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LIVRE II.

CHAPITRE PREMIER.

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I. La multiplicité des événements qui se succédaient et se tenaient, pour ainsi dire, liés étroitement entre eux, comme les anneaux d'une même chaîne, ne nous ont pas permis encore de parler de la garde impériale, qui, elle aussi, était venue sur la terre de Crimée, prendre sa part de fatigues, d'épreuves, de combats et de gloire.

Le 8 janvier, l'Empereur réunissait le corps expéditionnaire; et après l'avoir passé en revue, il lui remettait ses aigles en adressant à ceux qui allaient partir ces belles paroles:

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Soldats, le peuple français, par sa souveraine volonté, a ressuscité bien des choses qu'on croyait mortes à jamais, et aujourd'hui l'Empire est reconstitué. D'intimes alliances existent avec nos anciens ennemis. Le drapeau de la France flotte avec honneur sur ces rives lointaines, où le vol audacieux de nos aigles n'était pas encore parvenu. La garde impériale, représentation héroïque de la gloire et de l'honneur mili

taire, est ici devant moi, entourant l'Empereur ainsi qu'autrefois, portant le même uniforme, le même drapeau, et ayant surtout dans le cœur les mêmes sentiments de dévouement à la patrie. Recevez donc ces drapeaux, qui vous conduiront à la gloire, comme ils y ont conduit vos pères, comme ils viennent d'y conduire vos camarades. Allez prendre votre part de ce qui reste encore de dangers à surmonter et de gloire à recueillir. Bientôt vous aurez reçu le noble baptême que vous ambitionnez, et vous aurez concouru à planter nos aigles sur les murs de Sébastopol.

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L'enthousiasme était dans tous les cœurs. Ce baptême de feu, chaque chef et chaque soldat voulaient le recevoir.

Quelques jours après, une brigade commandée par le général Uhrick s'embarquait à Marseille et arrivait devant Sébastopol le 21 janvier.

Les événements marchaient; les difficultés sans nombre qui naissaient sous chacun de nos pas, les opinions diverses, les doutes qui se manifestaient avaient jeté dans les esprits une grande incertitude.

L'Empereur avait résolu de se rendre en Crimée. Les beaux jours commençaient à paraître; les neiges, les glaces et les pluies ne devaient plus irrévocablement attacher l'armée au rivage; une expédition ayant pour but l'investissenient de Sébastopol, était le rêve de presque toutes les pensées. La gardė au complet (moins les dépôts) devait faire partie d'un corps, dit de réserve, sous les ordres du général Re

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gnaud Saint-Jean d'Angély. Ce corps d'armée, destiné à agir séparément de l'armée de Crimée, devait opérer sur des instructions ultérieures.

II. Le 1er mai, ce corps arrivait au camp de Maslak, à deux lieues de Constantinople environ, sur la rive droite du Bosphore, près d'un petit village de ce nom, lieu fixé pour la réunion des diverses troupes; une belle et vaste ferme appartenant au sultan avait été mise à la disposition du général de Béville, aide de camp de l'Empereur, qui avait été chargé de faire le tracé du camp. Le général Saint-Jean d'Angély était arrivé; mais à peine les troupes furent-elles installées au camp, que le choléra s'abattit sur elles et exerça en peu de temps de cruels ravages. Il semblait que le fatal fléau voulait dans cette guerre avoir aussi sa part, et qu'il attendit au passage nos vaillants soldats pour les décimer par la mort.

Ce corps d'armée, nous l'avons dit, entièrement indépendant dans son principe et dans sa composition, devait recevoir des ordres séparés; mais bientôt une dépêche télégraphique apprit que les projets précédemment arrêtés, étaient changés; il ne devait plus agir séparément, mais se réunir à l'armée de Crimée et se rendre devant Sébastopol sur les ordres du général Canrobert. Cet ordre ne tarda pas à arriver; la division d'Aurelle devait s'embarquer le 12 mai, la division Herbillon le 13, et la garde impériale le 15.

Le sultan voulut faire ses adieux aux troupes qui

allaient partir, et les passa en revue dans la journée du 12, exprimant à plusieurs reprises, au général SaintJean d'Angély, l'admiration profonde que lui inspirait toujours cette belle armée si superbe aux revues, si intrépide au combat.

C'était un puissant renfort qui arrivait à l'armée de Crimée; car ce corps de réserve comptait 22 000 hommes environ (1). De graves projets étaient sur le point d'être exécutés, et leur accomplissement nécessitait la réunion complète de toutes nos forces vives. La nouvelle garde impériale allait, comme son aînée, payer un large tribut sur les champs de combat.

III. - Devant Sébastopol on touchait à la phase des grands événements.

Omer-Pacha est arrivé le 8 au camp, précédé par une division turque sous les ordres d'Ismaël-Pacha.

Nous l'avons dit à la fin du livre précédent, le jour tant désiré, tant attendu, tant de fois retardé avait été définitivement fixé; le 9 avril, toutes nos batteries démasquées, jointes à celles des Anglais, devaient à la fois tonner contre la ville.

Malgré le développement des travaux du côté de Malakoff, nos efforts réels ne devaient pas cependant se diriger sur ce point. Cette attaque ne devait être qu'une

(1) Division de la garde (ga Mellinet); 211 officiers, 6450 hommes. 1re division d'infanterie (gal Herbillon); 248 officiers, 6924 hommes. 2 division d'infanterie (gal d'Aurelle de Paladines); 234 officiers, 6570 hommes.

Division de cavalerie (gal d'Allonville; 190 officiers, 1364 hommes.

diversion ayant pour but important de diviser l'attention de nos adversaires et de diminuer la résistance qu'ils nous avaient préparée, de longue main, dans la ville proprement dite.

L'ordre est donné d'ouvrir le feu à la pointe du jour.

Pendant la nuit tous les préparatifs ont été faits; au siége de gauche, 303 bouches à feu sont dirigées contre la place dans toutes les directions. La nouvelle attaque Malakoff présente plus de 50 bouches à feu, les Anglais en ont près de 100.

La nuit est pluvieuse; le vent souffle avec violence; néanmoins rien n'est changé à la décision arrêtée. Les batteries doivent commencer à tirer sans signal. Déjà quelques lueurs, indécises encore, blanchissent l'horizon, les troupes de garde dans les tranchées évacuent les endroits que l'artillerie a piquetés.

A cinq heures, les premiers coups de canon partent du centre; puis toutes les bouches à feu des trois attaques y répondent à la fois : terrible et solennel mugissement de la guerre qui fait tressaillir la terre jusque dans ses entrailles. Six mois avant, jour pour jour (le 9 octobre 1854), les premiers coups de pioche des travailleurs avaient retenti sur le plateau.

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Depuis ce temps, quelles épreuves chefs et soldats n'ont-ils pas traversées ?

Le ciel est sombre; le jour est triste. Un épais brouiltard voile l'horizon. Le vent vient du sud et emporte avec lui, vers la ville assiégée, les formidables déto

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