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mée de Mardonius dans une circonstance presque semblable. « Vous » voyez, mon frère, cette armée; vous connaissez sa valeur : eh bien, » de tout ce nombre d'hommes campés au bord des lagunes, d'ici à » très-peu de temps, croyez-moi, il en restera à peine quelques-uns. Mon frère, répliqua Moustaï, ce que le destin a réglé, les » hommes ne peuvent l'éviter. Abstenez-vous de contrister mon âme. » Il n'y a pas pour l'homme de plus grand chagrin que de prévoir ce » qu'il y a de mieux à faire et de ne pouvoir l'exécuter. Trahis par » le capitan-pacha qui s'est enfui à notre approche, c'est à nous de

sortie pour intercepter un convoi de vivres venant d'Hypochori, dont elle s'empare après avoir tué 47 cavaliers turcs.

29 octobre. Nous recevons trois pièces de canon, qui nous sont envoyées de Livourne par le pieux métropolitain Ignace, archevêque d'Arta.

31 octobre. L'ennemi nous envoie un parlementaire chargé de nous offrir une capitulation on le chasse. Reçu une barque chargée de grains et de plomb provenant de Clarence en Morée.

4 novembre. Tempête, torrents de pluie; cependant le bombardement continue. 3 novembre. L'ennemi prépare des bateaux plats pour nous attaquer. Que Dieu daigne nous protéger!!!

9 novembre. Le bombardement recommence avec une fureur extraordinaire. Les troupes, le peuple et les autorités s'irritent; la disette est extrême. L'ingénieur découvre l'importance d'un haut-fond nommé Poros, qu'on peut regarder comme un boulevard placé entre Anatolico et Missolonghi. Il entreprend d'y élever une batterie ;l'ennemi fait tous ses efforts pour l'en empêcher, mais inutilement.

10 novembre. Le bombardement continue avec la même fureur. Nous avons à regretter un canonnier spetziote et un jeune homme de seize ans. Jusqu'à ce jour les Turcs ont lancé deux mille bombes. Mon calcul me porte à croire qu'ils ont dépensé 72,000 livres de fer, 12,000 de poudre, sans autre résultat que de nous avoir tué treize individus, et renversé quelques cabanes.

11 et 12 novembre. Le feu des ennemis se ralentit; nous avons perdu un homme par l'explosion d'une bombe.

15 novembre. Nous apprenons que des troupes sorties des Dardanelles de Lépante sont venues renforcer les corps d'Omer Brionès et de Moustaï-pacha, dont les armées se montent à vingt mille hommes, la plupart cavaliers. Les munitions, les fourrages leur manquent, les maladies les désolent. On ne fait point de prisonniers dans cette guerre acharnée; on n'a pu encore en faire sentir la nécessité.

17 novembre. Un esclave grec, échappé du camp des Turcs, nous apprend qu'ils songent à se retirer. En effet, ils embarquent leur grosse artillerie, ils incendient leurs barques, et ils abattent les oliviers.

18 novembre. On fait une sortie pour poursuivre l'ennemi, auquel on tue quelques chevaux. Il nous a laissé une quanlité de boulets, de bombes, de farine, avec une lettre portant que les Grecs reverront au mois de mai prochain le redoutable sabre du Scodra-pacha. Qu'il vienne! sa perte est de plus de 1500 hommes tués ou emportés par l'épidémie.

» tenter la fortune; espérons que Allah nous dirigera dans le sentier » de la valeur '. »

Constantin Botzaris, qui avait succédé à son frère, soupçonnant les desseins de l'ennemi, résolut de le déloger du poste qu'il occupait. Prenant avec lui huit cents hommes déterminés, il l'attaque de nuit, tue ou enlève une partie de ses soldats, et rentre en ville chargé de dépouilles.

Cet événement, qui eut lieu dans les premiers jours de novembre, ne tarda pas à être suivi des pluies de l'automne; et lorsque les barques de Prévésa arrivèrent, les radeaux qu'on avait construits à Tzambaraki étant prêts, l'armée turque affaiblie ne se trouva plus en mesure de prendre l'offensive.

