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L'idée de cette entreprise était due aux chefs de la Selléide. Leur plan consistait à débarquer avec six mille hommes au port Glychyst dans la Thesprotie, près duquel se trouvait le taxiarque Cyriaque qui occupait, avec un corps de Maniates, la palanque de Phanari. En prenant terre dans cet endroit, on trouvait dans la Selléide quatre mille hommes prêts à entrer en campagne, suivant les contrôles que le polémarque Nothi Botzaris avait adressés au gouvernement provisoire. Marc Botzaris ralliait en même temps les bandes de la Cassiopie, du Djoumerca, du mont Polyanos, et il se trouvait à la tête de quatre à cinq mille hommes, en donnant quelques subsides aux habitants de Godistas, qui ne demandaient qu'une somme assez modique pour entrer en campagne. Stournaris et Christos Tzavellas sortaient des vallées supérieures de l'Achéloüs avec douze cents hommes, George et André Hyscos de l'Agraïde, Zongos, neveu de Hadgi Antoni et de Lepeniotis, Varnakiotis, Rhengos, Makrys, Gôgos Bacolas, unis à une partie des Etoliens, s'avançaient par le Macrynoros sur Arta avec sept mille hommes; et Khourchid-pacha, attaqué par plus de dix-huit mille Grecs pleins de courage, était réduit à se renfermer dans les châteaux délabrés de Janina, qu'il n'avait pas eu le temps d'approvisionner. On l'y assiégeait, et, pendant ce temps, les Épirotes chrétiens, se levant en masse, rejetaient les Schypetars mahométans au delà de l'Acheloüs. Le succès de la campagne était immanquable; et la question ramenée sur le terrain de la Hellopie, où elle avait commencé, s'y terminait.

Pendant ce temps l'armée turque qui se rassemblait à Larisse ne pouvait rien entreprendre contre la Morée; et, avant le retour de l'hiver, la Hellade était affranchie du joug des sultans. Afin d'éviter le conflit d'autorité et les rivalités, on convint que Mavrocordatos serait investi d'une sorte de pouvoir dictatorial pour six mois, à dater du jour qu'il sortirait du Péloponèse.

Persuadé qu'il fallait se tenir sur la défense du côté de la Phocide et de la Béotie, Mavrocordatos, qui n'agissait encore qu'en qualité de président, se décida, d'après l'avis du sénat et les insinuations de l'archigrammatiste Théodore Négris, à renvoyer D. Hypsilantis aux Thermopyles. Il s'était réconcilié avec Odyssée, qui, comme tous les braves de son tempérament, était violent, mais sans rancune. On le chargea de répandre une proclamation en forme de circulaire, adressée aux différents états de la Grèce qui venaient d'apprendre les premiers

massacres de Chios'. Enfin il avait ordre, dans sa tournée, de passer par Athènes.

L'acropole, dont les monuments sont restés intacts par un hasard qu'on ne peut expliquer, bloquée par deux mille cinq cents Grecs aux ordres du diacre Libérios, qui s'étaient ennuyés de la bombarder, n'était plus défendue que par quelques centaines de Turcs; car le restant étaient des vieillards, des femmes et des enfants. Les barbares, après avoir muré la porte d'entrée, afin qu'elle ne fût pas brûlée comme l'avait été celle de la première enceinte au retour des insurgés, avaient cessé de canonner la ville. Les assiégeants et les assiégés passaient les journées à se regarder, tandis que des éclaireurs échangeaient assez inutilement quelques coups de fusil, en se chargeant d'injures et d'imprécations. Enfin, quand la nuit venait, chacun s'endormait presque aussi tranquillement que si on eût été en paix; car, si les Grecs n'avaient point à craindre de sortie de la part des assiégés qui s'étaient claquemurés, ceux-ci n'avaient pas non plus d'assauts à redouter. Les assiégeants s'étaient chauffés avec les échelles préparées pour une attaque de vive force, et la prise de l'acropole de Cécrops devait être l'œuvre du temps.

Tout annonçait que l'issue n'en était pas éloignée. Les maladies exerçaient de grands ravages parmi les assiégés, que la crainte de quelques bombes lancées au hasard avait obligés à se retirer dans des magasins humides, situés sous les propylées. Ils ne parlaient cependant pas de se rendre, et comme l'agglomération des Turcs, aux Thermopyles, faisait craindre une invasion dans l'Attique, le stratarque ré

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Proclamation du gouvernement de Corinthe.

