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» d'entrer dans le canal de Corfou. Si vous vous proposez d'aborder » le nord de l'Épire, passez au vent de l'île, et commencez par rétro>> grader. >>

On empêchait les Grecs de vaincre : qu'on se représente leur douleur. Ils essayèrent de faire valoir leurs droits, en répondant : « Pour>> quoi permettez-vous donc aux Turcs ce passage? et comment pou>> vons-nous les combattre entre vos bras? » On dédaigna de les entendre, et la goëlette parlementaire, la Terpsichore, que l'amiral Miaoulis dépêcha le même jour, 19 mars, à Corfou, pour solliciter quelques explications, n'avait pas encore obtenu, le 31, une réponse du lord haut commissaire. L'expédition grecque, avec ses troupes de débarquement, avait été forcée, au préalable, de retourner à Régniassa, et la flotte hydriote dut bientôt s'éloigner des parages de la Tauride septinsulaire : on n'était plus reçu, depuis longtemps, dans les îles Ioniennes, à moins d'être juif ou mahométan.

Le capitaine de la Terpsichore avait été mis aux arrêts en entrant au port de Corfou. Cette injustice révoltante ne pouvait pas manquer d'être funeste aux Grecs, qui s'étaient flattés d'opérer en Épire une diversion importante à leurs projets. Les Turcs en sentaient si bien les conséquences, que, dès qu'ils se virent tranquilles du côté de la mer, grâce à la protection des Anglais, ils tentèrent, dès le 23 mars, un nouveau coup de main contre l'Acarnanie, en transportant trois mille hommes à Vonitza. Ils voulaient à tout prix se venger de leurs défaites; et le combat s'étant engagé le lendemain, le capitaine Makrys, qui avait relevé Zongos et Hyscos, les battit si complétement, qu'ils durent retourner honteusement, pour la troisième fois, à Prévésa, après avoir perdu plus de huit cents hommes.

Ce fut à cette occasion qu'on commença à soupçonner le capitaine Varnakiotis, qui ne s'était pas trouvé à cette affaire, sous prétexte que sa présence était nécessaire dans la partie de l'Acarnanie, qu'on appelle Xéroméros. Il donnait pour raison que l'apparition de l'escadre ottomane dans la mer de Patras l'avait contraint à surveiller les environs de Dragomestre; et ce ne fut que par sa défection, ainsi qu'on le dira ailleurs, qu'il dévoila ses connivences avec les émissaires de l'Angleterre qui voulaient perdre les Hellènes.

Sans se rebuter, les Turcs de Prévésa ayant reçu un renfort de trois mille hommes, tirés d'Arta et de Salagora, se portèrent immédiatement contre Régniassa, où le capitaine Cyriaque tenait garnison

avec ses Maniates. Leur but était d'enlever ce poste aux Souliotes, dont ils auraient ainsi coupé les communications avec la mer. Ils marchèrent dans cette espérance; et ils avaient investi la place le 28 mars au matin, quand le son des trompettes de bois, qui sont la musique distinctive des vizirs de sa hautesse, s'étant fait entendre, ils s'imaginèrent que Khourchid-pacha arrivait en personne à leur

secours.

Ils courent à l'instant aux armes pour faire parade à ses yeux de leur valeur; et ils préludaient à un assaut, en adressant des injures aux assiégés, lorsque Marc Botzaris, qui avait masqué son approche par ce stratagème, tomba sur eux, les dispersa, et les poursuivit, en leur tuant beaucoup de monde, jusqu'à Castra Skia, où il campa au bord du fleuve Naxie, qui tombe en cet endroit dans la mer Ionienne.

La nouvelle de ce quatrième échec des Turcs dans le midi de l'Épire arrivait à Janina au moment où Khourchid recevait de nouvelles faveurs de son souverain. Mais ces honneurs, ainsi que le bandeau royal lui-même, ne désignent guère, dans les gouvernements de haute tyrannie, que les victimes qui doivent être tôt ou tard immolées sur l'autel de l'anarchie. En l'accablant de grâces chimériques, le cupide sultan pressait son sérasquier de lui rendre compte de l'héritage du tyran épirote tombé sous le glaive du bourreau.

