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donna qu'on leur donnerait à tous de grands manchons, pour éviter de pareils accidents 1.

Le roi dit un jour à Mme de Maintenon qu'on traitait les rois de majesté, et que pour elle on devait la traiter de solidité 2.

Le roi, parlant un jour de quelque dessin de broderie qu'il faisait faire sur des habits, dit : « Je ne devrais pas être occupé de ces bagatelles; mais je suis obligé par mon rang d'être bien vêtu 3. »

Le roi à vingt ans n'avait point encore bu de vin“.

Quelques gens d'affaires prétendaient que les maisons bâties sur les anciennes fortifications de Paris appartenaient au roi. Cette prétention avait troublé une infinité de familles, non-seulement à Paris, mais encore dans les provinces. Les commissaires du conseil examinèrent les raisons de part et d'autre pendant quatre mois, et y trouvèrent beaucoup de difficulté. Enfin l'affaire fut rapportée et balancée pendant dix heures entières : les voix se trouvèrent partagées; et lorsqu'il n'y eut plus que le roi à parler, il décida contre ses propres intérêts, en faveur des peuples 5.

Le roi, trouvant Mme de Maintenon fort affligée de la prise de Namur, lui dit : « Vous êtes accoutumée à me voir toujours victorieux; mais il faut bien vous attendre que le succès des armes n'est pas toujours favorable ".

Des seigneurs s'entretenant au lever du roi d'une entreprise qu'on croyait devoir réussir infailliblement à cause du courage et du grand nombre de troupes, le roi dit : « Ce n'est point en cela que nous devons mettre notre confiance, mais dans le secours de Dieu '.

L'archevêque de Paris avait rendu une ordonnance qui défendait à ceux qui étaient obligés de faire gras en carême d'user de ragoûts. Madame la duchesse de Bourgogne ayant fait une sauce avec du vinaigre et du sucre sur du boeuf bouilli, le roi dit : « Madame la duchesse de Bourgogne n'est pas scrupuleuse, elle fait fort bien des sauces 9. »

M. Colbert a protesté que pendant vingt-cinq ans qu'il avait eu l'honneur d'être au service du roi et de l'approcher de fort près, il ne

1. Mais on n'a point de manchon à la main qui porte un flambeau. 2. C'est une ancienne plaisanterie faite à Messine, au duc de Vivonne, qui était excessivement gros.

3. A la postérité.

4. Il veut dire apparemment de vin pur.

5. Cela est très-vrai, et fort à l'honneur de Louis XIV, dans un temps très-fiscal.

6. Cela est neuf.

7. Les impériaux attendaient le même secours.

8. Quoi! l'archevêque de Paris ne mangeait-il pas des carpes à l'étuvée, du saumon à la béchamel? On ne parlait que des ragoûts que faisait l'archevêque Harlai de Chamvalon avec Mme de Lesdiguières. 9. Plus que jamais à la postérité.

lui avait jamais entendu dire qu'une seule parole de vivacité, et jamais aucune qui ressentit la médisance '.

MORT DU ROI.

(1715.) Lorsqu'on proposa au roi de recevoir les derniers sacrements, il répondit : « Ah! très-volontiers, j'en serai bien aise; » et après sa confession il dit : « Je suis en paix, je me suis bien confessé. »>

Quelque temps après il dit à une personne de confiance: « Je me trouve le plus heureux homme du monde, j'espère que Dieu m'accordera mon salut: qu'il est aisé de mourir!» Il dit ces dernières paroles en fondant en larmes 2.

Il dit aux médecins qui paraissaient affligés : « M'aviez-vous cru immortel? Pour moi, je ne me le suis pas cru3. »

Le roi ayant perdu connaissance, quand elle lui fut revenue, il dit à son confesseur: « Mon père, donnez-moi encore une absolution générale de tous mes péchés. »

Son confesseur lui ayant fait faire attention à ces dernières paroles du Pater, Nunc et in hora mortis nostræ, le roi les répéta souvent, et dit à Mme de Maintenon, qui était auprès de lui : « C'est donc maintenant, présentement, à l'heure de ma mort. » Ce furent là aussi ses dernières paroles; il les prononça à l'agonie avec celles-ci : « Faites-moi miséricorde, mon Dieu; venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir. >>

Le roi étant revenu d'une grande faiblesse, et voyant auprès de lui Mme de Maintenon, il lui dit : « Il faut, madame, que vous ayez bien du courage et bien de l'amitié pour moi, pour demeurer si longtemps. >>

Le roi fit venir Monsieur le Dauphin, à qui il dit : «< Mon enfant, vous allez être un grand roi; ne m'imitez pas dans le goût que j'ai eu pour la guerre; songez toujours à rapporter à Dieu toutes vos actions; faitesle honorer par vos sujets je suis fâché de les laisser dans l'état où ils

1. C'est cela qui mérite de passer à la postérité, et de servir d'exemple à tous les princes. Ils tuent quelquefois par leurs paroles.

