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vous remercions du bien que vous nous avez fait; nous ne voulons plus obéir à des empereurs imbéciles et méchants qui ne nous défendent pas, qui n'entendent pas notre langue, qui nous envoient leurs ordres en grec par des eunuques de Constantinople, et qui prennent notre argent; gouvernez-nous mieux, en conservant toutes nos prérogatives, et nous vous obéirons. »

Voilà un beau droit, sans doute, et le plus légitime.

Mais ce pauvre peuple ne pouvait assurément disposer de l'empire; il ne l'avait pas; il ne pouvait disposer que de sa personne. Quelle province de l'empire aurait-il pu donner? l'Espagne? elle était aux Arabes; la Gaule et l'Allemagne? Pépin, père de Charlemagne, les avait usurpées sur son maître; l'Italie citérieure? Charles l'avait volée à son beau-père. Les empereurs grecs possédaient tout le reste; le peuple ne conférait donc qu'un nom: ce nom était devenu sacré. Les nations, depuis l'Euphrate jusqu'à l'Océan, s'étaient accoutumées à regarder le brigandage du saint empire romain comme un droit naturel; et la cour de Constantinople regarda toujours les démembrements de ce saint empire comme une violation manifeste du droit des gens, jusqu'à ce qu'enfin les Turcs vinrent leur apprendre un autre code.

Mais dire, avec les avocats mercenaires de la cour pontificale romaine (lesquels en rient eux-mêmes), que l'évêque Léon III donna l'empire d'Occident à Charlemagne, cela est aussi absurde que si on disait que le patriarche de Constantinople donna l'empire d'Orient à Mahomet II.

D'un autre côté, répéter après tant d'autres que Pépin l'usurpateur, et Charlemagne le dévastateur, donnèrent aux évêques romains l'exarchat de Ravenne, c'est avancer une fausseté évidente. Charlemagne n'était pas si honnête. Il garda l'exarchat pour lui, ainsi que Rome. Il nomme Rome et Ravenne, dans son testament, comme ses villes principales. Il est constant qu'il confia le gouvernement de Ravenne et de la Pentapole à un autre Léon, archevêque de Ravenne, dont nous avons encore la lettre, qui porte en termes exprès: Hæ civitates a Carolo ipso una cum universa Pentapoli mihi fuerunt concessæ.

Quoi qu'il en soit, il ne s'agit ici que de démontrer que c'est une chose monstrueuse dans les principes de notre religion, comme dans ceux de la politique et dans ceux de la raison, qu'un prêtre donne l'empire, et qu'il ait des souverainetés dans l'empire.

Ou il faut absolument renoncer au christianisme, ou il faut l'observer. Ni un jésuite, avec ses distinctions, ni le diable n'y peut trouver de milieu.

Il se forme dans la Galilée une religion toute fondée sur la pauvreté, sur l'égalité, sur la haine contre les richesses et les riches; une religion dans laquelle il est dit1 qu'il est aussi impossible qu'un riche entre dans le royaume des cieux qu'il est impossible qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille; où l'on dit que le mauvais riche est damné uniquement pour avoir été riche; où Ananias et Saphira3 sont punis de mort subite pour avoir gardé de quoi vivre; où il est ordonné

1. Matthieu, XIX, 24. (ÉD.) 2. Luc, XVI, 21-24. (ED.) — 3. Actes, v. (ED.)

aux disciples' de ne jamais faire de provisions pour le lendemain; où Jésus-Christ, fils de Dieu, Dieu lui-même, prononce ces terribles oracles contre l'ambition et l'avarice : « Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir. Il n'y aura jamais parmi vous ni premier ni dernier. Que celui de vous qui voudra s'agrandir soit abaissé. Que celui de vous qui voudra être le premier soit le dernier. »

La vie des premiers disciples est conforme à ces préceptes; saint Paul travaille de ses mains, saint Pierre gagne sa vie. Quel rapport y at-il de cette institution avec le domaine de Rome, de la Sabine, de l'Ombrie, de l'Emilie, de Ferrare, de Ravenne, de la Pentapole, du Bolonais, de Comacchio, de Bénévent, d'Avignon? On ne voit pas que l'Evangile ait donné ces terres au pape, à moins que l'Evangile ne ressemble à la règle des théatins, dans laquelle il fut dit qu'ils seraient vêtus de blanc et on mit en marge, c'est-à-dire de noir.

