qu'elle y vient que je n'aime pas les faiseurs de remontrances.

SGANARELLE.

épouser, et le hasard me fit voir ce couple d'amants trois ou quatre jours avant leur voyage. Jamais je n'ai vu deux personnes être si contents l'un de l'autre, et faire éclater plus d'amour. La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'émotion; j'en fus frappé au cœur, et mon amour commença par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d'abord de les voir si bien ensemble; le dépit alluma mes desirs, et je me figurai un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence, et rompre cet attachement, dont la délicatesse de mon cœur se tenoit offensée; mais jusques ici tous mes efforts ont été inutiles, et j'ai recours au dernier remède. Cet époux prétendu doit aujourd'hui régaler sa maîtresse d'une promenade sur mer. Sans t'en avoir rien dit, toutes choses sont préparées pour satisfaire mon amour, et j'ai une petite barque et des gens, avec quoi fort fa

Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m'en garde! Vous savez ce que vous faites, vous; et, si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons: mais il y a de certains petits impertinents dans le monde, qui sont libertins sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts, parce qu'ils croient que cela leur sied bien, et si j'avois un maitre comme cela, je lui dirois fort nettement, le regardant en face: Osez-vous bien ainsi vous jouer du ciel, et ne tremblez-vous point de vous moquer comme vous faites des choses les plus saintes? c'est bien à vous, petit ver de terre, petit mirmidon que vous êtes (je parle au maître que j'ai dit), c'est bien à vous à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes révèrent? Pensezvous que pour être de qualité, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre cha-cilement je prétends enlever la belle. peau, un habit bien doré, et des rubans couleur de feu (ce n'est pas à vous que je parle, c'est à l'autre), pensez-vous, dis-je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit permis, et qu'on n'ose vous dire vos vérités? Apprenez de moi, qui suis votre valet, que le ciel punit tôt ou tard les impies, qu'une méchante vie amène une méchante mort, et que.....

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Ah! monsieur...

Hen?

SGANARELLE.

DON JUAN.

SGANARElle.

C'est fort bien fait à vous, et vous le prenez comme il faut. Il n'est rien tel en ce monde que de se contenter.

DON JUAN.

Prépare-toi donc à venir avec moi, et prends soin toi-même d'apporter toutes mes armes, afin que... (Apercevant done Elvire.) Ah! rencontre fâcheuse. Traître ! tu ne m'avois pas dit qu'elle étoit ici elle

même.

SGANARELLE.

Monsieur, vous ne me l'avez pas demandé.

DON JUAN.

Est-elle folle, de n'avoir pas changé d'habit, et de venir en ce lien-ci avec son équipage de campagne ?

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Oui, je vois bien que vous ne m'y attendiez pas; et vous êtes surpris, à la vérité, mais tout autrement

Si...

DON JUAN, en le menaçant.

SGANARELLE.

Madame, les conquérants, Alexandre et les autres

DONE ELVIRE.

Vous plait-il, don Juan, nous éclaircir ces beaux mystères ?

DON JUAN.

Madame, à vous dire la vérité...

DONE ELVIRE.

que je ne l'espérois; et la manière dont vous le parois-mondes, sont causes de notre départ. Voilà, monsez me persuade pleinement ce que je refusois de sienr, tout ce que je puis dire. croire. J'admire ma simplicité, et la foiblesse de mon cœur, à douter d'une trahison que tant d'apparences me confirmoient. J'ai été assez bonne, je le confesse, ou plutôt assez sotte, pour me vouloir tromper moimême, et travailler à démentir mes yeux et mon jugement. J'ai cherché des raisons, pour excuser à ma tendresse le relâchement d'amitié qu'elle voyoit en Ah! que vous savez mal vous défendre pour un vous; et je me suis forgé exprès cent sujets légiti-homme de cour, et qui doit être accoutumé à ces mes d'un départ si précipité, pour vous justifier du crime dont ma raison vous accusoit. Mes justes soup-que çons chaque jour avoient beau me parler, j'en rejetois la voix qui vous rendoit criminel à mes yeux, et j'écoutois avec plaisir mille chimères ridicules, qui vous peignoient innocent à mon cœur; mais enfin cet abord ne me permet plus de douter, et le coup d'œil qui m'a reçue m'apprend bien plus de choses que je ne voudrois en savoir. Je serois bien aise pourtant d'ouïr de votre bouche les raisons de votre départ. Parlez, don Juan, je vous prie, et voyons de quel air vous saurez vous justifier.

