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mille lieues sur la cime des montagnes ? « Oui, dites-vous, car on trouve partout des coquilles de mer, et le porphyre n'est composé que de pointes d'oursin. Il y a des glossopètres, des langues de chiens marins pétrifiés sur les plus hautes montagnes; les cornes d'Ammon, qui sont des pétrifications du nautilus, poisson des Indes, sont communes dans les Alpes; enfin le falun de Touraine, avec lequel on fume les terres, est un long amas de coquilles. On voit de ces tas de coquilles aux environs de Paris et de Reims, etc. »

J'ai vu une partie de tout cela, et j'ai douté. Quand la mer serait venue insensiblement jusqu'en Champagne, et s'en serait retournée insensiblement dans la suite des temps, cela ne prouverait pas qu'elle eût monté sur le mont Saint-Bernard. J'y ai cherché des huîtres, je n'y en ai point trouvé. En dernier lieu tout l'état-major qui a mesuré cette chaîne horrible de rochers n'y a pas vu le moindre vestige de coquilles. Les bords escarpés du Rhône en sont incrustés; mais c'est évidemment de coquilles de colimaçons, de bivalves, de petits testacés, très-fréquents dans tous les lacs voisins. De coquilles de mer, on n'en trouve jamais. Il n'y a pas longtemps que, dans un de mes champs, à cent cinquante lieues des côtes de Normandie, un laboureur déterra vingtquatre douzaines d'huîtres; on cria miracle: c'étaient des huîtres qu'on m'avait envoyées de Dieppe il y avait trois ans. Je suis de l'avis de l'Homme aux quarante écus, qui dit que des médailles romaines, trouvées au fond d'une cave à six cents lieues de Rome, ne prouvent pas qu'elles avaient été fabriquées dans cette cave. Quant au falun de Touraine, dont on se sert pour fumer les terres, si c'étaient des coquilles de mer, elles feraient assurément un très-mauvais fumier, et on aurait une pauvre récolte. J'ai ouï dire à des Tourangeaux qu'il n'y a pas une seule vraie coquille dans ces minières; que c'est une masse de pierres calcaires calcinées par le temps, ce qui est très-vraisemblable. En effet, si la mer avait déposé dans une suite prodigieuse de siècles ces lits de petits crustacés. pourquoi n'en trouverait-on pas autant dans les autres provinces ?

Faut-il que tous les physiciens aient été les dupes d'un visionnnaire nommé Palissi? C'était un potier de terre qui travaillait pour le roi Louis XIII; il est l'auteur d'un livre intitulé: Le moyen de devenir riche, et la manière véritable par laquelle tous les hommes de France pourront apprendre à multiplier et augmenter leurs trésors et possessions, par maître Bernard Palissi, inventeur des rustiques figulines du roi. Ce titre seul suffit pour faire connaître le personnage 2. Il s'ima

1. Bernard de Palissi, né à Agen vers 1500, était faïencier et peintre sur verre de Henri III. Mort en 1590, il ne peut avoir travaillé sous Louis XIII, qui ne naquit qu'en 1601. Les vitraux si connus de l'Histoire de Psyché sont un de ses principaux ouvrages. (Note de M. Beuchot.)

2. L'éditeur de la nouvelle édition des OEuvres de Palissi prétend que ce titre ridicule n'est point de Palissi, mais d'un ancien éditeur. Cependant il ne serait pas singulier que l'auteur mème eût pris ce titre. Il avait fait pour le roi de grandes figures de sa nouvelle faïence, et c'était par ses ouvrages qu'il s'était fait connaître à la cour.

Palissi fut un homme d'un véritable génie ; c'est à lui que nous devons l'art

gina qu'une espèce de marne pulvérisée qui est en Touraine était un magasin de petits poissons de mer. Des philosophes le crurent. Ces milliers de siècles, pendant lesquels la mer avait déposé ses coquilles à trente-six lieues dans les terres, les charmèrent, et me charmeraient tout comme eux, si la chose était vraie.

