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dons pas le langage. Nous prions pour eux sans les comprendre; nous nous unissons à eux malgré eux-mêmes, dans cet esprit de charité qui fait du monde entier une grande famille dispersée Caritas humani generis, dit Cicéron, s'il m'est permis de citer ici un profane qui était un homme de bien.

Malheur à toute secte qui dit : « Je suis seule sur la terre; la lumière ne luit que pour moi; une profonde nuit couvre les yeux de tous les autres hommes; ce n'est que pour moi que les vastes cieux ont été créés; c'est là ma demeure; tout le reste est condamné à un séjour d'horreur et de désolation éternelle! >>

Ce cruel langage est bien moins celui d'un cœur reconnaissant qui remercie Dieu de l'avoir distingué de la foule des êtres, que l'expression d'un orgueil insensé qui se complaît dans ses illusions téméraires. La dureté accompagne nécessairement un tel orgueil. Comment un homme malheureusement pénétré d'une si abominable croyance aurait-il des entrailles de pitié pour ceux qu'il pense être en horreur à Dieu, de toute éternité, et pour toute l'éternité? Il ne les peut envisager que du même œil dont il croit voir les démons qu'on lui a peints comme ses ennemis sous des formes différentes. Si quelquefois il leur témoigne un peu d'humanité, c'est que la nature, plus forte en lui que ses préjugés, amollit malgré lui son cœur que sa secte endurcissait; et la vertu naturelle, que Dieu lui a donnée, l'emporte sur la religion qu'il a reçue des hommes.

Sachez, messieurs, que le chef de la secte papiste n'est pas le seul qui se dise infaillible; sachez que tous ceux qui sont de sa secte intolérante pensent être infaillibles comme lui; et cela ne peut être autrement; ils ont adopté tous ses dogmes. Ce chef, selon eux, ne peut être dans l'erreur: donc ils ne peuvent errer en croyant tout ce que leur maître enseigne, en faisant tout ce qu'il ordonne. Cet excès de démence s'est perpétué surtout dans les cloîtres. C'est là que dominent la persuasion ennemie de l'examen, et le fanatisme enfant furieux de cette persuasion; c'est là que rampe l'aveugle obéissance, brûlant du désir de commander aux autres; c'est là que se forgent les fers qui ont enchaîné de proche en proche tant de nations. Le petit nombre qui a découvert la fraude, et qui en gémit en secret, n'en est que plus ardent à la répandre; il jouit du plaisir infâme de faire croire ce qu'il ne croit pas, et son hypocrisie est quelquefois plus persécutive que le fanatisme lui-même.

Voilà le joug sous lequel une partie de l'Europe baisse encore la tête, le joug que nous détestons, mais que nous-mêmes nous avons longtemps porté, lorsqu'un légat venait dans notre île ouvrir et fermer le ciel à prix d'or; vendre des indulgences, et recueillir des décimes; effrayer les peuples, ou les exciter à des guerres qu'il appelait saintes. Ces temps ne reviendront plus, je le crois, mes frères; mais c'est afin qu'ils ne reviennent plus qu'il faut en rappeler souvent la

mémoire.