Déjà Abdin-bey de Larisse, sans avoir partagé ses dépouilles funestes, avait éprouvé de si terribles reproches des ministres de la Porte, au sujet de la guerre d'Épire, à laquelle il les avait poussés, que, tremblant pour sa tête, une fièvre violente l'avait conduit au tombeau. Cela devait faire réfléchir Khourchid, si la prospérité ne l'avait pas aveuglé! mais il demanda des délais, et il fit partir, en attendant, sous bonne escorte, Vasiliki, le saraf Minahet, l'infâme Athanase Vaïa, l'honnête et probe Drosos, ancien barataire français, intendant de Mouctar-pacha, ainsi que plusieurs autres personnages que le conseil de sa hautesse voulait interroger, et sans doute livrer aux tortures, pour les contraindre à révéler le lieu où étaient enfouies les richesses d'Ali, chose qu'ils ignoraient. On exila en même temps Ismaël Pachô-bey à Drama sur l'Hèbre, où il fut condamné à rester en surveillance jusqu'à ce qu'on eût examiné sa conduite. Khourchid prit cependant sur lui de différer d'expédier à Constantinople les conseillers d'Ali, dans la crainte que cette mesure intempestive ne réveillât le mécontentement des Arnaoutes, qui commençaient, ainsi

que l'avait prévu Omer Brionès, à rejoindre les drapeaux du sérasquier.

L'histoire des siècles les plus barbares de l'antiquité ne nous offre aucun exemple d'hommes pareils aux Schypetars, indifférents à toute espèce de cause publique, qui se louent, sans haine et sans colère, pour massacrer, en vertu du droit de la guerre, sous toutes les bannières où ils trouvent de l'argent à échanger contre leur sang. Ces gladiateurs mercenaires, dressés comme les léopards qui servent aux plaisirs de la chasse des rois de Perse, après avoir pleuré Ali-pacha, accouraient pour se battre contre ses derniers partisans. A la vérité ils ignoraient qu'on se proposait de les lancer contre les Souliotes, parce que, quoique prêts à égorger parents et amis, les rochers de la Selléide, teints tant de fois de leur sang, auraient tempéré leur ardente cupidité : c'était l'appât seul de l'or qui les guidait.

Les Souliotes ignoraient également les projets formés contre eux; mais loin de redouter les combats, ils les appelaient de tous leurs vœux. Instruits du peu de ressources des Hellènes, et du défaut d'ensemble qui régnait dans leurs opérations; voyant d'ailleurs grossir de jour en jour l'armée de Khourchid-pacha, qu'ils croyaient destinée contre le Péloponèse, où sa famille était prisonnière, ils avaient ordonné des prières publiques pour demander à Dieu d'être les premiers objets du courroux des infidèles. Ils invoquaient la guerre comme un bienfait signalé de la Providence; et ils faisaient, depuis plus de quinze jours, fumer l'encens sur les autels de sainte Vénérande, afin de mériter la grâce de verser les premiers leur sang pour la patrie, quand la nouvelle de l'insurrection de Chios retentit dans l'Épire.

CHAPITRE VI.

Vexations,

et

Précis des événements antérieurs à l'insurrection de Chios.
assassinats des Tures. Mécontentement public. - Débarquement de Lycurgue
Logothète; il fait révolter les campagnes. Réunion d'une armée turque à
Débarquement des Turcs.

Tchesmé. Arrivée de la flotte ottomane.

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Massacre. Fuite de la population. — Amnistie proposée. - Dévastation du couvent de Néamoni. Luxure des Osmanlis. Les insulaires acceptent l'amnistie. Logothète et les siens se retirent à Psara. Élèz-aga prend le commandement des villages graciés. - Dévouement du père capucin de France. Supplice de l'archevêque Platon et des otages. Dévouement d'un Grec. Martyre à jamais · Peste. — Terreur des Tures. - Vente

-

mémorable. Fin tragique d'Irène.

