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pêcher les Maniates de faire main basse sur les dépouilles des agas de Monembasie, qui s'éloignèrent nus et affamés d'un pays où leurs ancêtres avaient été conduits par la faim et la soif du pillage, cause immuable de toutes les expéditions guerrières des Tartares depuis Gengiskan jusqu'au dix-neuvième siècle 1.

Ainsi finit le siége de Monembasie, objet de tant de versions différentes. Les Grecs ne pouvaient débarquer les prisonniers sur les terres mahométanes, sans s'exposer à une mort certaine de leur part et de celle de leurs coreligionnaires, comme cela s'était pratiqué après la capitulation de Calaritès, dans le Pinde 2, ils les déposèrent sur un écueil voisin de Samos. Ils y auraient sans doute péri, si M. Bomfort, agent de France à Scala-Nova, ne fût accouru à leur secours avec un bâtiment de commerce, sur lequel il les ramena dans le golfe d'Éphèse, où ils abordèrent le 19 août.

La prise de Monembasie complétant la conquête de la Laconie, car Bardouni, Potamia et Mistra étaient depuis longtemps occupés par les insurgés, les Maniates, satisfaits de leur butin, crurent la guerre terminée. Leur horizon politique ne s'étendait pas au delà de la vallée du Taygète! Nous sommes braves dans nos montagnes, disaient-ils; que les ennemis viennent nous y attaquer!.... Il fallut quelque temps pour les amener à des sentiments de patriotisme plus élevés; et l'éloquence du vénérable évêque d'Hélos put seule les arracher à un égoïsme fatal, en leur persuadant que leur patrie, comme le Dieu qu'ils adoraient, était menacée par un ennemi qui avait juré une guerre d'extermination, non à tel ou tel coin de la Grèce, mais à la Hellade entière.

Sur ces entrefaites Navarin avait capitulé. Les Turcs que l'évêque de Modon, Grégoire, était parvenu à arracher à la fureur du soldat, conduits sur une île déserte, n'avaient pas tardé à y périr de misère. Les détails de ce déplorable événement furent connus dans l'Achaïe, par l'arrivée du Pégase, qui, après avoir débarqué plusieurs philhellènes à Calamate, avait atterré dans le golfe de Patras avec Caradjea qu'il transporta à Missolonghi. Ils espéraient y trouver Mavrocor

Les fusils, les pistolets, les sabres furent enlevés par les Maniates; mais on trouva dans la place quatre-vingt-dix canons, deux mortiers et douze cents barils de poudre à canon.

2 Voyez livre V, ch. 6, de cette histoire.

datos, mais il était déjà rentré dans le Péloponèse pour assister au siége de Tripolitza 1.

Déterminés par les discours du prélat d'Hélos Anthimos, excités par l'exemple de Constance Zacharias, de Krévata, chef des Spartiates, de Képhalas, et de plusieurs autres capitaines, les Maniates se décidèrent à marcher sous les ordres de Pierre Mavromichalis contre Tripolitza. Ils partirent au nombre de dix-huit cents environ, précédés du drapeau de la croix, portant la devise de leurs aïeux H TAN H ED tax, tandis qu'un nombre à peu près égal d'Arcadiens, conduits par Colocotroni et Canélos, prenaient position dans le mont Tricorypha ou Ménale. Ainsi, trois ou quatre mille paysans à peine vêtus, armés de fusils dont les batteries étaient tenues en place avec des cordes, ou de piques qu'ils avaient eux-mêmes fabriquées, osèrent attaquer la capitale du Péloponèse 2. Mais telle était leur confiance et l'espoir qu'ils avaient mis en Dieu, qu'ils bravaient jusqu'à la misère. Nous sommes des kourélias (déguenillés); qu'importe, disaientils, nous nous armerons et nous nous équiperons avec les dépouilles de nos ennemis.

Avec de pareils hommes on peut tout espérer. Le blocus avait commencé vers la fin de mai, à près de trois lieues de distance de Tripolitza, qui renfermait une garnison de plus de quatorze mille hommes, parmi lesquels on comptait beaucoup de cavalerie. Cette accumulation de forces provenait des populations d'Arcadia, de Caritène, de Phanari, de Londari, de Mistra et de tous les lieux où il se trouvait des Turcs, qui avaient monté à cheval au premier signal de l'insurrection parti de Calavryta. Le kiaya-bey, ou lieutenant général de Khourchid-pacha, y avait concentré sa maison militaire, ainsi que les spahis et les timariots des vingt cantons de la province. Arnaout oglou avait également appelé autour de lui ses tenanciers,