Cette grandeur des papes, et leurs prétentions mille fois plus étendues, ne sont pas plus conformes à la politique et à la raison qu'à la parole de Dieu, puisqu'elles ont bouleversé l'Europe et fait couler des flots de sang pendant sept cents années.

La politique et la raison exigent, dans l'univers entier, que chacun jouisse de son bien, et que tout État soit indépendant. Voyons comment ces deux lois naturelles, contre lesquelles il ne peut être de prescription, ont été observées.

II. De Naples. - Les gentilshommes normands, qui furent les premiers instruments de la conquête de Naples et de Sicile, firent le plus bel exploit de chevalerie dont on ait jamais entendu parler. Quarante à cinquante hommes seulement délivrent Salerne au moment qu'elle est prise par une armée de Sarrasins. Sept autres gentilshommes normands, tous frères, suffisent pour chasser ces mêmes Sarrasins de toute la contrée, et pour l'ôter à l'empereur grec qui les avait payés d'ingratitude. Il est bien naturel que les peuples, dont ces héros avaient ranimé la valeur, s'accoutumassent à leur obéir par admiration et par reconnaissance.

Voilà les premiers droits à la couronne des Deux-Siciles. Les évêques de Rome ne pouvaient pas plus donner ces Etats en fief que le royaume de Boutan ou de Cachemire. Ils ne pouvaient même en accorder l'investiture quand on la leur aurait demandée; car dans le temps de l'anarchie des fiefs, quand un seigneur voulait tenir son bien allodial en fief pour avoir une protection, il ne pouvait s'adresser qu'à son seigneur suzerain. Or, certainement le pape n'était pas seigneur suzerain de Naples, de la Pouille et de la Calabre.

On a beaucoup écrit sur cette vassalité prétendue ; mais on n'a jamais remonté à la source. J'ose dire que c'est le défaut de presque tous les jurisconsultes comme de tous les théologiens. Chacun tire bien ou mal, d'un principe reçu, les conséquences les plus favorables à son parti : mais ce principe est-il vrai? ce premier fait sur lequel ils s'appuient est-il incontestable? c'est ce qu'ils se donnent bien de garde d'exami

1. Matt., x, 9, 1. (ÉD.) 2. Matt., xx, 28. (ÉD.) - 3. Id., ib., 26-27. (ED.)

ner. Ils ressemblent à nos anciens romanciers, qui supposaient tous que Francus avait apporté en France le casque d'Hector. Ce casque était impénétrable, sans doute; mais Hector, en effet, l'avait-il porté? Le lait de la Vierge est aussi très-respectable; mais les sacristies qui se vantent d'en posséder une roquille la possèdent-elles en effet?

Giannone est le seul qui ait jeté quelque jour sur l'origine de la domination suprême affectée par les papes sur le royaume de Naples. Il a rendu en cela un service éternel aux rois de ce pays; et pour récompense, il a été abandonné par l'empereur Charles VI, alors roi de Naples, à la persécution des jésuites; trahi depuis par la plus lâche des perfidies, sacrifié à la cour de Rome, il a fini sa vie dans la captivité. Son exemple ne nous découragera pas. Nous écrivons dans un pays libre; nous sommes nés libres, et nous ne craignons ni l'ingratitude des souverains, ni les intrigues des jésuites, ni la vengeance des papes. La vérité est devant nous, et toute autre considération nous est étrangère.

C'était une coutume dans ces siècles de rapines, de guerres particulières, de crimes, d'ignorance et de superstition, qu'un seigneur faible, pour être à l'abri de la rapacité de ses voisins, mît ses terres sous la protection de l'Eglise, et achetât cette protection pour quelque argent; moyen sans lequel on n'a jamais réussi. Ses terres alors étaient réputées sacrées quiconque eût voulu s'en emparer était excommunié.

