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observé, s'électrisait, sans en comprendre le sens, en prononçant le mot archè, APXH. C'était un cri de ralliement, un mot de passe, une espèce de talisman qui éblouissait la multitude, et on répétait en se saluant cette expression qui fut celle d'Alexandre Hypsilantis, ainsi que son titre 2, lorsqu'il passa le Pruth, au delà duquel la victoire l'attendait, si d'autres motifs que la trahison des siens ne l'avaient pas obligé de renoncer à son entreprise. Mais quel était cet archè ou gouvernement ?

Le clergé le voyait dans une théocratie comparable à la république de Platon, et par conséquent impossible à mettre en pratique. Les chefs militaires l'appliquaient à la puissance du glaive qui devait être remis entre les mains du prince que Catherine II avait désigné aux envoyés de la Grèce comme devant être un jour leur monarque; et un démagogue, nommé Antonious, le plaçait dans la souveraineté du peuple.

Le sénat d'Hydra, craignant que la multitude, séduite par ce tribun des carrefours, ne fît main basse sur leurs banques, ordonna de saisir et d'embarquer cet homme mystérieux 3, qui disparut ainsi au milieu des mers qui l'avaient apporté sur les plages de la Grèce. Comme il ne fallait pas risquer que quelques niveleurs entraînassent le peuple dans de fausses résolutions, on décida en même temps de procéder à la formation d'un gouvernement dont le besoin se faisait généralement sentir.

On reçut, en attendant cette déclaration, quelques communications diplomatiques de la part de M. Bradish, agent des États-Unis d'Amérique; mais, il faut le dire à l'honneur des Grecs, qui n'étaient en position d'éconduire personne : soit que les carbonari d'Italie, ou

1 APXH, principe ou archie, terme spécialement appliqué à la monarchie, parce qu'elle a quelque chose d'un ordre supérieur. On dit aristocratie, c'est-à-dire pouvoir des grands; démocratie, pouvoir du peuple; ochlocratie, pouvoir de la lie du peuple, parce qu'il peut y avoir pouvoir partout où il y a force, mais jamais archie sans légitimité.

2 Alexandre Hypsilantis prenait le titre de lieutenant général de l'archie, qu'on a, sans le comprendre, ainsi que les Grecs le définissent, traduit par celui de gouvernement. Cela peut servir à expliquer pourquoi le gouvernement grec a pris le titre de ΠΡΟΣΟΡΙΝΗ, ou provisoire.

* Antonious. Il y a quelque chose de si extraordinaire dans l'apparition de cet homme, qu'il m'est impossible de m'expliquer sur son compte. Il n'est pas temps encore de soulever le voile qui nous cache sa fin tragique.

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les liberales d'Espagne, trouvassent les principes des Hellènes dispa→ rates des leurs; soit qu'ils dédaignassent d'entrer en rapport avec des hommes qui ne combattaient que pour l'autel et la patrie, jamais il n'y eut aucune relation entre les Grecs et les contrées frappées de l'anathème de la Sainte-Alliance.

CHAPITRE V.

Considérations sur la cause des Grecs; ils surprennent un convoi turc. - Mouvements maritimes. - Chypre, événements. — Femme française mariée au pacha de Jérusalem. — Couvent catholique du mont Carmel détruit. Les Anglais favorisent ouvertement les Turcs. Arrivée de leur escadre à Zante; - elle débloque le capitan-bey. — Martyre de l'évêque de Coron, et de Timothée, diacre de Messénie; de sa sœur et d'un jeune enfant. — Victoire des Thermopyles, - Déroute des Turcs. - La flotte turque, Combats partiels devant Patras. pilotée par le bâtiment anglais la Zénobie, attaque et détruit Galaxidi. — Siége de Tripolitza, dirigé par des officiers français. Leurs noms. Mavrocordatos est envoyé en Étolie. — Cantacuzène quitte la Morée. — D. Hypsilantis, trompé, se rend à Calavryta. — Elmas-bey et ses toxides capitulent. — Avidité de plusieurs chefs grecs. Mécontentement de leurs soldats. Bombardement de Tripolitza, Assaut et prise de la ville par les Grecs. Versions diverses à ce sujet. — Doutes relatifs au rapport de M. Vautier. — Dévastations. — Départ des Schypetars; leur attitude menaçante.- Massacre horrible des Turcs et des juifs; — Joseph, évêque d'Andréosa, délivré, prie pour ses ennemis. — Affaires de Zante. Assassinat d'un Anglais. - Émeute, ses conséquences funestes. Allées et venues de la flotte ottomane; elle fait voile vers le Levant.

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Victorieuse ou anéantie, les couronnes de la gloire étaient réservées à la Grèce. Le sang de ses martyrs, les succès éclatants que ses escadres, couvertes du pavillon de la croix, avaient obtenus à Sygrium et à Mycale, avaient porté la terreur parmi les barbares, deux fois battus à l'attaque de Samos, où ils perdirent l'élite de leurs soldats; car c'étaient des Asiatiques de Trébizonde, de Synope et de Cérasonte, qu'on avait embarqués à Constantinople dans la persuasion que les chrétiens ne pourraient pas soutenir la férocité de leurs regards. Les têtes d'un grand nombre tapissaient la plage de Vathi, sur laquelle ils avaient abordé ; et le capitan-pacha, témoin de leur défaite, avait depuis cinglé vers Rhodes. Il y préparait de nouveaux armements; et le bruit, généralement répandu, qu'il se proposait de tirer vengeance des Samiens, lui fournissait des recrues, qui lui arrivaient avec assez de facilité, depuis que les Grecs avaient évacué le poste de Château-Rouge. Il reçut aussi les divers contingents des grands feudataires de la Lycie, qui habitent entre le pro

montoire Sacré et l'embouchure du Calbis. Après cette opération, il mit à la voile, afin de prendre sous son escorte plusieurs vaisseaux, que les agas d'Eski-Hissar, de Mélassos, d'Assem Kalési, d'UphaBaphi, de Kapousch, d'Ortaki, de Guzel Hissar, de Thyrra et d'Akhissar ou Thyatire, avaient chargés de troupes destinées à servir sous ses ordres.