Le porphyre composé de pointes d'oursin! Juste ciel, quelle chimère ! j'aimerais autant dire que le diamant est composé de pattes d'oie. Avec quelle confiance ne nous répète-t-on pas sans cesse que les glossopètres, dont quelques collines sont couvertes, sont des langues de chiens marins! Quoi! dix ou douze mille marsouins seraient venus déposer leurs langues dans le même endroit il y a quelque cinquante mille années? Quoi! la nature, qui forme des pierres en étoiles, en volutes, en pyramides, en globe, en cube, ne pourra pas en avoir produit qui ressemblent fort mal à des langues de poisson! J'ai marché sur cent cornes d'Ammon de cent grandeurs différentes, et j'ai toujours été surpris qu'on n'ait pas voulu permettre à la terre de produire ces pierres, elle qui produit des blés et des fruits plus admirables, sans doute, que des pierres en volutes.

Mais on aime les systèmes; et depuis que Palissi a cru que les mines calcaires de Touraine étaient des couches de pétoncles, de glands de mer, de buccins, de phollades, cent naturalistes l'ont répété. On s'intéresse à un système qui fait remonter les choses à des milliers de siècles. Le monde est vieux, d'accord; mais a-t-on besoin de cette preuve pour réformer la chronologie? Combien d'auteurs ont répété qu'on avait trouvé une ancre de vaisseau sur la cime d'une montagne de Suisse, et un vaisseau entier à cent pieds sous terre! Telliamed triomphe sur cette belle découverte. On a vu un vaisseau dans les abîmes de la Suisse en 1460; donc on naviguait autrefois sur le Saint-Bernard et sur le Saint-Gothard; donc la mer a couvert autrefois tout le globe; donc alors le monde n'a été peuplé que de poissons; donc, lorsque les eaux se sont retirées et ont laissé le terrain à sec, les poissons se sont changés en hommes! Cela est fort beau; mais j'ai de la peine à croire que je descende d'une morue.

Si l'on veut du merveilleux, il en est assez sans le chercher dans de telles hypothèses. Les huîtres, les pucerons, qui produisent leurs semblables sans s'accoupler; les simples vers de terre, qui reproduisent

de faire la faïence, qu'il n'apprit pas des Italiens, mais qu'il devina, et qu'il sut porter à un grand degré de perfection: ce n'était pas d'ailleurs un potier de terre, mais un ingénieur assez instruit pour son temps dans les mathématiques et dans la physique. Sa découverte des productions marines existantes dans les pierres est l'époque de la naissance de l'histoire naturelle en France, et même en Europe. Il était très-zélé protestant; on le mit en prison; mais, comme il avait inventé des rustiques figulines pour le roi, il ne fut pas brûlé comme tant d'autres. Le falun de Touraine contient réellement un grand nombre de coquilles ; et si elles sont réduites en terre calcaire très-friable, elles peuvent être un fort bon engrais. Quant aux pointes d'oursin dans le porphyre, c'est une de ces rêveries qui, mêlées aux vérités que les bons observateurs avaient découvertes, ont contribué à entretenir M. de Voltaire dans son erreur sur les coquilles fossiles. Rien n'est plus funeste à la vérité que de se trouver en mauvaise compagnie. (Ed. de Kehl.

leurs queues; les limaçons, auxquels il revient des têtes, sont des objets assez dignes de la curiosité d'un philosophe.

Cet animal, à qui je viens de couper la tête, est-il encore animé ? Oui, sans doute, puisque l'escargot remue et montre son cou, puisqu'il vit, qu'il l'étend, et que, dès qu'on y touche, il le resserre.

Cet animal a-t-il des sensations, avant que sa tête soit revenue? Je dois le croire, puisqu'il remue le cou, qu'il l'étend, et que, dès qu'on y touche, il le resserre.

