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ment dans quelques erreurs sur la formation d'un fœtus, et sur celle des montagnes : les femmes font toujours des enfants comme elles peuvent; et les montagnes restent à leur place.

Mais il y a un genre d'hommes funestes au genre humain qui subsiste encore, tout détesté qu'il est, et qui peut-être subsistera encore quelques années. Cette espèce bâtarde est nourrie dans les disputes de l'école, qui rendent l'esprit faux et qui gonflent le cœur d'orgueil. Indignés de l'obscurité où leur métier les condamne, ils se jettent sur les gens du monde qui ont de la réputation, comme autrefois les crocheteurs de Londres se battaient à coups de poing contre ceux qui passaient dans les rues avec un habit galonné. Ce sont ces misérables qui appellent le président de Montesquieu impie, le conseiller d'Etat La Mothe Le Vayer déiste, le chancelier de L'Hospital athée. Mille fois flétris, ils n'en sont que plus audacieux, parce que, sous le masque de la religion, ils croient pouvoir nuire impunément.

Par quelle fatalité tant de théologiens, mes confrères, ont-ils été, de tous les gens de lettres, les plus hardis calomniateurs, si pourtant on peut donner le titre d'hommes de lettres à ces fanatiques? C'est qu'ils ne craignent rien quand ils mentent. Si on pouvait lire leurs écrits polémiques, ensevelis dans la poussière des bibliothèques, on y verrait continuellement la Sorbonne et les maisons professes des jésuites transférées aux halles.

Les jésuites surtout poussèrent l'impudence aux derniers excès, quand ils furent puissants: lorsqu'ils n'écrivaient pas des lettres de cachet, ils écrivirent des libelles.

On est obligé d'avouer que ce sont des gens de cet affreux caractère qui ont attiré sur leurs confrères les coups dont ils sont écrasés, et qui ont perdu à jamais un ordre dans lequel il y a eu des hommes respectables. Il faut convenir que ce sont des énergumènes, tels que les Patouillet et les Nonotte, qui ont enfin soulevé toute la France contre les jésuites. Plus les gens habiles de leur ordre avaient de crédit à la cour, plus les petits pédants de leurs colléges étaient impudents à la ville.

Un de ces malheureux' ne s'est pas contenté d'écrire contre tous les parlements du royaume, du style dont Guignard écrivit contre Henri IV: ce fou vient de faire un ouvrage contre presque tous les gens de lettres illustres; et toujours dans le dessein de venger Dieu, qui pourtant semble un peu abandonner les jésuites: il intitule sa rapsodie antiphilosophique; elle l'est bien en effet; mais il pouvait l'intituler aussi antihumaine, antichrétienne.

Croirait-on bien que cet énergumène, à l'article Fanatisme, fait l'éloge de cette fureur diabolique? Il semble qu'il ait trempé sa plume dans l'encrier de Ravaillac. Du moins Néron ne fit point l'éloge du parricide; Alexandre VI ne vanta point l'empoisonnement et l'assassinat. Les plus grands fanatiques déguisaient leurs fureurs sous le nom d'un saint enthousiasme, d'un divin zèle; enfin nous avons confitentem fanaticum.

1. Chaudon. (ED.)

Le monstre crie sans cesse : « Dieu! Dieu! Dieu! » Excrément de la nature humaine, dans la bouche de qui le nom de Dieu devient un sacrilége; vous, qui ne l'attestez que pour l'offenser, et qui vous rendez plus coupable encore par vos calomnies que ridicule par vos absurdités; vous, le mépris et l'horreur de tous les hommes raisonnables, vous prononcez le nom de Dieu dans tous vos libelles, comme des soldats qui s'enfuient en criant Vive le roi!

Quoi! c'est au nom de Dieu que vous calomniez! Vous dites qu'un homme très-connu, devant qui vous n'oseriez paraître, a conjuré en secret avec les prêtres d'une ville célèbre pour y établir le socinianisme; vous dites que ces prêtres viennent tous les soirs souper chez lui, et qu'ils lui fournissent des arguments contre vos sottises. Vous en avez menti, mon révérend père mentiris impudentissime, comme disait Pascal'. Les portes de cette ville sont fermées avant l'heure du souper. Jamais aucun prêtre de cette ville n'a soupé dans son château, qui en est à deux lieues; il ne vit avec aucun, il n'en connaît aucun; c'est ce que vingt mille hommes peuvent attester.

