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dans le golfe de la Sidre, qui est habitée par des colons turcs originaires de la Macédoine.

La Chersonèse de Pallène, primitivement appelée Phlégré et maintenant Cassandre, se déploie entre les golfes Thermaïque et Toronaïque, que les modernes nomment bogaz de Salonique et de Saint-Mamas, dans une étendue de huit lieues marines, depuis les Portes Cassandriennes jusqu'au promontoire Canastrœum ou Paliouri. L'isthme, que les insurgés avaient coupé par une tranchée de sept cents toises environ, était défendu, en arrière de ce fossé, par le bourg de Pinaca, qui est probablement l'ancienne Potidée.

La position de cette place, située à la base des montagnes qui séparent la presqu'île dans son grand diamètre, en fit de tout temps un point si important, qu'elle fut tour à tour l'objet de l'ambition d'Athènes, de Sparte, de Corinthe et des rois de Macédoine. Les Grecs devaient naturellement en faire un des boulevards de leur indépendance, en liant leurs opérations avec les Madémites employés à l'exploitation des mines de métaux précieux, que la Porte Ottomane, héritière des domaines de Philippe, continue à fouiller avec quelque succès.

Cette race d'hommes durs et belliqueux aurait été l'avant-garde des moines du mont Athos, parmi lesquels il se trouvait une foule de profès qui avaient été pirates et voleurs de grand chemin avant d'endosser la haire en expiation des dérèglements de leur vie. Les Hellènes avaient compté sur cette coopération, sans réfléchir que les pères de la montagne sainte, divisés par d'interminables querelles théologiques, étaient de ces grands esprits de collége, pareils à ceux qui se perdaient en arguties scolastiques quand le canon de Mahomet II battait Constantinople. Les cloîtres, où l'on n'admet pas même de poules dans les basses-cours, tant la chair de ces cénobites appréhende les faiblesses de la tentation, formaient leur univers. La pendaison d'un patriarche était, pour quelques-uns d'eux, une bonne fortune qui donnait l'espoir d'avancer aux hégoumènes, parmi lesquels on choisit le haut clergé; et, pourvu qu'on ne touchât pas à ses revenus, l'égoïsme monacal aurait appris, sans regret, le naufrage complet de la patrie. Les vieillards seuls levèrent les mains au ciel, pour appeler ses bénédictions sur les Hellènes; mais ceux-ci auraient eu plus besoin de l'artillerie des anachorètes, que de leurs vœux, dans les circonstances où ils se trouvaient. Quelques pièces de

canon, dont on aurait dégarni les créneaux de la Sainte-Laure, auraient rendu service aux Palléniens, que la marine grecque s'empressa de secourir dès qu'elle connut leur détresse. Les Psariens leur envoyèrent quelques canons montés sur des affûts de marine, qu'ils reçurent en même temps qu'un renfort de cinq cents Schypetars chrétiens, commandés par le béotarque Diamantis.

Ce noble cœur de lion avait pris terre avec ses palicares à Paliouri, vers la fin du mois de juin, au moment où les événements que j'ai rapportés avaient lieu. Il traversa aussitôt la presqu'île, et il se trouva le 4 juillet à Pinaca, lorsque Jousouf-pacha, qui avait succédé à Achmet-bey dans le commandement de l'armée ottomane, résolut d'attaquer les Portes Cassandriennes. Ses soldats, accoutumés aux succès, se portèrent avec bravoure à l'assaut du fossé, et, deux fois repoussés, ils parvinrent à le franchir dans une troisième charge. Ils marchaient vers Pinaca, lorsque accueillis par une vive fusillade, leur avant-garde retomba sur son centre, et, Diamantis ayant fait un mouvement vers la tranchée qu'ils venaient de passer avec tant d'audace, le cri fatal de sauve qui peut se fit entendre dans leurs rangs. Aussitôt ils se débandèrent, et ils prirent la fuite en laissant sur le terrain cinq cents morts, sept drapeaux et plusieurs caissons remplis de munitions de guerre, qui tombèrent au pouvoir des Grecs.