2. Les domestiques pleuraient; mais aucun ne dit que Louis XIV eût pleuré. De plus, les approches de la mort dessèchent trop pour qu'on pleure.

3. On nous assura que ce fut à ses premiers valets chambre, baignés de larmes, qu'il avait adressé ces paroles si justes et si fermes: M'avez-vous cru immortel? « Pour moi, je ne me le suis pas cru, »> aurait trop gâté ce noble discours.

4. C'était le jésuite Le Tellier : il avait à se reprocher plus de péchés que le roi.

5. On ne sait ce que l'auteur de ces mémoires veut dire; ce n'est point dans la prière du Pater que sont ces paroles. On soupçonne que le courtisan, auteur de ces Mémoires, ne savait pas plus le latin que Louis XIV.

6. Cela est très-vrai, et se retrouve ailleurs.

sont. Suivez toujours les bons conseils; aimez vos peuples: je vous donne le P. Le Tellier pour confesseur1. N'oubliez jamais la reconnaissance que vous devez à Mme la duchesse de Ventadour: pour moi, madame, ajouta le roi, je ne puis trop vous marquer la mienne.» Il embrassa le dauphin par deux fois, il lui donna sa bénédiction; et, comme il s'en allait, il leva les mains au ciel, et fit une prière en lé regardant.

Le roi ayant entendu la messe le lendemain qu'il eut reçu ses sacrements, il fit approcher les cardinaux de Rohan et de Bissi, et il leur dit en présence d'un grand nombre de courtisans, qu'il était satisfait du zèle et de l'application qu'ils avaient fait paraître pour la défense de la bonne cause2; qu'il les exhortait à avoir la même conduite après sa mort, et qu'il avait donné de bons ordres pour les soutenir. Il ajouta que Dieu connaissait ses bonnes intentions et les désirs ardents qu'il avait d'établir la paix dans l'Eglise de France; qu'il s'était flatté de la procurer cette paix si désirée; mais que Dieu ne voulait pas qu'il eût cette satisfaction; que peut-être cette grande affaire finirait plus promptement et plus heureusement dans d'autres mains que dans les siennes ; que, quelque droite qu'ait été sa conduite, on aurait cru qu'il n'eût agi que par prévention, et qu'il aurait porté son autorité trop loin; et, enfin, après avoir encore fortement exhorté ces deux cardinaux à soutenir la vérité avec la même ferveur qu'ils avaient fait paraître jusqu'à présent, il leur déclara qu'il voulait mourir comme il avait vécu, dans la religion catholique, apostolique, et romaine; et qu'il aimerait mieux perdre mille vies que d'avoir d'autres sentiments. Ce discours dura longtemps; et le roi le fit dans des termes si nobles et si touchants, et avec tant de force (quoiqu'il fût déjà très-mal), qu'il était aisé de connaître qu'il était pénétré de ce qu'il disait.

1. Ce discours de Louis XIV à son successeur n'est pas exactement rapporté, il s'en faut de beaucoup. Il est très-faux qu'il dit au dauphin : « Je vous donne le P. Le Tellier pour confesseur. » On ne donne point d'ailleurs un confesseur à un enfant qui n'a pas six ans. Il faut avouer que ces mémoires sont d'un homme d'un esprit très-faible, qui paraît affilié des jésuites.

D

2. Il oublie que le roi dit à ces deux cardinaux : « Si on m'a trompé, on est bien coupable. » Il a été avéré en effet qu'on l'avait trompé, et que c'était son confesseur Le Tellier qui avait lui-même fabriqué la minute de cette malheureuse bulle qui troubla la France. Jamais homme ne calomnia plus effrontément, ne joignit tant de fourberie à tant d'audace, et ne couvrit plus ses crimes du manteau de la religion. Il fut sur le point de faire condamner le vertueux cardinal de Noailles; et il abusa de la confiance de Louis XIV jusqu'à faire signer l'exil ou la prison de plus de deux mille citoyens. Ce scélérat fut exilé luimême après la mort du roi : punition trop douce de ses noirceurs et de ses barbaries. Le grand malheur de Louis XIV fut d'avoir été trop ignorant. Pour peu qu'il eût lu seulement l'Histoire du président de Thou, il se serait défié de son confesseur, au lieu de le croire. Il aurait vu que jamais, à la cour, un religieux ne fit que du mal. L'ignorance et la faiblesse ternirent, dans ses dernières années, cinquante ans de gloire et de prospérités.

Il recommanda à Monsieur le Duc et à M. le prince de Conti, de contribuer à l'union qu'il désirait qui fût entre les princes, et de ne point suivre l'exemple de leurs ancêtres sur la guerre '.

Il parla à M. le duc du Maine et à M. le comte de Toulouse 2.

Il recommanda les finances à M. Desmarêts, et les affaires étrangères à M. de Torci 3.

1. Vous voulez dire apparemment qu'il leur recommanda de ne jamais faire la guerre civile mais ils ne pouvaient certainement mieux faire que d'imiter les belles actions de leurs aïeux.