Braves chefs et soldats,

Aux armes ! la patrie vous appelle. Arrachez vos frères, vos femmes et vos enfants au glaive exterminateur des barbares. Heureux jusqu'à présent dans presque tous les combats, vous avez prouvé à l'ennemi ce que pouvait un peuple peu nombreux, mais résolu à vaincre ou à mourir. Vous avez su vous suffire à vous-mêmes; grands dans la détresse, soyez intrépides dans le danger qui s'approche. Que chacun de vous devienne soldat. Enlevez vos enfants même à leurs jeux pour les mener au combat. L'union fera votre force, et l'ennemi reculera devant vos rangs. Disséminés et irrésolus, il vous détruira en détail. Vos devoirs, vos serments, vos autels, vos femmes, vos frères, vos familles sont sous le couteau d'un ennemi impitoyable. Volez aux combats.

Acrocorinthe, 12 mai 1822.

J. COLETTI, ministre de la guerre.

Contre-signé : DÉMÉTRIUS PAOLIS.

veillant l'ardeur de ses soldats proposa de tenter un assaut. Ce fut le vœu général des Hellènes, la religion y intervint. Ses cérémonies se mêlèrent aux préparatifs des guerriers; l'archevêque d'Athènes, entouré de son clergé, officia au milieu de l'armée réunie sur le penchant de la colline du Musée. Il prononça un discours propre à enflammer le courage des soldats, qui, après avoir baisé les reliques des saints et orné leurs têtes de feuillages bénits n'attendirent plus que l'explosion d'une mine qu'on fit jouer, afin de pratiquer une brèche suffisante pour donner entrée dans l'acropole.

On mit le feu aux poudres pendant la première veille de la nuit, mais les Turcs, prévenus par un Corse nommé Origoné, qui s'était établi dans le consulat de France, se trouvèrent prêts à repousser l'assaut. La forteresse, qu'ils avaient garnie d'un cordon de dadi ou bois gras (usage que les Turcs ont conservé dans tous les siéges pour découvrir l'ennemi), fut tout à coup illuminée. Ils commencèrent en même temps la fusillade, en faisant rouler simultanément des pierres, des obus et des grenades enflammées sur les Hellènes, qu'ils obligèrent à se retirer, après avoir perdu plusieurs braves, et le lieutenant Stralendorf, qui avait ambitionné l'honneur de monter un des premiers à l'assaut. On dut donc attendre le secours de la famine pour s'emparer d'une forteresse à laquelle était lié le sort de l'Attique.

La Morée, plus heureuse, indépendamment du sénat qui veillait à sa sûreté, d'une foule de chefs vaillants, et de quarante mille paysans armés de fusils apportés de l'étranger, semblait n'avoir rien à craindre de la part des Turcs.

On s'occupait ainsi, en toute sûreté, de l'expédition contre l'Épire, quand George Spanolaki, expédié par l'amirauté d'Hydra vers le lord haut commissaire, afin de réclamer contre l'arrestation arbitraire de la goëlette la Terpsichore, fit parvenir au président Mavrocordatos une note officielle relative à sa mission.

Elle portait que la goëlette la Terpsichore, à peine arrivée à Corfou, avait été séquestrée, et son équipage mis aux arrêts. Des sbires s'étant rendus sur son bord avaient abattu de vive force le pavillon de la croix qu'elle portait. On avait ensuite intimé l'ordre au capitaine de mouiller entre quatre armements de guerre anglais, et de dégréer son bâtiment. A tant d'affronts Thomas Maitland avait donné pour prétexte le vol de quelques moutons enlevés à Leucade par un corsaire insurgé. C'était l'aventure du loup et de l'agneau; mais comme les

Turcs n'avaient dévoré que des chrétiens, les Hydriotes furent témoins oculaires de l'accueil qu'on fit à la division navale ottomane qu'on les avait empêchés de capturer, et des soins que le lord haut commissaire prit pour l'empêcher de tomber au pouvoir des insurgés grecs.

Le capitaine et l'équipage de la Terpsichore gémissaient ainsi sous le poids de l'iniquité quand le parlementaire George Spanolaki aborda à Corfou, terre ennemie. Sans se plaindre de l'outrage fait à la Terpsichore, l'amirauté à laquelle on avait porté plainte au sujet du prétendu vol de moutons commis à Leucade, délit plus digne de la foudre d'Albion que les massacres de Chios vus d'un front impassible par la chrétienté, promettait de faire droit à cette réclamation fondée ou non, dès qu'on lui nommerait la partie lésée et le coupable. Elle réclamait ensuite la goëlette, en demandant à quelle distance l'escadre chrétienne devait se tenir de Corfou, quand elle se porterait dans la mer lonienne et jusqu'à quelle hauteur ses croiseurs pouvaient naviguer.

