Comme vous voudriez bien, manier ses ducats; Qu'il n'est point de ressort qui, pour votre ressource, Put faire maintenant ouvrir la moindre bourse. Mais tachons de parler à Célie un moment, Pour savoir là-dessus quel est son sentiment; La fenêtre est ici.
Mais Trufaldin, pour elle, Fait de nuit et de jour exacte sentinelle. Prends garde.
que le ciel m'oblige, en offrant à ma vue
Les célestes attraits dont vous êtes pourvue!
Quoi! te mêlerois-tu d'un peu de diablerie? CÉLIE.
Et, quelque mal cuisant que m'aient causé vos yeux, Non, tout ce que je sais n'est que blanche magie. Que je prends de plaisir à les voir en ces lieux!
Voici donc ce que c'est. Le maître que je sers Languit pour un objet qui le tient dans ses fers; Il auroit bien voulu du feu qui le dévore Pouvoir entretenir la beauté qu'il adore; Mais un dragon, veillant sur ce rare trésor, N'a pu, quoi qu'il ait fait, le lui permettre encor; Et, ce qui plus le gène et le rend misérable, Il vient de découvrir un rival redoutable; Si bien que, pour savoir si ses soins amoureux Ont sujet d'espérer quelque succès heureux, Je viens vous consulter, sûr que de votre bouche Je puis apprendre au vrai le secret qui nous touche. CÉLIE.
Sous quel astre ton maître a-t-il reçu le jour?
Il a lieu d'espérer, et le fort qu'il veut prendre N'est pas sourd aux traités, et voudra bien se rendre.
C'est beaucoup; mais ce fort dépend d'un gouverneur Difficile à gagner.
C'est là tout le malheur. MASCARILLE, à part, regardant Lėlie. Au diable le fâcheux qui toujours nous éclaire! CÉLIE.
Je vais vous enseigner ce que vous devez faire. LÉLIE, les joignant.
Cessez, ô Trufaldin, de vous inquiéter; C'est par mon ordre seul qu'il vous vient visiter, Et je vous l'envoyois, ce serviteur fidèle, Vous offrir mon service, et vous parler pour elle, Dont je vous veux dans peu payer la liberté, Pourvu qu'entre nous deux le prix soit arrêté. MASCARILLE.
Par mon chef, c'est un siècle étrange que le nôtre ! J'en suis confus. Jamais tant d'amour pour le bien, Et jamais tant de peine à retirer le sien! Les dettes aujourd'hui, quelque soin qu'on emploie, Sont comme les enfants, que l'on conçoit en joie, Et dont avecque peine on fait l'accouchement. L'argent dans une bourse entre agréablement; Mais, le terme venu que nous devons le rendre, C'est lors que les douleurs commencent à nous prendre. Baste; ce n'est pas peu que deux mille francs, dus Depuis deux ans entiers, me soient enfin rendus ; Encore est-ce un bonheur.
MASCARILLE, à part les quatre premiers vers. O Dieu! la belle proie
A tirer en volant! Chut, il faut que je voie Si je pourrois un peu de près le caresser. Je sais bien les discours dont il le faut bercer... Je viens de voir, Anselme...
Peu s'en faut que d'amour la pauvrette ne meure. Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure, Quand est-ce que l'hymen unira nos deux cœurs, Et que tu daigneras éteindre mes ardeurs ?
'Gent, gente ne veut pas dire gentille. Ce mot exprime à la fois la légèreté dans la taille, la propreté et l'élégance dans les vêtements. (Voyez NICOT et LE DUCHAT.)
Mais pourquoi jusqu'ici me les avoir celées ! Les filles, par ma foi, sont bien dissimulées ! Mascarille, en effet, qu'en dis-tu ? quoique vieux, J'ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux.
Oui, vraiment, ce visage est encor fort mettable; S'il n'est pas des plus beaux, il est des-agréable.
MASCARILLE veut prendre la bourse. Si bien donc qu'elle est sotte de vous,
Ne vous regarde plus...
Que comme un époux; Soit; donne-la pour moi: mais surtout fais si bien Qu'elle garde toujours l'ardeur de me voir sien.
