Images de page
PDF
ePub

l'Acarnanie, tandis que son fils y pénétrerait du côté d'Actium pour s'emparer des châteaux de Playa et du Téké. Hassan-pacha, qui avait été battu en dernier lieu au pas de Coumchadèz, avait ordre, pendant cette campagne, de tenir garnison à l'Arta avec mille hommes qu'on lui laisserait. Hagos-Lou Ali-pacha, schypetar guègue, qui occupait avec quinze cents hommes la position de Placa, était chargé d'observer les insurgés de l'Athamanie, embusqués dans les escarpements du Djoumerca et de l'Agnanda. Il était vraisemblable qu'ils se jetteraient dans la vallée de l'Achéloüs pour se joindre au capitaine Stournaris, chef des Aspropotamites, dès qu'ils se verraient débordés par Ismaël Pachô-bey: alors Hagos-Lou les poursuivrait à travers l'Agraïde, et partout où il serait dans le cas de les atteindre. Enfin le Macédonien Jousouf-pacha, qui avait une garnison de mille hommes à Lépante, restait à la disposition du capitan-pacha. On lui enjoignait de se concerter avec cet amiral, qui lui amenait, disait-on, dix mille hommes de débarquement pour la grande expédition, dont le but principal était de faire lever le siége de Tripolitza.

Le harem du sérasquier Khourchid, ainsi que ses trésors, se trouvaient renfermés dans cette place; il avait conjuré Khalet-effendi, le grand amiral, et tous les membres du divan, de tourner leurs regards vers la Morée. C'était dans l'espoir que ses vœux seraient exaucés, qu'il s'était dévoué à continuer le siége de Janina: car il aurait sans cela sollicité la grâce de se mettre à la tête de l'avant-garde des armées qui devaient entrer dans le Péloponèse.

Cette province allait donc être aussi vigoureusement attaquée par terre que par mer. Baïram-pacha, Asiatique renommé par sa bravoure, se trouvait à Livadie avec un corps de deux mille cinq cents hommes. Khar Hadgi Ali, pacha de Négrepont, en comptait quatre mille cinq cents sous ses drapeaux. Omer Brionès, qui commandait à Athènes, avait quatre mille hommes, et un certain Achmet-pacha, campé à Éleusis, conduisait une colonne de deux mille deux cents hommes. Ces divisions ainsi échelonnées, se liant par les places fortes de Talente, de Zeïtoun, de Bodonitza et de Volo, à la Thessalie, devaient être soutenues par une armée de dix-huit mille janissaires rassemblés à Larisse.

Les sérasquiers de ce grand corps de bataille, qui étaient Seïm et Mémich pachas, offraient plus que des chances de succès à la cause des Turcs, car ils avaient longtemps fait la guerre dans le Curdistan

sous les ordres du feu grand vizir Kior Jousouf-pacha, et de Khourchid pendant l'expédition contre les Serviens. Enfin on organisait une armée de réserve à lénidgé Vardar, sous la direction de deux pachas nommés Ali et de Békir, frère de Ryamil, bey de Corinthe, qui devaient contenir les paysans du mont Olympe, et surveiller les mouvements des rebelles de la Macédoine transaxienne.

Il était probable que ces troupes passeraient à Larisse, dès qu'elles seraient en état d'entrer en campagne; car les Grecs macédoniens causaient plus d'embarras au pacha de Salonique, qu'ils ne devaient inspirer d'inquiétudes à l'armée d'opération destinée à agir contre la Hellade.

On a dit comment les Grecs de la Macédoine, trop peu nombreux pour tenir la campagne, avaient été rejetés dans la presqu'île de Pallène, et de quelle manière le capitaine Diamantis, accouru à leur secours, était parvenu à arrêter les barbares à l'entrée des portes cassandriennes. Depuis la fin de juillet, les affaires des Turcs n'avaient fait qu'empirer de ce côté. Chaque jour le nombre des soldats du sérasquier qui commandait dans la Chalcidice diminuait par le fer ennemi, les maladies et la désertion. Le janissaire aga de Salonique devait, dès qu'il était nuit, faire des rondes continuelles autour de la ville, afin d'éloigner les maraudeurs et les fuyards qui menaçaient d'en franchir l'enceinte pour commettre des désordres. M. Rombeau, consul de Russie, qui s'était deux fois réfugié sous le pavillon de France, avait dû s'embarquer sur la corvette de notre marine royale la Truite, et se retirer. Les chrétiens qu'on avait incarcérés dans les églises, transformées en prisons, continuaient à y être renfermés; et ce n'était guère que pour les torturer afin d'en arracher de l'argent, ou pour les envoyer au supplice, qu'on en faisait sortir quelques-uns qu'on livrait à la rage des juifs. La consternation était générale, et les grands personnages turcs eux-mêmes, qui se voyaient placés entre le ressentiment des insurgés et la crainte de la soldatesque musulmane, n'auraient pas balancé à se réfugier à Constantinople, s'ils avaient pu faire le trajet de mer avec sûreté.

