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de Larisse, Djéladin-pacha, n'avait trouvé moyen de rassurer les esprits qu'en lui proposant une suspension d'armes.

La première condition offerte par Djéladin-pacha, neveu d'Ali Tébélen, était de mettre en liberté les nomades Valaques et de leur rendre leurs troupeaux, sans empêcher qu'ils remontassent dans leurs parcours d'été. Il reconnaissait ensuite spontanément l'autorité de Stournaris et de Hyscos, comme chefs militaires indépendants des montagnes d'Agrapha, avec la faculté de pouvoir prêter assistance aux Étoliens, partout où ils en seraient requis, pourvu que ce fût en dehors du bassin de la Thessalie. Ce traité, trop avantageux pour ne pas cacher quelque perfidie, fut ratifié, et l'Agraïde forma ainsi une autonomie militaire qui n'était plus ni grecque ni turque, quoiqu'elle conservât une apparence de liaison avec les Hellènes.

Un armistice ambitieux conclu au moment où l'armée ottomane, commandée par le sérasquier Sélim-pacha, se réunissait à Thaumacos, ne fut pas plutôt connu à Tripolitza, qu'il y produisit un mécontentement général. Stipuler une transaction pareille sans faire mention du gouvernement hellénique, était un attentat politique qu'il ne pouvait ratifier. On suspecta la fidélité de Stournaris, qui n'avait jamais agi avec une franchise prononcée, ainsi que les sentiments de Christos Tzavellas, qu'on savait divisé de Marc Botzaris, par d'anciennes rivalités de famille qui se rapportaient aux guerres de la Selléide. Comme on était pressé par la marche des événements depuis que le capitanpacha se trouvait à Patras, et que de funestes dissensions s'étaient élevées parmi les chefs du Péloponèse, on résolut de renvoyer à d'autres temps l'examen de la conduite de Stournaris, qu'il était à propos d'entendre avant de le juger.

L'attention était occupée dans ce moment de l'arrivée d'André Louriotis, qui revenait de Londres avec le chevalier Édouard Blaquière, député du comité grec établi en Angleterre. Cet envoyé des philhellènes de la Grande-Bretagne était débarqué le 30 mai au matin dans une baie voisine de Pyrgos'. L'aspect du Péloponèse avait charmé ses regards.

« Les premiers objets, a-t-il dit depuis à ses commettants, qui >> frappèrent ma vue, furent beaucoup d'hommes et de femmes occu

'Pyrgos. Voyez tome IV, pages 231 et suiv., de mon Voyage dans la Grèce.

Rapport sur l'état actuel de la confédération grecque, traduit de l'anglais. Paris, 1823.

» pés aux travaux de l'agriculture, tandis qu'on voyait de nombreux >> troupeaux paître dans une plaine de la circonférence de quinze » milles environ, bordée par un rang de collines couvertes d'oliviers et » d'autres arbres fruitiers. Arrivé à Pyrgos, ville entourée de vi» gnobles, de champs couverts de moissons et de vergers remplis de » mûriers, je ne voyais que des groupes de femmes et d'enfants » autour des puits, tous occupés à puiser de l'eau ou à arroser, comme » si l'on eût joui de la plus parfaite sécurité. Nous suivîmes bientôt le » cours de l'Alphée en admirant ces scènes ravissantes, et nous par» courûmes un espace de plus de soixante milles, entouré de ces » sites délicieux, avant de gravir la chaîne de montagnes qui hé>> risse le centre de la Morée. Ici le chemin est bordé de rocs et » des plus affreux précipices, formant un nombre de défilés presque >> impénétrables. Passant ensuite dans un pays couvert de pins ma>> gnifiques, nous voyageâmes sur un plateau bien cultivé, avant » d'atteindre celui de la Tégéatide où l'on trouve Tripolitza.

» Le gouvernement hellénique venait d'être installé dans cette » ville. Pierre Mavromichalis, un des hommes les plus opulents de la » Grèce, était président du pouvoir exécutif et, George Condouriotis, >> proèdre du corps législatif. Des triomphes obtenus au milieu des >> plus grands dangers, des difficultés les plus accablantes, et des pri>>vations qui auraient effrayé les cœurs les plus intrépides 1, sem>> blaient être plutôt l'ouvrage du Dieu tout-puissant, invoqué par » l'éloquente proclamation d'Astros, que d'un peuple sans armes, dis» persé, abandonné ou réprouvé de l'univers.