Je me trompois donc bien; car j'avois la pensée Qu'à tout ce qu'il faisoit tu donnois de l'appui. MASCARILLE.
Moi? Voyez ce que c'est que du monde aujourd'hui, Et comme l'innocence est toujours opprimée. Si mon intégrité vous étoit confirmée, Je suis auprès de lui gagé pour serviteur, Vous me voudriez encor payer pour précepteur: Oui, vous ne pourriez pas lui dire davantage Que ce que je lui dis pour le faire être sage. Monsieur, au nom de Dieu, lui fais-je assez souvent, Cessez de vous laisser conduire au premier vent; Réglez-vous; regardez l'honnête homme de père Que vous avez du ciel, comme on le considère; Cessez de lui vouloir donner la mort au cœur, Et, comme lui, vivez en personne d'honneur.
Sachez donc que vos vœux sont trahis Par l'amour qu'une esclave imprime à votre fils.
· Avoir maille à partir, c'est-à-dire à se partager, du latin partiri. La maille étoit une petite monnoie de si peu de valeur qu'elle ne pouvoit être divisée. De là le proverbe avoir maille à partir, se disputer sur un partage impossible, et par extension, avoir une dispute interminable. Ménage dit que cette monnoie étoit ainsi appelée du vieux mot françois maille, qui signifie figure carrée, parce que la maille avoit cette forme. N'avoir ni denier ni maille signifioit autrefois n'avoir aucune sorte de monnoie, ni ronde ni carrée.
Il faut... J'ai toujours peur qu'on nous vienne surpren-Vous faire dire vrai, puisqu'ainsi l'on m'outrage.
Il faut, dis-je, pour rompre à toute chose cours, Acheter sourdement l'esclave idolâtrée, Et la faire passer en une autre contrée. Anselme a grand accès auprès de Trufaldin; Qu'il aille l'acheter pour vous dès ce matin : Après, si vous voulez en mes mains la remettre, Je connois des marchands, et puis bien vous D'en retirer l'argent qu'elle pourra coûter, Et, malgré votre fils, de la faire écarter; Car enfin, si l'on veut qu'à l'hymen il se range, A cet amour naissant il faut donner le change; Et de plus, quand bien même il seroit résolu, Qu'il auroit pris le joug que vous avez voulu, Cet autre objet, pouvant réveiller son caprice, Au mariage encor peut porter préjudice.
Par quelle illusion penses-tu m'éblouir? Traitre, peux-tu nier ce que je viens d'ouïr?
Non. Mais il faut savoir que tout cet artifice Ne va directement qu'à vous rendre service;
Que ce conseil adroit, qui semble être sans fard, promet-Jette dans le panneau l'un et l'autre vieillard *; [tre Que mon soin par leurs mains ne veut avoir Célie, Qu'à dessein de la mettre au pouvoir de Lélie; Et faire que, l'effet de cette invention Dans le dernier excès portant sa passion, Anselme, rebuté de son prétendu gendre, Puisse tourner son choix du côté de Léandre. HIPPOLYTE.
C'est très-bien raisonner; ce conseil me plaît fort... Je vois Anselme; va, je m'en vais faire effort Pour avoir promptement cette esclave funeste, Et la mettre en tes mains pour achever le reste. MASCARILLE, seul.
Bon; allons avertir mon maître de ceci. Vive la fourberie et les fourbes aussi !
Oui, traître, c'est ainsi que tu me rends service! Je viens de tout entendre et voir ton artifice: A moins que de cela, l'eussé-je soupçonné ? Tu couches d'imposture', et tu m'en as donné. Tu m'avois promis, lâche, et j'avois lieu d'attendre Qu'on te verroit servir mes ardeurs pour Léandre; Que du choix de Lélie, où l'on veut m'obliger, Ton adresse et les soins sauroient me dégager; Que tu m'affranchirois du projet de mon père;
Coucher d'imposture, pour payer de ruses, de mensonges. Cette manière de s'exprimer, dit Voltaire, n'est plus admise; elle vient du jeu. On disoit: Couché de vingt pistoles, de trente pistoles, couché belle.
« PrécédentContinuer » |