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» pire. Mais, tout au contraire, le patriarche, chef visible de la » nation, était en même temps le chef secret du complot. C'est » ainsi qu'à Calavryta, bourg de la Morée, lieu de sa naissance, et >> daus d'autres endroits, où il a publié ses anathèmes, les raïas furent >> les premiers à se soulever et à tuer nombre de musulmans 1.

La Sublime Porte a acquis la certitude que le patriarche a pris »une part active au complot, et que l'insurrection des raïas de Cala» vryta était son ouvrage, aussi bien que celui d'autres instigateurs, » d'abord par les écrits qui lui sont tombés entre les mains, ensuite » par la déclaration authentique de plusieurs individus de la nation > grecque, restés fidèles à leur devoir 2. Or, tout gouvernement a » le droit d'arrêter et de punir sans miséricorde de pareils malfai>>teurs; car, en fait de rébellion, on ne doit absolument distinguer >> ni rit, ni condition; et c'est pourquoi la Sublime Porte, après » avoir acquis la conviction de la culpabilité du patriarche et de ses » partisans, a déposé le premier; et afin que ce poste ne restât pas >> vacant, elle lui a donné un successeur. Ayant ainsi dépouillé le >> patriarche de sa dignité, et l'ayant réduit à la qualité de simple » prêtre, on lui a fait subir la peine capitale pour en faire un >> exemple, sans attacher aucune importance particulière au temps » et à l'heure de son exécution 3, sans prétendre vilipender la religion » chrétienne.

» Le traité de Kaïnardgi stipule, en effet, que la religion chré>> tienne sera protégée; mais la religion est une chose, et le crime en » est une autre. Les Grecs innocents jouissent de la plus grande >> tranquillité; et si elle a été un moment interrompue sur quelques

Le patriarche Grégoire est né à Dimitzana, et non pas à Calavryta; mais le sultan ne sait pas plus ce que c'est que l'une ou l'autre de ces villes, que ce qui se passe dans le restant de son empire. Au demeurant, il y a autant de mensonges que de mots dans toute cette partie de la note turque.

2 Il fallait produire ces pièces, citer ces témoignages; mais on n'a fait le procès à personne ; et le patriarche ayant été condamné sans être jugé, son supplice est un

assassinat.

Le patriarche a été pendu comme patriarche, vêtu de ses habits pontificaux, après la célébration des saints mystères, le jour de Pâques, à la porte de son église en haine de sa religion, parce qu'elle était celle des Russes; ainsi il y a eu intention de vilipender le christianisme. Son cadavre a été traîné par les juifs à travers les rues de Constantinople. Mahmoud II s'est transporté à Alaï kiosque pour le voir passer sous ses fenêtres, et il n'y a rien de plus lâche en cela que la dénégation employée pour s'excuser d'une pareille atrocité.

>> points, elle ne tardera pas à renaître, d'après les mesures efficaces >> que la Sublime Porte se propose de prendre 1.

>> Au reste, les annales de l'empire ottoman présentent d'autres >> exemples de patriarches qui ont subi la peine capitale, et il ne sera >> pas hors de propos de faire observer que la Sublime Porte n'ignore >> point que, sous le règne de Pierre Ir, czar de Russie, le patriarche >> russe a été mis à mort pour les crimes dont il s'était rendu cou» pable; que même, à cette occasion, la dignité patriarcale fut en>> tièrement supprimée dans l'empire 2. »

Passant ensuite à l'examen de la note de l'ambassadeur de Russie, la Porte continuant à s'enfoncer dans le dédale des dénégations et des récriminations les plus intempestives, terminait son élucubration politique, en demandant que l'empereur Alexandre consentît à l'extradition des transfuges qui avaient trouvé asile dans ses États. Il lui fallait encore du sang! Cette réponse à l'ultimatum de Pétersbourg portait la date des derniers jours de la lune de schelval, l'an 1238 de l'hégire. Elle fut communiquée successivement au comte de Lutzof internonce d'Autriche, que M. de Strogonof avait laissé chargé des intérêts de son gouvernement, et à M. le vicomte de Viella chargé d'affaires de France. Son contenu prouve, qu'indépendamment des raisons majeures qui empêchèrent le baron de Strogonof de la recevoir, un ambassadeur de Russie n'en aurait pas eu plutôt pris communication, qu'il l'aurait renvoyée au lieu d'où elle était émanée.

Pendant que ces répliques fallacieuses se fabriquaient dans les offices du sultan par les soins de quelques diplomates étrangers, le baron de Strogonof abordait aux rivages d'Odessa. On venait d'y célébrer les funérailles du martyr Grégoire, patriarche œcuménique de Constantinople, pour lequel la diplomatie de son maître ne témoignait qu'une froide commisération, comme on a pu le remarquer dans la note que nous avons rapportée.

Les marins du capitaine Nicoletto Schiavo de Céphalonie, qui avaient suivi de loin les traces que le cadavre de la victime laissait imprimées

1 Il est probable qu'elle délibère encore; mais en attendant, les Grecs ont déjà appris aux Turcs à devenir plus modérés qu'ils ne l'étaient.