Malgré ce revers, Jousouf-pacha continua à bloquer l'entrée de la presqu'île de Cassandre. Il avait de l'artillerie de campagne, une cavalerie nombreuse; et les Grecs n'ayant rien de pareil à lui opposer, il savait qu'ils ne pouvaient pas l'attaquer en plaine. Rassuré sur ce point, il crut convenable de se débarrasser des Schypetars, partisans secrets d'Ali Tébélen, qu'on accusait d'avoir crié les premiers sauve. qui peut, et d'entretenir des intelligences avec leurs compatriotes, quoique d'un rit différent, qui se trouvaient à Pinaca. Ils furent licenciés; mais ils n'eurent pas plutôt quitté le camp de Jousouf, qu'ils formèrent une multitude de bandes qui interceptèrent les communications. Il ne fut plus possible d'envoyer des convois par terre, de Salonique au camp d'Agios Mamas, qui en était éloigné de vingt lieues; et comme on ne courait pas de moindres chances par mer, à cause des croiseurs hydriotes, on se trouva dans une position plus embarrassante qu'auparavant.

Ainsi qu'il arrive souvent dans l'adversité, les mauvaises nouvelles se succédaient avec rapidité. Les environs de Serrès étaient infestés de

brigands. Une révolte avait éclaté à Hiérissos et dans une partie du mont Athos, où les paysans grecs s'étaient réfugiés dans la crainte d'être égorgés par les troupes asiatiques dirigées vers l'Épire et la Morée, qui massacraient jusqu'aux populations turques. Enfin, les choses ne se présentaient pas sous un aspect plus favorable du côté de la Romélie.

Au milieu de ces événements, Mahmoud-pacha de Larisse demandait instamment qu'on lui envoyât des renforts. Il avait été battu par Zongos, chef militaire du mont Othryx. Les montagnards du Pélion et de l'Ossa étaient en pleine révolte. Théoclet de Macrinitza, littérateur distingué, appelait les habitants du mont Olympe aux armes ; et s'il parvenait à les soulever, le sort de Salonique n'était pas moins compromis que celui de Larisse, qui perdaient réciproquement leur ligne d'opération par le fait de l'insurrection des villages situés sur le Vardar. Déjà le bey de Catherin, beau-père de Véli-pacha, fils du vieux satrape de Janina, n'était plus qu'un rebelle déguisé, auquel il était impossible de se fier. On avait la preuve qu'il remuait les populations de Vodena, de Verria 2, de Iénidgé, de Naoussa, ainsi que les paysans déjà exaspérés par les brigandages des troupes mahométanes expédiées au secours de Khourchid-pacha.

L'état de la Morée n'était pas plus favorable aux mahométans. Mavrocordatos, parti de Marseille où il s'était embarqué, venait d'arriver à Missolonghi. Il avait vendu ses cachemires au nombre de quarantecinq, pour acheter des armes et de munitions de guerre, qu'il apportait aux Hellènes. Il ne devait pas tarder à être suivi d'une seconde expédition, composée de Constantin Caradjea, qui se trouvait à bord du Pégase, brick commandé par le comte Vitalis, de Zante . II prenait terre le 4 août, en même temps que le général wurtembergeois Normann et une foule d'officiers arrivaient en Morée. Chaque jour on y voyait débarquer quelques zélateurs des Grecs; mais Ma

• Vodéna. Voyez mon Voyage dans la Grèce, tome I, 110, et no 2; tome II, 380 et no 3.

• Verria. Idem., tome I, 110, et no 1, 431, 432; tome V, 412, 414, no 1. * Iénidgé, Idem., tome II, 380, 443, 448, 453, 454.

◄ Naoussa ou Niagousta et Gnaousta. Idem, tome II, 432, 448, et no 1, 354.

• Indépendamment de l'argent laissé par Mavrocordatos, le comte Vitalis qui se rendit à Livourne avec son vaisseau, où il réunit les dons volontaires de ses compatriotes, y chargea des munitions de guerre, des armes et deux canons de campagne, qu'il apporta ensuite à Missolonghi.

vrocordatos était celui qui fixait particulièrement l'attention des Hellènes. Il avait dépassé sa trentième année; plusieurs Péloponésiens l'avaient connu à Constantinople et à Bukarest, lorsqu'il y était employé auprès de l'hospodar Caradjea, son oncle, qui avait recueilli autant de richesses et de malédictions publiques, que son neveu y avait acquis d'honneur par son désintéressement. Une physionomie ouverte, douce et noble, une patience admirable, des manières gracieuses, lui méritaient les suffrages qu'il obtint. Le général Normann, dont la cavalerie trahit la France aux champs de Leipzig, brûlait de réparer cet affront, et ces chefs ne tardèrent pas à occuper un rang distingué.