Vous pensez que les parlements vous ont conservé le privilége de mentir, comme on dit que les galériens peuvent voler impuné

ment.

Quelle rage vous pousse à insulter, par les plus plates impostures un avocat du parlement de Paris, célèbre dans les lettres, et un des premiers savants de l'Europe, honoré des bienfaits d'une tête couronnée, qui par là s'est honorée à jamais3; et un homme aussi illustre par ses bienfaits que par son esprit, dont la respectable épouse est parente du plus noble et du plus digne ministre qu'ait eu la France, et qui a des enfants dignes de son mari et d'elle ❝?

Vous êtes assez lâche pour remuer les cendres de M. de Montesquieu, afin d'avoir occasion de parler de je ne sais quel brouillon de jésuite irlandais, nommé Routh, qu'on fut obligé de chasser de sa chambre, où cet intrus s'établissait en député de la superstition, et pour se faire de fête, tandis que Montesquieu, environné de sages, mourait en sage: jésuite, vous insultez au mort, après qu'un jésuite a osé troubler la dernière heure du mourant; et vous voulez que la postérité vous déteste, comme le siècle présent vous abhorre depuis le Mexique jusqu'en Corse.

Crie encore : << Dieu! Dieu! Dieu!» tu ressembleras à ce prêtre irlandais qu'on allait pendre pour avoir volé un calice: « Voyez, disait-il, comme on traite les bons kétéliques qui sont venus en France pour la rlichion! >>

Chaque siècle, chaque nation a eu ses Garàsses. C'est une chose incompréhensible que cette multitude de calomnies dévotement vomies dans l'Europe par des bouches infectées qui se disent sacrées! C'est, après l'assassinat et le poison, le crime le plus grand, et c'est celui qui a été le plus commun.

1, XVe lettre provinciale. (ED.) - 2. M. Saurin. (ED.) · 3. M. Diderot. (ED.) 4. Helvétius. (ED.)

INSTRUCTION

DU GARDIEN DES CAPUCINS DE RAGUSE, A FRÈRE PÉDICULOSO ',

PARTANT POUR LA TERRE SAINTE.

(1768.)

I. La première chose que vous ferez, frère Pédiculoso, sera d'aller voir le paradis terrestre où Dieu créa Adam et Eve, si connu des anciens Grecs et des premiers Romains, des Perses, des Egyptiens, des Syriens, qu'aucun auteur de ces nations n'en a jamais parlé. Il vous sera très-aisé de trouver le paradis terrestre, car il est à la source de l'Euphrate, du Tigre, de l'Araxe et du Nil; et quoique les sources du Nil et de l'Euphrate soient à mille lieues l'une de l'autre, c'est une difficulté qui ne doit nullement vous embarrasser. Vous n'aurez qu'à demander le chemin aux capucins qui sont à Jérusalem. vous ne pourrez vous égarer.

II. N'oubliez pas de manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal; car vous nous paraissez un peu ignorant et malin. Quand vous en aurez mangé, vous serez un très-savant et très-honnête homme. L'arbre de la science est un peu vermoulu; ses racines sont faites des œuvres des rabbins, des ouvrages du pape Grégoire le Grand, des œuvres d'Albert le Grand, de saint Thomas, de saint Bonaventure, de saint Bernard, de l'abbé Trithême2, de Luther, de Calvin, du R. P. Garasse, de Bellarmin, de Suarez, de Sanchez, du docteur Tourneli et du docteur Tamponet. L'écorce est rude, les feuilles piquent comme l'ortie; le fruit est amer comme chicotin; porte au cerveau comme l'opium; on s'endort quand on en a un peu trop pris, et on endort les autres : mais dès qu'on est réveillé, on porte la tête haute; on regarde les gens du haut en bas; on acquiert un sens nouveau qui est fort au-dessus du sens commun; on parle d'une manière inintelligible, .qui tantôt vous procure de bonnes aumônes, et tantôt cent coups de bâton. Vous nous répondrez peut-être qu'il est dit expressément dans le Béresith ou Genèse : « Le même jour que vous en aurez mangé, vous mourrez très-certainement3. » Allez, notre cher frère, il n'y a rien à craindre. Adam en mangea et vécut encore neuf cent trente ans.