Justifier un crime par l'exemple d'un autre crime, et une barbarie sacrilége récente par une autre barbarie, quelle manière de répondre ? Cependant nous ne eraignons pas d'affirmer, en ce qui concerne l'insulte faite ici à la Russie, que cette partie de la réplique n'est pas d'invention turque.

dans la fange, avaient remarqué l'endroit où on l'avait jeté à la mer, et étaient parvenus à le retrouver. Ils le déposèrent d'abord sous le hangar d'un pauvre pêcheur grec, chez qui plusieurs personnages pieux se rassemblaient chaque nuit, pour rendre les devoirs de la sépulture aux corps des chrétiens que les vagues de la Propontide rejetaient sur la plage. Les restes du saint, purgés de toute souillure par les flots, étaient parfaitement conservés, et la strangulation qui avait coloré son visage, donnait à ses traits un caractère de majesté extraordinaire.

Un diacre, assisté du vénérable archimandrite D. Païsios, qui s'était réfugié sur le vaisseau de Nicoletto Schiavo 1, plaça sur la tête du patriarche la couronne de térébinthe, réservée aux martyrs. On parfuma sa barbe avec la vapeur odorante de l'aloès. On oignit ses membres d'essences précieuses, et ses pieds furent baignés des larmes du petit nombre de ceux qui les baisèrent en prononçant le dernier adieu usité dans la cérémonie de l'aspasmos. Le corps revêtu du costume des religieux de l'ordre de saint Basile, sous lequel Grégoire, anachorète au sein des grandeurs, avait demandé depuis longtemps à être enterré, fut renfermé dans un cercueil, auquel on donna extérieurement la forme d'un ballot de marchandises. On l'embarqua sur un navire fin voilier portant pavillon anglais, qui transporta la dépouille mortelle du juste aux rivages de ce Pont moins célèbre désormais par les larmes d'Ovide, que par le tombeau d'un pauvre Arcadien du mont Ménale. Ainsi furent dérobées aux descendants des Scythes caucasiens, qui ne furent connus dans l'antiquité que par le rôle de bourreaux qu'ils remplissaient à Athènes, les tristes reliques du patriarche orthodoxe et œcuménique de Constantinople.

Elles arrivèrent à Odessa, dans les premiers jours du mois de mai, sous la garde de quelques ecclésiastiques échappés aux massacres. Les autorités russes les reçurent avec respect; elles furent déposées au lazaret, et on écrivit à Pétersbourg, afin de prendre les ordres de l'empereur Alexandre, qui prescrivit les honneurs qu'on devait rendre à la mémoire du chef de la communion orthodoxe. Le 18 juin, correspondant au 2 juillet 1821, fut en conséquence fixé pour la céré

' Ces détails m'ont été donnés et confirmés au mois de mai 1824, par D. Païsios, à son passage par Paris, lorsqu'il se rendait à Londres.

3 Aspasmos, embrassement, cérémonie usitée dans les funérailles des chrétiens grecs.

monie funèbre de Grégoire '; le lendemain on procéda à l'inhumation des restes mortels du martyr.

Ce jour destiné au triomphe de la religion, le comte de Langeron gouverneur d'Odessa, les autorités civiles et militaires, et une foule de peuple, s'étant rendus à l'église de la Transfiguration, Constantin,

Cette pompe funèbre se trouve raconté en ces termes dans la Gazette de Pétersbourg, 11 septembre 1821.

Cérémonial observé à l'enterrement du patriarche Grégoire, assassiné le jour de Pâques à Constantinople, relation publiée par ordre du gouvernement russe.

Le vendredi 17 juin 1821 (v. s.), de grand matin, le chevalier Féofil, professeur de théologie au lycée Richelieu, et archimandrite, se rendit à la maison de quarantaine, dans la tour de laquelle reposait le corps du saint patriarche, et fit, à l'aide de l'inspecteur de quarantaine, les préparatifs nécessaires pour le convoi. Le corps, qui était dans le meilleur état, et qui, deux jours auparavant, avait été déposé dans un nouveau cercueil, fut retiré de la tour, à cause du peu d'espace, et placé dans la cour du lazaret, sous un dais et sur une estrade préparés à cet effet. A huit heures, tout étant prêt pour le convoi, on commença à sonner les cloches de la cathédrale de Preobrascheuski (Transfiguration) et des autres églises gréco-russes d'Odessa. Le clergé, ainsi que plusieurs officiers civils et militaires invités par S. E. le comte Alexandre Théodorowitz Langeron, se réunirent dans le lazaret. Un peu avant sept heures, le comte de Langeron y arriva lui-même, et au bout de quelques instants, au son de toutes les cloches, se présentèrent aussi LL. EE. les archevêques métropolitains de Sylistrie, Grégoire, métropolitain de Hiéropolis, Démétrius, évêque de Bender et d'Ackermawrs.

