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bilement insérer dans le traité qu'on ne rendrait Castro et Ronciglione au duc que moyennant une somme d'argent équivalente à peu près à la somme que la maison Farnèse devait au mont-de-piété. Par ce tour adroit, Castro et Ronciglione sont toujours demeurés incamérés, malgré Louis XIV, qui dans les occasions éclatait avec fierté contre la cour de Rome, et ensuite lui cédait.

Il est certain que la jouissance de ce duché a valu à la chambre des apôtres quatre fois plus que le mont-de-piété ne peut redemander de capital et d'intérêts. N'importe, les apôtres sont toujours en possession. Il n'y a jamais eu d'usurpation plus manifeste. Qu'on s'en rapporte à tous les tribunaux de judicature, depuis ceux de la Chine jusqu'à ceux de Corfou; y en a-t-il un seul où le duc de Parme ne gagnât sa cause? Ce n'est qu'un compte à faire. Combien vous dois-je ? combien avezvous touché par vos mains? payez-moi l'excédant, et rendez-moi mon gage. Il est à croire que quand le duc de Parme voudra intenter ce procès, il le gagnera partout ailleurs qu'à la chambre des apôtres.

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VI. Acquisitions de Jules II. — Je ne parlerai point ici de Comacchio; c'est une affaire qui regarde l'empire, et je m'en rapporte à la chambre de Vetzlar et au conseil aulique. Mais il faut voir par quelles bonnes œuvres les serviteurs des serviteurs de Dieu ont obtenu du ciel tous les domaines qu'ils possèdent aujourd'hui. Nous savons par le cardinal Bembo, par Guichardin, et par tant d'autres, comment La Rovère, Jules II, acheta la tiare, et comment il fut élu avant même que les cardinaux fussent entrés dans le conclave. Il fallait payer ce qu'il avait promis, sans quoi on lui aurait représenté ses billets, et il risquait d'être déposé. Pour payer les uns il fallait prendre aux autres. Il commence par lever des troupes; il se met à leur tête, assiége Pérouse, qui appartenait au seigneur Baglioni, homme faible et timide, qui n'eut pas le courage de se défendre. Il rendit sa ville en 1506. On lui laissa seulement emporter ses meubles avec des agnus Dei. De Pérouse Jules marche à Bologne, et en chasse les Bentivoglio.

On sait comment il arma tous les souverains contre Venise, et comment ensuite il s'unit avec les Vénitiens contre Louis XII. Cruel ennemi, ami perfide, prêtre, soldat, il réunissait tout ce qu'on reproche à ces deux professions, la fourberie et l'inhumanité. Cet honnête homme se mêlait aussi d'excommunier. 11 lança son ridicule foudre contre le roi de France Louis XII, le père du peuple. Il croyait, dit un auteur célèbre, mettre les rois sous l'anathème, comme vicaire de Dieu; et il mettait à prix les têtes de tous les Français en Italie, comme vicaire du diable. Voilà l'homme dont les princes baisaient les pieds, et que les peuples adoraient comme un Dieu. J'ignore s'il eut la vérole, comme on l'a écrit: tout ce que je sais, c'est que la signora Orsini, sa fille, ne l'eut point, et qu'elle fut une très-honorable dame. Il faut toujours rendre justice au beau sexe dans l'occasion.

VII. Des acquisitions d'Alexandre V1. La terre a retenti assez de la simonie qui valut à ce Borgia la tiare, des excès de fureur et de dé

