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Ils poursuivaient leur marche en s'animant par le récit de la belle vie du chef qu'ils regrettaient, lorsque, parvenus à Képhalo-Vrysson, fontaine sacrée, témoin du serment qu'il fit prêter à ses soldats ', l'année précédente, quand Omer Brionès vint assiéger Missolonghi, le héros soulevant pour la dernière fois les voiles de la mort prêts à couvrir ses paupières, leur adressa ces paroles : « Amis chers à mon » cœur, cessez vos regrets. Je meurs satisfait, puisque la patrie est » libre. Si vous voulez honorer ma mémoire, imitez les exemples que >> je vous ai donués. Rappelez-vous qu'un État ne brise ses entraves » et ne fonde son indépendance qu'au prix du dévouement et du sang » d'un grand nombre de ses enfants..... » Il expira en achevant ces mots, les yeux fixés au ciel ; et les échos du mont Aracynthe, répondant aux gémissements de ses soldats, portèrent jusqu'au fond des lagunes de Missolonghi la nouvelle du trépas de l'Aigle de la Selléide.

Le brave, l'intrépide, le sage Marc Botzaris n'est plus !!! Chacun fondait en larmes, et chacun se demandait comment celui qui sauva tant de fois les Hellènes était tombé .........

L'éparque Constantin Métaxas, réuni aux notables, ainsi qu'à une foule de peuple et de soldats, s'étant avancé à la rencontre de Marc Botzaris, pour honorer dans ses restes mortels la mémoire du grand homme que la Grèce venait de perdre, le brancard funèbre et triomphal s'avança aussitôt vers Missolonghi. Il était précédé des prisonniers mahométans qui marchaient suivis des chevaux de bataille des pachas et des beys tués dans le combat nocturne du 20 août, qu'on conduisait enharnarchés des housses, des aigrettes, des masses d'armes, des cimeterres, et des kalkans, ou boucliers des nobles esclaves auxquels ils avaient appartenu. On comptait ensuite cinquante-quatre drapeaux, que les Hellènes belliqueux tenaient renversés; mais toute l'attention se fixa sur Marc Botzaris, enveloppé dans sa chlamyde bleue, que ses plus anciens palicares portaient sur leurs épaules. Huit mille moutons ou chèvres enlevés aux barbares formaient son escorte, comme pour rappeler sa condition primitive! Enfin la marche était fermée par plus de mille chevaux de selle, et par un grand nombre de mulets chargés de trois mille deux cents fusils, sept cents paires de pistolets, de tentes, de munitions de guerre, de bagages, et d'une partie du trésor de l'armée ennemie.

Le corps de Marc Botzaris fut déposé dans la maison de l'éparque. Voyez liv. vi, ch. 8, de cette histoire.

On désigna ensuite quarante soldats armés de toutes pièces, coiffés d'un fez noir, pour composer sa garde d'honneur; et Porphyre, archevêque métropolitain aux titres canoniques d'Arta, d'Étolie et de Naupacte, ayant ordonné des prières publiques, les fidèles se rendirent en foule dans les églises pour demander au Seigneur la pair éternelle, en faveur du héros chrétien mort pour son Dieu et sa patrie.

On commença l'office des morts, pendant lequel les ministres du Très-Haut redisaient, en faisant fumer l'encens 1, ces paroles entendues jadis dans la terre de Hus: Il est né semblable à la fleur, il a passé comme l'ombre 2. Les jours de l'homme, répondait un chœur de jeunes lévites, sont fugitifs3 ! Les yeux qui le virent ne le reverront plus, mais il renaîtra dans la lumière éternelle. Il fut l'œil de l'aveugle, l'appui du faible, chantaient les diacres et le père des pauvres 3! Et les hiérarques alternant avec les différents ordres du clergé, terminèrent l'agrypnie ou vigile par ce verset de l'Écriture: Ses jours seront multipliés dans sa postérité comme ceux du palmier; sa gloire sera immortelle ".

Tandis que les temples du Dieu vivant retentissaient de ces chants expiatoires, on n'entendait au camp, sur les remparts et dans la ville, que des gémissements et des sanglots. Les femmes, improvisant des myriologies lamentables, redisaient tous les événements de la vie de Marc Botzaris, pasteur, soldat, voyageur, époux et père, mourant dans les bras de la victoire, mais loin de sa Chrysé et de ses enfants. Ses compagnons d'armes montraient la pierre sur laquelle, assis au feu des bivacs, il avait pris place au milieu d'eux la nuit où il leur parlait de Léonidas! Quelques-uns prétendaient avoir vu son front étincelant de lumière lorsqu'il reçut le coup fatal aux champs de Névropolis. Il aurait anéanti le culte de Mahomet, s'écriaient-ils ; et de larges ruisseaux de larmes, coulant de leurs yeux, humectaient la poussière.