1 Pendant son séjour à Manodendri, mouillage éloigné de trois milles de Patras, M. George Vitalis eut le chagrin d'apprendre qu'un convoi de poudre expédié de Livourne, par le sieur Patrinos, pour les Souliotes, avait été séquestré à Corfou en vertu des ordres de Thomas Maitland. Dans sa navigation sur la côte, M. Vitalis qui portait pavillon anglais ayant dû se rendre à bord d'une corvette turque, la trouva pilotée par don Vincenzo Micarelli, chanoine palermitain attaché à la chancellerie du consulat d'Autriche. C'est ce même individu qui est encore aujourd'hui le correspondant du nommé Pilate, éditeur de l'Observateur autrichien.

2 Voyez, Mémoires de M. Vautier, l'un des officiers français qui se trouvaient au siège de Tripolitza, page 63.

ainsi que Kyamil, bey de Corinthe, qui n'avait pu se rapatrier depuis le commencement des troubles; et Elmas-bey, l'Épirote, après avoir dévasté l'Argolide, s'y était jeté avec trois mille Schypetars: de sorte que la population turque de la ville, jointe à ces forces, portait le total des hommes armés au delà de dix-huit mille. Enfin la ville, enceinte de murs garnis de tours, défendue par un château pourvu d'artillerie, renfermait dans son sein les trésors, la force et les espérances des mahométans de toute la Morée.

Quelle était donc la témérité des Grecs, ou quels étaient leurs moyens pour oser approcher d'une place semblable? c'est ce qui ne peut s'expliquer qu'en faisant connaître les localités.

Le plateau de la Tégéatide, à l'extrémité occidentale duquel est située la ville de Tripolitza, sur un renflement de la base du mont Ménale, forme un bassin de coupe irrégulière, entouré de montagnes noirâtres et déboisées. Dans cette circonscription, son plus grand diamètre, pris du N. N. O. au S. E., est de six lieues, sur trois de rayon d'occident en orient, jusqu'à l'entrée du Trochos où Kaki Scala, chemin taillé en spirale, par lequel on descend dans la vallée qui aboutit à Lerne. A l'orient d'hiver s'ouvre le défilé de la Laconie; au midi, celui de la Messénie par Londari ; à l'occident, le sentier de Caritène; et, dans la partie du nord-ouest, le tracé de route qui conduit par Mantinée, aujourd'hui Milias, et par Vitinis, en remontant la vallée du Ladon, à Calavryta. C'est dans cet encadrement que se trouve Tripolitza, qui reçoit ses eaux courantes de la source de Perdico Vrisi, située au midi, d'où elles sont conduites à la ville par un souterrazi ou aqueduc sans arcades, de construction antique.

Maîtres des hauteurs où ils étaient embusqués, les Grecs, trop prudents pour s'avancer en plaine, laissèrent vaguer les barbares à travers les campagnes de la Tégéatide qu'ils eurent bientôt épuisées avec la nombreuse cavalerie et les bouches inutiles qu'ils avaient à nourrir. Les Grecs s'avançaient, pendant ce temps, méthodiquement; et, à mesure qu'ils recevaient des renforts, ils s'emparaient successivement des défilés où ils se retranchaient de sorte qu'ils les occupaient tous à l'exception du Trochos, quand D. Hypsilantis arriva à l'armée de blocus de Tripolitza 1, où sa présence, qui excita d'abord

'Parti d'Hydra, il vint débarquer à Astros. Le second jour, il arriva à Vervena, où il refusa le titre de président parce qu'il ne lui fut offert que par la gérousie ou sénat

l'enthousiasme, ne tarda pas, comme on le dira, à amener la discorde. Ce chef, sans être dépourvu de quelques connaissances, n'avait rien de ce qu'il faut pour parler aux yeux d'un peuple à demi barbare. Quoique à peine âgé de vingt-huit ans, une tête entièrement chauve, quelques rides, une voix grêle et nasillarde, lui donnaient l'aspect d'un homme de quarante ans. Petit, maigre, gêné dans ses manières, embarrassé dans sa pose, tout disait que ce n'était pas un soldat, quoiqu'il eût fait la campagne de 1814, avec le grade de capitaine de hussards, attaché à l'état-major général de l'armée russe. Du reste, il était loyal et bien élevé, mais ces qualités ne pouvaient guère être appréciées dans sa position, rendue tout à fait fausse par le titre de délégué et de plénipotentiaire de son frère Alexandre, sur lequel les chefs des insurgés concevaient des arrière-pensées contraires sans doute à sa probité. Enfin, pour comble de disgrâce, Hypsilantis n'était entouré que d'intrigants accourus à sa suite des bords du Danube, qui, n'étant mus que par un intérêt aveugle et frappés de la conscience de leur nullité, ne cherchaient qu'à éloigner de lui tous les hommes capables de l'éclairer et de le seconder efficacement 1.