Smyrne, impatiente de se délivrer d'une soldatesque effrénée, qui campait, depuis plusieurs mois, à l'entrée de sa rade, avait de son côté nolisé des vaisseaux, sans s'inquiéter du sort de ceux qu'on y entassait. Malgré le désir qu'on avait de se défaire de semblables hôtes, les préparatifs de l'expédition s'exécutèrent avec une telle lenteur, que cette division navale n'appareilla qu'au moment où des courriers vinrent annoncer l'approche de la flotte ottomane. Les hordes qu'elle devait convoyer sortirent aussitôt du golfe Herméen. Elles étaient escortées par une goëlette et un trabacolo de la marine algérienne, qui n'eurent pas plutôt gagné le large, que les Barbaresques revirèrent de bord, en faisant leurs adieux et des souhaits de bon voyage à ceux qu'ils n'osaient pas se risquer d'accompagner plus loin.

Ils les avaient quittés en vue des Spalmadores; et les bâtiments de transport, trouvant devant eux une mer nette, s'exhalaient en bravades. Un vent propice les poussait; lorsque après avoir doublé le cap septentrional de Chios, ils aperçurent une flottille grecque de douze bricks, qui portait sur eux toutes voiles dehors. Il était également impossible de rétrograder et de gagner le mouillage de Chios. Les Turcs, effrayés de leur position, manœuvrèrent aussitôt vers la terre ferme, dans l'intention de s'y échouer; mais les Grecs, gagnant de vitesse, les suivirent et les attaquèrent, sans leur laisser le temps d'exécuter leur dessein ni de se préparer au combat.

La canonnade commença par pelotons. Les Turcs, ranimés par le courage du désespoir, y répondirent avec vivacité; plusieurs fois même, ils se présentèrent franchement bord à bord avec leurs adversaires, qui, profitant du mouvement de la vague, lorsqu'elle découvrait la carène des vaisseaux ottomans à leur artillerie, y causaient de grands dommages. Enfin, ceux-ci se trouvant, après un engagement de deux heures, dans l'impossibilité de résister, se jetèrent dans leurs embarcations, en mettant le feu aux navires qu'ils abandonnaient. Un grand nombre se noyèrent en cherchant à gagner la terre; les blessés

devinrent la proie des flammes, et les Grecs restés maîtres du champ de bataille, ayant repêché les canons des vaisseaux ennemis, s'en emparèrent, en faisant retentir la plage des cris mille fois répétés de: Victoire à la croix.

Les barbares, qui abordaient en cet instant à la côte d'Asie, n'eurent pas plutôt repris haleine, qu'ils fondirent sur les paysans grecs, occupés aux travaux des champs, et égorgèrent tous ceux qu'ils purent atteindre. Puis, prenant la direction de Scala-Nova, ils entrèrent dans cette ville, pour y signaler leur rage par de nouveaux massacres; et ils seraient retournés à Smyrne, si le capitan-pacha ne se fût empressé de les embarquer.

Cependant sa flotte, enchaînée par la frayeur, divinité non moins puissante et peut-être la même que celle qui retenait l'armée d'Agamemnon au port d'Aulis, restait tranquille spectatrice du désastre de ses convois. En vain les vents propices s'élevaient, quand deux brûlots lancés par les Grecs, le 5 septembre, étant arrivés jusque sous sa poupe, il se décida à appareiller. Le 6, il faisait route vers la Morée ; et les insurgés ayant donné le signal de dispersion, le bruit se répandit à Smyrne qu'ils avaient pris la fuite devant la flotte ottomane; mais il n'en était pas ainsi. Les Turcs naviguant dans un ordre serré, presque toujours beaupré sur poupe, attestèrent que la crainte était de leur côté. Ils agirent avec la même réserve, lorsqu'ils s'approchèrent de Coron et de Modon, qu'ils ravitaillèrent, et jusqu'à Zante, où ils mouillèrent le 14 septembre, à six heures et demie du soir, au nombre de trente-quatre voiles.

Pendant ce temps, les vaisseaux grecs de Psara cinglaient vers Chypre, dans l'intention de secourir leurs frères qui tombaient en détail sous le glaive des Asiatiques. Une affreuse anarchie dévorait cette ile, naguère si paisible. Les firmans obtenus à la sollicitation de la légation de France à Constantinople, afin d'y rétablir l'ordre, n'avaient pas été écoutés; le coupable vizir qu'on devait destituer avait été maintenu dans ses fonctions à l'époque du renouvellement des barats. Les villages étaient déserts; les récoltes se trouvaient abandonnées sur le terrain; les Grecs, réduits au désespoir, allaient être poussés à la révolte; les Turcs indigènes s'exaspéraient; les troupes étrangères attendaient avec impatience le signal ou le prétexte de quelques insurrections, quand la gabare française la Lionne, commandée par le capitaine Ferrand, arriva pour sauver encore une fois Larnaca d'une ruine qui semblait inévitable.

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