Un soupçon fatal qui seul aurait suffi pour paralyser ses efforts planait dans l'armée; la Porte venait d'en troubler l'harmonie par sa politique. Adressant secrètement un firman à Omer Brionès, elle l'avait chargé de défaire le sultan d'un vizir puissant qui lui portait ombrage, en lui envoyant la tête de Moustaï-pacha de Scodra. Un ukase semblable avait été envoyé à Moustaï pour faire décapiter Omer Brionès, accusé d'avoir hérité des trésors d'Ali Tébélen. On s'observait, on se tenait dans une défiance réciproque en s'épiant mutuellement, lorsque les éléments, d'accord avec la perfidie du divan, vinrent mettre le sceau aux calamités des Ismaélites.

Epuisés par des veilles et par les alarmes continuelles que leur causaient les insurgés, les mahométans ne s'endormaient plus qu'au bruits des orages qui inondaient leurs tentes et leurs bivacs d'un déluge d'eau, dès que le soleil était couché. A des nuits pluvieuses succédaient des journées brûlantes; et les tremblements de terre, qui sont fréquents à l'automne, imprégnant l'asmosphère de miasmes délétères, les fièvres ne tardèrent pas à se multiplier dans l'armée. C'était l'effet de la température de la région marécageuse de la basse Etolie. On y faisait peu d'attention (car que sont les hommes aux yeux du despotisme?), lorsque chacun éprouva un malaise général.

Les soldats n'avaient jusque-là ressenti que des lassitudes dans les membres, des odontalgies ou maux de dents, des ophthalmies et des horripilations auxquelles succédaient des paroxysmes avec délire, quand, le nombre des morts augmentant, les ottomans prétendirent

Calliope, ch. 16.

qu'on avait empoisonné les sources. Insensés! la peste, communiquée par le capitan-pacha à l'escadre barbaresque, avait pénétré des vaisseaux algériens dans le camp turc, qui offrit les scènes les plus terribles causées par ce fléau meurtrier. On vit bientôt la terre jonchée de malades ayant les yeux injectés de sang, ou le regard menaçant, la bouche remplie d'ulcères, les membres couverts de taches noires; exhalant, avec des sanglots, un souffle cadavéreux du fond de leurs poitrines. Les uns, courant aux fontaines ou vers l'Achéloüs pour étancher leur soif, s'y précipitaient et s'y noyaient. D'autres, atteints d'hydrophobie, fuyant les eaux des sources, gravissaient les rochers ou montaient sur les arbres, en demandant leurs armes pour combattre des fantômes qu'ils croyaient apercevoir dans les airs. Plusieurs déchirant leurs vêtements, s'exposaient nus et baignés de sueur à l'impression des vents pour rafraîchir leurs membres couverts de pustules bleuâtres, d'où coulaient des ruisseaux de sang, lorsqu'ils se déchiraient avec leurs ongles, pour calmer un prurit qu'ils ne faisaient qu'exaspérer. Les moins énergiques, attaqués de bruissements d'oreilles, croyaient d'entendre des voix menaçantes parties du ciel, ou sortant du fond de la terre, qui leur annonçaient leur dernière heure. Ils versaient des larmes en nommant les lieux qui les avaient vus naître, leurs parents, leurs familles, leurs femmes et leurs enfants qu'ils ne devaient plus revoir. Un grand nombre, expuant péniblement une sanie visqueuse, la langue gonflée, roulant des regards furieux, expiraient suffoqués. Le désespoir se peignait dans les gémissements de ceux que des bubons qui ne pouvaient faire éruption enlevaient au milieu du transport convulsif. Plusieurs, frappés de cécité, errants à l'aventure, tombaient en accusant de mauvais génies de les obséder, tandis que des brigands, attentifs à profiter des dépouilles des morts et des mourants, entassaient des monceaux d'armes, de pelisses, de turbans et de ceintures sur lesquels ils expiraient, furieux de se voir ravir par d'autres le prix de leurs crimes. Ailleurs des soldats mettant les magasins au pillage s'enivraient et se disputaient des vivres devenus plus précieux que l'or et les objets de la cupidité ordinaire des hommes.