:

Les hommes de ce temps-là, aussi méchants qu'imbéciles, ne s'effrayaient pas des plus grands crimes, et redoutaient une excommunication qui les rendait exécrables aux peuples encore plus méchants qu'eux, et beaucoup plus sots.

Robert Guiscard et Richard, vainqueurs de la Pouille et de la Calabre, furent d'abord excommuniés par le pape Léon IX. Ils s'étaient déclarés vassaux de l'empereur; mais l'empereur Henri III, mécontent de ces feudataires conquérants, avait engagé Léon IX à lancer l'excommunication à la tête d'une armée d'Allemands. Les Normands, qui ne craignaient point ces foudres comme les princes d'Italie les craignaient, battirent les Allemands, et prirent le pape prisonnier : mais, pour empêcher désormais les empereurs et les papes de venir les troubler dans leurs possessions, ils offrirent leurs conquêtes à l'Eglise sous le nom d'oblata. C'est ainsi que l'Angleterre avait payé le denier de SaintPierre; c'est ainsi que les premiers rois d'Espagne et de Portugal, en recouvrant leurs États contre les Sarrasins, promirent à l'Église de Rome deux livres d'or par an; ni l'Angleterre, ni l'Espagne, ni le Portugal, ne regardèrent jamais le pape comme leur seigneur suzerain.

Le duc Robert, oblat de l'Église, ne fut pas non plus feudataire du pape; il ne pouvait pas l'être, puisque les papes n'étaient pas souverains de Rome. Cette ville alors était gouvernée par son sénat : l'évêque n'avait que du crédit; le pape était à Rome précisément ce que l'électeur est à Cologne. Il y a une différence prodigieuse entre être oblat d'un saint, et être feudataire d'un évêque.

Baronius, dans ses Actes, rapporte l'hommage prétendu fait par Robert, duc de la Pouille et de la Calabre, à Nicolas II; mais cette

pièce est fausse, on ne l'a jamais vue, elle n'a jamais été dans aucune archive. Robert s'intitula duc par la grâce de Dieu et de saint Pierre ; mais certainement saint Pierre ne lui avait rien donné, et n'était point roi de Rome. Si l'on voulait remonter plus haut, on prouverait invinciblement, non-seulement que saint Pierre n'a jamais été évêque de Rome, dans un temps où il est avéré qu'aucun prêtre n'avait de siége particulier, et où la discipline de l'Eglise naissante n'était pas encore formée; mais que saint Pierre n'a pas plus été à Rome qu'à Pékin. Saint Paul déclare expressément que sa mission était « pour les prépuces entiers, et que la mission de saint Pierre était pour les prépuces coupés1; » c'est-à-dire que saint Pierre, né en Galilée, ne devait prècher que les Juifs, et que lui Paul, né à Tarsus, dans la Caramanie, devait prêcher les étrangers.

La fable qui dit que Pierre vint Rome sous le règne de Néron, et y siégea pendant vingt-cinq ans, est une des plus absurdes qu'on ait jamais inventées, puisque Néron ne régna que treize ans. La supposition qu'on a osé faire qu'une lettre de saint Pierre, datée de Babylone, avait été écrite dans Rome, et que Rome est là pour Babylone, est une supposition si impertinente qu'on ne peut en parler sans rire. On demande à tout lecteur sensé ce que c'est qu'un droit fondé sur des impostures si avérées.

Enfin, que Robert se soit donné à saint Pierre, ou aux douze apôtres, ou aux douze patriarches, ou aux neuf chœurs des anges, cela ne communique aucun droit au pape sur un royaume; ce n'est qu'un abus intolérable, contraire à toutes les anciennes lois féodales, contraire à la religion chrétienne, à l'indépendance des souverains, au bon sens, et à la loi naturelle.

