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comme au milieu du conseil des Hellènes, sa conclusion était toujours: « J'ai perdu mon époux; Dieu soit loué! Mon fils aîné est » mort les armes à la main; Dieu soit loué! Un second fils, âgé de >> quatorze ans, qui me reste, combat avec les Grecs, et il est pro>> bable qu'il obtiendra un trépas glorieux; Dieu soit loué! Je verse» rai aussi mon sang sous le drapeau de la croix; Dieu soit loué! » Mais nous serons vainqueurs, ou nous aurons cessé de vivre avec la >> consolante idée de ne pas laisser après nous de Grecs esclaves dans » le monde. >>

Étonnés de cette résolution magnanime, que Bobolina accompagnait de gestes trop expressifs pour n'être pas comprise, les Turcs, pressés par les besoins de la vie, avaient enfin demandé à traiter dès qu'ils surent à quelles conditions leurs coreligionnaires d'Athènes s'étaient soumis. S'étant, en conséquence, présentés au conseil des Hellènes, rassemblé au milieu de l'enceinte de Tirynthe, ouvrage des Cyclopes, que des siècles n'ont pu renverser, ils saluèrent ceux qu'ils qualifiaient naguère d'espèce née pour servir, d'idolâtres et d'esclaves, des noms de maîtres et de seigneurs. Ces humbles négociateurs, baisant le pan de la robe de Bobolina et la main des Grecs, leur demandaient en suppliant de les épargner.

« Depuis longtemps, disaient-ils, Nauplie se serait rendue, si les » Hellènes, plus religieux observateurs des traités, n'avaient pas fait >> périr les familles turques renfermées dans l'Acrocorinthe. Cette >> conduite impolitique leur avait jusqu'alors fait rejeter jusqu'à l'idée >> de tout rapprochement possible. Voyant qu'on revenait à des sen>> timents plus modérés, ils proposaient de remettre le fort de >> Bourdzi situé sur un flot placé à quelque distance de la darce, >> devant le front du château Itchcalhesi. A dater de son occupation, » les assiégeants devaient s'engager à fournir aux assiégés une quan>> tité déterminée de rations de vivres; et si dans le délai de quarante »jours la place n'était pas secourue, la garnison ainsi que toutes » les familles turques seraient embarquées sous pavillon étranger, » pour être transportées dans l'Asie mineure. >>

Cet accord, conclu et ratifié, mit au pouvoir des Grecs un avantposte, qui ne tarda pas à devenir pour eux d'une grande importance. Les esprits, jusqu'alors exaspérés, se calmèrent. On se livra réciproquement quarante otages, choisis entre les principales familles turques et grecques. Par suite des égards nouveaux qu'on se témoi

gnait, on consentit, sur la demande du pacha qui commandait à Nauplie, de ne pas transporter ses otages plus loin qu'Argos, afin d'être à portée d'en faire l'échange, en cas de rupture ou de consommation de la convention. Les Grecs étaient dans la joie; mais ils allaient bientôt éprouver la vérité de cet adage d'un de leurs ancêtres, Lamachus, capitaine athénien qu'on ne peut deux fois faillir en guerre, parce que les fautes y sont de telle conséquence, qu'elles causent la perte de l'État et de ceux qui les commellent.

Ils avaient interrompu le blocus de Nauplie pendant le siége de Tripolitza, et, battus avec une perte considérable lorsqu'ils voulurent le reprendre, ils se trouvaient, après avoir surmonté beaucoup d'obstacles, rejetés en arrière de leurs espérances. Ils consentaient cette fois à accorder un sursis à un ennemi réduit aux abois, qui ne cherchait qu'à gagner du temps, tandis qu'avec quinze jours de persévérance ils triomphaient, et l'étendard de la croix, arboré au faîte de la Palamide, proclamait l'affranchissement du Péloponèse.