III. A l'égard du serpent qui était la bête des champs la plus subtile1,* il est enchaîné, comme vous savez, dans la haute Égypte; plusieurs missionnaires l'ont vu. Bochart vous dira quelle langue il parlait, et

1. Le mot italien pediculoso, du latin pediculosus (pouilleux), est donné par Voltaire au futur pèlerin à cause du petit peuple qui habite sa barbe. (Note de M. Beuchot.)

2. Son vrai nom est Tritheim ou même Tritenheim, qui est celui du village où il naquit, près de Trèves, en 1662 cité; lusieurs fois dans la Pucelle. (Note de Clogenson.

3. Genèse, chap. II, v. 17.

4. Genèse, III, 1. (ÉD.)

quel air il siffla pour tenter Eve; mais prenez bien garde d'être sifflé. Vous expliquerez ensuite quel est le bœuf qui garda la porte du jardin car vous savez que cherub en hébreu et en chaldéen signifie un bœuf, et que c'est pour cela qu'Ezéchiel dit que le roi de Tyr est un chérub. Que de chérubs, ô ciel, nous avons dans ce monde! Lisez sur cela saint Ambroise, l'abbé Rupert, et surtout le chérub dom Calmet. IV. Examinez bien le signe que le Seigneur mit à Caïn. Observez si c'était sur la joué ou sur l'épaule. Il méritait bien d'être fleurdelisé pour avoir tué son frère; mais comme Romulus, Richard III, Louis XI, etc., etc., en ont fait autant, nous voyons bien que vous n'insisterez pas sur un fratricide pardonné, tandis que toute la race est damnée pour une pomme. V. Vous prétendez pousser jusqu'à la ville d'Enoch, que Caïn bâtit dans la terre de Nod; informez-vous soigneusement du nombre de maçons, de charpentiers, de menuisiers, de forgerons, de serruriers, de drapiers, de bonnetiers, de cordonniers, de teinturiers, de cardeurs de laine, de laboureurs, de bergers, de manoeuvres, d'exploiteurs de mines de fer ou de cuivre, de juges, de greffiers qu'il employa, lorsqu'il n'y avait encore que quatre ou cinq personnes sur la terre.

Enoch est enterré dans cette ville que bâtit Caïn son aïeul, mais il vit encore; sachez où il est, demandez-lui des nouvelles de sa santé, et faites-lui nos compliments.

VI. De là vous passerez entre les jambes des géants qui sont nés des anges et des filles des hommes 2, et vous leur présenterez les vampires du R P. dom Calmet; mais surtout parlez-leur poliment, car ils n'entendent pas raillerie.

VII. Vous comptez aller ensuite sur le mont Ararat voir les restes de l'arche, qui sont de bois de Gopher. Vérifiez les mesures de l'arche données sur les lieux par l'illustre M. Le Pelletier 3. Mesurez exactement la montagne, mesurez ensuite celle de Pitchincha et de Chimboraço au Pérou, et le mont Saint-Gothard. Supputez avec Whiston et Woodward combien il fallut d'océans pour couvrir tout cela, et pour s'élever quinze coudées au-dessus. Examinez tous les animaux purs et impurs qui entrèrent dans l'arche; et en revenant, ne vous arrêtez pas sur des charognes, comme le corbeau.

Vous aurez aussi la bonté de nous rapporter l'original du texte hébreu qui place le déluge en l'an de la création 1656, l'original samaritain qui le met en 2309, le texte des Septante qui le met en 2262. Accordez les trois textes ensemble, et faites un compte juste d'après l'abbé Pluche.