bauche dont se souillèrent ses bâtards, de son inceste avec Lucrezia sa fille. Quelle Lucrezia! On sait qu'elle couchait avec son frère et son père, et qu'elle avait des évêques pour valets de chambre. On est assez instruit du beau festin pendant lequel cinquante courtisanes nues ramassaient des châtaignes en variant leurs postures, pour amuser Sa Sainteté, qui distribua des prix aux plus vigoureux vainqueurs de ces dames. L'Italie parle encore du poison qu'on prétendit qu'il prépara pour quelques cardinaux, et dont on croit qu'il mourut lui-même. Il ne reste rien de ces épouvantables horreurs que la mémoire; mais il reste encore des héritiers de ceux que son fils et lui assassinèrent, ou étranglèrent, ou empoisonnèrent pour ravir leurs héritages. On connaît le poison dont ils se servaient; il s'appelait la cantarella. Tous les crimes de cette abominable famille sont aussi connus que l'Evangile, à l'abri duquel ces monstres les commettaient impunément. Il ne s'agit ici que des droits de plusieurs illustres maisons qui subsistent encore. Les Orsini, les Colonne souffriront-ils toujours que la chambre apostolique leur retienne les héritages de leur ancienne maison?

Nous avons à Venise des Tiepolo, qui descendent de la fille de Jean Sforce, seigneur de Pesaro, que César Borgia chassa de la ville au nom du pape son père. Il y a des Manfredi, qui ont droit de réclamer Faenza. Astor Manfredi, âgé de dix-huit ans, rendit Faenza au pape et se remit entre les mains de son fils, à condition qu'on le laisserait jouir du reste de sa fortune. Il était d'une extrême beauté; César Borgia en devint éperdument amoureux; mais comme il était louche, ainsi que tous ses portraits le témoignent, et que ses crimes redoublaient encore l'horreur de Manfredi pour lui, ce jeune homme s'emporta imprudemment contre le ravisseur; Borgia n'en put jouir que par violence, ensuite il le fit jeter dans le Tibre avec la femme d'un Caraccioli qu'il avait enlevée à son époux.

On a peine à croire de telles atrocités; mais s'il est quelque chose d'avéré dans l'histoire, ce sont les crimes d'Alexandre VI et de sa famille.

La maison de Montefeltro n'est pas encore éteinte. Le duché d'Urbin, qu'Alexandre VI et son fils envahirent par la perfidie la plus noire et la plus célébrée dans les livres de Machiavel, appartient à ceux qui sont descendus de la maison de Montefeltro, à moins que les crimes n'opèrent une prescription contre l'équité.

Jules Varano, seigneur de Camerino, fut saisi par César Borgia dans le temps même qu'il signait une capitulation, et fut étranglé sur la place avec ses deux fils. Il y a encore des Varano dans la Romagne; c'est à eux, sans doute, que Camerino appartient.

Tous ceux qui lisent ont vu avec effroi, dans Machiavel, comment ce César Borgia fit assassiner Vitellozzo, Vitelli, Oliverotto da Fermo, il signor Pagolo, et Francesco Orsini, duc de Gravina. Mais ce que Machiavel n'a point dit, et ce que les historiens contemporains nous apprennent, c'est que, pendant que Borgia faisait étrangler le duc de Gravina et ses amis dans le château de Sinigaglia, le pape son père faisait arrêter le cardinal Orsini, parent du duc de Gravina, et confis

quait tous les biens de cette illustre maison. Le pape s'empara même de tout le mobilier. Il se plaignit amèrement de ne point trouver parmi ces effets une grosse perle estimée deux mille ducats, et une cassette pleine d'or qu'il savait être chez le cardinal. La mère de ce malheureux prélat, âgée de quatre-vingts ans, craignant qu'Alexandre VI, selon sa coutume, n'empoisonnât son fils, vint en tremblant lui apporter la perle et la cassette; mais son fils était déjà empoisonné, et rendait les derniers soupirs. Il est certain que si la perle est encore, comme on le dit, dans le trésor des papes, ils doivent en conscience la rendre à la maison des Ursins, avec l'argent qui était dans la cassette.

Conclusion. - Après avoir rapporté, dans la vérité la plus exacte, tous ces faits, dont on peut tirer quelques conséquences, et dont on peut faire quelque usage honnête, je ferai remarquer à tous les intéressés qui pourront jeter les yeux sur ces feuilles, que les papes n'ont pas un pouce de terre en souveraineté qui n'ait été acquis par des troubles ou par des fraudes. A l'égard des troubles, il n'y a qu'à lire l'histoire de l'empire et les jurisconsultes d'Allemagne. A l'égard des fraudes, il n'y a qu'à jeter les yeux sur la donation de Constantin et sur les décrétales.