DON JUAN.

sortes de choses! J'ai pitié de vous voir la confusion vous avez. Que ne vous armez-vous le front d'une noble effronterie? Que ne me jurez-vous que vous êtes toujours dans les mêmes sentiments pour moi, que vous m'aimez toujours avec une ardeur sans égale, et que rien n'est capable de vous détacher de moi que la mort ? Que ne me dites-vous que des affaires de la dernière conséquence vous ont obligé à partir sans m'en donner avis ; qu'il faut que, malgré vous, vous demeuriez ici quelque temps, et que je n'ai qu'à m'en retourner d'où je viens, assurée que vous suivrez mes pas le plus tôt qu'il vous sera possi

Madame, voilà Sganarelle qui sait pourquoi je suis ble; qu'il est certain que vous brûlez de me rejoindre,

parti.

SGANARELLE, bas, à don Juan.
Moi, monsieur? Je n'en sais rien s'il vous plaît.

DONE ELVIRE.

Hé bien! Sganarelle, parlez. Il n'importe de quelle bouche j'entende ses raisons.

et qu'éloigné de moi vous souffrez ce que souffre un corps qui est séparé de son ame? Voilà comme il faut vous défendre, et non pas être interdit comme vous êtes.

DON JUAN.

Je vous avoue, madame, que je n'ai point le talent de dissimuler, et que je porte un cœur sincère.

DON JUAN, faisant signe à Sganarelle d'approcher. Je ne vous dirai point que je suis toujours dans les

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mêmes sentiments pour vous, et que je brûle de vous rejoindre, puisque enfin il est assuré que je ne suis parti que pour vous fuir; non point par les raisons que vous pouvez vous figurer, mais par un pur mo

Approchez, puisqu'on le veut ainsi, et me dites tif de conscience, et pour ne croire pas qu'avec vous un peu les causes d'un départ si prompt.

DON JUAN.

Tu ne répondras pas?

davantage je puisse vivre sans péché. Il m'est venu des scrupules, madame, et j'ai ouvert les yeux de l'ame sur ce que je faisois. J'ai fait réflexion que,

pour vous épouser, je vous ai dérobée à la clôture d'un couvent, que vous avez rompu des vœux qui vous engageoient autre part, et que le ciel est fort jaloux de ces sortes de choses. Le repentir m'a pris, et j'ai craint le courroux céleste. J'ai cru que notre mariage n'étoit qu'un adultère déguisé, qu'il nous attireroit quelque disgrace d'en haut, et qu'enfin je devois tâcher de vous oublier, et vous donner moyen de retourner à vos premières chaînes. Voudriez-vous, madame, vous opposer à une si sainte pensée, et que j'allasse, en vous retenant, me mettre le ciel sur les bras; que par?.....

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Vraiment oui, nous nous moquons bien de cela, car, comme tu sais bian, le gros Lucas aime à batinous autres.

Madame...

DON JUAN.

DONE ELVIRE.

Il suffit. Je n'en veux pas ouir davantage, et je m'accuse même d'en avoir trop entendu. C'est une lâcheté que de se faire expliquer trop sa honte; et, | sur de tels sujets, un noble cœur, au premier mot, doit prendre son parti. N'attends pas que j'éclate ici en reproches et en injures; non, non, je n'ai point un courroux à exhaler en paroles vaines, et toute sa chaleur se réserve pour sa vengeance. Je te le dis encore, le ciel te punira, perfide, de l'outrage que tu me fais; et, si le ciel n'a rien que tu puisses appréhender, appréhende du moins la colère d'une femme offensée.

SCÈNE IV.

DON JUAN, SGANARELLE.

SGANARELLE, à part.

Si le remords le pouvoit prendre.

DON JUAN, après un moment de réflexion. Allons songer à l'exécution de notre entreprise

amoureuse.

SGANARELLE, seul.

foler, et moi, par fouas, je batifole itou. En batifolant donc, pisque batifoler y a,j'ai aparçu de tout loin queuque chose qui grouilloit dans gliau, et qui venoit comme envars nous par secousse. Je voyois cela fixiblement, et pis tout d'un coup je voyois que je ne voyois plus rian. Hé! Lucas, c'ai-je fait, je pense que vlà des hommes qui nageant là-bas. Voire, ce m'at-il fait, t'as été au trépassement d'un chat, t'as la vue trouble'. Palsanguienne, c'ai-je fait, je n'ai point la vue trouble, ce sont des hommes. Point du tout, ce m'a-t-il fait, t'as la barlue. Veux-tu gager, c'ai-je fait, que je n'ai pas la barlue, c'ai-je fait, et que ce sont deux hommes, c'ai-je fait, qui nageant droit ici, c'ai-je fait? Morguienne, ce m'a-t-il fait, je gage que non. Oh! çà, c'ai-je fait, veux-tu gager dix sous que si? Je le veux bian, ce m'a-t-il fait; et, pour te montrer, vlà argent su jeu, ce m'at-il fait. Moi, je n'ai point été ni fou, ni étourdi; j'ai bravement bouté à tarre quatre pièces tapées, et cinq sous en doubles, jerniguienne, aussi hardiment que si j'avois avalé un varre de vin; car je sis hasardeux, moi, et je vas à la débandade. Je savois bian ce que je faisois pourtant. Queuque gniais! Enfin donc, je

'Aga est une interjection d'admiration encore usitée dans quelques pays de France. Elle n'est point tirée du grec, comme plusieurs hellénistes l'ont pensé. La nature l'a fournie à nos an

Ah! quel abominable maître me vois-je obligé de cètres comme les autres interjections, ah! oh! eh! (MĖN. )

servir!

