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LES

PRÉCIEUSES RIDICULES,

COMÉDIE EN UN ACTE.

1659.

PRÉFACE.

C'est une chose étrange qu'on imprime les gens malgré eux ! Je ne vois rien de si injuste, et je pardonnerois toute autre violence plutôt que celle-là.

jour, et qu'un auteur est neuf la première fois qu'on l'imprime! Encore si l'on m'avoit donné du temps, j'aurois pu mieux songer à moi, et j'aurois pris toutes les précautions que messieurs les auteurs, à présent mes confrères, ont coutume de prendre en semblables occasions. Outre quelque grand seigneur que j'aurois été prendre malgré lui pour protecteur de mon ouvrage, et dont j'aurois tenté la libéralité par une épître dédicatoire bien fleurie, j'aurois tâché de faire une belle et docte préface, et je ne manque

Ce n'est pas que je veuille faire ici l'auteur modeste, et mépriser par honneur ma comédie. J'offenserois mal à propos tout Paris, si je l'accusois d'avoir pu applaudir à une sottise: comme le public est juge absolu de ces sortes d'ouvrages, il y auroit de l'impertinence à moi de le dé-point de livres qui m'auraient fourni tout ce qu'on peut

mentir; et quand j'aurois eu la plus mauvaise opinion du monde de mes Précieuses ridicules avant leur représentation, je dois croire maintenant qu'elles valent quelque chose, puisque tant de gens ensemble en ont dit du bien, Mais comme une grande partie des graces qu'on y a trouvées dépendent de l'action et du ton de voix, il m'importoit qu'on ne les dépouillåt pas de ces ornements, et je trouvois que le succès qu'elles avoient eu dans la représentation étoit assez beau pour en demeurer là. J'avois résolu, dis-je, de ne les faire voir qu'à la chandelle, pour ne point donner lieu à quelqu'un de dire le proverbe ; et je ne voulois pas qu'elles sautassent du théâtre de Bourbon dans la galerie du Palais. Cependant je n'ai pu l'éviter, et je suis tombé dans la disgrace de voir une copie dérobée de ma pièce entre les mains des libraires, accompagnée d'un privilége obtenu par surprise. J'ai eu beau crier : O temps ! ò mœurs! on m'a fait voir une nécessité pour moi d'être imprimé, ou d'avoir un procès; et le dernier mal est encore pire que le premier. Il faut donc se laisser aller à la destinée, et consentir à une chose qu'on ne laisseroit pas de faire sans moi.

Mon Dieu! l'étrange embarras qu'un livre à mettre au

'Molière fait allusion à ce proverbe, « Elle est belle à la chandelle; mais le grand jour gåte tout. »

dire de savant sur la tragédie et la comédie, l'étymologie de toutes deux, leur origine, leur définition, et le reste.

J'aurois parlé aussi à mes amis, qui, pour la recommandation de ma pièce, ne m'auroient pas refusé ou des vers françois, ou des vers latins. J'en ai même qui m'auroient loué en grec; et l'on n'ignore pas qu'une louange en grec est d'une merveilleuse efficacité à la tête d'un livre. Mais on me met au jour sans me donner le loisir de me reconnoître; et je ne puis même obtenir la liberté de dire deux mots pour justifier mes intentions sur le sujet de cette comédie. J'aurois voulu faire voir qu'elle se tient partout dans les bornes de la satire honnête et permise; que les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes qui méritent d'être bernés; que ces vicieuses imitations de ce qu'il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie; et que, par la même raison, les véritables savans et les vrais braves ne se sont point encore avisés de s'offenser du docteur de la comédie, et du capitan, non plus que les juges, les princes et les rois de voir Trivelin', ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince ou le roi : aussi les véritables précieuses auroient tort de se piquer, lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. Mais enfin, comme j'ai dit, o

on

'Le Docteur, le Capitan, et Trivelin, étoient trois personnages ou caractères appartenants à la farce italienne.