Les choses étaient dans cet état à la fin du mois de juin, au centre du Péloponèse. Constance Zacharias, et quelques chefs de Soulima s'étaient chargés d'observer les places de Coron et de Modon, de manière à disputer à leurs garnisons les ressources qu'elles pourraient tirer des campagnes, lorsque les insurgés de l'Achaïe reparurent au monastère d'Omblos, situé dans le mont Panachaïcos, d'où l'on découvre la plaine de Patras.

Les fièvres et les dissanteries, qui avilissent le courage du soldat accoutumé à braver la mort, livraient, dans cette ville, une guerre cruelle aux Turcs, sans leur faire perdre leur férocité. « On ne brûle > plus rien, écrivait un témoin oculaire, parce qu'il n'y a plus rien » à brûler, mais la misère et l'effroi sont au comble, sur cette terre » de larmes que Dieu semble avoir abandonnée sans retour. Treize

de la Cynurie qui n'était composé que de dix membres. Il leur développa cependant ses prétentions, mais ceux-ci répondirent qu'il acceptât leurs lois, ou qu'il allât où bon lui semblait.

1 II feignit de songer, après l'accueil qu'on lui fit à Vervena, à se rendre en Romélie ; quand les chefs qui commandaient devant Tripolitza l'invitèrent à prendre le commandement du blocus, en qualité d'archistratarque.

2 Correspondance particulière de M. H. Pouqueville.

>> Grecs, sauvés de la mort à prix d'argent, qui vivaient depuis deux > mois dans le consulat de France, ayant obtenu la liberté de retour

ner dans leur village, sont sortis de cet asile, munis d'un reis >> boiourdi de Jousouf-pacha. A peine éloignés d'un tir de pistolet, » les Turcs les saisissent. Les hommes, au nombre de trois, ont » aussitôt la tête tranchée, tandis que les femmes et les enfants, » livrés à la brutalité du soldat, sont traînés au château et déclarés » esclaves, malgré le sauf-conduit qui leur assurait la liberté. Pai>>sibles ou révoltés, graciés ou proscrits, voilà le sort réservé à tous » les chrétiens de la Grèce; l'ordre cruel est parti de Constan» tinople. >>

Au milieu de ce conflit, Khourchid-pacha, qui continuait le siége des châteaux de Janina, n'avait pas renoncé à l'espérance de comprimer l'insurrection de l'Acarnanie. Parvenu à secourir Arta, et à y établir Hassan-pacha, l'un de ses lieutenants, il résolut de faire un mouvement pour reprendre les châteaux de Playa et du Téké, que les Grecs occupaient depuis plus de deux mois. Maître du poste des Cinq-Puits, et par conséquent de la grande route qui conduit de Janina au golfe Ambracique, il fit partir son sélictar avec trois mille hommes. Il avait ordre de prendre à l'Arta un égal nombre de soldats, qui contourneraient le golfe pour se réunir, près d'Actium, à une division sortie de Prévésa, afin de se porter contre les châteaux. On savait qu'ils étaient mal approvisionnés, car les commandants de sa hautesse, qui se les étaient laissé enlever, en avaient, au préalable, vendu la poudre et les boulets aux insurgés de Patras; et, depuis ce temps, les Grecs, non moins imprévoyants, en avaient enlevé l'artillerie. Khourchid pouvait donc se flatter d'un succès qui, tout insignifiant qu'il était, n'en ferait pas moins de bruit à Constantinople. Ce serait une sorte de compensation à la perte de Malvoisie et de Navarin, quoiqu'il n'y eût aucune parité entre deux espèces de moulins à vent ridiculement bastionnés, et ces places qui sont classées au nombre des villes de guerre de l'empire.

L'expédition venait de recevoir un commencement d'exécution, lorsque le sélictar de Khourchid-pacha, qui s'était mis en route de nuit, fut aperçu le 15 juillet, auprès du village de Comboti1, par les avant-postes grecs. Il ne pouvait reculer; et le combat s'étant

Comboti. Voyez tome II de mon Voyage dans la Grèce, pages 125 et 139.

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