1. Voyez l'A, B, C, quatorzième entretien, ci-dessus, p. 135. (ED.)

Profitons de cette cérémonie sacrée qui nous inspire la charité, pour ne souffrir jamais que la religion nous inspire la tyrannie et la discorde. Ici nous sommes tous égaux; ici nous participons tous au même pain et au même vin; ici nous rendons à l'Étre des êtres les mêmes actions de grâces. Ne souffrons donc jamais que des étrangers aient l'insolence de nous prescrire en maîtres, ni la manière dont nous devons adorer le Maître universel, ni celle dont nous devons nous conduire, ni celle dont nous devons penser. Un étranger n'a pas plus de droit sur nos consciences que sur nos bourses. Il est cependant un de nos trois royaumes dans lequel cet étranger domine encore secrètement. Il y ervoie des ministres inconnus qui sont les espions des consciences. Ce sont là en effet des mystères, c'est là une religion cachée. Elle insinue tout bas la discorde, tandis que nous annonçons hautement la paix; sa communion n'est que la réjection des autres hommes; tout est à ses yeux ou hérétique ou infidèle. Depuis qu'elle a usurpé le trône des Césars, elle n'a point changé de maximes; et quoique les yeux de presque toutes les nations se soient enfin ouverts sur ses prétentions absurdes, et sur ses déprédations, elle conserve, dans sa décadence, le même orgueil qui la possédait quand elle voyait tant de rois à ses genoux. C'est en vain que notre premier Législateur a dit : Il n'y aura parmi vous ni premier ni dernier 2; l'évêque de Rome se dit toujours le premier des hommes, parce qu'il siége dans une ville qui fut autrefois la première de l'Occident.

Que penseriez-vous, mes chers frères, d'un géomètre de Londres qui se croirait le souverain de tous les géomètres de nos provinces, sous prétexte qu'il exercerait l'arpentage dans la capitale? Ne le feraiton pas enfermer comme un fou, s'il s'avisait d'ordonner qu'on ne crût à aucune propriété des triangles, sans un édit émané de son portefeuille? C'est là cependant ce qu'a fait l'Église romaine : à cela près que les opinions qu'elle enseigne ne sont pas tout à fait des vérités géométriques.

Cependant nous prions ici pour elle, pourvu qu'elle ne soit point persécutante; et nous regardons les papistes comme nos frères, quoiqu'ils ne veuillent point être nos frères. Jugez qui de nous approche le plus de la grande loi de la nature. Ils nous disent : « Vous êtes dans l'erreur, et nous vous réprouvons. » Nous leur répondons : « Vous nous paraissez être dans l'esclavage, dans l'ignorance, dans la démence : nous vous plaignons, et nous vous chérissons. >>

Que le fruit de notre communion soit donc toujours, mes frères, de voir les faiblesses et les misères humaines sans aversion et sans colère, et d'aimer, s'il se peut, ceux que nous jugeons déraisonnables, autant que ceux qui nous semblent être dans le chemin de la vérité, quand ils pensent comme nous.

Après nous être affermis dans ce premier devoir de tous les hommes,

1. L'Irlande. (ED.)

2. Cela n'est pas textuellement dans l'Evangile; mais on y dit que les premiers seront les derniers; voyez Matthieu, XIX, 30; xx, 16; Marc, x, 31; Luc, XIII, 30. (Note de M. Beuchot.)

de quelque religion qu'ils puissent être, d'adorer Dieu et d'aimer son prochain, que nous servirait d'examiner quel jour Jésus fit le souper de la pâque, et s'il était couché sur un lit, en mangeant comme les seigneurs romains, ou s'il mangea debout, un bâton à la main, comme l'ordonnait la loi des Juifs'? La morale qui doit diriger toutes nos actions en sera-t-elle plus pure, lorsque nous aurons discuté si Jésus fut crucifié la veille ou l'avant-veille de la pâque juive? Si cela n'est pas clair dans les Évangiles, il est très-clair que nous devons être gens de bien tous les jours de l'année qui précèdent et qui suivent cette cérémonie.

Plusieurs savants s'inquiètent que l'Évangile de saint Jean ne dise pas un seul mot de l'institution de l'eucharistie, de la bénédiction du pain, et de ces paroles mystérieuses qui ont causé tant de malheurs : Ceci est mon corps; ceci est le calice de mon sang. Ils s'étonnent que le disciple bien-aimé garde le silence sur le principal point de la mission de son maître.

On dispute sur l'heure de sa mort, sur les femmes qui assistèrent à son supplice; saint Matthieu disant quelles étaient loin, et saint Jean affirmant au contraire qu'elles étaient auprès de la croix, et que Jésus leur parla.

