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comme l'usage des Turcs est de relever aussitôt du champ de bataille leurs morts ainsi que leurs blessés, la confusion se met parmi eux. Ils reculent; mais, s'étant ralliés à peu de distance, et revenant avec une nouvelle fureur, ils ont bientôt formé une seconde attaque. Malgré leur résolution, celle-ci n'ayant pas été plus heureuse que la première, le sérasquier fait avancer les spahis, qu'on regarde comme la meilleure cavalerie mahométane, qui donnent avec impétuosité. Sans s'étonner, les Grecs, au nombre de deux mille, les reçoivent avec intrépidité; et ce n'est qu'au bout de huit heures de combat, et après avoir soutenu six charges consécutives, que Dramali, s'étant mis à la tête de sa maison, contraint les chrétiens à abandonner leurs retranchements.

Comme ils n'avaient que quelques pas à faire, ils se jettent dans la partie des rochers, vulgairement appelés les Chambres de Danaüs, à cause de certaines excavations qu'on voit aux environs. Les Turcs doivent s'arrêter au pied des escarpements, en restant toutefois maîtres des ruines d'Argos, qui leur coûtèrent neuf cents hommes et le double de blessés, tandis que la perte des Grecs ne s'élevait qu'à une trentaine de braves morts ou mis hors de combat.

Dans la position où ils se trouvaient rejetés, les Hellènes, au nombre de huit cents, embusqués derrière un mur flanqué de deux bastions adossés aux rochers, étaient plus terribles qu'au moment où Dramali les avait attaqués; car, sans infanterie, comment pouvait-il parvenir à les débusquer? Ce fut alors que D. Hypsilantis se décida à occuper l'acropole pélasgique d'Argos, d'où le signal de la délivrance de la Grèce devait partir, par la glorieuse résistance que ses défenseurs opposèrent aux barbares. A son approche, une nuée d'aigles, de vautours et de corbeaux, seuls habitants de cette forteresse cyclopéenne, s'étant envolés, les chrétiens en tirèrent un augure appliqué aux Turcs, auxquels il ne resterait bientôt plus, disaient-ils, que de prendre ainsi leur essor pour sortir de l'Argolide.

Vainement le sérasquier fit tirer son artillerie; les insurgés ne répondirent aux boulets, qui rebondissaient contre les rochers, que par des chants patriotiques, et plusieurs d'entre eux osèrent même redescendre dans la plaine pour provoquer l'ennemi. Plus rapides à la course que les chevaux des spahis, ils en attiraient toujours quelquesuns à l'écart, qu'ils ne manquaient pas de tuer, car rarement ils perdaient un coup de fusil; et, à cette vue, les barbares accourant

jusque sous le feu des embuscades y laissaient, comme dit Puffendorf dans ses récits naïfs, quelques-unes de leurs plumes. On remarqua, dans une de ces escarmouches, un porte-drapeau grec, pressé par quatre cavaliers, poursuivi comme dans le combat des Horaces et des Curiaces, tuer, en les isolant, deux de ses ennemis, blesser le troisième, et, serré de près par le quatrième, s'élancer derrière un pan de rocher, y planter son étendard, ajuster et percer d'une balle celui qui lui donnait la chasse.

Les combats ne cessèrent plus, ni pendant le jour ni pendant la nuit. Chaque instant était signalé par quelques semblables prouesses; on occupait la scène de cette façon, tandis que Pierre Mavromichalis faisait garnir la ligne des montagnes jusqu'à l'Erasinus 1, et que le Spartiate Krévata harcelait les mahométans avec ses tirailleurs. Ils mirent le sérasquier dans un tel accès de fureur, que, le 4 août, il ordonna à une partie de ses troupes de se tenir prête à donner un assaut nocturne pour déloger les insurgés de leurs positions. Il était irrité des pertes de sa cavalerie que les maniates tuaient en détail, et d'un échec considérable que lui avait fait éprouver Démétrius Plapoutas, qui venait d'arriver à Argos. La perte des Osmanlis dans cette journée avait été de près de quatre cents soldats, tandis que celle des Grecs n'était que de trois hommes.

Une résolution pareille à celle de Dramali ne pouvait sortir que du cerveau d'un général turc. Il prescrivit, en conséquence, à quatre mille hommes de cavalerie de mettre pied à terre, ainsi qu'à deux mille Arabagis ou valets du train et autres gens de la basse soldatesque destinés à les appuyer, d'attaquer les escarpements qui enveloppent Argos à l'occident. On attendit la nuit; et, dès qu'elle fut arrivée, l'assaut commença, non point en silence, ainsi qu'il convient en pareil cas, mais aux vociférations tumultueuses de Allah et de Mahomet.