'Ce proverbe, fondé sur quelque superstition populaire, sc trouve dans la Comédie des Proverbes, d'Adrien de Montluc : « Tu as la berlue; je crois que tu as été au trépassement d'un » chat, tu vois trouble. » (A.)

brassières, qui ne leu venont pas 'jusqu'au brichet' et, en glieu de rabats, un grand mouchoir de cou à réziau, aveuc quatre grosses houpes de linge qui leu pendont sur l'estomaque. Ils avont itou d'autres petits rabats au bout des bras, et de grands entonnois de passement aux jambes, et, parmi tout ça, tant de rubans, tant de rubans, que c'est une vraie piquié. Ignia pas jusqu'aux souliers qui n'en soyont farcis tout depis un bout jusqu'à l'autre; et ils sont faits d'eune façon que je me romprois le cou aveuc.

n'avons pas putôt eu gagé, que j'avons vu les deux | que d'ici à Pâques : en glieu de pourpoint, de petites hommes tout à plain, qui nous faisiant signe de les aller querir; et moi de tirer auparavant les enjeux. Allons, Lucas, c'ai-je dit, tu vois bian qu'ils nous appelont; allons vite à leu secours. Non, ce m'a-t-il dit, ils m'ont fait pardre. Oh! donc, tanquia, qu'à la parfin, pour le faire court, je l'ai tant sarmonné, que je nous sommes boutés dans une barque, et pis j'avons tant fait cahin caha, que je les avons tirés de gliau, et pis je les avons menés cheux nous auprès du feu, et pis ils se sant dépouillés tout nus pour se sécher, et pis il y en est venu encore deux de la même bande, qui s'équiant sauvés tout seuls, et pis Mathurine est arrivée là à qui l'en a fait les doux yeux. Vlà justement, Charlotte, comme tout ça s'est fait.

CHARLOTTE.

CHARLOTTE.

Par ma fi, Piarrot. il faut que j'aille voir un peu ça.

PIERROT.

Oh! acoute un peu auparavant, Charlotte. J'ai

Ne m'as-tu pas dit, Piarrot, qu'il y en a un qu'est quenque autre chose à te dire, moi. bien pu mieux fait que les autres?

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Nannain, ils l'avont r'habillé tout devant nous. Mon guieu, je n'en avois jamais vu s'habiller. Que d'histoires et d'engingorgniaux boutont ces messieuxlà les courtisans ! Je me pardrois là-dedans, pour moi, et j'étois tout ébobi de voir ça. Quien, Charlotte, ils avont des cheveux qui ne tenont point à leu tête; et ils boutont ça, après tout, comme un gros bonnet de filasse. Ils ant des chemises qui ant des manches où j'entrerions tout brandis,toi et moi. Englieu d'hautde-chausse, ils portont un garde-robe 4 aussi large

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CHARLOTTE.

Hé bian! dis, qu'est-ce que c'est?

PIERROT.

Vois-tu, Charlotte? il faut, comme dit l'autre, que je débonde mon cœur. Je t'aime, tu le sais bian, et je sommes pour être mariés ensemble; mais marguienne, je ne suis point satisfait de toi.

CHARLOTTE.

Quement? qu'est-ce que c'est donc qu'iglia?

PIERROT.

Iglia que tu me chagraines l'esprit, franchement.

CHARLOTTE.

Et quement donc ?

PIERROT.

Tétiguienne, tu ne m'aimes point.

CHARLOTTE.

Ah! ah! n'est-ce que ça ?

PIERROT.

Oui, ce n'est que ça, et c'est bian assez.

CHARLOTTE.

Mon guieu, Piarrot, tu me viens toujou dire la même chose.

PIERROT.

Je te dis toujou la même chose, parce que c'est toujou la même chose; et, si ce n'étoit pas toujou la même chose, je ne te dirois pas toujou la même chose.

CHARLOTTE.

Mais qu'est-ce qu'il te faut? que veux-tu ?

PIERROT.

Jerniguienne! je veux que tu m'aimes.

CHARLOTTE.

Est-ce que je ne t'aime pas ?

PIERROT.

Non, tu ne m'aimes pas, et si, je fais tout ce que je

'Le creux qui est au haut de l'estomac. Ce mot dérive de l'alIemand brechen, rompre, couper. (MĖN.)

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