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Et l'eau vive s'endort dans les porphyres roux,
Les rosiers de l'Iran ont cessé leurs murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tout se tait. L'oiseau grèle et le frelon jaloux
Ne se querellent plus autour des figues mûres.
Les rosiers de l'Iran ont cessé leurs murmures,
Et l'eau vive s'endort dans les porphyres roux.

Est-ce qu'il n'y aurait là, Messieurs, qu'une description, comme on l'entendait dans l'école romantique, ou une vision, l'une des plus gracieuses et des plus voluptueuses qu'un poète ait jamais caressées dans ses vers? Mais j'y trouve quelque chose de plus, et pour ainsi parler, dans une seule pièce, tout un « raccourci >> d'histoire. Oui, cette « Persane royale », sous « sa vérandah close », dans sa prison enchantée... ces <«<longs yeux noirs » charmants et inexpressifs... tout ce bel animal féminin, vide, si je puis ainsi dire, de sentiment et de pensée... ce luxe aussi qui l'entoure, et qui la garde, ce « treillis d'argent », ces « coussins de soie », ces « vasques de porphyres », n'est-ce pas le résumé de ce que trois mille ans de civilisation orientale ont réussi à faire de la femme? le terme où sont venus aboutir les efforts des Darius et des Artaxercès? et s'il s'y est mêlé depuis eux quelque chose de plus musulman, ne le retrouverons-nous pas, Messieurs, dans la savante monotonie du rythme, dans son arabesque, et dans ses entre-lacs 1?

1. Voir encore Néférou-Rá, le Cœur de Hialmar, la Mort de Sigurd, le Massacre de Mona, Nurmahal, le Corbeau, la Téte du comte; et dans les Poèmes antiques : Çunacépa, par exemple, ou Niobé, etc.

Et l'eau vive s'endort dans les porphyres roux,
Les rosiers de l'Iran ont cessé leurs murmures.

Tout se tait....

Les rosiers de l'Iran ont cessé leurs murmures,
Et l'eau vive s'endort dans les porphyres roux.

Ne serait-il pas, après cela, bien surprenant, impossible même, que tant d'autres poèmes, eux aussi réputés purement descriptifs et loués uniquement comme tels, ne fussent pas autre chose, et tout autre chose que de pures descriptions? Vous connaissez les Éléphants:

Le sable rouge est comme une mer sans limite,
Et qui flambe, muette, affaissée en son lit.
Une ondulation immobile remplit

L'horizon aux vapeurs de cuivre où l'homme habite.

Tel l'espace enflammé brûle sous les cieux clairs.
Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes,
Les éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes,
Vont au pays natal à travers les déserts.

D'un point de l'horizon, comme des masses brunes,
Ils viennent, soulevant la poussière, et l'on voit,
Pour ne point dévier du chemin le plus droit,
Sous leur pied large et sûr crouler au loin des dunes.

L'oreille en éventail, la trompe entre les dents,
Ils cheminent, l'œil clos. Leur ventre bat et fume,
Et leur sueur dans l'air embrasé monte en brume,
Et bourdonnent autour mille insectes ardents.

Mais qu'importent la soif et la mouche vorace,
Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé?
Ils rêvent en marchant du pays délaissé,
Des forêts de figuiers où s'abrita leur race.

Ils reverront le fleuve échappé des grands monts,
Où nage en mugissant l'hippopotame énorme,
Où, blanchis par la lune, et projetant leur forme,
Ils descendaient pour boire en écrasant les joncs.

Aussi, pleins de courage et de lenteur, ils passent
Comme une ligne noire, au sable illimité;
Et le désert reprend son immobilité

Quand les lourds voyageurs à l'horizon s'effacent.

