VIII Reines de mes pensers, ô Raison! ô Justice! Vous avez déployé vos balances d'acier Pour peser ces esprits d'audace et d'artifice Que le Destin venait enfin d'humilier, Quand son glaive, en coupant le faisceau des intrigues Trancha le nœud gordien des tortueuses ligues Que leurs ongles savaient lier et délier. IX Vous avez dit alors, de votre voix sévère : « Malheur à vos amis, comme à vos alliés, Sophistes qui parlez d'un ton de sermonnaire! Il a croulé, ce sol qui tremblait sous vos pieds. Mais tomber est trop doux pour l'homme à tous funeste; De la punition vous subirez le reste, Corrupteurs! vos délits furent mal expiés. «Maîtres en longs discours à flots intarissables! Vous qui tout enseignez, n'aviez-vous rien appris? Toute démocratie est un désert de sables; Il y fallait bâtir, si vous l'eussiez compris. Ce n'était pas assez d'y dresser quelques tentes Pour un tournoi d'intrigue et de manœuvres lentes Que le souffle de flamme un matin a surpris. XI « Vous avez conservé vos vanités, vos haines, Au fond du grand abîme où vous êtes couchés, Comme les corps trouvés sous les cendres romaines Debout, sous les caveaux de Pompéia cachés, L'œil fixe, lèvre ouverte et la main étendue, Cherchant encor dans l'air leur parole perdue, Et s'évanouissant sitôt qu'ils sont touchés. XII « Partout où vous irez, froids, importants et fourbes, Vous porterez le trouble. En des sentiers étroits Des coalitions suivant les lignes courbes, Traçant de faux devoirs et frappant de vrais droits, Gonflés d'orgueil mondain et d'ambitions folles, Imposant par le poids de vos âpres paroles A l'humble courageux la plus lourde des croix. XIII Peuple et rois ont connu quels conseillers vous êtes, Quand, sous votre ombre, en vain votre prince abrité, Aux murs du grand banquet et des funestes fêtes, Cherchant quelque lumière en votre obscurité, Lut ces mots que nos mains gravèrent sur la pierre, Comme autrefois Cromwell sur sa rouge bannière : Et nunc, reges mundi, nunc intelligite. 24 février 1862. |