On ne pouvait agir avec plus d'humilité; il était difficile d'exiger plus de déférence. « Nous avons applaudi, disaient les archontes de » l'amirauté d'Hydra, en terminant leur lettre, aux assurances souvent » répétées que la Grande-Bretagne resterait tranquille observatrice » de la lutte du désespoir contre la tyrannie; qu'elle assisterait, au >> moins par l'indifférence et l'inertie, un peuple malheureux qui se » débat sous le glaive de ses oppresseurs. Néanmoins, qu'il nous soit » permis de témoigner à votre excellence, qui a proclamé tant de >> fois la neutralité, notre douleur et notre surprise de voir un dé>> menti formel donné à ses déclarations par la longue station des >> Turcs à Syvota, par la défense faite à notre escadre de les y attaquer, >> et d'être expulsés, comme nous le sommes, des ports où les flottes >> ottomanes sont reçues, approvisionnées, protégées et accueillies >> avec les honneurs du salut royal. »

Il est vraisemblable que cette lettre, quoique mesurée, n'aurait eu d'autre résultat que de laisser pourrir la Terpsichore dans le port de Corfou, sans les représentations du commodore sir Henri Moore, qui ne fut jamais étranger aux sentiments de l'humanité. Il avait déjà blâmé la conduite des brocanteurs de Zante', et il fit relâcher

'On assure que ces messieurs se proposent de fulminer contre l'Histoire de la régénération de la Grèce. Nous leur disons à l'avance que le mépris inspiré par leur

la goëlette hydriote; mais il est probable qu'il n'eut pas connaissance de la lettre suivante, monument de stupidité et d'arrogance digne d'un nabab, qu'on remit à George Spanolaki.

<< Monsieur,

Corfou, 28 avril 1822, à huit heures du soir.

Le lord haut commissaire, dans les iles Ioniennes, vient de recevoir des lettres qui se disent venir de la part de gens qui se >> donnent d'eux-mêmes le nom de gouvernement de la Grèce, et >> d'un agent qui se trouve actuellement dans ce port, chargé par ce soi-disant gouvernement, de traiter avec le lord haut com>> missaire.

» Son excellence ignore absolument l'existence d'un gouverne»ment provisoire de la Grèce, et ne peut par conséquent recon>> naître un tel agent. La nécessité seule de maintenir, comme son » excellence l'a toujours fait, les principes de la plus stricte neu»tralité, le porte à consentir à faire réponse à quelques passages » de ces lettres. Il plaît enfin à son excellence de signifier et de dire » qu'elle ne veut plus entrer en aucune communication avec une puissance nominale qu'elle ne reconnaît pas 3, et que sa détermi> nation se résume ainsi : 1° Aucun bâtiment se disant grec, sous » un pavillon non reconnu et non autorisé dans le monde, ne » pourra être reçu dans les ports britanniques 5; 2° son excellence » n'est pas tenue de discuter avec une puissance non reconnue, sur » ce qu'elle a cru convenable de faire. Elle s'avance 6 néanmoins

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bande noire ne nous fera rompre le silence que pour désigner en toutes lettres coux que nous nous sommes contentés de signaler.

On a remarqué dans le cours de cette histoire comment le lord haut commissaire Maitland entendait la neutralité.

Synonyme affaibli de daigner; sa grâce, qui s'était fait ériger une statue, bâtir un palais, qui tenait des levers, hésite cependant sur ce mot, mais il lui plaît; l'un vaut l'autre;

Quid domini facient, audent cum talia....?

Lisez: Que S. M. B. ne reconnaît pas.

La croix, adoptée pour signe de régénération par les Grecs, compte dix-huit cents ans de gloire, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. On voit bien que sa grâce ne descend pas des familles qui prétendent rattacher leur origine aux croisades.

⚫ C'est-à-dire dans les ports de l'heptarchie ionienne.

• Il n'y a aucun établissement sur l'île de Syvota. Si elle fait partie de l'heptarchie, pourquoi y souffrir les Turcs, les y laisser s'établir militairement? On raisonne mal quand on est en colère.

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