On dispute sur sa résurrection, sur ses apparitions, sur son ascension dans les airs. Ces paroles même qu'on trouve dans saint Jean': Je vais à mon père qui est votre père, à mon Dieu qui est votre Dieu, ont fourni à l'Eglise de ceux qu'on appelle sociniens un prétexte qu'ils ont cru plausible, de soutenir que Jésus n'était pas Dieu, mais seulement envoyé de Dieu.

On ne s'accorde pas sur le lieu duquel il monta au ciel. Saint Luc dit que ce fut en Béthanie; saint Marc ne dit pas en quel endroit; saint Matthieu, saint Jean, n'en parlent pas. Saint Luc même, dans son Évangile, nous fait entendre que Jésus monta au ciel le lendemain de sa résurrection; et dans les Actes des apôtres, il est dit que ce fut après quarante jours. Toutes ces contradictions exercent l'esprit 'des savants, mais elles ne les rendent ni plus modestes, ni plus doux, ni plus compatissants.

La naissance, la vie et la mort de Jésus, sont l'éternel sujet de disputes interminables. Saint Luc nous dit qu'Auguste ordonna un dénombrement de toute la terre, et que Joseph et Marie vinrent se faire dénombrer à Bethleem, quoique Joseph ne fût pas natif de Bethleem, mais de la Galilée. Cependant ni aucun auteur romain, ni Flavius Josèphe lui-même, ne parlent de ce dénombrement. Luc dit que Joseph et Marie furent dénombrés sous Cyrinus ou Quirinus, gouverneur de Syrie; mais il est avéré par Tacite que ce Cyrinus ou Quirinus ne gouverna la Syrie que dix ans après, et que c'était alors Quintilius Varus qui était gouverneur. Luc donne pour grand-père à Jésus, Héli, père de Joseph; Matthieu donne à Joseph, Jacob pour père : et tous

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deux, en donnant chacun à Joseph une généalogie absolument différente, disent que Jésus n'était pas son fils. Luc assure que Joseph et Marie emmenèrent Jésus en Galilée; Matthieu dit qu'ils l'emmenèrent en Égypte.

Quand un ange, mes frères, descendrait de la voie lactée pour venir concilier ces contrariétés, quand il nous apprendrait le véritable nom du père de Joseph, que nous en reviendrait-il? quel fruit en retirerions-nous? en serions-nous plus gens de bien? n'est-il pas évident que nous devons être bons pères, bons maris, bons fils, bons citoyens, soit que le père de Joseph s'appelât Héli ou Jacob, soit qu'on ait emmené l'enfant Jésus en Galilée ou en Egypte? Que Luc s'accorde ou ne s'accorde pas avec Matthieu, les gros bénéficiers d'Allemagne n'en seront pas moins riches, et nous ne leur envierons pas leurs richesses.

Il n'y a pas une page dans l'Écriture qui n'ait été un sujet de contestation, et par conséquent de haine. Que faut-il donc faire, mes trèschers frères, dans les ténèbres où nous marchons? Je vous l'ai déjà dit, et vous le pensez comme moi : nous devons rechercher la justice plus que la lumière, et tolérer tout le monde, afin que nous soyons tolérés.

LE CRI DES NATIONS.

(1769.)

Espagne, qui fus le berceau des jésuites; parlements de France, qui, depuis l'institution de cette milice, armâtes toujours les lois contre elle; Portugal, qui n'avais que trop éprouvé le danger de leurs maximes; Naples, Sicile, Parme, Malte, qui les avez connus, vous en avez enfin purgé vos États; non qu'il y eût parmi eux des hommes vertueux et utiles, mais parce qu'en général l'esprit de cet ordre était contraire aux intérêts des nations, et parce qu'en effet ils étaient les satellites d'un prince étranger.

C'est dans cette vue que la sagesse éclairée de presque toutes les puissances catholiques impose aujourd'hui le frein des lois à la licence des moines, qui se croyaient indépendants des lois mêmes. Cette heureuse révolution, qui paraissait impossible dans le siècle passé, quoiqu'elle fût très-aisée, a été reçue avec l'acclamation des peuples. Les hommes, étant plus éclairés, en sont devenus plus sages et moins malheureux. Ce changement aurait produit des excommunications, des interdits, des guerres civiles, dans des temps de barbarie; mais dans le siècle de la raison l'on n'a entendu que des cris de joie.