2. Il fallait au moins nous instruire de ce qu'il leur dit.
3. Voilà une gazette de cour pleine d'anecdotes admirables.

PRÉFACE ET EXTRAITS

DES SOUVENIRS DE MME DE CAYLUS. (1769.)

PRÉFACE.

Cet ouvrage de Mme de Caylus1 est un de ceux qui font le mieux connaître l'intérieur de la cour de Louis XIV. Plus le style en est simple et négligé, plus sa naïveté intéresse. On y retrouve le ton de sa conversation; elle n'a point taché, comme disait M. le duc d'Antin. Elle était du nombre des femmes qui ont de l'esprit et du sentiment sans en affecter jamais. C'est grand dommage qu'elle ait eu si peu de souvenir, et qu'elle quitte le lecteur lorsqu'il s'attend qu'on lui parlera des dernières années de Louis XIV, et de la régence. Peut-être même l'esprit philosophique qui règne aujourd'hui ne sera pas trop content des petites aventures de cour qui sont l'objet de ces mémoires. On veut savoir quels ont été les sujets de guerre; quelles ressources on avait pour les finances; comment la marine dépérit après avoir été portée au plus haut point où on l'eût jamais vue chez aucune nation; à quelles extrémités Louis XIV fut réduit; comment il soutint ses malheurs, et comment ils furent réparés; dans quelle confusion son confesseur Le Tellier jeta la France, et quelle part Mme de Maintenon put avoir à ces troubles intestins aussi tristes et aussi honteux que ceux de la fronde avaient été violents et ridicules. Mais tous ces objets ayant été presque épuisés dans l'histoire du Siècle de Louis XIV, on peut voir avec plaisir de petits détails qui font connaître plusieurs personnages dont on se souvient encore.

1. Marthe-Marguerite de Villette-Murcay, née en 1673, mariée en 1686 au marquis de Caylus, morte le 15 avril 1729. (ED.)

Ces particularités même servent dans plus d'une occasion à jeter de la lumière sur les grands événements.

D'ordinaire les petits détails des cours, si chers aux contemporains, périssent avec la génération qui s'en est occupée; mais il y a des époques et des cours dont tout est longtemps précieux. Le siècle d'Auguste fut de ce genre. Louis XIV eut des jours aussi brillants, quoique sur un théâtre beaucoup moins vaste et moins élevé. Louis XIV ne commandait qu'à une province de l'empire d'Auguste; mais la France acquit sous ce règne tant de réputation par les armes, par les lois, par de grands établissements en tout genre, par les beaux-arts, par les plaisirs même, que cet éclat se répand jusque sur les plus légères anecdotes d'une cour qui était regardée comme le modèle de toutes les cours, et dont la mémoire est toujours précieuse.

Tout ce que raconte Mme la marquise de Caylus est vrai; on voit une femme qui parle toujours avec candeur. Ses Souvenirs serviront surtout à faire oublier cette foule de misérables écrits sur la cour de Louis XIV, dont l'Europe a été inondée par des auteurs faméliques qui n'avaient jamais connu ni cette cour, ni Paris.

Mme de Caylus, nièce de Mme de Maintenon, parle de ce qu'elle a entendu dire et de ce qu'elle a vu, avec une vérité qui doit détruire à jamais toutes ces impostures imprimées, et surtout les prétendus Mémoires de Mme de Maintenon, compilés par l'ignorance la plus grossière, et par la fatuité la plus révoltante, écrits d'ailleurs de ce mauvais style des mauvais romans qui ne sont faits que pour les antichambres.

Que penser d'un homme qui insulte au hasard les plus grandes familles du royaume, en confondant perpétuellement les noms, les événements, qui vous dit d'un ton assuré que « M. de Maisons, premier président du parlement, avec plusieurs conseillers, n'attendaient qu'un mot du duc du Maine pour se déclarer contre la régence du duc d'Orléans; tandis que M. de Maisons, qui ne fut jamais premier président, avait arrangé lui-même tout le plan de la régence!

Qui prétend que la princesse des Ursins, à l'âge de soixante et un ans, avait inspiré à Philippe V, roi d'Espagne, une violente passion pour elle;

Qui ose avancer que « les articles secrets du traité de Rastadt excluaient Philippe V du trône, » comme s'il y avait eu des articles secrets à Rastadt;

Qui a l'impudence d'affirmer que Monseigneur, fils de Louis XIV, << épousa Mlle Chouin, » et rappelle sur cette fausseté tous les contes absurdes imprimés chez les libraires de Hollande;

Qui, pour donner du crédit à ces contes, cite l'exemple d'Auguste, lequel, selon lui, était amoureux de Cléopatre. C'est bien savoir l'histoire! Voilà par quels gredins la plupart de nos histoires secrètes modernes

1. Mme de Caylus, fille de Philippe de Valois, marquis de Villette-Murcay, cousin de Mme de Maintenon, n'était pas nièce, mais petite-cousine de la seconde femme de Louis XIV.

2. Par La Beaumelle. (ED.)

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