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CLÉANTE. Hé! comment vous dérober?

HARPAGON.

CLÉANTE.

Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la façon que vous pouvez l'entendre, et nous craignons

Que sais-je ? Où pouvez-vous donc prendre de que nos sentiments ne soient pas d'accord avec votre

quoi entretenir l'état que vous portez?

CLÉANTE.

Moi, mon père? c'est que je joue; et, comme je suis fort heureux, je mets sur moi tout l'argent que je gagne.

HARPAGON.

C'est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez profiter, et mettre à honnête intérêt l'argent que vous gagnez, afin de le trouver un jour. Je voudrois bien savoir, sans parler du reste, à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé depuis les pieds jusqu'à la tête', et si une demi-douzaine d'aiguillettes ne suffit pas pour attacher un haut-dechausses. Il est bien nécessaire d'employer de l'argent à des perruques, lorsque l'on peut porter des cheveux de son cru, qui ne coûtent rien! Je vais gager qu'en perruques et rubans il y a du moins vingt pistoles; et vingt pistoles rapportent par année dixhuit livres six sous huit deniers, à ne les placer qu'au denier douze 2.

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choix.

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CLÉANTE.

Tout honnête et pleine d'esprit.

HARPAGON.

Son air et sa manière ?

CLÉANTE.

Admirables, sans doute.

HARPAGON.

Ne croyez-vous pas qu'une fille comme cela mériteroit assez que l'on songeât à elle?

Oui, mon père.

CLÉANTE.

HARPAGON.

Que ce seroit un parti souhaitable?
CLÉANTE.

Très-souhaitable.

HARPAGON.

Qu'elle a toute la mine de faire un bon ménage?
CLÉANTE.

Sans doute.

HARPAGON.

Et qu'un mari auroit satisfaction avec elle?
CLÉANTE.

Assurément.

HARPAGON.

Il y a une petite difficulté : c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas avec elle tout le bien qu'on pourroit prétendre.

CLÉANTE.

Ah! mon père, le bien n'est pas considérable, lorsqu'il est question d'épouser une honnête personne.

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HARPAGON.

Voilà de mes damoiseaux flouets', qui n'ont non plus de vigueur que des poules. C'est là, ma fille, ce Tu ne te tueras point, et tu l'épouseras. Mais que j'ai résolu pour moi. Quant à ton frère, je lui voyez quelle audace! A-t-on jamais vu une fille pardestine une certaine veuve dont, ce matin, on m'estler de la sorte à son père? venu parler; et, pour toi, je te donne au seigneur Anselme.

ÉLISE.

Au seigneur Anselme?

HARPAGON.

Oui, un homme mûr, prudent et sage, qui n'a pas plus de cinquante ans, et dont on vante les grands biens.

ÉLISE, faisant la révérence.

Je ne veux point me marier, mon père, s'il vous plaît.

'Fluet. On disoit autrefois flouet et flou, dont fluet est le diminutif.

ÉLISE.

Mais a-t-on jamais yu un père marier sa fille de la sorte?

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Vous moquez-vous, Valère, de lui parler comme vous faites?

VALÈRE.

Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu, et prends la hardiesse de lui parler comme je fais.

HARPAGON.

Comment! j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un pouvoir absolu. (A Élise.) Oui, tu as C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir beau fuir, je lui donne l'autorité que le ciel me donne sur toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira.

mieux à bout. Heurter de front ses sentiments est le moyen de tout gâter; et il y a de certains esprits qu'il ne faut prendre qu'en biaisant; des tempéraments ennemis de toute résistance; des naturels rétifs, que la vérité fait cabrer, qui toujours se roidissent contre le droit chemin de la raison, et qu'on ne mène qu'en tournant où l'on veut les conduire. Faites semblant de consentir à ce qu'il veut, vous en viendrez mieux à vos fins; et...

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HARPAGON, à part, dans le fond du théâtre. Ce n'est rien, Dieu merci.

VALÈRE, Sans voir Harpagon. Enfin, notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à couvert de tout; et, si votre amour, belle Élise, est capable d'une fermeté... (Apercevant Harpagon.) Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu'elle regarde comme un mari est fait; et, lorsque la grande raison de sans dot s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui donne.

HARPAGON.

Bon; voilà bien parlé, cela?

VALÈRE, à Élise.

Après cela, résistez à mes remontrances.

SCÈNE X.

HARPAGON, VALÈRE.

VALÈRE.

Monsieur, je vais la suivre, pour lui continuer les leçons que je lui faisois.