Jamais scène de pyrotechnie n'offrit un coup d'œil plus admirable que le pic sur lequel s'élève la forteresse Larissa, et les rochers au pied desquels sont sculptés les gradins des cirques, des stades et des théâtres construits anciennement par les Argiens. Une fusillade entremêlée d'obus et de bombes, que les Turcs lançaient au hasard, éclaira tout à coup l'Argolide, tandis que les barbares essayaient d'escalader

Voyez tome IV, page 169, de mon Voyage dans la Grèce.

les rochers du Lyrcée. Les Grecs, établis dans des positions de leur choix, connaissant les replis du labyrinthe, dans lequel ils ne tiraient qu'à coup sûr contre des hommes qui s'exposaient à découvert sous leur feu, en firent une moisson sanglante. Tantôt les Turcs tiraient sur leurs propres soldats, tantôt ils étaient accablés de pierres; et au bout d'une lutte qui dura pendant quatre heures, forcés de se retirer, le silence de la nuit ne fut plus interrompu que par les gémissements de leurs blessés, que les Grecs passèrent presque tous au fil de l'épée.

D. Hypsilantis était sorti dès le commencement du combat de l'acropole, à la tête de deux cent cinquante hommes, pour se rendre à Képhalarion, position distante d'une lieue de l'ennemi, en laissant cinquante hommes à la garde du poste qu'il quittait. Il fond sur les mahométans auxquels il enlève deux obusiers, et, réuni au stratarque Plapoutas, il met en déroute les barbares, dont on compta trois cent soixante-trois morts sur le champ de bataille. Dans cette affaire brillante, il ne resta autour d'Hypsilantis, dont le cheval avait été tué, que M. de Maison, officier français, Denis Eumorphopoulos d'Ithaque, Jean Basilidès de Constantinople, Christos Léonidas de Zante et George Kalos de Patmos : les Ottomans parlent encore avec épouvante de la. terreur que leur causèrent ces braves.

Au lever du soleil, Dramali, connaissant l'étendue de sa perte, écrivit à Corinthe, où il avait laissé environ dix mille hommes, de lui envoyer un renfort de trois mille soldats. Informé ensuite que les Turcs de Nauplie, au lieu d'agir contre le taxiarque Nicétas, étaient intimidés par les Grecs qui occupaient la forteresse de Bourdzi, il se décida à se porter de ce côté. Il transféra en conséquence son quartier général dans l'enceinte cyclopéenne de Tirynthe, qui est éloignée d'une lieue et demie d'Argos, où il fit braquer onze pièces de canon, en laissant à son kiaïa et à huit pachas qu'il mit sous ses ordres, le soin de surveiller les mouvements de Mavromichalis, de D. Hypsilantis, et de Colocotroni, qui était en vue d'Argos.

L'armée de Dramali éprouvait d'ailleurs le besoin d'eau, malgré la. quantité de puits existants dans Argos. En prenant cette nouvelle position il évitait cet inconvénient, car il se rapprochait de la fontaine Canathienne, source suffisante aux besoins d'une armée nombreuse,

'Canathienne. Voyez mon Voyage, tome IV, page 168.

où les Naupliens trouvent une eau toujours fraîche, même pendant les ardeurs de la canicule. Il croyait encore, par ce moyen, engager les assiégés à tirer sur le fort de Boudzi qu'ils avaient livré aux Grecs; et, voyant qu'ils n'en voulaient rien faire, il détacha des canonniers de son armée afin de diriger l'artillerie des remparts de Nauplie contre cette position importante. Ces soldats étaient du nombre de ces Francs expatriés, aventuriers sans honneur, prêts à servir à prix d'argent, par toute terre, que leurs chapeaux et la justesse du pointé ne tardèrent pas à faire reconnaître pour des manœuvriers supérieurs aux topdgis turcs, qui ne savent guère que brûler de la poudre inutilement.

Les membres du sénat, qui se trouvaient sur la péniche stationnée dans ces parages, adressèrent alors l'ordre suivant au capitaine Jourdain pour l'inviter à passer dans la petite forteresse.

<< Honorable colonel Philippe Jourdain, il vous est ordonné de >> vous rendre à l'instant dans le fort de Bourdzi situé vis-à-vis de » Nauplie; d'employer tous les moyens possibles de votre art pour >> brûler la ville comprise entre les remparts, afin d'épouvanter les >> Ottomans ennemis des nouveaux Hellènes, et de les amener promp>tement à rendre la citadelle qu'ils occupent.