Les ministres des Hellènes et leurs chefs commirent donc une grande faute en signant une capitulation éventuelle avec la garnison turque de Nauplie. Les délais n'étaient qu'en faveur des assiégés; car les Grecs ne pouvaient pas ignorer qu'ils n'avaient point d'armée à opposer à Khourchid-pacha, qui couvrait les rives de l'Apidane et du Pénée des tentes d'une multitude de soldats, impatients d'entrer en campagne. L'acropole d'Athènes, dont on venait à peine de s'emparer, n'était pas encore à l'abri d'un coup de main; et l'insouciance des ministres du conseil exécutif était telle, qu'ils avaient négligé d'approvisionner l'Acrocorinthe.

On s'excusait sur ce qu'ayant fait entrer en ligne de compte les trésors de Kyamil-bey pour acheter des munitions de guerre et de bouche, ce fourbe mahométan persistant à dire qu'il n'avait pas d'argent caché, on n'avait pu faire face aux dépenses qu'entraînerait la mise en état de siége d'une place de cette importance. Cependant, depuis la prise de Tripolitza, on éprouvait une aisance générale dans le Péloponèse. Plus de quarante millions de francs étaient passés aux mains des insurgés. Les officiers étaient chargés d'armes massives en or; les magistrats s'étaient enrichis; mais personne ne voulant rien débourser, chacun cherchait à cacher son égoïsme, en disant que les Turcs n'oseraient pas entreprendre une nouvelle campagne.

Vainement le vieux Panorias, chef des Doriens du Pindoros', avait prédit de grands malheurs; plus vainement encore Krévata de Lacédémone, qui ne paraissait au conseil que sous la bure grossière des Spartiates, avait reproché et reprochait encore aux Hellènes leur luxe et leur imprévoyance. On ne discutait plus, mais on disputait dès que le conseil se réunissait. Le ciel avait ôté le jugement à ceux qu'il voulait châtier et éprouver par de grands malheurs. Ce n'est qu'ainsi qu'il est possible d'expliquer l'aveuglement des Grecs; car de prétendre, comme on l'a dit depuis, que les coups qui assassinèrent Palascas et Alexis Noutzas étaient partis de Corinthe, dans l'intention de perdre Odyssée, serait aussi injuste que d'attribuer ce crime à Khourchid-pacha (quoique un pareil attentat soit assez ordinaire aux Turcs), dans l'intention de jeter des brandons de discorde entre les Grecs. Ainsi, au lieu de nous perdre en conjectures, il faut s'humilier sous la main puissante de Dieu, cause première et souveraine de l'ordre éternel, qui fait que la valeur n'est pas constamment heureuse, ni la prudence même toujours clairvoyante dans son propre intérêt.

Une dernière observation servira à faire connaître cette époque, pendant laquelle, ministres, sénateurs, députés, capitaines, s'étaient partagé les lambeaux ensanglantés d'une proie qui était au moment de leur échapper; c'est qu'on n'avait plus parlé de Mavrocordatos, depuis qu'il était descendu au port de Missolonghi dans l'Étolie.

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Voyez mon Voyage dans la Grèce, tome III, pages 214 et 230.

CHAPITRE III.

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Apathie des Grecs. Pronostics fâcheux sur l'expédition de Mavrocordatos. se décide à marcher en avant. Il arrive à Comboti. - Douleur de Marc Botzaris. - Diversion entreprise par Cyriaque, et contrariée par les Anglais. — Combat des Souliotes au faite des montagnes. - Héroïsme de plusieurs femmes. — Peste à Janina et à Paramythia. - Mouvements militaires d'Omer Brionès. — Escarmouches aux environs de Comboti. - Détresse des Philhellènes. - Arrivée du capitaine Gogos Bacolas à leur camp. Mouvements dans l'Acrocéraune et dans le Musaché. — Cyriaque communique avec les Souliotes. - Lettre qu'ils lui écrivent. Marc Botzaris entre dans l'Épire; bat les Tures à Placa et à · Embarras de Mavrocordatos. — Occupation de Péta par les insurgés. Combat du 16 juillet. Défaite des PhilValeur. Traits de courage [d'une foule d'officiers étrangers. Supplices des prisonniers. - Représailles. Excursion de Christos Tzavellas dans la Thesprotie. Mort de Cyriaque. — Nouvelles de l'invasion du Péloponèse par les mahométans.

