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transporter le quartier général à Lerne, village situé à deux lieues de cette ville sur le chemin de Tripolitza. Quoiqu'on n'eût pas plus de deux mille hommes disponibles, en y comprenant ceux qui étaient employés au blocus de Nauplie, on garnit les positions susceptibles d'être défendues. On évacua ensuite la ville, en faisant passer à Hydra, par le moyen des vaisseaux qui devaient embarquer la garnison turque de Nauplie, les familles et les bouches inutiles, chacun sauvant ce qu'il pouvait emporter; tandis que les Éleuthéro-Lacons, fidèles à leur instinct, volaient tout ce qu'ils attrapaient. En vain leur chef Pierre Mavromichalis essayait de les contenir, les Maniates pillèrent en grande partie les Argiens, et ils ne revinrent sous leurs drapeaux qu'après avoir déposé dans les montagnes le fruit de leurs larcins que les dames lacédémoniennes, informées des bonnes œuvres de leurs époux, transportèrent dans la vallée de l'Eurotas.

Après avoir pourvu à la sûreté des non-combattants, le vice-président du pouvoir exécutif, Athanase Kanacaris, s'embarqua sur une goëlette hydriote avec ses collègues Orlandos, Boudouris, membre du corps législatif, Bulgari, ministre de la marine, et le comte Métaxas de Céphalonie, ministre de la police. Négris, ministre des affaires étrangères, Coletti, ministre de la guerre, Caracazzaki, Monarchidès, Vlasi et Constantas, députés au corps législatif, passèrent sur un autre bâtiment, confiant ainsi à la mer les débris d'un gouvernement expirant, car le ministre des finances, Notaras, vieillard estimable, s'était, depuis quelque temps, retiré à Tricala, bourgade du mont Cyllène, pour y rétablir sa santé. Mais cette retraite des autorités civiles, loin d'être une défection, tendait à servir plus efficacement l'Etat qu'en délibérant au moment du danger, et en exhalant l'autorité qui leur était confiée dans de vaines proclamations. Il fallait agir, et lorsque l'Argien Baroukas, qui sauva les archives du gouvernement, eut apporté à bord le grand-livre des finances, l'argenterie et ce qui appartenait au trésor public, chacun se trouva utilisé de manière à prendre une part active à la défense publique. Mais, avant de développer ces dispositions, il convient de faire connaître le terrain sur lequel allait se décider la lutte des Grecs contre leurs oppresseurs.

Le vallon d'Argos', percé au nord par le défilé du Trété, qui ser

Voyez, pour la topographie détaillée de la route de Corinthe à Argos et de l'Argolide, les ch. 111 et 112, de mon Voyage dans la Grèce, qu'il est nécessaire de consulter pour bien suivre les détails de cette campagne mémorable.

pente entre les montagnes sourcilleuses dont il est enveloppé, a trois lieues et demie environ d'étendue jusqu'à la mer, sur un diamètre d'une lieue à une lieue et demie à son ouverture vers le golfe Argolique. A main gauche en sortant du Trété ou Rito, on monte à Mycènes, ville pélasgique, au-dessous de laquelle s'élève sur le renflement de ses coteaux le village de Carvathi. De ce point, où Dramali avait placé son quartier dans le kan voisin de la plaine, on compte deux lieues dans la direction S. O. à Argos, et trois et demie N. S. jusqu'à Nauplie. A l'extrémité de ces deux lignes, qui coupent une vallée, sillonnée par quelques torrents, s'ouvrent deux issues: l'une, vaste et dégagée de montagnes, conduit à Épidaure, en tournant à l'orient, quand on est à la hauteur du village d'Anasissa, qu'on croit avoir remplacé la bourgade de Midée. Arrivé par le travers de ce hameau, si on continue à marcher au midi, on passe devant Tirynthe; et une demi-lieue au delà, on entre à Nauplie, ville bâtie au penchant d'un contre-fort du mont Arachné, qui sépare la Trézénie de l'Hermionide jusqu'en face d'Hydra.

