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on la dépouille nue : les charmes de son corps attendrissent quelquesuns de ces tigres; mais les autres, considérant qu'elle ne croit pas en Jésus-Christ, l'assomment à coups de pierres, la déchirent, et traînent son corps par la ville.

Quel contraste s'offre ici aux lecteurs attentifs! Cette Hypatie avait enseigné la géométrie et la philosophie platonicienne à un homme riche, nommé Synesius, qui n'était pas encore baptisé; les évêques égyptiens voulurent absolument avoir Synesius le riche pour collègue, et lui firent conférer l'évêché de Ptolémaïde. Il leur déclara que s'il était évêque, il ne se séparerait point de sa femme, quoique cette séparation fût ordonnée depuis quelque temps aux prélats; qu'il ne voulait pas renoncer au plaisir de la chasse, qui était défendue aussi ; qu'il n'enseignerait jamais des mystères qui choquent le bon sens; qu'il ne pouvait croire que l'âme fût produite après le corps; que la résurrection et plusieurs autres doctrines des chrétiens lui paraissaient des chimères; qu'il ne s'élèverait pas publiquement contre elles, mais que jamais il ne les professerait; que si on voulait le faire évêque à ce prix, il ne savait pas même encore s'il daignerait y consentir.

Les évêques persistèrent: on le baptisa, on le fit diacre, prêtre, évêque; il concilia sa vertu avec son ministère; c'est un des faits les plus avérés de l'histoire ecclésiastique. Voilà donc un platonicien, un théiste, un ennemi des dogmes chrétiens, évêque avec l'approbation de tous ses collègues, et ce fut le meilleur des évêques; tandis qu'Hypatie est pieusement assassinée dans l'église, par les ordres ou du moins par la connivence d'un évêque d'Alexandrie décoré du nom de saint. Lecteur, réfléchissez et jugez: et vous évêques, tâchez d'imiter Synesius.

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XXIV. Pour peu qu'on se l'histoire, on voit qu'il n'y a pas un seul jour où les dogmes chrétiens n'aient fait verser le sang, soit en Afrique, soit dans l'Asie Mineure, soit dans la Syrie, soit en Grèce, soit dans les autres provinces de l'empire. Et les chrétiens n'ont cessé de s'égorger en Afrique et en Asie que quand les musulmans, leurs vainqueurs, les ont désarmés et ont arrêté leurs fureurs.

Mais à Constantinople, et dans le reste des États chrétiens, l'ancienne rage prit de nouvelles forces. Personne n'ignore ce que la querelle sur le culte des images a coûté à l'empire romain. Quel esprit n'est pas indigné, quel cœur n'est pas soulevé, quand on voit deux siècles de massacres pour établir un culte de dulie à l'image de sainte Potamienne et de sainte Ursule? Qui ne sait que les chrétiens, dans les trois premiers siècles, s'étaient fait un devoir de n'avoir jamais d'images? Si quelque chrétien avait alors osé placer un tableau, une statue dans une église, il aurait été chassé de l'assemblée comme un idolâtre. Ceux qui voulurent rappeler ces premiers temps ont été regardés longtemps comme d'infâmes hérétiques on les appelait iconoclastes; et cette sanglante querelle a fait perdre l'Occident aux empereurs de Constantinople.

XXV. Ne répétons point ici par quel degrés sanglants les évêques

de Rome se sont élevés, comment ils sont parvenus jusqu'à l'insolence de fouler les rois à leurs pieds, et jusqu'au ridicule d'être infaillibles. Ne redisons point comment ils ont donné tous les trônes de l'Occident, et ravi l'argent de tous les peuples; ne parlons point de vingt-sept schismes sanglants de papes contre papes qui se disputaient nos dépouilles. Ces temps d'horreurs et d'opprobres ne sont que trop connus. On a dit assez que l'histoire de l'Eglise est l'histoire des folies et des crimes.

XXVI.