» Hélas! ils avaient cependant tout fait pour mériter l'appui de la » chrétienté. Ils invoquaient son secours, et jamais rien de plus juste > ni de plus légitime n'aurait eu lieu. Leur appel était fondé sur les faits les plus connus et les plus incontestables; car il n'y a pas un Grec, » quelque ignorant et sans culture qu'il puisse être, qui ne sache que le » flambeau des lumières, éteint depuis si longtemps par la tyrannie, et » qui éclaire maintenant la plus grande partie des deux hémisphères, » fut d'abord allumé en Grèce, et que tout ce que nous possédons pour >> animer et embellir notre existence nous vient de leurs ancêtres.

L'auteur aurait pu ajouter, et de la terreur; car les femmes et les filles du Péloponèse se trouvèrent, par le fait des événements, privées tout à coup des signes de la fécondité, qui ne reparurent qu'après les victoires des Grecs, comme si le ciel ne les eût plus destinées qu'à donner le jour à des hommes libres.

» Quel autre sentiment qu'une vigueur d'âme innée, unie à la >> résolution la plus héroïque, avait pu rendre les Grecs capables >> non-seulement de soutenir l'honneur de la chrétienté, mais de ché>> rir les qualités et les talents qui font la splendeur et l'ornement des >> autres nations?... Amour de la religion, amour de la charité » mutuelle, assistance dans le malheur, valeur et intrépidité person>>nelles, où les femmes mêmes ont bravé les périls et les dangers des >> batailles, tant de vertus mériteraient d'être gravées en caractères » indélébiles, s'il n'y avait pas une passion plus fortement enracinée >> dans le caractère grec que celle de la gloire des armes, la soif de D l'instruction.

>> Ce besoin, supérieur à tous les autres, avait engagé le gouver>> nement à donner tous ses soins à l'établissement des écoles lanca>> striennes, pendant que l'ennemi était si près et que les troupes >> manquaient souvent de subsistances. On venait de convertir une » des plus grandes mosquées de Tripolitza, en école d'enseignement >> mutuel, où soixante et dix enfants des deux sexes au-dessous de >> dix ans recevaient une éducation aussi instructive que religieuse. » Alexandre Mavrocordatos en avait établi deux autres, presque à la >> vue des troupes mahométanes, à Missolonghi et à Gastouni dans » l'Élide. >>

Tel est succinctement le récit du chevalier Édouard Blaquière, qui traçait ces notes véridiques, tandis que son ambassadeur réfutait en dialecticien du Bas-Empire' les prétentions ambitieuses de la Sublime Porte. Si cette pièce diplomatique et le rapport qu'on vient de faire connaître passent à la postérité, ils suffiront presque à eux seuls pour montrer l'esprit divergent des cabinets et des peuples qui vivaient au commencement du dix-neuvième siècle.

Le tableau de la situation du Péloponèse, que traçait le chevalier Édouard Blaquière, était ce calme trompeur qui précède la tempête dans les mers de la Grèce. La discorde, qui n'était qu'assoupie allait éclater dans le conseil des Hellènes, qui n'avaient pu s'accorder rela

1 Voyez dans l'annuaire historique la note du lord Strangford, adressée au reiseffendi; Constantinople, 23 mai 1823. Il est déplorable qu'un homme du mérite de ce diplomate ait été réduit à jouer un pareil rôle. Il a trop prouvé le cas qu'il fallait faire des longanimités, de la générosité et d'autres lieux communs répandus dans certains protocoles, pour croire qu'il ait pris le change sur la véritable attitude que l'Angleterre devait tenir dans les affaires de la Grèce.

tivement à la division des pouvoirs entre le civil et le militaire. Mavrocordatos, qui aurait voulu faire dominer l'empire des lois, était contrarié par Colocotroni, dont l'opinion était que les généraux devaient réunir le pouvoir administratif à celui du glaive. Il ne fallait, à l'entendre, que de l'or, du fer et des soldats. Entretenu dans son erreur par la faction des Déli-Ianéi de Caritène, que Théodore Négris animait de ses ressentiments personnels, le vieux chef de bande ne dissimulait pas ses prétentions au pouvoir, quoique persuadé de son incapacité pour tenir les rênes du gouvernement. Ambitieux sans élévation, il n'avait encore vu dans le changement des choses, que le moyen de se substituer aux Turcs; et le beau idéal de ses conceptions était de jouer en Morée le rôle qu'Ali-pacha avait si funestement rempli dans l'Épire. A défaut de chefs d'accusation, le texte de ses déclamations roulait constamment sur l'ambition des princes phanariotes; mais, comme il ne pouvait rien arguer contre Mavrocordatos, il fallait lui supposer des arrière-pensées criminelles.

