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inutiles, et il ne manqua que des gazettes pour solenniser ces sortes d'allées et de venues. Cette confusion durait depuis plus de trois semaines, quand on apprit que le satrape épirote, qui avait profité du temps des conférences pour remplacer les approvisionnements que l'incendie lui avait fait perdre, en achetant secrètement, du kiaïa de Moustaï-pacha de Scodra, une partie des vivres que celui-ci avait apportés au camp impérial, avait rejeté l'ultimatum de la Porte Ot

tomane.

Le conciliabule entre Ali et Khourchid avait roulé sur les bases que nous avons rapportées précédemment, en parlant de l'armistice proposé au pacha dès le mois de janvier. On lui offrait de nouveau une amnistie, à condition qu'il « remettrait les châteaux de Janina, qu'il payerait les frais de la guerre et qu'il se retirerait au fond de l'Asie mineure pour y vivre dans une condition privée, sans autre garantie de ces concessions que la clémence du sultan. » Les contrepropositions du vizir Ali, qui était aussi invariable dans sa haine que dans ses résolutions, portaient : « qu'avant toutes choses Ismaël Pachô-bey, son ancien domestique, coupable de perfidie à son égard, serait pendu pour le bon exemple; il consentait ensuite à payer une somme déterminée pour les frais de la guerre, à condition que l'armée impériale sortirait de l'Épire, et qu'on lui laisserait à vie le gouvernement de cette province; enfin il s'engageait à réprimer à ses dépens l'insurrection des provinces qui s'étendent depuis le golfe Ambracique jusqu'aux Thermopyles. Il donnait pour gages de sa foi ses fils et leurs familles qui étaient prisonniers du sultan. On ne put s'accorder; et Khalet-effendi insistant sur la soumission sans garantie, avec la clause du pardon sous le bon plaisir de sa hautesse, Ali, qui comprenait trop bien le sens de cette phrase, pour y soumettre le destin de sa tête, déclara qu'il remettait la décision de ses affaires au sort des armes.

Il n'avait jamais eu d'autre espérance; et les troubles de la moyenne Albanie, qui éclatèrent au moment de la rupture de ces négociations, prouvèrent qu'il ne s'était pas abusé un seul instant sur l'issue qu'elles devaient avoir.

Les Toxides du Musaché 1, que ses émissaires avaient soulevés, ve

'Musaché, province. Voyez mon Voyage dans la Grèce, tome 1, tome II, tome III et tome V, dans la table des matières.

naient de s'emparer du château de Tébélen, qu'il avait fait bâtir après l'incendie qui consuma son palais en 1818. Ils adressèrent aussitôt un appel aux peuplades guerrières de l'Acrocéraune, du mont Ismaros et du Mertchika. On vit, en conséquence, les tribus des. Mali-Scruèles, ou Têtes-Nues, de l'Argénik, de Ducatès; les Londgiarides de Cormovo et de Lécli; les Abantes de la Suchista, les peuplades de l'Arborie 8, accourus à cet appel national, se ranger sous les drapeaux de leurs agas mahométans, afin de marcher contre l'armée turque. Chrétiens et mahométans, redevenus Épirotes et frères, rivalisaient de zèle et ne connaissaient plus qu'un ennemi ; c'était l'Osmanli! A leur approche le canton entier de Pogoniani 9, qui n'est habité que par des Grecs, s'insurgea en leur faveur, de sorte qu'ils arrivèrent au nombre de six mille hommes à Dzidza, village éloigné de quatre lieues de Janina. Au même instant, Ismaël Podèz, sélictar du vizir Ali, s'emparait du pont d'Ostanitza, sur l'Aous, avec quinze cents hommes, de façon que toutes les communications avec la moyenne Albanie se trouvèrent simultanément interceptées.

Le vizir Ali-pacha, qui avait conçu un pareil plan, aurait pu se flatter d'être délivré, s'il avait été exécuté concurremment avec les attaques de Marc Botzaris, dont on a rendu compte. Khourchidpacha, cerné dans ses retranchements, privé de communications, aurait été taillé en pièces, ou réduit à tendre des mains suppliantes à son ennemi. Mais les Schypetars arrivaient au moment où le sérasquier venait de recevoir un renfort des troupes sorties de la haute Albanie, ainsi qu'une foule de contingents qui portaient son armée à trente-quatre mille hommes d'infanterie et à plus de dix mille hommes de cavalerie. Il eût été téméraire non-seulement de l'attaquer alors dans ses lignes, mais d'oser descendre dans le vallon de Janina, à cause de sa cavalerie, qui battait la plaine avec une telle supériorité de moyens, que les Souliotes dûrent regagner précipitamment les montagnes.