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Sclivani; est obligé de rétrograder.

hellènes.

S'il est vrai que les républiques se fondent par enthousiasme, et se soutiennent par la vertu, on pouvait dire, en réfléchissant sur ce qui se passait dans la Grèce, que la liberté n'y avait brillé que comme un de ces astres, effroi du vulgaire, qui sont suivis d'une stupeur générale. Depuis que Mavrocordatos était sorti du Péloponèse, le feu sacré s'était assoupi, et il semblait que les génies protecteurs de la patrie avaient passé avec lui le golfe des Alcyons. Les stratarques et les principaux magistrats du peuple paraissaient satisfaits de son éloignement. Plusieurs d'entre eux avaient, sous différents prétextes, regagné leurs métairies, afin de respirer l'air frais des plateaux de l'Arcadie, et le patriotisme n'échauffait plus que les âmes généreuses de quelques montagnards. On comptait neuf cents hommes à l'isthme, trois mille aux environs d'Athènes, deux mille cinq cents dans l'Argolide, et trois mille sous l'étendard de Colocotrini, qui tenait de fort loin le blocus de Patras ; c'était tout ce qu'il y avait de troupes dans la partie occidentale du Péloponèse et dans les autres contrées de la Hellade.

Movrocordatos, depuis son arrivée à Missolonghi, ne voyait arriver aucun des secours qu'on lui avait promis; et en pensant à ce qui se

passait, on pouvait présumer qu'il y avait non-seulement apathie, mais trahison contre lui. Comment s'était-il décidé à abandonner la presqu'île, quand il ne pouvait pas ignorer qu'une armée ennemie très-considérable se réunissait en Thessalie? Qu'allait-il faire en Épire? Deux mois plus tôt le projet était salutaire; mais il était maintenant évident qu'on ne centraliserait pas la guerre dans cette province. Ainsi la raison commune prescrivait d'acquiescer à ce qu'on fit plus tard. Il fallait abandonner les Souliotes à eux-mêmes, fortifier Missolonghi et y laisser garnison. Marchant de là à travers les montagnes vers les Thermypoles, on se consacrait à leur défense, et les barbares y trouvaient leur tombeau. Les calculs ordinaires de la prudence semblaient dicter ce parti; mais la Providence voulait faire triompher les Grecs en opposition à toutes les combinaisons humaines, afin de confondre l'intrigue, les trahisons les plus odieuses, les calomnies antichrétiennes et les manœuvres criminelles, qui avaient tracé aux Turcs leurs plans d'extermination.

Informé des événements qui s'étaient passés dans la Selléide depuis le 27 mai jusqu'au 13 juin, Mavrocordatos, n'espérant plus de renforts, partit avec quelques milliers d'hommes pour entrer en Épire. Il passa le 15 l'Achélous au-dessous du village de Stamma, remontant par les lacs de l'Acarnanie, il fut joint à Laspès par les palicares du Valtos et par une compagnie de Céphaloniotes, aux ordres d'un nommé Spiro Panos. On tint conseil auprès de la fontaine de Couphara, et le 18 on s'achemina à travers les vastes forêts du Sparton et du Macrynoros jusqu'à Comboti, où le président établit son quartier général. On reçut dans cet endroit les bagages et quelques pièces de campagne, qui y furent apportés par un nommé Passano d'Ancône, commandant de deux chaloupes canonnières. Jusque-là on n'avait pas aperçu d'ennemis; les capitaines Acarnaniens semblaient bien disposés; on se concerta sur l'ensemble des opérations, et il fut décidé qu'on attaquerait la ville d'Arta 1.

Tandis qu'on s'y préparait, on apprit que les combats avaient recommencé dans la Selléide, et l'intrépide Marc Botzaris reçut une nouvelle que son courage ne put supporter, sans payer à la nature un abondant tribut de larmes. On a dit comment 2 son frère Con

'Mémoires de Max. Raybaud; ils sont fort bien circonstanciés dans cet endroit parce qu'il dit ce qu'il a vu. Tome II, pages 261 à 267.

2 Voyez liv. m, ch. 7, de cette histoire.

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