« Omnia jam vulgata. » VIRG., Georg., lib. III, v. 4.

Il faudrait que chacun eût au chevet de son lit un cadre, où fussent écrits en grosses lettres : « Croisades sanglantes contre les habitants de la Prusse et contre le Languedoc; massacres de Mérindol; massacres en Allemagne et en France au sujet de la réforme ; massacres de la Saint-Barthélemy; massacres d'Irlande; massacres des vallées de Savoie; massacres juridiques; massacres de l'inquisition; emprisonnements, exils sans nombre pour des disputes sur l'ombre de l'âne. »

On jetterait tous les matins un œil d'horreur sur ce catalogue de crimes religieux, et on dirait pour prière : « Mon Dieu, délivreznous du fanatisme. »

XXVII. Pour obtenir cette grâce de la miséricorde divine, il est nécessaire de détruire, chez tous les hommes qui ont de la probité et quelques lumières, les dogmes absurdes et funestes qui ont produit tant de cruautés. Oui, parmi ces dogmes il en est peut-être qui offensent la Divinité autant qu'ils pervertissent l'humanité.

Pour en juger sainement, que quiconque n'a pas abjuré le sens commun se mette seulement à la place des théologiens qui combattirent ces dogmes avant qu'ils fussent reçus; car il n'y a pas une seule opinion théologique qui n'ait eu longtemps et qui n'ait encore des adversaires pesons les raisons de ces adversaires; voyons comment ce qu'on croyait autrefois un blasphème est devenu un article de foi. Quoi! le Saint-Esprit ne procédait pas hier, et aujourd'hui il procède! Quoi! avant-hier Jésus n'avait qu'une nature et une volonté, et aujourd'hui il en a deux! Quoi! la cène était une commémoration, et aujourd'hui !... n'achevons pas de peur d'effrayer par nos paroles plusieurs provinces de l'Europe. Eh! mes amis, qu'importe que tous ces mystères soient vrais ou faux? quel rapport peuvent-ils avoir avec le genre humain, avec la vertu? est-on plus honnête homme à Rome qu'à Copenhague? fait-on plus de bien aux hommes en croyant manger Dieu en chair et en os qu'en croyant le manger par la foi?

XXVIII. Nous supplions le lecteur attentif, sage et homme de bien, de considérer la différence infinie qui est entre les dogmes et la vertu. Il est démontré que, si un dogme n'est pas nécessaire en tout lieu et en tout temps, il n'est nécessaire ni en aucun temps ni en aucun lieu. Or certainement les dogmes qui enseignent que l'Esprit procède du

Père et du Fils n'ont été admis dans l'Eglise latine qu'au huitième siècle, et jamais dans l'Eglise grecque. Jésus n'a été déclaré consubstantiel à Dieu qu'en 325; la descente de Jésus aux enfers n'est que du siècle cinquième; il n'a été décidé qu'au sixième que Jésus avait deux natures, deux volontés, et une personne : la transsubstantiation n'a été admise qu'au douzième.

Chaque Église a encore aujourd'hui des opinions différentes sur tous ces principaux dogmes métaphysiques : ils ne sont donc pas absolument nécessaires à l'homme. Quel est le monstre qui osera dire de sangfroid qu'on sera brûlé éternellement pour avoir pensé à Moscou d'une manière opposée à celle dont on pense à Rome? quel imbécile osera affirmer que ceux qui n'ont pas connu nos dogmes il y a seize cents ans seront à jamais punis d'être nés avant nous? Il n'en est pas de même de l'adoration d'un Dieu, de l'accomplissement de nos devoirs. Voilà ce qui est nécessaire en tout lieu et en tout temps. Il y a donc l'infini entre le dogme et la vertu.

Un Dieu adoré de cœur et de bouche, et tous les devoirs remplis, font de l'univers un temple, et des frères de tous les hommes. Les dogmes font du monde un antre de chicane, et un théâtre de carnage. Les dogmes n'ont été inventés que par des fanatiques et des fourbes : la morale vient de Dieu.