Peut-on avoir des sensations sans avoir au moins quelque idée confuse? Je ne le crois pas, car toute sensation est plaisir ou douleur, et on a la perception de cette douleur et de ce plaisir; autrement ce serait ne pas sentir.

Qui donne cette sensation, cette idée commencée? celui qui a fait le limaçon, le soleil, et les astres. Il est impossible qu'un animal se donne des sensations à lui-même le sceau de la Divinité est dans les aperceptions d'un ciron, comme dans le cerveau de Newton.

On cherche à expliquer comment on sent, comment on pense : je m'en tiens au poëte Aratus que saint Paul a cité, In Deo vivimus, movemur, et sumus1.

Ah! si Malebranche avait voulu tirer de ce principe toutes les conséquences qu'il en pouvait tirer! Peut-être quelqu'un renouera le fil qu'il

a rompu.

RÉPONSE DU CARME AU CAPUCIN

ET SON SENTIMENT SUR LA DISSERTATION PRÉCÉDENTE.

Gardez-vous bien, mon révérend père, de vous laisser séduire par les philosophes dangereux qui avancent que tous les animaux et les végétaux naissent d'un germe qui se développe, et que rien ne vient de corruption; c'est une hérésie damnable.

Saint Thomas dit en termes formels : Primum in generatione est, ultimum in corruptione, là où la corruption finit la génération commence. Saint Paul, dans la première aux Corinthiens2, parle ainsi aux incrédules : «< Mais, dira quelqu'un, comment les morts ressusciterontils? Insensés! ne voyez-vous pas que les grains semés par vous ne se vivifient point, s'ils ne meurent?» Il dit ensuite: «On sème dans la corruption, on recueille dans l'incorruption. » Voyez l'Evangile de saint Jean, chapitre XII3: «Si un grain de froment tombant en terre ne meurt pas, il demeure inutile; mais, s'il meurt, il donne beaucoup de fruit. »

Il est donc évident que c'est la pourriture qui est la mère de tout ce qui respire.

A l'égard de l'Océan, qui a couvert les montagnes, saint Thomas n'en dit rien. Aussi je ne vous en parlerai pas. Le nom d'Océan ne se

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trouve jamais dans l'Ecriture; de là je juge que cet Océan dont on parle tant est fort peu de chose.

Mais, pour les montagnes, je suis entièrement de l'avis de ceux qui pensent qu'elles se sont formées en peu de temps; car vous trouverez, au psaume 96', que les montagnes ont fondu comme de la cire; vous trouverez aussi, au psaume 1132, qu'elles ont dansé comme des béliers. Or, si, étant fondues (psaume 96), elles ont dansé (psaume 113), il faut donc qu'elles se soient entièrement relevées dans l'espace de 17 psaumes. Cela est démontré en rigueur.

Vous savez que la théorie des montagnes fait une grande partie de notre théologie, surtout quand elles sont plantées de vignes. Nous avons été fondés sur le mont Carmel; mandez-moi s'il est vrai que vous l'ayez été à Montmartre. Adieu; que les colimaçons qui vous sont soumis, et tous les insectes qui vous accompagnent, bénissent toujours Votre Révérence.

RÉFLEXION DE L'ÉDITEUR.

Quoi qu'il en soit de tout cela, il est indubitable que les limaçons à coque, les escargots, commencent à reprendre une tête quelque temps après qu'on la leur a coupée. Cette nouvelle tête renferme tout l'appareil d'organes très-compliqués que renfermait la première. Il n'y a point de petit garçon qui ne puisse faire cette expérience; mais y a-t-il quelque homme fait qui puisse l'expliquer? Hélas! les philosophes et les théologiens raisonnent tous en petits garçons. Qui me dira comment une âme, un principe de sensations et d'idées, réside entre quatre cornes, et comment l'âme restera dans l'animal, quand les quatre cornes et la tête sont coupées? On ne peut guère dire d'un limaçon :

Igneus est illi vigor et cœlestis origo.