Après que le petit office des morts eut été chanté par LL. EE. pour le patriarche, le corps fut porté par les prêtres, au son des cloches et au bruit du canon de tous les vaisseaux et de la garde des incendies, sur le corbillard placé sous le dais, pendant que la sainte liturgie commençait à se chanter dans la cathédale de Préobrascheuski, où le corps devait être transféré.

Le cortége eut lieu dans l'ordre suivant : il s'ouvrit par la grande croix, au devant de laquelle deux chantres portaient des lanternes allumées. Puis venaient les bannières de toutes les églises gréco-russes sur deux rangs; ensuite quatre diacres portaient la couverture de la bière. Derrière eux, et à quelque distance, un chantre portait la crosse archiepiscopale, et d'autres chantres portaient également, sur deux coussins cramoisis, le manteau et la croix, avec le portrait de J.-C. Venaient ensuite les choristes, et un chantre avec un grand cierge sur son flambeau. Le clergé suivait ceux-ci deux à deux. Enfin venaient les archevêques, devant qui deux diacres portaient les flambeaux à trois et à deux cierges, et qui étaient suivis d'un premier diacre et d'un diacre avec des encensoirs. Derrière LL. EE., et à quelque distance, suivait le corbillard avec le corps du patriarche; quatre diacres marchaient aux coins avec des encensoirs. Six prêtres soutenaient le dais, et douze habitants de distinction portaient des deux côtés des cierges allumés. A côté des chevaux, qui étaient couverts de housses noires, marchaient six hommes vêtus de deuil avec des

prêtre économe de la métropole de Constantinople prononça l'oraison funèbre du patriarche.

Le texte de son discours roulait sur cette sentence de la sagesse divine: Il fut honoré parmi les siens, et sa gloire sera éternelle!

L'historien regrette que sa tâche ne lui permette pas de rapporter

torches, et six autres devant la voiture. Le cortége était fermé par le comte de Langeron, qui suivait le convoi avec les employés civils et militaires.

Le convoi s'arrêta en trois endroits différents pour lire l'Évangile et la messe des morts: 1° à l'entrée de la ville, où le métropolitain de Hiéropolis, Grégoire, lut l'Évangile; 2o entre l'école grecque et le lycée Richelieu, où l'Évangile fut lu par l'évêque de Bender et d'Ackermawrs; 3o non loin de la cathédrale, derrière le corps de garde, où l'Évangile fut lu par l'archimandrite Féofil. Quand le convoi passa devant le corps de garde, les musiciens jouèrent une marche lugubre, ainsi qu'il est d'usage dans de pareilles cérémonies. Des gendarmes et des Cosaques avaient été rangés en haie des deux côtés des rues par lesquelles le convoi défila, et où une foule de personnes de différentes religions étaient rassemblées.

Le corps, porté dans la cathédrale pendant que le protohiéros et deux prêtres de cette église chantaient la liturgie, fut placé avec le dais sur un catafalque élevé de quatre marches, et autour duquel brûlaient douze cierges. Devant le catafalque on plaça sur des tabourets les coussins avec le manteau et la croix archiepiscopale. Jusqu'à ce que la liturgie fût terminée, les diacres qui étaient aux quatre coins du catafalque, ne cessèrent pas d'encenser. Après la liturgie, LL. EE. et le reste du clergé célébrèrent l'office des morts; après quoi l'Évangile fut lu devant le corps. On continua de faire lire alternativement des évangiles par des prêtres et des diacres, tant le jour que la nuit, jusqu'à l'enterrement, qui eut lieu le troisième jour, 19 juin.

Le matin de ce jour, à huit heures, on commença à sonner les cloches de la cathédrale, ce qui continua pendant une heure. Vers neuf heures, deux archimandrites en manteau se rendirent, avec le reste du clergé et des choristes, dans la maison habitée par S. E. l'évêque de Bender et d'Ackermawrs, Démétrius, etc., qui se portèrent à la cathédrale au son des cloches. A leur entrée, on commença la liturgie. Dès qu'elle fut finie, tout le clergé de la ville et celui des divers autres lieux de l'éparchie de Kichenof, qui s'y étaient rendus à cette occasion, célébrèrent ensemble l'office des morts; après quoi le patriarche prédicateur et économe, Constantin, de Constantinople, prononça l'oraison funèbre en grec.

L'office terminé, le corps fut enlevé dans le même ordre qu'il était sorti du lazaret, et au son de toutes les cloches. l'Évangile fut lu en quatre endroits, et le corps, ainsi transporté dans l'église grecque, où le petit office des morts fut chanté, fut placé dans le caveau préparé dans l'église même, au nord de l'autel. Le troisième jour après l'enterrement, S. E. l'évêque de Bender et d'Ackermawrs, Démétrius, chanta dans cette église une messe pour le défunt, après quoi une messe des morts fut lue sur le tombeau du patriarche d'heureuse mémoire.

C'est ainsi que, par les ordres du très-pieux autocrate de toutes les Russies, Alexandre Ier, les derniers devoirs sacrés de la foi et de la charité chrétienne furent rendus à Grégoire, saint patriarche de l'église orthodoxe grecque, qui a souffert le martyre.

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