Cet abus a sept cents ans d'antiquité; d'accord: mais en eût-il sept cent mille, il faudrait l'abolir. Il y a eu, je l'avoue, trente investitures du royaume de Naples données par des papes; mais il y a eu beaucoup plus de bulles qui soumettent les princes à la juridiction ecclésiastique, et qui déclarent qu'aucun souverain ne peut en aucun cas juger des clercs ou des moines, ni tirer d'eux une obole pour le maintien de ses Etats: il y a eu plus de bulles qui disent, de la part de Dieu, qu'on ne peut faire un empereur sans le consentement du pape. Toutes ces bulles sont tombées dans le mépris qu'elles méritent; pourquoi respecterait-on, davantage la suzeraineté prétendue du royaume de Naples? Si l'antiquité consacrait les erreurs, et les mettait hors de toute atteinte, nous serions tous tenus d'aller à Rome plaider nos procès, lorsqu'il s'agirait d'un mariage, d'un testament, d'une dîme; nous devrions payer des taxes imposées par les légats: il faudrait nous armer toutes les fois que le pape publierait une croisade; nous achèterions à Rome des indulgences; nous délivrerions les âmes des morts à prix d'argent; nous croirions aux sorciers, à la magie, au pouvoir des reliques sur les diables; chaque prêtre pourrait envoyer des diables dans le corps des hérétiques; tout prince qui aurait un différend avec le pape perdrait sa

1 Épitre aux Galates, chap. II.

souveraineté. Tout cela est aussi ancien ou plus ancien que la prétendue vassalité d'un royaume, qui, par sa nature, doit être indépendant.

Certes, si les papes ont donné ce royaume, ils peuvent l'ôter; ils en ont en effet dépouillé autrefois les légitimes possesseurs. C'est une source continuelle de guerres civiles. Ce droit du pape est donc en effet contraire à la religion chrétienne, à la saine politique, et à la raison; ce qui était à démontrer.

III. De la monarchie de Sicile. Ce qu'on appelle le privilége, la prérogative de la monarchie de Sicile, est un droit essentiellement attaché à toutes les puissances chrétiennes, à la république de Gênes, à celles de Lucques et de Raguse, comme à la France et à l'Espagne. Il consiste en trois points principaux, accordés par le pape Urbain II à Roger, roi de Sicile :

Le premier, de ne recevoir aucun légat a latere qui fasse les fonctions de pape, sans le consentement du souverain;

Le second, de faire chez soi ce que cet ambassadeur étranger s'arrogeait de faire;

Le troisième, d'envoyer aux conciles de Rome les évêques et les abbés qu'il voudrait.

C'était bien le moins qu'on pût faire pour un homme qui avait délivré la Sicile du joug des Arabes, et qui l'avait rendue chrétienne. Ce prétendu privilége n'était autre chose que le droit naturel, comme les libertés de l'Eglise gallicane ne sont que l'ancien usage de toutes les Églises.

Ces priviléges ne furent accordés par Urbain II, confirmés et augmentés par quelques papes suivants, que pour tâcher de faire un fief apostolique de la Sicile, comme ils l'avaient fait de Naples; mais les rois ne se laissèrent pas prendre à ce piége. C'était bien assez d'oublier leur dignité jusqu'à être vassaux en terre ferme; ils ne le furent jamais dans l'île.

Si l'on veut savoir une des raisons pour laquelle ces rois se maintinrent dans le droit de ne point recevoir de légat, dans le temps que tous les autres souverains de l'Europe avaient la faiblesse de les admettre, la voici dans Jean, évêque de Salisbury: «Legati apostolici.... ita << debacchantur in provinciis, ac Satan ad Ecclesiam flagellandam a facie << Domini. Provinciarum diripiunt spolia, ac si thesauros Crœsi studeant «< comparare.» « Ils saccagent le pays, comm esi c'était Satan qui flagellât l'Eglise loin de la face du Seigneur. Ils enlèvent les dépouilles des provinces, comme s'ils voulaient amasser les trésors de Crésus. »

Les papes se repentirent bientôt d'avoir cédé aux rois de Sicile un droit naturel ils voulurent le reprendre. Baronius soutint enfin que ce privilége était subreptice, qu'il n'avait été vendu aux rois de Sicile que par un antipape; et il ne fait nulle difficulté de traiter de tyrans tous les rois successeurs de Roger.

Après des siècles de contestations et d'une possession toujours constante des rois, la cour de Rome crut enfin trouver une occasion d'as

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