VIII. Saluez de notre part notre père Noé qui planta la vigne. Les Grecs et les Asiatiques eurent le malheur de ne connaître jamais sa personne; mais les Juifs ont été assez heureux pour descendre de lui. Demandez à voir dans ses archives le pacte que Dieu fit avec lui et avec les bêtes. Nous sommes fâchés qu'il se soit enivré; ne l'imitez pas.

1. Genèse, XXVII, 14. (ED.)

2. Id., chap. vI V. 4.

3. Jean Le Pelletier, né à Fouen en 1633, mort en 1711, est auteur d'une Dissertation sur l'arche de Noe. (ED.)

Prenez surtout un mémoire exact du temps où Gomer, petit-fils de Japhet, vint régner dans l'Europe, qu'il trouva très-peuplée. C'est un point d'histoire avéré.

IX. Demandez ce qu'est devenu Caïnam, fils d'Arphaxad, si célèbre dans les Septante, et dont la Vulgate ne parle pas. Priez-le de vous conduire à la tour de Babel. Voyez si les restes de cette tour s'accordent avec les mesures que le R. P. Kircher' en a données. Consultez Paul Orose, Grégoire de Tours et Paul Lucas.

De la tour de Babel vous irez à Ur en Chaldée, et vous demanderez aux descendants d'Abraham le potier pourquoi il quitta ce beau pays pour aller acheter un tombeau à Hébron et du blé à Memphis; pourquoi il donna deux fois sa femme pour sa sœur; ce qu'il gagna au juste à ce manége. Sachez surtout de quel fard elle se servait pour paraître belle à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Sachez si elle employait l'eau rose ou l'eau de lavande pour ne pas sentir le gousset quand elle arriva à pied, ou sur son âne, à la cour du roi d'Egypte et à celle du roi de Gérare, car toutes ces choses sont nécessaires à salut.

Vous savez que le Seigneur fit un pacte avec Abraham, par lequel il lui donna tout le pays depuis le fleuve d'Égypte jusqu'à l'’Euphrate, Sachez bien précisément pourquoi ce pacte n'a pas été exécuté.

X. Chemin faisant vous irez à Sodome. Demandez des nouvelles des deux anges qui vinrent voir Loth, et auxquels il prépara un bon souper. Sachez quel âge ils avaient quand les Sodomites voulurent leur faire des sottises, et si les deux filles de Loth étaient pucelles lorsque le bonhomme Loth pria les Sodomites de coucher avec ses deux filles, au lieu de coucher avec ces deux anges. Toute cette histoire est encore très-nécessaire à salut. De Sodome vous irez à Gabaa, et vous vous informerez du nom du lévite auquel les bons Benjamites firent la même civilité que les Sodomites avaient faite aux anges.

XI. Quand vous serez en Égypte, informez-vous d'où venait la cavalerie que le pharaon envoya dans la mer Rouge à la poursuite des Hébreux; car tous les animaux ayant péri dans la sixième et septième plaie, les impies prétendent que le pharaon n'avait plus de cavalerie. Relisez les Mille et une nuits, et tout l'Exode, dont Hérodote, Thucydide, Xénophon, Polybe, Tite Live, font une mention si particulière, ainsi que tous les auteurs égyptiens.

XII. Nous ne vous parlons pas des exploits de Josué, successeur de Mosé, et de la lune qui s'arrêta sur Aïalon en plein midi, quand le -soleil s'arrêta sur Gabaon: ce sont de ces choses qui arrivent tous les jours, et qui ne méritent qu'une légère attention.

Mais ce qui est très-utile pour la morale, et qui doit infiniment contribuer à rendre nos mœurs plus honnêtes et plus douces, c'est l'histoire des rois juifs. Il faut absolument supputer combien ils commirent d'assassinats. Il y a des Pères de l'Eglise qui en comptent cinq cent quatre-vingts; d'autres neuf cent soixante et dix; il est important de

1. Dans son livre intitulé Turris Babel. (ÉD.)

2. Genèse, chap. xv, v. 18. (ED.)

VOLTAIRE. xxi.

f

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