La chose était difficile; car sa conduite, comme chef du gouvernement pendant le siége de Missolonghi, et le refus qu'il avait fait d'être réélu président, mettaient Movrocordatos au-dessus du soupçon de toute espèce de vues ambitieuses. On accusa alors sa modestie, en prétendant qu'il n'avait fait porter aux emplois supérieurs Pierre Mavromichalis et George Condouriotis que pour gouverner à l'ombre de leur autorité. Il fallait, disait la faction militaire, non des idéologues, mais un dictateur, afin de faire face au danger. Ces propos retentissaient journellement en public et en particulier à Tripolitza, quand on y apprit qu'Odyssée, à la suite d'un conseil de guerre tenu à Athènes, avait résolu de retirer ses troupes des Thermopyles, et de laisser l'entrée de la Béotie ouverte à l'armée mahométane réunie à Thaumacos en Thessalie.

On crut reconnaître dans cette manœuvre la tactique de l'année précédente pour mettre les Péloponésiens d'accord, quand Odyssée écrivait au vice-président du pouvoir exécutif, Athanase Kanacaris, vieillard estimable, que la mort venait de ravir aux Hellènes : Je

'Il expira sur une natte de jonc, sans regretter les dons de la fortune dont il avait été comblé. Vieillard infortuné! puisse la justice trop tardive que je rends à ses vertus civiques lui mériter les hommages de så patrie et de ceux qui l'ont mal jugé, comme je m'empresse de le faire ! car moi-même je fus longtemps abusé sur ses intentions.

vous envoie trente mille Turcs, faites-en ce que vous pourrez; je me charge de Khourchid-pacha et de ceux qui restent en Thessalie. Mais les choses étaient bien changées: car l'Acrocorinthe, qu'Odyssée regardait alors comme suffisante (quoique l'événement prouvât le contraire) pour arrêter une invasion, étant au pouvoir des Turcs, elle portait d'un trait leur armée au centre de l'Argolide. Sa détermination était fondée sur un plus puissant motif.

L'armistice conclu entre Stournaris, Cara Hyscos et Djéladin-pacha de Larisse, rejetant sur l'armée de la Grèce orientale toutes les forces ottomanes réunies en Thessalie, il ne fallait pas attendre, pour les attirer en champ clos, l'arrivée de Moustaï-pacha de Scodra, qui s'avançait à la tête d'une armée de plus de vingt mille combattants. On était informé (car l'œil des Grecs ne cessa jamais de pénétrer ce qui se passait dans le conseil des Turcs), que le capitan-pacha, jaloux d'enlever au vizir des Scodrians la gloire de reconquérir le Péloponèse, ne s'était autant empressé de se rendre à Patras que pour le devancer dans ses opérations. Déjà Khoreb-pacha avait eu le déplaisir de voir échouer les espérances qu'il fondait sur l'armée de Jousoufpacha et d'Omer Brionès, qu'il avait intention de faire décapiter s'il parvenait à les attirer sur ses vaisseaux, afin de payer l'armée avec leurs trésors; car tel était le texte de ses instructions, et il voulait agir avec les forces turques disponibles qui se trouvaient en Thessalie.

Un commandement impérial plaçant Sélim-pacha leur chef sous les ordres de Khoreb, celui-ci lui avait prescrit d'éviter l'Attique ainsi que l'isthme où les Grecs étaient retranchés, en dirigeant son armée à travers la Béotie et la Phocide vers le golfe de Salone, où il l'embarquerait afin de la transporter à la plage de Sicyone ou Vasilica. Tel était le plan du capitan-pacha; et Odyssée, instruit que cette armée ne se montait pas à plus de dix-huit mille combattants, s'était concerté avec les chefs militaires de la Grèce orientale pour la détruire dans le trajet de terre qu'elle devait parcourir. Indépendamment de l'avantage de battre l'ennemi en détail, les Grecs y trouvaient un résultat qui ne les touchait pas d'une façon moins directe.. Jamais leurs soldats n'avaient été aussi dénués. Manquant souvent de pain, sans habits pour se couvrir et sans argent pour subvenir aux besoins de leurs familles, ils attendaient l'approche des infidèles avec plus d'ímpatience que les Israélites, campés dans le désert, ne soupiraient après le passage des cailles, puisqu'ils comptaient sur les magasins ennemis

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