La donation de la comtesse Mathilde au doux et modeste Grégoire VII est le titre le plus favorable aux évêques de Rome. Mais, en bonne foi, si une femme à Paris, à Vienne, à Madrid, à Lisbonne, déshéritait tous ses parents, et laissait tous ses fiefs masculins, par testament, à son confesseur, avec ses bagues et joyaux, ce testament ne serait-il pas cassé suivant les lois expresses de tous ces Etats?

On nous dira que le pape est au-dessus de toutes les lois, qu'il peut rendre juste ce qui est injuste; potest de injustitia facere justitiam; Papa est supra jus, contra jus et extra jus: c'est le sentiment de Bellarmin'; c'est l'opinion des théologiens romains. A cela nous n'avons rien à répondre. Nous révérons le siége de Rome; nous lui devons les indulgences, la faculté de tirer des âmes du purgatoire, la permission d'épouser nos belles-sœurs et nos nièces l'une après l'autre, la canonisation de saint Ignace, la sûreté d'aller en paradis en portant le scapulaire; mais ces bienfaits ne sont peut-être pas une raison pour retenir le bien d'autrui.

Il y a des gens qui disent que si chaque Église se gouvernait par ellemême sous les lois de l'État; si on mettait fin à la simonie de payer des annates pour un bénéfice; si un évêque, qui d'ordinaire n'est pas riche avant sa nomination, n'était pas obligé de se ruiner lui ou ses créanciers, en empruntant de l'argent pour payer ses bulles, l'Etat ne serait pas appauvri, à la longue, par la sortie de cet argent qui ne revient plus. Mais nous laissons cette matière à discuter par les banquiers en cour de Rome.

Finissons par supplier encore le lecteur chrétien et bénévole de lire l'Evangile, et de voir s'il y trouvera un seul mot qui ordonne le moin

1. De Romano pontifice, tom. I, lib. IV. (ED.)

dre des tours que nous avons fidèlement rapportés. Nous y lisons, il est vrai, « qu'il faut se faire des amis avec l'argent de la mammone d'iniquité. » Ah! beatissimo padre, si cela est, rendez donc l'argent.

LES COLIMAÇONS

DU RÉVÉREND PÈRE L'ESCARBOTIER,

PAR LA GRACE DE DIEU CAPUCIN INDIGNE, PRÉDICATEUR ORDINAIRE ET CUISINIER DU GRAND COUVENT DE LA VILLE DE CLERMONT EN AUVERGNE,

AU REVEREND PÈRE ÉLIE,

CARME CHAUSSÉ, DOCTEUR EN THÉOLOGIE.

MON RÉVÉREND PÈRE,

(1768.)

PREMIERE LETTRE.

Il y a quelque temps qu'on ne parlait que des jésuites, et à présent on ne s'entretient que des escargots. Chaque chose a son temps; mais il est certain que les colimaçons dureront plus que tous nos ordres religieux; car il est clair que, si on avait coupé la tête à tous les capucins et à tous les carmes, ils ne pourraient plus recevoir de novices; au lieu qu'une limace à qui l'on a coupé le cou reprend une nouvelle tête au bout d'un mois.

Plusieurs naturalistes ont fait cette expérience; et, ce qui n'arrive que trop souvent, ils ne sont pas du même avis. Les uns disent que ce sont les limaces simples, que j'appelle incoques, qui reprennent une tête; les autres disent que ce sont les escargots, les limaçons à coquille. Experientia fallax1, l'expérience même est trompeuse 2. Il est très-vraisemblable que le succès de cette tentative dépend de l'endroit dans lequel on fait l'amputation, et de l'âge du patient. Je dois, sans vanité, me connaître mieux en colimaçons que messieurs de l'Académie des sciences, et même que la Sorbonne, qui se connaît à tout; car depuis que le bienheureux Matthieu Baschi, à qui Dieu apparut, nous ordonna de rendre notre capuchon plus pointu (dont nous tenons le grand nom de capucin), nous avons toujours mangé des fricassées d'escargots aux fines herbes.

