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SBRIGANI.

L'est, montsir, pour un petit raisonne de conséquence

pour nous.

ORONTE.

Mais encore, pourquoi?

SBRIGANI.

L'est, montsir, que sti montsir Oronte donne son fille en mariage à un certe montsir de Pourcegnac.

Hé bien?

ORONTE.

SBRIGANI.

Et sti montsir de Pourcegnac, montsir, l'est un homme que doive beaucoup grandement à dix ou douze marchanes flamanes qui être venus ici.

ORONTE.

Ce monsieur de Pourceaugnac doit beaucoup à dix ou douze marchands?

SBRIGANI.

Oui, montsir; et depuis huite mois nous afoir obtenir un petit sentence contre lui; et lui a remettre à payer tou ce créancier de sti mariage que sti montsir Oronte donne pour son fille.

ORONTE.

Hon, hon, il a remis là à payer ses créanciers?

SBRIGANI.

Oui, montsir; et avec un grant défotion nous tous attendre sti mariage.

ORONTE, à part.

L'avis n'est pas mauvais. (haut.) Je vous donne le bon

jour.

SBRIGANI.

Je remercie montsir de la faveur grande.

ORONTE.

Votre très-humble valet.

SBRIGANI.

Je le suis, montsir, obliger plus que beaucoup du bon nouvel que montsir m'avoir donné.

(seul, après avoir ôté sa barbe, et dépouillé l'habit de flamand qu'il a par-dessus le sien.)

Cela ne va pas mal. Quittons notre ajustement de flamand pour songer à d'autres machines; et tâchons de semer tant de soupçons et de division entre le beau-père et le gendre, que cela rompe le mariage prétendu. Tous deux également sont propres à gober les hameçons qu'on leur veut tendre; et, entre nous autres fourbes de la première classe, nous ne faisons que nous jouer lorsque nous trouvons un gibier aussi facile que celui-là.

SCÈNE IV.

M. DE POURCEAUGNAC, SBRIGANI.

M. DE POURCEAUGNAC, se croyant seul.

PIGLIALO SÙ, piglialo sù,

Signor monsu...

Que diable est-ce là? (apercevant Sbrigani.) Ah!

SBRIGANI.

Qu'est-ce, monsieur, qu'avez-vous?

M. DE POURCEAUGNA C.

Tout ce que je vois me semble lavement.

Comment?

SBRIGANI.

M. DE POURCEAUGNAC.

Vous ne savez pas ce qui m'est arrivé dans ce logis à la porte duquel vous m'avez conduit?

SBRIGANI.

Non, vraiment. Qu'est-ce que c'est?

M. DE POURCEAUGNAC.

Je pensois y être régalé comme il faut.

Hé bien?

SBRIGANI.

M. DE POURCEAUGNAC.

Je vous laisse entre les mains de monsieur. Des médecins habillés de noir. Dans une chaise. Tâter le pouls. Comme ainsi soit. Il est fou. Deux gros joufflus. Grands chapeaux. Buon dì, buon dì. Six pantalons. Ta, ra, ta, ta; ta, ra, ta, ta; allegramente, monsu Pourceaugnac. Apothicaire. Lavement. Prenez, monsieur, prenez, prenez. Il est bénin, bénin. C'est pour déterger, pour déterger, déterger. Piglialo sù, signor monsu; piglialo, piglialo, piglialo sù. Jamais je n'ai été si soûl de sottises.

SBRIGANI.

Qu'est-ce que tout cela veut dire?

M. DE POURCEAUGNAC.

Cela veut dire que cet homme-là, avec ses grandes em

brassades, est un fourbe, qui m'a mis dans une maison pour se moquer de moi et me faire une pièce.

Cela est-il possible?

SBRIGANI.

M. DE POURCEAUGNAC.

Sans doute. Ils étoient une douzaine de possédés après mes chausses; et j'ai eu toutes les peines du monde à m'échapper de leurs pattes.

SBRIGANI,

Voyez un peu; les mines sont bien trompeuses! Je l'aurois cru le plus affectionné de vos amis. Voilà un de mes étonnements, comme il est possible qu'il y ait des fourbes comme cela dans le monde.

M. DE POURCEAUGNAC.

Ne sens-je point le lavement? Voyez, je vous prie.

SBRIGANI.

Hé! il y a quelque petite chose qui approche de cela.

M. DE POURCEAUGNAC.

J'ai l'odorat et l'imagination tout remplis de cela; et il me semble toujours que je vois une douzaine de lavements qui me couchent en joue.

SBRIGANI.

Voilà une méchanceté bien grande! et les hommes sont bien traîtres et scélérats!

M. DE POURCEAUGNAC.

Enseignez-moi, de grâce, le logis de monsieur Oronte: je suis bien aise d'y aller tout à l'heure.

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SBRIGANI.

Ah! ah! vous êtes donc de complexion amoureuse; et vous avez ouï parler que ce monsieur Oronte a une fille...

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Ah! c'est une autre chose; je vous demande pardon.

M. DE POURCEAUGNAC.

Qu'est-ce que cela veut dire?

Rien.

SBRIGANI.

M. DE POURCEAUGNAC.

Mais encore?

SBRIGANI.

Rien, vous dis-je. J'ai un peu parlé trop vite.

M. DE POURCEAUGNAC.

Je vous prie de me dire ce qu'il y a là-dessous.

SBRIGANI.

Non, cela n'est pas nécessaire.

MOLIÈRE. 5.

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