Le soleil venait de se coucher; on était dans une de ces nuits brû

'L'encensement a lieu suivant le rituel grec dans les cérémonies funèbres de l'église orthodoxe grecque.

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3 Ibid., v. 5. • Ibid., ch. 20, v. 9; 17, v. 12. Id., ibid., v. 18 et 20.

* Καὶ λέγουν νὰ ἐφάνη εἰς τὸ μέτωπόν του λάμψις άδρου φωτός σταλμένου ἀπὸ τὸν Θεὸν τῶν Χριστιανῶν πρὸς τὸν ἀντίμαχον τοῦ Μωάμεθ.

Λόγ. ἐπιτ. σελ. 36.

lantes de la canicule, où les hommes et les animaux reposent sans goûter les douceurs d'un sommeil tranquille. Le mont Aracynthe, échauffé depuis plus d'un mois par les ardeurs du soleil, ne renvoyait, au lieu de ses émanations vivifiantes, que des vapeurs pareilles à celles d'une fournaise ardente recouverte de cendres. Les forêts qui renferment les brises éoliennes étaient sans haleine, et aucun souffle n'agitait les bordures verdoyantes des roseaux ornements des lagunes. Des insectes phosphorescents, ou des moustiques incommodes, étaient les seuls êtres animés dont les bourdonnements s'unissaient aux bruissements aigus des cigales. Le calme de la mer, interrompu par le bondissement de quelques poissons, auxquels les loups de mer donnaient la chasse, étaient les seuls bruits qui troublaient une nuit dont la lune marquait le cours silencieux, tandis que les guerriers baignés de sueur exhalaient en plaintes brûlantes leur profonde douleur.

Les approches de l'aurore, où des songes propices calment ordinairement les plus cuisants chagrins, n'avaient pu fermer leurs paupières, quand le glas de la cloche et le bruit du canon annoncèrent les apprêts de la pompe funèbre du héros qu'ils pleuraient. Le soleil montant en vainqueur sur l'horizon déploie son disque éclatant de lumière au sommet du Parnasse, et mille voix adressent aussitôt un éternel adieu à Marc Botzaris. Le corps de l'Aigle de la Selléide, vêtu de l'uniforme hellénique, le front ceint d'une couronne de lauriers, ayant pour poêle sa chlamyde bleue, pour insignes son sabre teint du sang des barbares, venait d'être exposé devant le vestibule du palais de l'éparque. Palais digne d'envie, c'était l'humble demeure d'un pêcheur; mais elle était ornée de vingt groupes de drapeaux et de trophées arrachés aux infidèles par la valeur du fils d'un pâtre de la Selléide.

Depuis la maison de l'éparque jusqu'à l'église, les rues étaient jonchées de fleurs et de lauriers. Les cloches sonnaient, le canon tonnait en se répondant depuis Anatolico jusqu'à Vasiladès, quand le catafalque, orné de guirlandes d'immortelles, de roses et d'asphodèles, fut élevé sur les épaules des douze plus anciens palicares de Marc Botzaris; une foule d'officiers, de soldats portant des crêpes au bras droit, se groupèrent alentour, et l'étendard de la croix déployé dans les airs donna le signal du départ.

Il était suivi du métropolitain Porphyre, de ses évêques suffragants et de son clergé, accompagnés d'un choeur de diacres et de thurifé

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raires, qui faisaient fumer l'encens, en chantant: «Le miséricordieux >> a retiré le juste du milieu des tribulations, le Seigneur l'a entendu » dans sa clémence 1. La main du Tout-Puissant a fait ma force, répondaient les guerriers au nom du héros, « elle m'a exalté! Ren» versé, le Fort m'a soutenu; mais il ne m'a pas livré à la mort, puisque je vivrai pour le bénir.- La pierre qu'ils réprouvèrent, »> répétaient les fidèles, « est devenue la pierre angulaire; ce miracle s'est » opéré sous nos yeux ! »

En alternant ces chants, on arriva à l'église, où, l'office des morts et la lecture des évangiles ayant eu lieu suivant le rit orthodoxe, on procéda à la cérémonie de l'Aspasmos ou dernier baiser, que le vainqueur reçut de ses soldats qui le nommaient leur père! Ils se rangèrent ensuite hors de l'église pour faire place aux Missolonghistes, aux Étoliens et au peuple, qui embrassèrent la main et le front de celui qu'ils appelaient le libérateur et le sauveur de la patrie.