Leurs alarmes étaient exagérées; mais combien celles des Grecs auraient été accablantes, si l'esprit de Dieu, qui les avait suscités, n'eût exalté leur courage! Les Thermopyles n'avaient pour défenseurs que deux mille cinq cents hommes; mais ils étaient commandés par Odyssée, Dyoyounitis et Jean Gouras, capitaines que l'oracle de la

Sainte Vierge de l'antre de Trophonius avait surnommés la terreur des barbares, en déclarant qu'ils valaient à eux seuls l'armée turque rassemblée à Larisse. Makrys occupait les montagnes d'Agrapha avec huit cents hommes; Zongos en conduisait quatre cents à travers les escarpements du mont Othryx; Stournaris en commandait six cents dans la vallée de l'Achélous.

Gogos Bacolas et Koutélidas se trouvaient avec sept cents hommes dans l'Athamanie. Les Souliotes présentaient un effectif de cinq mille soldats, et ils avaient une garnison de soixante et douze hommes à Regniassa. Hyscos, Lépéniotis, un neveu de Hadgi Antoni, occupaient l'Agraïde avec neuf cents palicares. Varnakiotis et Rhengos étaient cantonnés aux environs des lacs de l'Acarnanie avec six cents armatolis. La bande de Passano, forte de deux cent cinquante Céphaloniens, errait dans le voisinage du Sparton-Oros. Quatre héroïnes étoliennes, qui avaient formé des compagnies d'amazones et d'adolescents, s'étaient chargées de défendre le pont de Caracos et de Dgénelli. Missolonghi avait une garnison de mille à douze cents hommes, et Anatolico comptait quatre cents défenseurs.

Les levées en masse des cantons du mont OEta, de l'Étolie Épictète, de la Doride et de la Locride hespérienne, étaient suffisantes pour observer les mouvements des Turcs qui étaient renfermés dans les forteresses de Padradgik et de Lépante. Comme on avait conçu des craintes sur Galaxidi, depuis que le vaisseau anglais le Cambrian était venu reconnaître ce port, on conseilla aux habitants d'en fortifier la passe. Mais ils négligèrent cet avis, parce qu'il fallait quelques dépenses; et, semblables à l'avare qui songe à sa bourse au moment du naufrage, ils devaient périr avec leur fortune, parce qu'ils ne consultèrent que l'intérêt particulier, qu'on ne sépare jamais impunément de l'intérêt général.

Depuis son arrivée au camp où se trouvait M. Gordon qui avait fait cadeau de trois obusiers aux Hellènes, D. Hypsilantis était au plus haut point de faveur. Non content de l'influence qu'il exerçait, en se faisant maladroitement qualifier du titre de prince 2, il'avait convoqué en assemblée générale les députés des provinces à Zaracova. Là, après avoir tracé un plan d'organisation, il s'était fait nommer

M. Gordon leur a donné à diverses reprises plus de cinq cent mil'e francs.

2 C'est à cette époque que se rapporte l'arrivée de Mavrocordatos à Missolonghi.

président de la gérousie, généralissime, lorsqu'il s'avisa de demander aux membres du congrès s'ils avaient des pouvoirs pour lui conférer ces titres ? Il fut étonné d'apprendre d'eux qu'ils n'avaient aucune mission de leurs compatriotes, et il dut revenir au camp devant Tripolitza. Chaque jour les soldats de l'armée du blocus s'aguerrissaient; et, parvenus de proche en proche à s'emparer des principaux défilés, un de leurs chefs, Nicétas, s'avança pour occuper l'entrée du Trochos ou Kaki Scala. Il y prenait à peine position avec quatre-vingt-dix Grecs, lorsqu'il vit approcher le kiaïa-bey en personne, suivi de trois mille fantassins et de cinq cents cavaliers. Il venait au-devant d'un convoi de cent charges de farine, expédiées de Lerne, où elles avaient été déposées par un des nombreux bâtiments anglais chargés d'approvisionner les barbares. C'était la première fois que les Grecs se trouvaient en face des Turcs; car ils ne les avaient encore aperçus que du haut des montagnes... Nicétas ordonne aussitôt à sa troupe de faire halte; il la place à l'endroit où le défilé commence à se rétrécir, appuyant sa droite contre la montagne sur laquelle est bâti le hameau de Doliana, et sa gauche au bord d'un torrent qui lui servait d'épaulement et de fossé.