I

ne me laisse pas le temps de respirer, et M. de Luynes | nières personnes du monde, on ne pouvoit nous faire veut m'aller relier de ce pas à la bonne heure, puisque pis qu'elles ont fait?

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DU CROISY.

Il me semble que vous prenez la chose fort à cœur.

LA GRANGE.

Sans doute, je l'y prends, et de telle façon, que je me veux venger de cette impertinence. Je connois ce qui nous a fait mépriser. L'air précieux n'a pas seulement infecté Paris, il s'est aussi répandu dans les provinces, et nos donzelles ridicules en ont humé leur bonne part. En un mot, c'est un ambigu ' de précieuse et de coquette que leur personne. Je vois ce qu'il faut être pour en être bien reçu; et, si vous m'en croyez, nous leur jouerons tous deux une pièce qui leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre à connoître un peu mieux leur monde.

DU CROISY.

Et comment, encore ?

LA GRANGE.

J'ai un certain valet, nommé Mascarille, qui passe, au sentiment de beaucoup de gens, pour une manière de bel esprit; car il n'y a rien à meilleur marché que le bel esprit maintenant. C'est un extravagant qui s'est mis dans la tête de vouloir faire l'homme de condition. Il se pique ordinairement de galanterie et de vers, et dédaigne les autres valets, jusqu'à les appeler brutaux.

DU CROISY.

Hé bien ! qu'en prétendez-vous faire ?

LA GRANGE.

Ce que j'en prétends faire? Il faut... Mais sortons 'ici auparavant.

SCÈNE II.

GORGIBUS', DU CROISY, LA GRANGE.

GORGIBUS.

Hé bien! vous avez vu ma nièce et ma fille ? Les affaires iront-elles bien ? Quel est le résultat de cette visite?

Pour moi, je vous avoue que j'en suis tout scandalisé. A-t-on jamais vu, dites-moi, deux pecques provinciales faire plus les renchéries que celles-là, et deux hommes traités avec plus de mépris que nous ? A peine ont-elles pu se résoudre à nous faire donner des siéges. Je n'ai jamais vu tant parler à l'oreille qu'elles ont fait entre elles, tant bâiller, tant se frotter les yeux, et demander tant de fois, quelle heure est-il? Ont-elles répondu que oui et non à tout ce que nous avons pu leur dire? Et ne m'avouerezvous pas enfin que, quand nous aurions été les der-ble.

'Ce de Luynes étoit un libraire qui avoit sa boutique dans la galerie du Palais.

* Le Duchat donne à ce mot la même signification qu'au mot pécore. Ne viendroit-il pas du mot italien pecca, vice, défaut, ou du mot latin pecus, dont on a fait pécore? (B.)

LA GRANGE.

C'est une chose que vous pourrez mieux appren

'On voit par la préface de Molière qu'on distinguoit deux orprise en mauvaise part. Le Grand Dictionnaire historique dres de précieuses, et que cette appellation ne fut pas toujours des Précieuses, imprimé chez Ribou, en 1661, osa nommer ce que la France avoit de plus grand, de plus poli, de plus aima

Les Longueville, La Fayette, Sévigné, Deshoulières, le grand Corneille, Ninon de Lenclos, sont à la tête de cette liste nombreuse où figurent le roi, la reine, toute la cour. (B)

' Palaprat contemporain et ami de Molière, nous apprend que Gorgibus étoit le nom d'un emploi de l'ancienne comédie, comme les Pasquins, les Turlupins, les Jodelets, etc. En effet on trouve souvent le nom de Gorgibus dans les canevas italiens. Voyez la préface des OEuvres de Palaprat.

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CATHOS.

Le moyen, mon oncle, qu'une fille un peu raisonnable se pût accommoder de leur personne?

GORGIBUS.

Et qu'y trouvez-vous à redire?

MADELON.

La belle galanterie que la leur! Quoi! débuter d'abord par le mariage?

GORGIBUS.