» Du golfe d'Argos: 8 septembre (27 août) 1822.

» Signés: ATHanase KanacarIS, vice>> président; JEAN ORLANDOS, et

>> BASILE BOUDouris. »

La petite forteresse, au moment où Philippe Jourdain s'y présenta, muni de l'ordre du vice-président et des membres du gouvernement des Hellènes, était défendue par MM. Franck Hastings, Américain, chef de bataillon d'artillerie, Antoine Anemat, Grec, capitaine commandant d'armes, Johan Hanek, lieutenant de bombardiers, et Dé

Texte de l'original de cet ordre, écrit de la main de Kanacaris :

Γενναῖε κολονὲλ Φίλιππε Γκιουρτάν,

Διορίζεσθε νὰ ἀπέλθετε εἰς τὸ Καστέλο Μπουρτζή, ἄντικρυς τοῦ φρουρίου τοῦ Ναυπλίου, καὶ νὰ μεταχειρισθῆτε ὅσους τρόπους σᾶς ὁδηγήσει ἡ ἐμπρηστικὴ τέχνη σας, διὰ νὰ κατακαύσετε τὴν ἔνδον τοῦ φρουρίου χώραν καὶ νὰ τρομάξετε τοὺς ἐχθροὺς τῶν νέων Ελλήνων Οθωμανούς, διὰ νὰ ἔχθουν εἰς συμφωνίας τῆς παραδώσεως τοῦ φρουρίου.

1822, Ιουλίου 27. Αργολικός Κόλπος,

̓Αθανάσιος ΚΑΝΑΚΑΡΗΣ, ἀντιπρόεδρος.

Ίω. ΟΡΛΑΝΔΟΣ,

Βασιλ. ΜΠΟΥΤΟΥΡΗΣ.

métrius Kalergis, sous-lieutenant. On s'occupa à remplir de terre plusieurs caissons afin de soutenir le parapet, et on éleva un cavalier sur lequel on parvint à établir une pièce de trente-six, qui plongeait la ville basse. On ouvrit après cela plusieurs embrasures, et on fit les dispositions nécessaires pour avoir la plus grande quantité possible de bouches à feu dirigées contre la place. On établit en même temps des grils afin de chauffer des boulets, et on fit savoir aux assiégés qu'on allait les brûler s'ils ne cessaient pas de tirer.

Intimidés par ces menaces, les Turcs Naupliens, craignant pour leur ville et leurs otages, quoiqu'ils eussent un nombre égal de ceux des Grecs en leur pouvoir, prièrent Dramali de retirer ses canonniers; et, plusieurs jours s'étant passés en négociations inutiles, le feu commença des deux côtés le 15 août au matin. On se canonna avec vigueur, sans que les insurgés, informés de la bonne foi des Naupliens, fissent usage des boulets rouges, qu'ils se réservaient d'employer dans le cas seulement où leur armée, forcée dans ses positions, serait obligée de se retirer vers Tripolitza. Malgré cette réserve, la ville ne pouvait manquer de souffrir, quoique les assiégeants ne tirassent qu'aux batteries et de plein fouet. On combattit ainsi pendant cinq jours. L'attaque, qui commençait à l'aurore durait jusqu'à dix heures du matin, terme de la plus grande chaleur, pendant laquelle on était obligé de part et d'autre de se reposer jusqu'à quatre heures après-midi; alors on retournait aux batteries qui ne cessaient plus de tirer.

Pendant que les Grecs arrêtaient ainsi dans sa marche le sérasquier Dramali, on apprit que Nicétas le Turcophage qui se trouvait aux Thermopyles, franchissant les défilés du Parnasse, avait débarqué à Sicyone, d'où, traversant la Stymphalide à la tête de deux mille hommes, il venait de déboucher par Némée dans les passages de Cléones et du Trété dont il s'était emparé. Il annonçait l'approche d'une armée turque qui se trouvait à Nevropolis dans la haute Phocide, mais on n'y fit aucune attention; l'enthousiasme était au comble dans le Péloponèse. Chacun demandait de quel côté était l'ennemi ; et deux mille Arcadiens accourus sur les pas de Colocotroni, venaient d'occuper également la passe du mont Polyphengos. Il arrivait en même temps quinze cents hommes à Pierre Mavromichalis, et les postes se

Polyphengos. Voyez tome IV, pages 5, 179, 182, 183 et 192, de mon Voyage dans la Grèce.

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