La seconde issue du bassin de l'Argolide, qui s'ouvre au S. O., est celle qu'on prend pour se rendre à Tripolitza; mais autant la passe d'Épidaure est accessible, autant celle-ci est d'un abord difficile, si on ne parvient pas à s'emparer d'Argos. Cette place ouverte et sans défense, où les colonies d'Inachus fondèrent la citadelle Larissa, qu'on voit encore au faîte d'un rocher hérissé d'aspérités, a un avantage de position qui semble avoir été méconnu par tous les conquérants modernes de la Chersonèse de Pélops, quoique l'ouvrage des Pélasges les avertît que c'était la clef de l'Arcadie. Aussi difficile à tourner au midi, par rapport aux marais qui la séparent de la mer, qu'à assaillir de front, à cause des montagnes auxquelles elle est appuyée, Argos aurait été, malgré sa position, une barrière de peu de résistance contre d'autres hommes que des Turcs, qui devaient l'emporter avant de pénétrer dans l'intérieur du pays. Quelques compagnies de voltigeurs en auraient chassé les Grecs; mais ceux-ci, qui connaissaient leur ennemi, y trouvèrent des ressources inespérées.

On résolut de défendre les ruines d'Argos; car, si on jette les yeux sur la carte, on verra que Tripolitza et le centre de l'Arcadie ne peuvent être envahis qu'en occupant cette ville, ou bien par une expédition maritime, qui débarquerait sur la plage de Lerue, d'où, n'ayant que huit lieues de chemin à faire et le seul défilé de Trochos

à franchir, on peut pénétrer sur le plateau de la Tégéatide. C'était ainsi que le fameux Hassan Gésaër, capitan-pacha, soumit la Morée en 1779. Mais en comparant l'état actuel des choses, on s'apercevait que son entreprise n'avait aucune ressemblance avec celle de Dramali. En effet Hassan, maître de Nauplie, partait d'Argos; et n'agissant que contre une masse d'insurrection concentrée à Tripolitza, la question se décidait devant cette ville: tandis que maintenant, la Morée entière se trouvant en armes, il fallait livrer autant de combats qu'il y avait de plateaux et de vallées, qui offraient des systèmes de défense plus ou moins compliqués contre un ennemi sans expérience.

Soit calcul ou hasard, les Grecs comprirent la faute des Turcs qui venaient de s'engager, sans infanterie, dans une vallée où ils pouvaient faire de fort belles évolutions de cavalerie, mais au delà de laquelle cette espèce de troupe leur devenait inutile et même nuisible. On reprit courage, et, par une inspiration qui ne pouvait venir que du Dieu protecteur de la cause des chrétiens, D. Hypsilantis, Pierre Mavromichalis, Nicolas Stamatopoulos, Nicétas, frère du Turcophage, le Spartiate Panagiotis Krévata, s'étant trouvés d'accord en tout point malgré l'opinion de plusieurs hommes fort braves, auxquels il avait paru indispensable de se retirer dans les montagnes, on adopta les mesures suivantes.

On échelonna une partie des Maniates dans les vignobles qui bordent la rive gauche de l'Inachus, et de cette façon on eut des avantpostes placés entre des espèces de palissades suffisantes, à cause de la hauteur des ceps, pour contenir les batteurs d'estrade et se mettre à l'abri de leurs coups. Dès lors on vit commencer une guerre assez bizarre entre les maraudeurs turcs qui, obligés de mettre pied à terre pour grappiller des raisins, s'enfonçaient entre les vignes, où les Grecs embusqués en tuaient autant qu'il s'en présentait, et faisaient aussitôt passer dans les montagnes leurs chevaux, dont ils s'emparaient. On plaça ensuite de distance en distance, le long du rivage de la mer,

D. Hypsilantis se comporta dans cette circonstance en homme de tête et d'honneur. Rencontrant Mavromichalis et trois cents Lacons embusqués sur une butte, il les excite et les engage à se rapprocher d'Argos. Il court à Lerne, d'où il ramène une foule de soldats fugitifs. Il presse le sénat d'écrire à Colocotroni de håter sa marche; on venait d'apprendre qu'il était arrivé au village d'Agladocampos. Nous regrettons que l'histoire, qui n'admet pas une foule de détails, nous empêche d'énumérer tous les mouvements que D. Hypsilantis se donna à cette époque, qui fut marquée par le salut du Péloponèse.

entre les lagunes et au milieu des rizières, des groupes de tirailleurs, afin d'empêcher l'ennemi de fourrager dans les marais, et pour l'attirer, en le provoquant parfois, dans les fondrières où il était facile d'en venir à bout. Enfin quelques officiers français, parmi lesquels on cite le capitaine Jourdain et le colonel Lavillasse, dans les intervalles libres que la fièvre laissait à ce dernier, qui perdait peu d'occasions de faire le coup de fusil contre les Turcs, ayant fait construire des épaulements en pierre sèche, appuyés aux murs des maisons incendiées d'Argos, on réussit à s'établir, de manière à soutenir un coup de main contre les barbares.