Et par où veux-tu donc qu'ils débutent? par le concubinage? N'est-ce pas un procédé dont vous avez sujet de vous louer toutes deux aussi bien que moi ? Est-il rien de plus obligeant que cela? Et ce lien sacré où ils aspirent n'est-il pas un témoignage de l'honnêteté de leurs intentions?

MADELON.

Ah! mon père, ce que vous dites là est du dernier bourgeois. Cela me fait honte de vous ouïr parler de la sorte, et vous devriez un peu vous faire apprendre le bel air des choses.

GORGIBUS.

Je n'ai que faire ni d'air ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose sainte et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens, que de débuter par là.

MADELON.

Mon Dieu! que si tout le monde vous ressembloit, un roman seroit bientôt fini! La belle chose que ce seroit, si d'abord Cyrus épousoit Mandane, et qu'Aronce de plain-pied fût marié à Clélie '!

GORGIBUS.

Que me vient conter celle-ci ?

MADELON.

bien que moi que le mariage ne doit jamais arriver Mon père, voilà ma cousine qui vous dira aussi qu'après les autres aventures. Il faut qu'un amant,

pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre et le passionné 2, et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux : ou bien être conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache, un temps, sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs le tapis une question galante qui exerce les esprits visites, où l'on ne manque jamais de mettre sur de l'assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de que'que jardin, tandis que la compagnie s'est un peu éloi

'Cyrus et Mandane, Clélie et Aronce, sont les principaux personnages d'Artamène et de Clélie, romans alors très à la mode.

Pousser le doux, le tendre, et le passionné, expressions du temps, dont les auteurs contemporains offrent plusieurs exemples.

courroux,

gnée et cette déclaration est suivie d'un prompt qui paroît à notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l'amant de notre présence. Ensuite il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent à la traverse d'une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s'ensuit. Voilà comme les choses se traitent dans les belles manières, et ce sont des règles dont, en bonne galanterie, on ne sauroit se dispenser. Mais en venir de but en blanc à l'union conjugale, ne faire l'amour qu'en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue; encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé; et j'ai mal au cœur de la seule vision que cela me fait.

GORGIBUS.

Quel diable de jargon entends-je ici ? Voici bien du haut style.

CATHOS.

la bonne faiseuse, et qu'il s'en faut plus d'un grand demi-pied que leurs hauts-de-chausses ne soient assez larges.

GORGIBUS.

Je pense qu'elles sont folles toutes deux, et je ne puis rien comprendre à ce baragouin. Cathos, et vous, Madelon...

MADELON.

Hé! de grace, mon père, défaites-vous de ces noms étranges, et nous appelez autrement.

GORGIBUS.

Comment, ces noms étranges? Ne sont-ce pas vos noms de baptême ?

MADELON.

Mon Dieu ! que vous êtes vulgaire ! Pour moi, un de mes étonnements, c'est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi. A-t-on jamais parlé dans le beau style de Cathos ui de Madelon, et ne m'avouerez-vous pas que ce seroit assez d'un de ces noms pour décrier le plus beau roman du monde ?

CATHOS.

Il est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu délicate påtit furieusement à entendre prononcer ces mots-là; et le nom de Polixène que ma cousine a choisi, et celui d'Aminte que je me suis donné, ont une grace dont il faut que vous demeuriez d'accord.

GORGIBUS.

En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout-à-fait incongrus en galanterie ! Je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la carte de Tendre, et que Billets-doux, Petits-soins, BilletsÉcoutez: il n'y a qu'un mot qui serve. Je n'engalants, et Jolis-vers, sont des terres inconnues pour tends point que vous ayez d'autres noms que ceux eux'. Ne voyez-vous pas que toute leur personne qui vous ont été donnés par vos parrains et marmarque cela, et qu'ils n'ont pas cet air qui donne raines; et pour ces messieurs dont il est question, d'abord bonne opinion des gens? Venir en visite je connois leurs familles et leurs biens, et je veux réamoureuse avec une jambe tout unie, un chapeau solument que vous vous disposiez à les recevoir pour désarmé en plumes, une tête irrégulière en che-maris. Je me lasse de vous avoir sur les bras, et la veux, et un habit qui souffre une indigence de garde de deux filles est une chose un peu trop perubans; mon Dieu ! quels amants sont-ce là! Quel fru- sante pour un homme de mon åge. galité d'ajustement, et quelle sécheresse de conversation! On n'y dure point, on n'y tient pas. J'ai remarqué encore que leurs rabats ne sont pas de