Ces mêmes peuples, qui bénissent leurs souverains et leurs magistrats pour avoir commencé ce grand ouvrage, espèrent qu'il ne demeurera pas imparfait. On a chassé les jésuites, parce qu'ils étaient les principaux organes des prétentions de la cour de Rome: comment donc pourrait-on laisser subsister ces prétentions? Quoi! l'on punit

ceux qui les soutiennent, et on se laisserait opprimer par ceux qui les exercent!

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Des annates. D'où vient que la France, l'Espagne, l'Italie payent encore des annates à l'évêque de Rome? Les rois confèrent le bénéfice de l'épiscopat, l'Église confère le Saint-Esprit ces deux dons n'ont certainement rien de commun. Les rois ont fondé le bénéfice qui consiste dans le revenu, ou bien ils sont aux droits des seigneurs qui l'ont fondé la nomination est donc le privilége de la couronne. C'est donc par la grâce unique du roi, et non par celle d'un évêque étranger, qu'un évêque est évêque. Ce n'est point le pape qui lui donne le SaintEsprit; il le reçoit de l'imposition de quelques autres évêques ses concitoyens. S'il paye au pape quelque argent pour la collation de son bénéfice, c'est dans le fond un délit contre l'État; s'il paye cet argent pour recevoir le Saint-Esprit, c'est une simonie: il n'y a pas de milieu. On a voulu pallier ce marché qui offense la religion et la patrie, on n'a jamais pu le justifier.

Il est autorisé, dit-on, par le concordat entre le roi François Ier et le pape Léon X. Mais quoi! parce qu'ils avaient alors besoin l'un de l'autre, parce que des intérêts passagers les réunirent, faut-il que l'Etat en souffre éternellement? faut-il payer à jamais ce qu'on ne doit pas? sera-t-on esclave au dix-huitième siècle parce qu'on fut imprudent au seizième?

Des dispenses. On paye chèrement à Rome la dispense pour épouser sa cousine et sa nièce. Si ces mariages offensaient Dieu, quel pouvoir sur la terre aurait droit de les permettre? Si Dieu ne les réprouve pas, à quoi sert une dispense? S'il faut cette dispense, pourquoi un Champenois et un Picard doivent-ils la demander et la payer à un prêtre italien? Ces Champenois et ces Picards n'ont-ils pas des tribunaux qui peuvent juger du contrat civil, et des curés qui administrent, en vertu du contrat civil, ce qui est du ressort du sacrement?

N'est-ce pas une servitude honteuse, contraire au droit des gens, à la dignité des couronnes, à la religion, à la nature, de payer un étranger pour se marier dans sa patrie?

On a poussé cette tyrannie absurde jusqu'à prétendre que le pape seul a le droit d'accorder pour de l'argent à un filleul la permission d'épouser sa marraine. Qu'est-ce qu'une marraine? c'est une femme inutile ajoutée à un parrain nécessaire, laquelle a de surcroft répondu pour vous que vous seriez chrétien. Or, parce qu'elle a dit que vous observeriez les rites du christianisme, ce sera un crime de contracter avec elle un sacrement du christianisme! et le pape seul pourra changer ce crime en une action méritoire et sacrée, moyennant une taxe!

Ce prétendu crime n'était pas moins grand entre le parrain et la marraine et les père et mère de l'enfant. Ils ont répondu qu'un enfant né en Bavière serait chrétien; donc les parrains et marraines ne pourront jamais épouser le père ou la mère, si un prêtre de Rome ne leur fait

1. Mon curé, en baptisant un enfant, le 11 juin 1769, dit à Mlle Nolet, la marraine : « Souvenez-vous que vous ne pouvez épouser ni l'enfant, ni son père, ni sa mère. »

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