Cet acte de piété publique étant terminé, Porphyre, appuyé sur la patéritza ou sceptre sacerdotal, administra les onctions saintes au serviteur du Christ, Marc Botzaris, dont le chrême avait sanctifié l'initiation au baptême qu'il reçut dans les eaux du Selléis; et après avoir fait couler l'huile sainte sur la terre qui allait le recouvrir, on descendit le corps dans la tombe. Une députation choisie pour la recombler ayant rempli cette triste fonction, le peuple et l'armée, défilant en silence autour du tertre héroïque, le bénirent, en souhaitant la paix du ciel et de l'éternité au héros qui avait pris rang parmi les martyrs du Seigneur.

Le métropolitain s'étant à son tour approché du tertre, prononça un discours aussi simple que touchant qui finissait par ces paroles : «La Grèce entière reconnaît dans Marc Botzaris, objet de ses regrets, » son second Léonidas. Elle adopte sa famille; tel est le prix de ses > services. Repose dans le sein du Seigneur, âme généreuse; que la »terre te soit légère, Aigle de la Selléide! Adieu, Botzaris, adieu, » adieu ! * >>

Psalm. CXVII.

Voici l'épitaphe composée en l'honneur de Marc Botzaris :

Dors, ô Léonidas, Marc Botzaris triomphe; la renommée proclame partout ses victoires.

Voilà le tombeau de Botzaris! ah ! si tu revenais à la lumière, tu t'écrierais: Europe! apprends que la Grèce, quoique trop longtemps esclave, sortant enfin de la barbaric, montre qu'elle possède des enfants plus braves que moi.

CHAPITRE VI.

Constantin Botzaris succède à son frère. Invasion des Turcs.

l'Étolie. Retraite des Hellènes.

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Les Turcs pénètrent dans la Doride;

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sont repoussés. Marche de Moustaï-pacha. — Il est rejoint par Omer Brionès. Ils arrivent devant Missolonghi. Apparition de l'escadre barbaresque. Guerre civile du Péloponèse. - Exploits des Psariens. - Mort de Hassan-pacha dans l'ile de Crète. - Débarquement des Samiens dans l'Anatolie. Aventure singulière arrivée aux Turcs de Taglianos. Prétendue tête de Marc Botzaris envoyée au sultan. Descentes diverses des insurgés dans l'Asie mineure. Séjour de Khoreb, capitan-pacha, à Mitylène. — Flotte grecque dans ses eaux. — Aventure de vingt-deux chrétiens qui se sauvent de Constantinople. - Engagement entre les escadres grecque et turque. Cruautés d'Aboulouboud-pacha.— Retour à l'ordre du gouvernement hellénique. Femmes grecques à la tête de plusieurs croisières. — Rentrée des habitants de l'Attique dans leurs villages. — Défection de quelques Bulgares, événement remarquable. Succès des Acarnaniens. Cara Hyscos malade se fait transporter à Ithaque. Avantage qu'il obtient sur les Turcs. Martyre du religieux Christos mis en croix. - Capitulation de l'Acrocorinthe. Préparatifs des barbares contre Anatolico et Missolonghi. Échec qu'ils éprouvent. Peste dans le camp ottoman. Levée du siége de Missolonghi et d'Anatolico. Retraite de l'armée turque. Fuite de Moustaï-pacha. Il retourne à Scodra. - Arrivée de Mavrocordatos à Misso

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longhi.

Constantin Botzaris avait été salué polémarque par les Souliotes, qui l'invitèrent à prendre la place du héros, dont la tombe venait de couvrir les restes inanimés. Le fils de Kitzos se rendit à leurs vœux, et le disque du soleil ayant disparu au vaste sein des mers, n'eut pas plutôt fait place à la nuit qui enveloppa la terre1, que les autorités civiles et militaires, réunies dans la maison de l'éparque, cessant de répandre des larmes, délibérèrent sur les moyens propres à conjurer les dangers qui menaçaient la patrie.

Après le combat nocturne du 20-8 août, les Hellènes, rentrés dans leurs positions, n'avaient pas tardé à voir reparaître les barbares, qui

L'auteur de ce récit fait allusion à ces vers d'Homère :

Ει δ' ἔπεσ ̓ ὠκεανῷ λαμπρόν φάος γελίοιο,

Έλκον νύκτα μέλαιναν ἐπὶ ζείδωρον ἄρουραν,

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