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Ils auront vu l'orgueil dédaigneux et jaloux
Leur faire de la vie épuiser les dégoûts,
Et de leurs ennemis, renouvelés sans cesse
Encourager l'audace et payer la bassesse ;
Et, lorsque la justice, arrivant sur leurs pas,
Vient venger leur mémoire, ils ne l'entendraient pas!
Cessons d'injurier le ciel et la nature;

Et quand l'homme a vécu pour la race future,
Croyons que de sa gloire il va jouir en paix.
Pour la postérité les grands hommes sont faits:
Ils ont semé pour elle, et chez elle ils recueillent;
Comme leurs bienfaiteurs, les siècles les accueillent;
Et présens d'âge en âge à ce beau souvenir,

Leur espace est le monde, et leur temps l'avenir.

MARMONTEL.

DISCOURS SUR L'ERREUR.

L'ERREUR nous rend heureux: par ses rians mensonges,
L'existence n'est plus qu'une suite de songes
Où l'homme, à sa chimère abandonnant son cœur,
S'étourdit sur ses maux, et rêve le bonheur.
Si de la vérité la trop vive lumière

Devant ses yeux troublés apparaît tout entière,
A ce jour qui l'accable il préfère la nuit ;

Il renaît aux douleurs, et son rêve est détruit.

O jours de notre enfance! ô momens pleins de charmes! Où nos chagrins sont courts, nos plaisirs sans alarmes, Où, de nos maux passés perdant le souvenir, Nous aimons le présent, sans craindre l'avenir. Au milieu des dégoûts d'une importune vie, Qui sur votre bonheur ne jette un œil d'envie? Enfant né pour souffrir, au berceau tu souris : Dans tes persécuteurs tu crois voir des amis. Si le brigand farouche assiége ta faiblesse, Souvent par tes regards tu gagnes sa tendresse ; Ou, semblable à l'agneau dont le sang va couler, Tu caresses le bras levé pour t'immoler.

Mais, à l'âge fougueux où l'âme impatiente
S'élance avec ardeur vers l'objet qui l'enchante,
Où, près de cet objet dont son cœur a fait choix,
L'homme croit exister pour la première fois,
Combien l'Illusion, si fécoude en caprices,
D'une naissante ardeur augmente les délices!
C'est elle qui, trompant et fascinant nos yeux,
Nous enivre à longs traits d'un charme impérieux;
Elle sait embellir la beauté qu'on adore,

Rend plus vif l'incarnat dont son teint se colore,
Anime ses regards, et prête à ses défauts
Une grâce piquante et des attraits nouveaux.
C'est à cet âge heureux que la candeur naïve
Exprime à la coquette une flamme craintive,
Et que l'amant discret, cherchaut mille détours,
Balbutie en tremblant ses timides amours.

Quelquefois de l'esprit l'amorce enchanteresse
Dans un sexe charmant prolonge la jeunesse :
Alors, nous enchaînant par des liens de fleurs,
Il forme notre goût, il adoucit nos mœurs;
Il prévient les écarts d'un ardent caractère;
En nous plaisant toujours, il nous apprend à plaire.
Il nous donne la grâce et les dehors brillans
Qui voilent l'ignorance et parent les talens.
Nous puisons près de lui cette délicatesse,
Cet esprit du momeut, d'où naît la politesse.
A des songes si doux nous devons nous livrer;
L'Amour, en nous guidant, ne peut nous égarer;

Et, quand à ses leçons notre cœur est docile,
L'erreur qui nous séduit nous est toujours utile.
Ainsi, dans l'âge mûr formant d'autres désirs,
Nous devons nos succès à nos premiers plaisirs.

Heureux si nous gardons, lorsque l'hymen nous lie,
L'erreur qui nous charmait au printemps de la vie ;
Si, dans les jours moins doux de la maturité,
Nous croyons à l'amour, à la fidélité;

Si notre âme, fuyant une vaine science,
Abjure les soupçons, fruits de l'expérience;
Et si, souffrant ses maux sans en être abattu,
Notre cœur vertueux peut croire à la vertu!

Nous trouvons dans l'hymen un port exempt d'orages;
Tout d'un bonheur parfait nous offre les images :
Enchantés, nous pressons nos enfans dans nos bras,
Et nous ne craignons point d'embrasser des ingrats.

Mais l'homme est peu content de ces plaisirs faciles; Il consume ses jours en efforts inutiles,

Pour chercher dans le monde un bonheur incertain.
L'erreur le suit encor dans ce fatal chemin.
Lorsque l'ambition en secret le tourmente,
Un espoir séducteur abrége son attente.
Chaque jour, loin du but, ses pas sont détournés ;
Chaque jour à ce but ses pas sont ramenés;
Et, des difficultés effleurant la surface,
D'une longue carrière il dévore l'espace.
L'homme souvent aussi, dédaignant le repos,
Se livre noblement à d'utiles travaux ;

Suivi dans ses succès de la publique estime,

Il paie à son pays un tribut légitime.

Soit qu'il cherche l'honneur sous les drapeaux de Mars,
Soit que dans les cités il cultive les arts,

Soit que de ses accens le barreau retentisse,
Ou que sous ses décrets tout un peuple fléchisse,
Il se nourrit d'erreurs, et son cœur, enchanté,
S'élance avec transport vers l'immortalité :
Songe qui nous entraîne hors du siècle où nous sommes,
Source des grands travaux,qui produit les grands hommes.
De cette illusion les tableaux séduisans

Nous poursuivent encor dans l'hiver de nos ans.
Cicéron, des proscrits partageant l'infortune,
Au déclin de ses jours ranima la tribune ;
Pour la septième fois usurpant les faisceaux,
Marius médita des triomphes nouveaux;
Antipâtre vainqueur réveilla Démosthène,
Et Voltaire mourant traça le plan d'Irène.
Mais le génie est rare: on voit presque toujours
La vieillesse livrer paisiblement ses jours

A l'innocente erreur qui charma son enfance.
Calme près du tombeau, sans trouble, sans souffrance,
Voyez-vous ce vieillard, entouré de ses fils,

Qui commence, interrompt, reprend ses longs récits?
Parle-t-il des combats où brilla son courage,
Il sent renaitre en lui la vigueur du jeune âge.
Parle-t-il de l'amour qu'il connut autrefois,
Un feu soudain ranime et son cœur et sa yoix;

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