HARPAGON.

Oui, tu m'obligeras. Certes...
VALÈRE.

Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.

HARPAGON.

Cela est vrai. Il faut...

VALÈRE.

Ne vous mettez pas en peine. Je crois que j'en viendrai à bout.

HARPAGON.

Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et je reviens tout à l'heure. VALÈRE, adressant la parole à Élise, en s'en allant du côté par où elle est sortie.

Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et vous devez rendre graces au ciel, de l'honnête homme de père qu'il vous a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là-dedans; et sans dot tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse et de probité.

HARPAGON.

Ah! le brave garçon ! Voilà parlé comme un oracle. Heureux qui peut avoir un domestique de la

sorte!

ACTE SECOND.

SCÈNE PREMIÈRE.

CLÉANTE, LA FLÈCHE.

CLÉANTE.

Ah! traître que tu es! où t'es-tu donc allé fourrer? Ne l'avois-je pas donné ordre...

LA FLÈCHE.

Oui, monsieur, et je m'étois rendu ici pour vous attendre de pied ferme; mais monsieur votre père, le plus mal gracieux des hommes, m'a chassé dehors malgré moi, et j'ai couru risque d'être battu.

CLÉANTE.

CLÉANTE.
L'affaire ne se fera point?

LA FLÈCHE.

Pardonnez-moi. Notre maître Simon, le courtier qu'on nous a donné, homme agissant et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous, et il assure que votre seule physionomie lui a gagné le cœur.

CLÉANTE.

J'aurai les quinze mille francs que je demande?
LA FLÈCHE.

Oui, mais à quelques petites conditions qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent.

CLÉANTE.

T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent?
LA FLÈCHE.

Ah! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il apComment va notre affaire? Les choses pressent porte encore plus de soin à se cacher que vous, et ce plus que jamais; et depuis que je t'ai vu, j'ai décou-sont des mystères bien plus grands que vous ne penvert que mon père est mon rival.

Votre père amoureux?

LA FLÈCHE.

CLÉANTE.

sez. On ne veut point du tout dire son nom; et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une maison empruntée, pour être instruit par votre bouche de votre bien et de votre famille; et je ne doute

Oui; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui point que le seul nom de votre père ne rende les cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis.

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Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui notre entremetteur, pour vous être montrés avant que de rien faire :

soit venue en tête.

LA FLÈCHE. Mais pour quelle raison lui faire un mystère de votre amour?

CLÉANTE.

Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver, au besoin, des ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage. Quelle réponse t'a-t-on faite ? LA FLÈCHE.

Ma foi, monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux; et il faut essuyer d'étranges choses, lorsqu'on en est réduit à passer, comme vous, par les mains des fesse-Mathieu'

'Avant sa conversion, saint Mathieu étoit receveur de tributs, et la malignité lui attribuoit des prêts usuraires. De là l'ancienne expression proverbiale, fester saint Mathieu, pour prêter à usure, et par corruption Fesse Mathieu. La plupart des étymologistes ont fait venir, par erreur, Fesse-Mathieu de face de Mathieu, mine d'usurier. Béroald lui donne une autre origine qui est peut-être la véritable : « Il n'y a rien, dit-il, qui sangle si >fort, et qui donne de plus vilaines fessées que d'emprunter de » l'argent à gros intérêt. » Voilà comment les usuriers fessent les autres, et de là l'expression de Fesse-Mathieu. (Voyez le Palais des Curieux, page 436.)

<< Supposé que le prêteur voie toutes ses sûretés, >> et que l'emprunteur soit majeur, et d'une famille >> où le bien soit ample, solide, assuré, clair, et net >> de tout embarras, on fera une bonne et exacte obli>>gation par-devant un notaire, le plus honnête >> homme qu'il se pourra, et qui, pour cet effet, sera >> choisi par le prêteur, auquel il importe le plus que >> l'acte soit dûment dressé. »>

CLÉANTE.

Il n'y a rien à dire à cela.

LA FLÈCHE.

« Le prêteur, pour ne charger sa conscience d'au>> cun scrupule, prétend ne donner son argent qu'au >> denier dix-huit '. >>

CLÉANTE.

Au denier dix-huit? Parbleu! voilà qui est honnête. Il n'y a pas lieu de se plaindre. LA FLÈCHE.

Cela est vrai.

<< Mais, comme ledit prêteur n'a pas chez lui la

'C'est-à-dire un denier d'intérêt pour dix-huit prêtés ; ce qui équivaut à un peu plus de cinq et demi pour cent.

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