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Rapprochez cette pièce de tant d'autres, la Panthère noire, le Rêve du jaguar, le Sommeil du condor: où tendent-elles? que veulent-elles dire? de quelle inspiration procèdent-elles? Messieurs, si nous savons lire, elles ne traduisent rien de moins en poésie que la grande révolution scientifique du siècle; et j'entends par ce mot la substitution en tout du point de vue naturaliste au point de vue proprement et uniquement humain, qui avait été jusqu'à nous celui de l'art comme de la science; qui était encore exclusivement, vous l'avez vu, celui de Lamartine et de Hugo, de Vigny même et de Gautier; qui est toujours celui de plus d'un poète et d'un artiste parmi nous 1.

1. « L'art et la science, longtemps séparés par suite des efforts divergents de l'intelligence, doivent désormais tendre à s'unir étroitement sinon à se confondre. L'un a été la révélation primitive de l'idéal contenu dans la nature extérieure; l'autre en a été l'étude raisonnée et l'exposition lumineuse.

En ce temps-là donc, vous le savez, c'était en vain que les maitres, ou plutôt les fondateurs de l'astronomie moderne, avaient démontré le contraire la Terre passait pour toujours être le centre du monde; et, sur terre, on continuait de croire, ou du moins on agissait, on pensait, on sentait même comme si l'on croyait que, depuis les « étoiles du ciel » jusqu'aux « poissons de la mer », tout eût été fait à l'usage de l'homme. Ai-je besoin, à ce propos, de vous rappeler les extravagances de Bernardin de Saint-Pierre, sa théorie du «< melon », par exemple, ou de la citrouille? et Buffon, qui est un autre homme, ne peut-il pas ici nous suffire? Car vous vous souvenez comment sont classées les espèces dans son Histoire naturelle, d'après l'utilité que nous en pouvons tirer, le plaisir qu'elles nous procurent, ou le danger que nous en avons à craindre espèces domestiques d'abord, le cheval et le bœuf; celles que l'on chasse ensuite, comme le cerf; enfin les carnassières.... Et cependant, c'est un libre esprit, c'est même un grand esprit que Buffon!

Trait pour trait, si je puis ainsi dire, à cette conception du monde et de la science répondait une conception de l'art que l'on peut nommer du nom général d'humanisme.

Minerve est la prudence et Vénus la beauté!

Mais l'art a perdu cette spontanéité intuitive, ou plutôt il l'a épuisée. C'est à la science de lui rappeler le sens de ses traditions oubliées, qu'il fera revivre dans les formes qui lui sont propres. Préface des Poèmes antiques.

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S'est-on assez moqué de ce vers de Boileau! s'en moque-t-on encore assez de nos jours même! Et cependant on ne saurait mieux résumer, en moins de mots, plus clairement, d'une manière plus expressive, ce qui était alors la règle, la loi des lois de l'art de peindre comme de celui d'écrire. Tout s'exprimait alors en fonction de l'humanité, non seulement les pensées ou les sentiments de l'homme, ses vertus ou ses vices, mais aussi les choses mêmes, et jusqu'aux énergies cachées de la nature! Un fleuve était un homme de pierre dont « la barbe limoneuse », entremêlée d'attributs aquatiques, et l'allure pour ainsi dire coulante semblaient analogues à sa nature fluide. L'inépuisable fécondité de la nature se représentait sous la figure d'une femme de marbre, dont la construction géante, les seins robustes, les larges flancs disaient éloquemment la promesse des générations à venir. Je vous laisse le soin de trouver d'autres exemples!... En deux mots, la forme humaine, avec ce qu'elle comportait d'altérations, d'atténuations ou d'exagérations sans cesser pour cela d'être humaine, était censée pouvoir tout dire. L'homme était la «< mesure de toutes choses ». Et ce que l'on désespérait de réussir à rendre par le moyen de la forme humaine, on en était arrivé à croire qu'il ne valait pas la peine d'être dit ou représenté 1.

1. Consultez Burckhardt: la Civilisation en Italie au temps de la Renaissance; et surtout Fromentin, dans ses Maitres d'autrefois. La page entière vaut bien d'ètre ici reproduite : « Il existait une habitude de penser hautement, grandement,

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