XXIX. Les biens immenses que l'Église a ravis à la société humaine sont le fruit de la chicane du dogme; chaque article de foi a valu des trésors, et c'est pour les conserver qu'on a fait couler le sang. Le purgatoire des morts a fait seul cent mille morts: qu'on me montre dans l'histoire du monde entier une seule querelle sur cette profession de foi: « J'adore Dieu, et je dois être bienfaisant! >>

XXX. Tout le monde sent la force de ces vérités. Il faut donc les annoncer hautement; il faut ramener les hommes, autant qu'on le peut, à la religion primitive, à la religion que les chrétiens eux-mêmes confessent avoir été celle du genre humain du temps de leur Chaldéen ou de leur Indien Abraham; du temps de leur prétendu Noé, dont aucune nation, hors les Juifs, n'entendit jamais parler; du temps de leur prétendu Enoch, encore plus inconnu. Si, dans ces époques, la religion etait la vraie, elle l'est donc aujourd'hui. Dieu ne peut changer; l'idée contraire est un blasphème.

XXXI. Il est évident que la religion chrétienne est un filet dans lequel les fripons ont enveloppé les sots pendant plus de dix-sept siècles, et un poignard dont les fanatiques ont égorgé leurs frères pendant plus de quatorze.

XXXII. Le seul moyen de rendre la paix aux hommes est donc de détruire tous les dogmes qui les divisent, et de rétablir la vérité qui les réunit; c'est donc là en effet la paix perpétuelle. Cette paix n'est point une chimère; elle subsiste chez tous les honnêtes gens, depuis la Chine jusqu'à Québec: vingt princes de l'Europe l'ont embrassée assez publiquement; il n'y a plus que les imbéciles qui s'imaginent

croire les dogmes: ces imbéciles sont en grand nombre, il est vrai; mais le petit nombre qui pense, conduit le grand nombre avec le temps. L'idole tombe, et la tolérance universelle s'élève chaque jour sur ses débris: les persécuteurs sont en horreur au genre humain.

Que tout homme juste travaille donc, chacun selon son pouvoir, à écraser le fanatisme, et à ramener la paix que ce monstre avait bannie des royaumes, des familles, et du cœur des malheureux mortels. Que tout père de famille exhorte ses enfants à n'obéir qu'aux lois, et à n'adorer que Dieu.

DIEU ET LES HOMMES,

PAR LE DOCTEUR OBERN,

EUVRE THEOLOGIQUE, MAIS RAISONNABLE, TRADUITE PAR JACQUES AIMON.

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En général, les hommes sont sots, ingrats, jaloux, avides du bien d'autrui, abusant de leur supériorité quand ils sont forts, et fripons quand ils sont faibles.

Les femmes, pour l'ordinaire, nées avec des organes plus déliés, et moins robustes que les hommes, sont plus artificieuses et moins barbares. Cela est si vrai que, dans mille criminels qu'on exécute à mort, à peine trouve-t-on trois ou quatre femmes. Il est vrai aussi qu'on rencontre quelques robustes héroïnes aussi cruelles que les hommes; mais ces cas sont assez rares.

Le pouvoir n'est communément entre les mains des hommes, dans les États et dans les familles, que parce qu'ils ont le poing plus fort, l'esprit plus ferme, et le cœur plus dur. De tout cela, les moralistes de tous les temps ont conclu que l'espèce humaine ne vaut pas grand'chose, et en cela ils ne se sont guère écartés de la vérité.