Comme les cuisiniers ont toujours été des espèces d'anatomistes, je

1. Aphorisme d'Hippocrate. (ED.)

2. Dans un programme des Reproductions animales imprimé, il est dit, page 6, dans l'avis du traducteur, que la tête et les autres parties se reproduisirent dans l'escargot terrestre, et que les cornes se reproduisirent dans le limaçon sans coquille; c'est communément tout le contraire; et d'ailleurs les limaces nues incoques et le colimaçon à coquille sont également terrestres.

me suis donné souvent le plaisir innocent de couper des têtes de colimaçons-escargots à coquille, et de limaces nues incoques. Je vais vous exposer fidèlement ce qui m'est arrivé. Je serais fâché d'en imposer au monde; je suis prédicateur aussi bien que cuisinier mon métier est de nourrir l'âme comme le corps, et l'univers sait que je ne la nourris pas de mensonges.

Le 27 de mai, par les neuf heures du matin, le temps étant serein, je coupai la tête entière avec ses quatre antennes à vingt limaces nues incoques, de couleur mordoré-brun, et à douze escargots à coquille. Je coupai aussi la tête à huit autres escargots, mais entre les deux antennes. Au bout de quinze jours deux de mes limaces ont montré une tête naissante; elles mangeaient déjà, et leurs quatre antennes commençaient à poindre. Les autres se portent bien; elles mangent sous le capuchon qui les couvre, sans allonger encore le cou. Il ne m'est mort que la moitié de mes escargots, tous les autres sont en vie. Ils marchent, ils grimpent à un mur, ils allongent le cou; mais il n'y a nulle apparence de tête, excepté à un seul. On lui avait coupé le cou entièrement, sa tête est revenue; mais il ne mange pas encore. Unus est, ne desperes; sed unus est, ne confidas3.

Ceux à qui l'on n'a fait l'opération qu'entre les quatre antennes ont déjà repris leur museau. Dès qu'ils seront en état de manger et de faire l'amour, j'aurai l'honneur d'en avertir Votre Révérence. Voilà deux prodiges bien avérés: des animaux qui vivent sans tête, des animaux qui reproduisent une tête.

J'en ai souvent parlé dans mes sermons, et je n'ai jamais pu les comparer qu'à saint Denis, qui, ayant eu la tête coupée, la porta deux lieues dans ses bras en la baisant tendrement.

Mais si l'histoire de saint Denis est d'une vérité théologique, l'histoire des colimaçons est d'une vérité physique, d'une vérité palpable, dont tout le monde peut s'assurer par ses yeux. L'aventure de saint Denis est le miracle d'un jour; et celle des colimaçons, le miracle de tous les jours. J'ose espérer que les escargots reprendront des têtes entières comme les limaces; mais enfin je n'en ai encore vu qu'un à qui cela soit arrivé, et je crains même de m'être trompé.

Si la tête revient difficilement aux escargots, ils ont en récompense des priviléges bien plus considérables. Les colimaçons ont le bonheur d'être à la fois mâles et femelles, comme ce beau garçon', fils de Vénus et de Mercure, dont la nymphe Salmacis fut amoureuse. Pardon de vous citer des histoires profanes.

1. Plaisanterie sur Pompignan. (ED.)

2. On est obligé de dire qu'on doute encore si cet escargot, auquel il revient une tête, et dont une corne commence à paraitre, n'est pas du nombre de ceux à qui l'on n'a coupé que la tête et deux antennes. Il est déjà revenu un museau à ceux-ci au bout de quinze jours. Ces expériences sont certaines; les plaisanteries du capucin ne doivent pas les affaiblir. Ridendo dicere verum quid vetat? (HOR., I, sat. 1, 24-25.)

3. C'est dans les limaçons à coquille que la reproduction de la tête a lieu; il parait que dans les limaces incoques ce sont seulement certaines parties de la tête, mais non la tête entière qui se reproduit. (Ed. de Kehl.)

4. Hermaphrodite. (ED.)

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