Les mahométans, surpris de cette résolution, s'arrêtent en criant aux Grecs Idolatres, rendez les armes! - Impurs, répond Nicétas, il faut les gagner. A ces mots, les chrétiens, épouvantés du nombre des ennemis, frissonnent, leurs genoux chancellent, et leurs mains tremblantes soutenaient à peine le poids de leurs fusils, lorsque Nicétas commande de tirer sur la cavalerie turque, qui chargeait, suivant son usage, en se couvrant les yeux de la main gauche. Ils n'osent nous regarder, camarades, feu !... Il dit, et plus de quarante barbares tombent sur la poussière. Les Turcs font un mouvement rétrograde, se rallient, chargent; et, repoussée plusieurs fois, l'infanterie que le kiaïa-bey fit avancer, après avoir inutilement continué à fusiller pendant cinq heures, prend la fuite.

Dans ce moment, deux cents paysans grecs, restés spectateurs de la lutte du haut des montagnes où ils étaient embusqués, étant accourus au secours de Nicétas : C'est à présent que vous venez, cornus (keratadès), s'écria-t-il ; n'importe, tombons sur les Turcs. En achevant ces mots, il tire son sabre; et tous, imitant son exemple, se précipitent sur ses pas. Le frère du kiaïa-bey est mortellement blessé; Ali-bey de Phanari est tué; une foule de barbares tombent; et leur lieutenant

général, grâce à la vitesse de son cheval, parvient à regagner Tripolitza, après avoir perdu six cents hommes et le convoi qui resta au pouvoir des chrétiens.

Un succès aussi extraordinaire, qui valut à Nicétas le surnom de Turcolekas ou pourfendeur des Turcs 1, ayant enhardi les insurgés, ils descendirent du mont Ménale afin de prendre leurs lignes de blocus à un mille de Tripolitza, et le kiaïa-bey fut contraint de se renfermer dans la place avec douze mille hommes, en conservant néanmoins, à cause de sa cavalerie, la libre sortie par la porte orientale qui donne sur la plaine. Alors commença, à proprement parler, le siége de la capitale moderne du Péloponèse. Les postes des Grecs, d'après ce mouvement, furent répartis entre Colocotroni, Pierre Mavromichalis, Anagnostaras, Canelos, chef de la famille des Déli-Ianéi, Nicétas, Iatracos, Krévata, ainsi que plusieurs autres chefs, qu'on fera connaître à mesure qu'ils entreront en scène; car il est impossible de uommer tous les braves sortis du sein des montagnes qui se distinguèrent par leur courage.

On vit en même temps arriver au camp l'archevêque Germanos et le pieux évêque d'Hélos Anthimos, que son éloquence remplie d'onction avait fait surnommer l'amphion de la sainte épanastasie ou insurrection dont il était le nouveau Pierre l'ermite. Son costume, moitié clérical et moitié guerrier, lui aurait sans doute mérité le sobriquet de Cucullus, donné au grand aumônier des croisés, si la simplicité de ses mœurs et son éloquence n'avaient pas été en rapport avec celles des insurgés. Quelques jours après, parurent Thanos Canakaris de Patras, Londos de Vostitza, Orlandos d'Hydra, André Zaïmis de Calavryta, l'héroïne Bobolina de Spetzia, aux formes athlétiques, le navarque Condouriotis, et une foule de primats, pour aviser aux moyens de salut public.

Informé que le Péloponèse était menacé par les forces de terre et de mer du sultan, qu'on a précédemment énumérées, il fallait aviser à des mesures telles, que l'armée n'en fût informée qu'au moment de leur exécution. Les soldats qu'on avait réunis étaient tout ce qu'ils pouvaient être, des hommes indisciplinés, mais braves. Il se passait

1 Nicétas est né au village de Turcolekas. Les Grecs, jouant sur ce mot, l'avaient d'abord appelé, au lieu de Nicétas, Turcolekas, Turcopelekas, le pourfendeur des Turcs; ils le nommèrent ensuite Turcophage, comme on verra dans le récit des affaires de l'Argolide.

« PrécédentContinuer »