2

La carte de Tendre est une fiction allégorique du roman de Clélie. On voit sur cette carte un fleuve d'Inclination, une mer d'Inimitié, un lac d'Indifférence, et une multitude d'autres inventions de ce genre. Pour parvenir à la ville de Tendre, il falloit assiéger le village de Billets-galants, forcer le hameau de Billets-doux, et s'emparer ensuite du château de Petitssoins. (Voy. Clélie, tome 1.).

'Anciennement le rabat n'étoit autre chose que le col de la chemise, rabattu en dehors sur le vêtement; et c'est de là qu'il a pris son nom, Plus tard on eut des rabats postiches, d'une toile fine et empesée, qui étoient quelquefois garnis de dentelle, et que l'on nouoit par devant avec deux cordons à glands. Tous les hommes, dans la jeunesse de Louis XIV, portoient le rabat. Les laïques l'ayant quitté pour la cravate, les gens d'église et ceux de robe en ont seuls conservé l'usage en lui donnant la forme que nous lui voyons maintenant. Il en est de même de la calotte qui, jusqu'au milieu du dix-septième siècle, étoit portée par des hommes du monde, et qui depuis a été affectée exclusivement aux ecclésiastiques. (A.)

CATHOS.

Pour moi, mon oncle, tout ce que je puis vous dire c'est que je trouve le mariage une chose toutà-fait choquante. Comment est-ce qu'on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu?

MADELON.

Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de Paris, où nous ne faisons que d'arriver. Laissez-nous faire à loisir le tissu de notre roman, et n'en pressez point tant la conclusion. GORGIBUS, à part.

Il n'en faut point douter, elles sont achevées. (haut.) Encore un coup, je n'entends rien à toutes ces balivernes : je veux être maître absolu; et, pour trancher toutes sortes de discours, ou vous serez mariées toutes deux avant qu'il soit peu, ou, foi! vous serez religieuses; j'en fais un bon serment.

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MASCARILLE.

Que veux-tu, ma chère? j'en suis en confusion pour lui. J'ai peine à me persuader que je puisse Hola ! porteurs, holà! Là, là, là, là, là, là. Je être véritablement sa fille, et je crois que quelque pense que ces marauds-là ont dessein de me briser à aventure un jour me viendra développer une nais-force de heurter contre les murailles et les pavés. sance plus illustre.

CATHOS.

Je le croirois bien; oui, il y a toutes les apparences du monde ; et, pour moi, quand je me regarde aussi...

SCÈNE VII.

CATHOS, MADELON, MAROTTE.

MAROTTE.

Voilà un laquais qui demande si vous êtes au logis, et dit que son maître vous veut venir voir.

MADELON.

Apprenez, sotte, à vous énoncer moins vulgairement. Dites: Voilà un nécessaire qui demande si vous êtes en commodité d'être visibles.

MAROTTE.

Dame! je n'entends point le latin, et je n'ai pas appris, comme vous, la filophie dans le grand Cyre.

MADELON.

PREMIER Porteur.

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Est-ce ainsi qu'on paie les pauvres gens; et votre

L'impertinente! Le moyen de souffrir cela! Et qualité nous donne-t-elle à dîner? qui est-il, le maître de ce laquais ?

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MASCARILLE.

Ah! ah! je vous apprendrai à vous connoître ! Ces canailles-là s'osent jouer à moi!

PREMIER PORTEUR, prenant un des bâtons de sa
chaise.
Ça, payez-nous vitement.

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n'y a de vraie religion que celle des chrétiens, il n'y a aussi que leur langage qui doive être entendu. (LE DUCH.)

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