' Ismaros ou Tomoros. Voyez mon Voyage dans la Grèce, dans la table.

7 Mertchika. Ibid.

* Malí Scruèles. Ibid., tome I, page 232.

• Argénik. Ibid., tome I, pages 232, 279, 352; tome II, page 247.

• Ducatès. Ibid., dans la table des matières.

• Londgiarides. Ibid., tome I, pages 346, 349, 363, 419.

↑ Abantes. Ibid., dans la table.

• Arborie, ancienne Abantide. Ibid.

• Pogoniani ou Palæo Pogoni. Ibid.

On fit cependant quelques tentatives. Il y eut des escarmouches; mais, ainsi qu'il arrive à toutes les levées en masse, qui ne sont bonnes que pour un coup de main, les tribus barbares, accourues avec enthousiasme, manquant bientôt de vivres, regagnèrent peu à peu leurs pays, et se dispersèrent en pillant les villages chrétiens qui s'étaient unis à leur parti. Elles avaient vu de loin la fumée des bivacs de Khourchid-pacha; et, fières de ne pas avoir été battues, elles publièrent que l'ennemi n'avait osé les attaquer. Il n'en fut pas ainsi des Grecs du canton de Pogoniani. Compromis dès l'instant qu'ils s'étaient insurgés, il ne leur restait d'autre parti à prendre que celui de combattre. Ainsi, ils durent se joindre aux Souliotes; et comme ceux-ci étaient sur le point d'être attaqués, ce secours leur arriva à propos.

Khourchid-pacha, qui avait vu se dissiper les levées insurrectionnelles des montagnards de l'Épire, au lieu d'employer la totalité de ses forces contre Ali-pacha, résolut de combattre les Souliotes qui défendaient les positions de Placa des Cinq-Puits et de Variadès, où Marc Botzaris s'était contenté de laisser des postes d'observation depuis l'arrivée des renforts au camp impérial. Son intention était de faire attaquer ces trois points isolés, de manière à ce qu'ils ne pussent se secourir ; et le 21 août il détacha trois colonnes, dont chacune était composée de deux mille hommes. Celles qui étaient destinées contre Variadès et les Cinq-Puits avaient ordre d'amuser l'ennemi, tandis que l'effort principal aurait lieu contre Placa. Dès qu'on aurait débusqué les Grecs de ce poste, on devait les poursuivre jusqu'aux CinqPuits, tandis que les deux autres divisions fondraient sur Variadès, de façon qu'après s'en être emparé, on manœuvrerait avec six mille hommes contre la dernière station des insurgés, qui interceptait les communications entre Janina et l'Arta.

Ce plan, aussi spécieux que mal combiné, étant parvenu à la connaissance des Souliotes, ils résolurent de prendre l'offensive; et les Turcs, qui n'avaient compté que sur la victoire, auraient été exterminés, si les chrétiens, qui les attaquèrent au kan de Saint-Dimitri, manquant de munitions, n'avaient pas été obligés de ménager leur feu. Cependant ils les menèrent battant jusqu'à l'entrée de la plaine de Janina, dans laquelle ils n'osèrent entrer, lorsqu'ils virent la cavalerie turque se déployer. Khourchid-pacha la conduisait en personne, avec une partie de son armée; de sorte que les Hellènes, au nombre de quatre mille, se retirèrent, sans dépouiller les morts, dont les gi

bernes bien approvisionnées leur auraient fourni des cartouches. Ainsi leur échappa le fruit de la victoire qu'ils avaient obtenue; et le défaut de provisions, joint aux fatigues d'une guerre continuelle, les contraignit à regagner la Selléide.

Khourchid, aussi persévérant que ses ennemis étaient infatigables, n'eut pas plutôt appris leur retraite, qu'il songea à Hassan-pacha, qui commandait à l'Arta. Il décida de le relever de son poste, en lui substituant Ismaël Pacho-bey, auquel il donna six cents tchoadars avec une escorte de cavalerie, qui eut ordre de couvrir sa marche jusqu'au delà des Cinq-Puits. Ils partirent ainsi dans la persuasion de franchir ce passage; mais, arrivés à la tranchée des montagnes de la Parorée, les Souliotes, quoique en petit nombre, les ayant attaqués, ils furent repoussés avec perte. Cependant Ismaël, qui connaissait le pays, ayant fait fausse route, après avoir congédié la cavalerie, parvint à dérober sa marche à l'ennemi, et à gagner Arta, où il arriva le 31 août. Il y remplaça Hassan-pacha, qui partit immédiatement avec mille hommes pour remonter à Janina.