Tout ce qu'on pouvait faire étant ainsi prévu, il en résulta qu'au moyen des embuscades réparties le long de la mer, on réussit à lier depuis Argos la ligne d'opération avec la petite forteresse de Nauplie, que les Turcs avaient livrée aux Grecs, en vertu de la capitulation éventuelle conclue précédemment. Alors Nicolas Stamatopoulos et Nicétas, qui tenaient le blocus de Nauplie, s'établirent sur les montagnes en arrière de cette place, et plusieurs bâtiments furent désignés pour porter des secours aux différents postes établis près de la côte. Ainsi une péniche, armée de deux canons, reçut ordre de s'embosser sous la petite forteresse de Bourdzi, dont on remit le commandement au capitaine Philippe Jourdain, qui s'occupa aussitôt de faire embarquer les otages que les Grecs y avaient fait conduire comme garants de l'accord arrêté avec les Turcs qu'on prévint de cette disposition. Une autre péniche eut ordre de stationner aux moulins de Lerne afin de veiller à la sûreté du quartier général; enfin une troisième fut mise à la garde des bâtiments de transport, et on tint des chaloupes canonnières, ainsi qu'une foule de bateaux, à la disposition des commandants, pour se porter partout où ils seraient jugés nécessaires aux besoins du service. Le vice-président Kanacaris, et le comte André Métaxas de Céphalonie, devenus l'âme et le conseil de cette division navale, à la tête de laquelle se trouvait Bobolina, ainsi que quelques navarques d'Hydra, reçurent pour instruction, de se porter partout où il faudrait secourir et renforcer les postes des Hellènes; mais, en hommes prudents, les sénateurs qui n'entendaient rien à l'art nautique, laissèrent aux marins le soin de manœuvrer comme ils le jugeraient convenable. On savait qu'il fallait vaincre, que la loi rigoureuse de l'histoire est de juger les hommes d'après les événements; on ne vit plus que la patrie, le monde chrétien et la postérité.

Pendant que les Grecs faisaient ces dispositions, Dramali, qui était depuis huit jours campé au pied des coteaux de Mycènes, au lieu de se mettre en rapport avec Nauplie, dont ses avant-postes n'étaient éloignés que d'une lieu et demie, attendait, comme on l'a su depuis, l'accomplissement de promesses de Jousouf-pacha. Les yeux tournés vers la mer, il cherchait à découvrir la flotte ottomane, quand, pressé par la disette qui se faisait sentir dans son armée, il se décida à marcher en avant. Les queues, signal du départ, furent arborées devant sa tente le 31 juillet; et le 1er août, un cri immense, entremêlé du hennissement des chevaux et du bruit des clairons, annonça l'approche des barbares qui inondèrent la plaine, tandis qu'une partie de leurs hordes se dirigeait vers Nauplie, où elles entrèrent aux acclamations des assiégés1. Le gros de l'armée, conduit par le sérasquier, se porta en même temps vers Argos, où les Grecs qui avaient reçu des renforts, n'avaient cependant à lui opposer que dix-huit cents hommes. En considérant ces faibles éléments de défense, il fut encore une fois question de se retirer dans les escarpements des monts Lyrcée et de l'Artémisius; mais quand on consulta les stratarques et leurs soldats, tous demandèrent à n'abandonner les ruines d'Argos que teintes du sang des barbares, en disant qu'il serait toujours temps de suivre le parti qu'on leur proposait.

Le drapeau de la croix fut aussitôt déployé au faîte des montagnes d'Argos, où l'on n'avait laissé qu'un homme préposé à la garde des signaux destinés à donner avis des mouvements de l'ennemi. Les Turcs, précédés d'une forêt d'étendards, ayant commencé l'attaque avec cette furie ordinaire à leur premier choc, l'aile droite, forte de quinze mille hommes, est arrêtée tout à coup par trois cents Lacons embusqués au village de Coutzopodi, qui ne se retirent qu'après en avoir fait un grand carnage. Les barbares ne sont pas peu surpris de trouver sous les pas de leurs chevaux des trous et des fossés dans lesquels plusieurs s'abattent, tandis que ceux qui parviennent à franchir ces obstacles se voient de nouveau arrêtés devant des épaulements en pierre sèche, d'où ils sont assaillis par une fusillade terrible. Dans un instant les plus fanatiques, qui devaient leur courage aux vapeurs de l'opium dont ils s'enivrent au moment d'un combat, sont tués; et

Ce fut un nommé Ali-pacha, maintenant prisonnier des Grecs, qui pénétra dans cette ville.

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