Navarin, bloqué par Grégoire, évêque de Modon, tenait encore, quand, le 6 août, le Pégase, commandé par M. Vitalis, relâcha dans ce port, où les vaisseaux l'Achille, commandé par le capitaine Nicolas Botadzis, et le brigantin le Pancration, monté par Anastase Colandroutzos de Spetzia, formaient le blocus maritime. L'évêque de Modon, à la vue du Pégase, descend au rivage, portant en main la croix, bénit les généreux enfants de la Grèce qui arrivaient à son secours, en les informant de la détresse des barbares. Cinq cents Turcs épuisés de fatigue et tellement harassés, disait l'évêque (en se servant des paroles d'Ezéchiel), que parmi eux toute tête était devenue chauve et toute épaule pelée, ne pouvaient pas tenir longtemps. Le prélat craignait que les assiégés réduits à capituler ne fussent assassinés par les Grecs, sans que son autorité pût conjurer ce malheur.

Il fallait se garder de justifier les crimes des Turcs par des représailles impies, et le sénat de Calamate rendit un décret tendant à prévenir de pareils désordres. Le vizir d'Égypte, Méhémet-Ali, avait donné, disait-on1, à cet égard, un exemple digne d'être suivi par les Hellènes, en faisant noyer dans le Nil trois Candiotes mahométans qui avaient essayé de troubler l'ordre public en provoquant le massacre des chrétiens. Enfin, il était dans l'intérêt des Grecs d'être humains, afin d'inspirer assez de confiance aux Turcs bloqués dans les forteresses, pour les amener à capituler. Ces raisons déterminèrent l'envoi de Cantacuzène au camp qui se trouvait devant Monembasie, afin de hâter, par sa présence, la soumission de cette place réduite aux abois.

1 Cette assertion, comme on le sait maintenant, était un mensonge officieux du Spectateur Oriental.

Nous avons raconté les commencements de ce siége, improvisé par les Maniates, en disant avec quelle atroce barbarie les Turcs, qui insultèrent à leur lâcheté, transformèrent une milice de poltrons en héros. Les barbares, resserrés dans leur île par Pierre Mavromichalis, après avoir passé par tous les degrés de privations, en mangeant chevaux, ânes, mulets, et leur dernière poignée de blé, que des spéculateurs ne rougirent pas de vendre au prix de cinquante francs la livre, osèrent proférer ce cri, qu'on entendit autrefois dans le cirque de Rome : Date prætium carni humanæ (autorisez la vente de la chair humaine)!

Déjà plusieurs enfants avaient disparu; et le ciel, vengeur des crimes, permit que les Turcs fussent condamnés à chercher leur proie dans la chair de leurs ennemis. Dans les sorties qu'ils faisaient, c'était pour eux un coup de fortune de pouvoir rapporter les cadavres des Grecs qu'ils tuaient, et dont les débris se vendaient jusqu'à trois francs la livre. Cette ressource même ne tarda pas à leur manquer. Réduits à vivre d'algue marine et de la mousse qui croft entre les récifs, en les assaisonnant avec l'huile, qu'ils avaient en abondance; vaincus par la misère et les maladies, ils consentirent à se rendre, le premier août, à Cantacuzène 1. Le traité portait qu'on leur donnerait des vivres pour huit jours, pendant lesquels ils se prépareraient à partir, et qu'on les embarquerait avec leurs effets pour les transporter dans l'Asie mineure. Ils se soumirent à ces conditions qu'ils étaient loin de mériter; et ils les auraient remplies, si un émissaire secret du capitan-pacha ne les avait avertis qu'il était au moment de les secourir.

Ils reprirent les armes; et un cri de fureur éclatant aussitôt dans le camp des Maniates, ces hommes, naguère tremblants au bruit du canon, franchirent le pont qui réunit Monembasie à la terre ferme. Ils arrivèrent à la porte de la citadelle, à laquelle ils mirent le feu, à défaut de haches pour la briser; ils entrèrent dans l'enceinte, et Cantacuzène étant parvenu, malgré leur fureur, à sauver les Turcs, ceux-ci reçurent à genoux la capitulation qu'ils avaient violée, et on les embarqua sur trois vaisseaux spetziotes. Mais on ne put em

1 La première édition portait qu'elle se rendit à D. Hypsilantis, et cela fondé sur ce qu'il était généralissime; mais ce fut Cantacuzène qui agit et traita en son nom, comme lieutenant de ce généralissime.

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