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Noyade des vieillards, des femmes enceintes et des enfants. —
Réparation héroïque faite à la croix. Ouverture du

des esclaves.
Bazars de Smyrne.
rhamazan.

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Les habitants de Chios, satisfaits de leur condition, avaient été surpris par l'insurrection de la Grèce, au milieu d'une douce léthargie politique. Ce fut avec la nouvelle des événements de la Valachie et de la Moldavie, qu'ils entendirent parler, pour la première fois, de l'hétérie et de ses projets. Il en était de même des gouverneurs musulmans de leur île, qui ne conçurent aucun ombrage de ce qui se passait; et on vivait tranquille, lorsque vingt-cinq bâtiments grecs se présentèrent devant Chios, en mouillant au nord du château '. Alors les Turcs, au nombre de trois cents soldats et de deux cents Candiotes, s'étant rassemblés chez le mousselim, appelèrent au conseil les gérontes grecs, auxquels ils demandèrent vingt notables pour délibérer sur le salut de l'île.

Nous avons fait connaître ce qui eut lieu à cette époque, où les Chiotes, malgré leurs justes alarmes, se réfugièrent dans le sein du despotisme, afin de conserver leur tranquillité, en demandant qu'on resserrât leurs chaînes. Nous allons maintenant rapporter les raisons qui les déterminèrent à prendre ce parti. Les douleurs de Chios

'Liv. IV, ch. 3, de cette histoire.

méritent trop d'être connues pour en laisser ignorer l'origine, les détails et les sanglants résultats.

Sommés par les Turcs de se rendre à la citadelle, la moindre hésitation des notables compromettait la position des habitants. Chios n'existait que par le commerce et l'industrie. Il n'y avait pas de famille qui n'eût quelqu'un des siens employé à l'extérieur, et particulièrement dans les villes mahométanes 1. Les laboureurs, quand ils avaient trois enfants måles, en envoyaient un ou deux travailler en Turquie, où ils exerçaient ordinairement la plus douce des professions, celle de jardinier, dont les habitudes sont partout aussi pures que paisibles. De leur côté, les prolétaires s'expatriaient comme marins ou marchands, pour porter et vendre à Constantinople les produits de leur fle; enfin, le négoce d'importation et d'exportation avait tellement étendu les rapports des Chiotes à l'extérieur, qu'ils existaient plutôt dans les provinces ottomanes qu'au sein de leur propre pays; et la fortune publique se trouvant répandue au dehors, il leur était impossible de se réunir aux Hellènes au premier signal de la grande insurrection.

Si à cette époque Chios avait adhéré à la demande des Hydriotes, ses négociants établis dans le Levant périssaient victimes des Turcs, et leur fortune aurait été confisquée. Dix ou quinze mille marchands ou artisans, qui donnaient la vie à cette contrée opulente, une fois perdus, l'île obérée se trouvait dans l'impossibilité de secourir les insurgés, et de contribuer aux frais de la guerre qu'ils soutenaient. Cette considération n'était pas moins puissante que celle de sa position particulière, en réfléchissant qu'en aventurant, par le fait de son insurrection, ses ressources pécuniaires, elle se trouvait en même temps placée en première ligne vis-à-vis des Turcs. Ne pouvant former des soldats de ses habitants, Chios était dans la nécessité d'avoir des troupes de terre et des forces navales pour se mettre à couvert d'une invasion turque, sans avoir le moyen de solder alors ni les unes ni les autres; et elle devenait, au lieu d'une alliée utile aux Hellènes, un fardeau de plus qu'ils auraient à soutenir.

Déjà plusieurs îles, incapables de se protéger, causaient assez d'em

On y comptait, indépendamment de quatre-vingts grandes barques pontées, employées au cabotage de Constantinople, cinq cents charpentiers et autant de scieurs de bois employés dans les villes de l'Asie mineure. - MS des affaires étrangères, c. no 1465.

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