Il se flattait de faire la route heureusement, en se contentant d'éviter l'approche des Cinq-Puits. Ismaël lui avait tracé le chemin qu'il devait tenir, lui avait même donné des guides, et ces précautions le rassurèrent au point de marcher sans se faire précéder par des éclaireurs. Il s'avançait ainsi, plein de cette confiance ordinaire aux barbares, lorsque, engagé dans le pas de Coumchadèz, il fut subitement attaqué par les Grecs. Marc Botzaris, qui s'y trouvait avec cinq cents hommes, l'assaillit avec une telle impétuosité, qu'il lui tua la moitié de son monde, prit sa caisse militaire, ses drapeaux et le força de rentrer précipitamment dans la ville, qu'il venait à peine de quitter.

Tel était le flot mobile des événements qui agitaient pire, théâtre ensanglanté, sur lequel la lutte des chrétiens contre leurs oppresseurs avait pris naissance; car il faut rapporter le principe de la commotion au vizir Ali-pacha. L'étincelle de ce vaste incendie était partie du château de Janina, quand le satrape révéla aux Grecs les projets formés contre leur existence par le fanatisme de la Porte Ottomane. Il avait cru, par ce moyen, les armer en sa faveur; mais quand il connut la tournure que les affaires avaient prise en Morée et dans l'Archipel, il maudit la révolution qu'il avait excitée; car, s'il sentait qu'il courait à sa perte en traitant avec son gouvernement, il

comprenait également qu'il n'était plus, entre les mains des Hellènes, qu'un agent de leur émancipation.

Cependant, en envisageant cet avenir, il s'était encore flatté de le dominer. C'est pourquoi il avait proposé à Khourchid de devenir le glaive destructeur de la révolte. Il ne découvrait encore parmi les Grecs que des ambitions sans patriotisme; il pouvait acheter les chefs qui ne voyaient dans leur succès qu'un moyen de se vendre, s'ils avaient trouvé sûreté à traiter. Ainsi on en serait venu à ce que Tahir Abas avait déclaré dans le congrès de Missolonghi. Les Hyscos, les Gogos, Colocotroni, auraient été traités sur un pied d'égalité parfaite avec les agas; il les aurait contenus les uns par les autres, et c'en était fait de l'affranchissement des Hellènes. Aussi les insurgés dirent, et ont souvent répété depuis qu'ils n'eurent jamais de meilleur auxiliaire que le sultan et son ministre khalet-effendi, qui s'obstinèrent à repousser les propositions d'Ali-pacha.

La fortune, qui avait commencé à sourire à Khourchid, venait de lui accorder de nouvelles faveurs, en renforçant son armée jusqu'à quarante mille hommes; ce qui lui permit de fait passer les contingents tirés de la Romélie sous les drapeaux de ses lieutenants. Ainsi, au commencement de septembre, il parvint à reprendre le caravansérai des Cinq-Puits, et à refouler entièrement les Souliotes dans leurs montagnes. Peu de jours après, il débloqua Arta, rétablit ses communications avec Prévésa, et chassa les Acrocérauniens, qui tenaient quelques corps d'observation aux environs d'Argyro-Castron. Enfin, les orages ne se dissipent pas avec plus de rapidité devant le souffle de l'aquilon, que ne le firent ces bandes qui entouraient naguère le camp du généralissime des mahométans. Khourchid, libre sur tous les points, prit à sa solde le paquebot de Barthold, chancelier du consulat de S. M. B. à Patras, qui avait été jusqu'alors à la disposition de Jousouf-pacha, pour porter et rapporter sa correspondance.

Non content de tolérer cet abus, le gouvernement des îles Ioniennes permit à une compagnie d'agioteurs de s'établir à poste fixe à Zante, afin d'approvisionner les forteresses occupées par les Turcs; et Khourchid-pacha, informé de l'arrivée prochaine de la flotte turque dans la mer Ionienne, se prépara à attaquer les Hellènes partout où ils pouvaient être vulnérables.

Ismaël Pacho-bey, qui se trouvait à l'Arta, reçut en conséquence trois mille cinq cents hommes, avec lesquels il devait entrer dans

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