Ce n'est pas que tous les hommes soient invinciblement portés par leur nature à faire le mal, et qu'ils le fassent toujours. Si cette fatale opinion était vraie, il n'y aurait plus d'habitants sur la terre depuis longtemps. C'est une contradiction dans les termes de dire : « Le genre humain est nécessité à se détruire, et il se perpétue. »

Je crois bien que de cent jeunes femmes qui ont de vieux maris, il y en a quatre-vingt-dix-neuf, au moins, qui souhaitent sincèrement leur mort; mais vous en trouverez à peine une qui veuille se charger d'empoisonner celui dont elle voudrait porter le deuil. Les parricides, les fratricides, ne sont nulle part communs. Quelle est donc l'étendue et la borne de nos crimes? C'est le degré de violence dans nos passions, le degré de notre pouvoir, et le degré de notre raison.

Nous avons la fièvre intermittente, la fièvre continue avec des re

doublements, le transport au cerveau, mais très-rarement la rage. Il y a des gens qui sont en santé. Notre fièvre intermittente, c'est la guerre entre les peuples voisins. Le transport au cerveau, c'est le meurtre que la colère et la vengeance nous excitent à commettre contre nos concitoyens. Quand nous assassinons nos proches parents, ou que nous les rendons plus malheureux que si nous leur donnions la mort; quand des fanatiques hypocrites allument les bûchers, c'est la rage. Je n'entre point ici dans le détail des autres maladies, c'est-à-dire des menus crimes innombrables qui affligent la société.

Pourquoi est-on en guerre depuis si longtemps; et pourquoi commeton ce crime sans aucun remords? On fait la guerre uniquement pour moissonner les blés que d'autres ont semés, pour avoir leurs moutons, leurs chevaux, leurs boeufs, leurs vaches, et leurs petits meubles : c'est à quoi tout se réduit; car c'est là le seul principe de toutes les richesses. Il est ridicule de croire que Romulus ait célébré des jeux dans un misérable hameau entre trois montagnes pelées, et qu'il ait invité à ces jeux trois cents filles du voisinage pour les ravir. Mais il est assez certain que lui et ses compagnons prirent les bestiaux et les charrues des Sabins.

Charlemagne fit la guerre trente ans aux pauvres Saxons pour un tribut de cinq cents vaches. Je ne nie pas que pendant le cours de ces brigandages Romulus et ses sénateurs, Charlemagne et ses douze pairs, n'aient violé beaucoup de filles, et peut-être de gré à gré : mais il est clair que le grand but de la guerre était d'avoir des vaches, du foin, et le reste, en un mot, de voler.

Aujourd'hui même encore, un héros à une demi-guinée par jour, qui entre avec des héros subalternes à quatre ou cinq sous, au nom de son auguste maître, dans le pays d'un autre auguste souverain, commence par ordonner à tous les cultivateurs de fournir boeufs, vaches, moutons, foin, pain, vin, bois, linge, couvertures, etc. Je lisais ces jours passés dans la petite Histoire chronologique de la France, notre voisine, faite par un homme de robe1, ces paroles remarquables : « Grand fourrage le 11 octobre 1709, où le comte de Broglie battit le prince de Lobkovitz »; c'est-à-dire qu'on tua, le 11 octobre, deux ou trois cents Allemands qui défendaient leurs foins: après quoi, les Français, déjà battus à Malplaquet, perdirent la ville de Mons. Voilà sans doute un exploit digne d'une éternelle mémoire que ce fourrage! Mais cette misère fait voir qu'au fond, dans toutes les guerres, depuis celle de Troie jusqu'aux nôtres, il ne s'agit que de voler.

Cela est si malheureusement vrai, que les noms de voleur et de sol dat étaient autrefois synonymes chez toutes les nations. Consultez le Miles de Plaute : Latrocinatus annos decem, mercedem accipio2. J'ai

1. Le président Hénault. (ED.)

2. J'ai vainement cherché ces mots dans le Miles de Plaute; mais dans les fragments du Cornicularia de cet auteur, on lit:

« Latrocinatus annos decem mercedem. »

Voyez le Plaute de Gruter, avec les commentaires de Fr. Taubmann; Wittemberg, 1621, in 4°, p. 1469. (Note de M. Beuchot.)

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