VIRG., En., VI, 730.

11 serait difficile de prouver que l'âme d'un animal, qui n'est qu'une glaire en vie, soit un feu céleste. Enfin ce prodige d'une tête renaissante, inconnu depuis le commencement des choses jusqu'à nous, est plus inexplicable que la direction de l'aimant. Cet étonnant objet de notre curiosité confondue tient à la nature des choses, aux premiers principes, qui ne sont pas plus à notre portée que la nature des habitants de Sirius et de Canope. Pour peu qu'on creuse. on trouve un abîme infini. Il faut admirer et se taire.

1. Verset 5. (ÉD.) — 2. Verset 4. (ED.)

HOMELIE DU PASTEUR BOURN,

PRÉCHÉE À LONDRES LE JOUR DE LA PENTECÔTE 1768.

Voici le premier jour, mes frères, où la doctrine et la morale de Jésus fut manifestée par ses disciples. Vous n'attendez pas de moi que je vous explique comment le Saint-Esprit descendit sur eux en langues de feu '. Tant de miracles ont précédé ce prodige, qu'on ne peut en nier un seul sans les nier tous. Que d'autres consument leur temps à rechercher pourquoi Pierre, en parlant tout d'un coup toutes les langues de l'univers à la fois, était cependant dans la nécessité d'avoir Marc pour son interprète; qu'ils se fatiguent à trouver la raison pour laquelle ce miracle de la Pentecôte, celui de la résurrection; tous, enfin, furent ignorés de toutes les nations qui étaient alors à Jérusalem; pourquoi aucun auteur profane, ni grec, ni romain, ni juif, n'a jamais parlé de ces événements si prodigieux et si publics, qui devaient longtemps occuper l'attention de la terre étonnée ? En effet, dit-on, c'est un miracle incompréhensible que Jésus, ressuscité, montât lentement au ciel dans une nuée3, à la vue de tous les Romains qui étaient sur l'horizon de Jérusalem, sans que jamais aucun Romain ait fait la moindre mention de cette ascension, qui aurait dû faire plus de bruit que la mort de César, les batailles de Pharsale et d'Actium, la mort d'Antoine et de Cléopatre. Par quelle providence Dieu ferma-t-il les yeux à tous les hommes, qui ne virent rien de ce qui devait être vu d'un million de spectateurs? Comment Dieu a-t-il permis que les récits des chrétiens fussent obscurs, inconnus pendant plus de deux cents années, tandis que ces prodiges, dont eux seuls parlent, avaient été si publics? Pourquoi le nom même d'Evangile n'a-t-il été connu d'aucun auteur grec ou romain? Toutes ces questions, qui ont enfanté tant de volumes, nous détourneraient de notre but unique, celui de connaître la doctrine et la morale de Jésus, qui doit être la nôtre.

Quelle est la doctrine prêchée le jour de la Pentecôte?

Que Dieu a rendu Jésus célèbre, et lui a donné son approbation"; Qu'il a été supplicié 5;

Que Dieu l'a ressuscité et l'a tiré de l'enfer, c'est-à-dire, si l'on veut, de la fosse ;

Qu'il a été élevé par la puissance de Dieu, et que Dieu a envoyé ensuite son Saint-Esprit ".

C'est ainsi que Pierre s'explique à cent mille Juifs obstinés, et il en convertit huit mille en deux sermons, tandis que, nous autres, nous n'en pouvons pas convertir huit en mille années.

Il est donc incontestable, mes frères, que, la première fois que les apôtres parlent de Jésus, ils en parlent comme de l'envoyé de Dieu, sup

1. Actes, 1, 3. (ÉD.)

2. Id., XIII, 5. (ÉD.)

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3. Actes, 1, 9, 10. (ÉD.)

4. Actes, chap. II, v. 22. (ED.) 5. Vers. 23. (ÉD.) 7. Vers. 33. (ED.)

6. Vers. 24. (ED).

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