La peste exerçait ses ravages depuis dix-huit jours, quand Moustaïpacha et les chefs de l'armée ottomane résolurent de lever les siéges de Missolonghi et d'Anatolico qu'ils battaient inutilement depuis un mois. Voulant faire des adieux dignes de leur barbarie aux Étoliens,

ils ordonnèrent de couper les oliviers qui couvrent les flancs du mont Aracynthe. Six mille pieds de ces arbres tombèrent sous la hache de leurs soldats, et, ayant mis le feu aux barques ainsi qu'aux radeaux qui se trouvaient à Tzambaraki, ils partirent le 17 novembre (v. s.), en se dirigeant sur Vrachori.

Arrivés à ce campement, les vizirs Moustaï et Omer Brionès firent évacuer le dépôt général qui se trouvait à Catochi, qu'on embarqua à la destination de Prévésa et de Salagora, échelles principales du golfe Ambracique. Abandonnant ensuite canons, mortiers, projectiles, et tout ce qui n'était pas susceptible d'être transporté, l'armée mahométane, réduite au tiers, passa l'Achéloüs au gué de Stratos. Arrivée à Olpé, Omer Brionès s'embarqua pour Prévésa, après avoir révélé à son collègue Moustaï-pacha que la Porte Ottomane avait le dessein formel de le faire décapiter, et de se tenir sur ses gardes. Pour moi, dit-il, on verra à quel prix je livrerai ma tête, qui est proscrite comme la tienne par les intrigues de Méhémet-Ali d'Égypte.

Tels furent, dans la Grèce occidentale, le résultat de la campagne de l'année 1823 et la dernière entrevue des deux satrapes réunis pour éteindre la sainte rébellion de la croix dans le sang de ses glorieux défenseurs.

Moustaï-pacha, poursuivant sa retraite après cet entretien, s'arrêta à l'Arta, où il introduisit la peste. Il se mit quelques jours après en route pour regagner l'Illyrie; mais à peine arrivé à Coumchadèz, ses soldats, qui s'étaient écartés pour piller les villages, furent chargés avec une telle vigueur par les Épirotes, qu'un grand nombre ne reparurent plus sous ses drapeaux. Attaqué bientôt après à Mougliana par les montagnards de Lacca, qui s'étaient cantonnés dans les forêts voisines de la Selléide, il perdit une grande partie de ses bagages. Enfin assailli par Ismaël Podèz, ancien sélictar d'Ali-pacha, qui venait de se révolter, ce ne fut qu'en faisant le coup de fusil qu'il parvint à entrer, au bout de six jours de marche, à Janina, tant son armée était accablée de maux. Il y apporta la contagion qu'il répandit dans la vallée de l'Aous, au sein des villages du Musaché, sur les rives du Drin et à Scodra, où il n'était pas encore arrivé que le canon de la victoire annonçait l'apparition d'une escadre grecque sur les rivages de l'Etolie.

Mavrocordatos, nommé commandant de la Hellade occidentale, abordait à Missolonghi où il apportait l'abondance et le règne des

lois. Colocotroni, à la tête de huit mille hommes, sortait de l'Élide pour attaquer Patras. Un brick spetziote, commandé par le navarque Colombotes, foudroyait une corvette algérienne aux atterrages d'Ithaque. Les Étoliens et les Acarnaniens sortis des îles Téléboënnes, des forêts, du sein des lacs, ou descendus des montagnes qui leur avaient servi d'asile, rentraient dans les campagnes. Les dissensions publiques avaient cessé dans le Péloponèse. Le sénat hellénique rassemblé à Astros discutait les moyens de régulariser un emprunt que des commissaires devaient être chargés d'aller négocier en Angleterre. L'attention publique, tournée vers l'île d'Eubée, suivait les pas d'Odyssée. On avait éprouvé des revers en Crète, mais ils étaient réparables. La mer Égée était libre, et la campagne prête à finir ne pouvait plus offrir que des résultats prospères, lorsqu'on apprit que l'amiral Miaoulis Vôcos venait d'obtenir un grand succès dans les parages orageux du golfe Pagasétique.

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