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Voulez-vous violer tous les droits des humains?
Avez-vous pu charger vos innocentes mains
Des coupables présens d'une main sanguinaire,
Des présens qu'ont souillés le meurtre et l'adultère ?
Voyez ce monument : c'est à nous d'empêcher
Que jamais rien d'impur ne puisse en approcher.
Jetez, jetez, ma sœur, cette urne funéraire,
Ou bien, loin de ces lieux, cachez-la sous la terre;
Et, pour l'en retirer, attendez que la mort
De Clytemnestre un jour ait terminé le sort;
Alors reportez-la sur sa cendre infidèle ;
Allez, de tels présens ne sont faits que pour elle.
Croyez-vous, s'il restait dans le fond de son cœur
Après ses attentats, une ombre de pudeur,
Croyez-vous qu'aujourd'hui la fureur qui l'anime
Vînt jusque dans la tombe outrager sa victime,
Insulter à ce point les mânes d'un héros,

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La majesté des morts, et les Dieux des tombeaux?
Et de quel œil, ô ciel ! pensez-vous que mon père
Puisse voir ces présens que l'on ose lui faire?
Ah! n'est-ce pas ainsi, quand il fut massacré,
Qu'on plongea dans les eaux son corps défiguré,
Comme si l'on eût pu, dans le sein des eaux pures,
Laver en même temps le crime et les blessures?
Les forfaits à ce prix seraient-ils effacés?
Ne le permettez pas, dieux qui les punissez !

Et vous, ma sœur, et vous, n'en commettez point d'autres
Prenez de mes cheveux, prenez aussi des vôtres:

Le désordre des miens atteste mes douleurs;
Souvent ils ont servi pour essuyer mes pleurs:
Il m'en reste bien peu; mais prenez ; il n'importe
Il aimera ces dons que notre amour lui porte.
Joignez-y ma ceinture; elle est sans ornement;
Elle peut honorer ce triste monument.

LE MÊME. Traduit de Sophocle.

ELECTRE tenant dans ses mains l'urne qu'elle croit contenir les cendres d'Oreste.

O monument sacré du plus cher des humains!
Cher Oreste! est-ce toi que je tiens dans mes mains?
O toi, dont mes secours ont protégé l'enfance!
Toi que j'avais sauvé dans une autre espérance,
Est-ce ainsi que pour moi depuis long-temps perdu,
Mon frère à mes regards devait être rendu?
Je devais donc de toi ne revoir que la cendre!
Ah! qu'il eût mieux valu, dans l'âge le plus tendre,
Périr avec ton père, hélas! et du berceau
Descendre à ses côtés dans le même tombeau !
Et maintenant tu meurs, ô victime chérie,
Sous un ciel étranger, et loin de ta patrie!
Loin de ta sœur et moi, je n'ai pu sur ton corps
Prodiguer les parfums, les ornemens des morts!
D'autres ont pris pour toi les soins que j'ai dû prendre!
D'autres sur le bûcher ont recueilli ta cendre!

Ces débris précieux, on les porte à ta sœur,
Dans une urne vulgaire enfermés sans honneur !
O malheureuse Electre ! ô frivoles tendresses!
Inutiles travaux, et trompeuses caresses!
Soigner tes premiers ans fut mon plus doux plaisir,
Et de mes propres mains j'aimais à te nourrir.
M'occupant de toi seul, j'ai rempli près d'un frère
Le devoir de nourrice, et d'esclave et de mère.
Où sont-ils ces beaux jours, ces jours si fortunés?
Ah! la mort avec toi les a donc moissonnés ?
Oreste, tu n'es plus ; et je n'ai plus de père!
Me voilà seule au monde, et ma barbare mère
Avec mes ennemis jouit de ma douleur !
Vainement à mes maux tu promis un vengeur.
Oreste a dans la tombe emporté mon attente.
Et qu'est-il aujourd'hui ? rien qu'une ombre impuissante.
Que suis-je, hélas! moi-même, après t'avoir perdu,
Qu'une ombre, qu'un fantôme aux enfers attendu ?
Mon frère, reçois-moi dans cette urne funeste;
D'Electre auprès de toi reçois le triste reste.
Les mêmes sentimens unissaient notre sort;
Soyons encor tous deux réunis dans la mort.
La mort est secourable, et la tombe est tranquille :
Ah! contre le malheur il n'est point d'autre asile.
Le Méme. Ibid.

AJAX avant de se précipiter sur son épée.

Our, le glaive est tout prêt, il va finir ma vie ; Enfoncé dans les flancs d'une terre ennemie, Placé dans des rochers où l'a fixé ma main, Il présente la pointe où s'appuîra mon sein. Ce don d'un ennemi que la Grèce déteste, Ce fer, présent d'Hector, qui dut m'être funeste, Aujourd'hui seul remède aux horreurs de mon sort, Rend un dernier service à qui cherche la mort. O vous ! ô Dieux puissans! exaucez ma prière. Je ne demande pas une faveur bien chère; Mais au moins, dans l'instant où je perdrai le jour, De Teucer, en ces lieux, dieux ! hâtez le retour; Que Teucer me retrouve, et qu'il rende à la terre Le cadavre sanglant de son malheureux frère, De peur qu'un ennemi, prévenant ses secours, Ne m'abandonne en proie aux avides vautours; Que le fils de Maïa, qui sur les rives sombres Des pavots de son sceptre endort les tristes ombres, Dans le dernier sommeil suspendant mes eunuis, Y plonge mollement mes mânes assoupis. Vous, filles de la Nuit, déités implacables, Qui, la torche à la main, poursuivez les coupables, Ministres des enfers, dont le regard vengeur Observe incessamment le crime et le malheur ; Je vous invoque ici, puissantes Euménides! Voyez ce que m'ont fait les injustes Atrides :

Auteurs de tous mes maux, leur superbe mépris
Insulte à mon trépas; payez-leur-en le prix :
Qu'ainsi que par mes mains ma vie est terminée,
La main de leurs parens tranche leur destinée;
Que les Grecs soient punis, et leur camp ravagé;
N'en épargnez aucun : tous ils m'ont outragé.
Soleil! arrête-toi dans ta course divine;
Détourne tes chevaux aux murs de Salamine;
Raconte à Télamon, chargé du poids des ans,
Et les destins d'Ajax, et ses derniers momens.
Oh! combien ce récit va frapper ta vieillesse,
Et qu'il va de ma mère affliger la tendresse !
J'entends ses cris perçans, sa lamentable voix...
Je te parle, ô Soleil! pour la dernière fois;
Pour la dernière fois mon œil voit la lumière.
O Mort! & Mort! approche, et ferme ma paupière ;
Approche! ton aspect ne peut m'épouvanter;
A jamais avec toi je m'en vais habiter.

O jour! ô Salamiue! ô terres paternelles !
Fleuves sacrés! et vous, mes nourrices fidèles!
Noble peuple d'Athène, à mon sang allié!

Troie, où, pour mon malheur, les dieux m'ont envoyé!
Vous que ma voix appelle à cette dernière heure,
Recevez mes adieux; il est temps que je meure "
Que je termine enfin ma plainte et mes revers:
Mon ombre désormais va gémir aux enfers.

LE MÊME Traduit du même. Mort d'Ajax.

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